Archives de catégorie : Flâneries

Mes balades ordinaires ou annuelles, des respirations accordées pour avancer plus loin dans le quotidien.

28 juillet 2018

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La vague s’incline
Et l’océan se dresse,
Et l’océan secoue les vagues.
L’océan joue au calme et à la tempête,
L’océan joue à éclabousser les vagues.
Ce n’est pas la vague qui sert,
C’est l’océan qui joue.
Yvan Amar, Les Nourritures Silencieuses, aphorismes, Les Editions du Relié, 2000, ISBN 2909698-51-3

Après un sommeil réparateur, nous avons à nouveau sauté du lit très tôt.
C’est toujours étrange de constater que n’ayant rien d’autre « à faire » que d’attendre, nous nous sommes précipités dans l’attente : arriver dans un simple « abri-bus »,  avec deux heures d’avance, afin de monter dans un avion « autobus-local » de neuf personnes où notre place était réservée, c’est un exploit dont nous seuls étions capables, d’un commun accord et sans le « faire » vraiment exprès.

Nous avons attendu.

Puis, nous avons été appelés et placés en rang par deux, dans l’ordre où nous devions nous asseoir derrière les pilotes afin de répartir nos masses respectives dans le minuscule « Cessna ».
Et nous avons traversé le « channel » une première fois.
Le nez collé au hublot.

Nous avons découvert le « channel » de ce jour là, ses calmes, ses agacements, ses pointes de colère, ses vagues, son courant, tout était visible.
Nous l’avons traversé si vite!
Nous l’avons regardé à la vitesse d’un survol, comme on regarde une vidéo que certains qualifient de didactique, une vidéo (par exemple) qui expliquerait en 30mn aux futurs parents ce que pourrait être la mise au monde de leur enfant!

E.T et moi, de par nos expériences respectives, étions capables d’agrandir infiniment ces trente minutes, de les combler d’une multitude de détails, de doutes, d’incertitudes, de joies et de délivrances.
Il est probable que pour notre ami qui n’avait jamais rien vécu de tel, des pensées germaient et buissonnaient, se nourrissant à coup d’imagination et de références virtuelles.

Minuscule avion, temps de vol court, atterrissage éclair, sortie immédiate.

Molokaï!

Moins de 24h plus tard, nous serions sur les flots au milieu du Ka’waï Channel.

Il y avait un grain de surréalisme dans ce que j’étais en train de toucher, de vivre.
Il y avait une acrobatie du temps,
Tellement de relativité,
Tant de réalité,
Un grain de cette folle sagesse
Dont je raffole.

Tout les ingrédients étaient présents, enfin rassemblés.

Restait l’attente,
Sous un soleil de plomb,
Sur la plage dorée déserte
Sur la terrasse encombrée
Sous le flot des paroles inutiles du briefing
Au coucher du soleil
Au lever de pleine lune
Dans la nuit.

Restait l’attente

29 juillet 2018 (1ère partie)

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Il est alors possible d’avancer que l’effort, comme tension d’une intention et d’une volonté vers un but, participe de cette interprétation du monde que nous faisons à chaque instant, c’est à dire de cette subjectivation, au-delà, ou plutôt en deçà des résultats, des données statistiques, des attentes objectives ou des présupposés idéologiques avec lesquels il a ensuite partie liée. L’effort comme tension vers l’avenir est une expression de notre liberté, indépendamment des obstacles rencontrés. Nous ne sommes pas sûrs de réussir, mais nous sommes engagés.
Isabelle Queval, Philosophie de l’effort, Editions Nouvelles Cécile Defaut, 2016, ISBN 978-2-35018-3879

Nos sommeils furent sommaires.
Entassés à six dans une pièce prévue pour trois, nous avions laissé tout ouvert comme pour agrandir l’espace.
Bruyant, le silence avait envahi la nuit claire, enveloppant l’ensemble des concurrents rassemblés autour de Kepuhi Beach.
J’ai dormi en pointillé, évitant tout mouvement susceptible de stimuler les antennes d’E.T qui était mon plus proche voisin. J’ai patiemment attendu que l’heure sonne.
Elle ne sonna point, l’agitation des autres concurrents, dans les autres logements, fut un signal suffisant pour notre chambrée.

J’ai maintes fois vécu ces petits matins où l’heure attendue depuis des mois est à l’approche, où soudain tout s’accélère et se ralentit en même temps, où il faut s’activer avant l’aube, se dépêcher, se précipiter pour finalement attendre, patienter, ne rien faire et s’occuper en attendant la délivrance du départ.

Ce matin là, j’étais seulement présente. Intensément présente à ce qui se déroulait sous mes yeux, entièrement disponible, instantanément prête à répondre aux besoins de ceux qui s’agitaient. J’étais prête, j’étais venue « pour ça ».
Autant, généralement, une personne qui se prépare pour un challenge se renferme, se concentre sur elle-même et sur son objectif, autant j’avais envie de devenir à la fois hyper transparente et à la fois hyper efficace en cas de besoin. C’est difficile à expliquer…

Il a fallu se jeter à l’eau pour rejoindre le bateau qui allait suivre E.T durant sa traversée.
Lui-même avait prévu de venir saluer la capitaine, lui donner les dernières recommandations « Prendre le cap le plus direct « , ce qu’il fit avant de rejoindre la poignée de gars qui participaient en SUPfoil.

Une fois à bord, S. et moi n’avions plus qu’à attendre le départ. Malgré l’arrivée tardive du bateau, nous étions prêts à temps, quelques minutes avant la première vague de départ (Les prones-paddle partaient en premier, puis les SUP partaient 30 mn plus tard, puis les SUPfoil 30 mn après).

C’est alors que S. demanda : where is the tracker?
Il n’avait pas terminé sa phrase que je voyais E.T le mettre à son cou avant de quitter la chambre.
Il est autour du cou d’E.T, il faut vite aller le récupérer, il faut aller vers la plage!

Le capitaine n’eut pas d’autre choix que de s’exécuter.
Le moteur tournait encore, qu’oubliant toute prudence, je sautais déjà à l’eau, nageant à en perdre haleine puis courant vers E.T interloqué.
« Tu as gardé le tracker autour du cou!
– Ah, oui, j’ai oublié! » répondit-il en me le tendant illico.
Ce fut pour moi l’occasion de lui lancer un regard encourageant , un regard silencieux de « maman » avec toute la puissance que je pouvais y mettre.
Et hop, je me jetais à l’eau pour la troisième fois de suite. A peine avais-je posé les pieds sur l’échelle du bateau qu’il mettait les gaz pour sortir de la zone de départ. Le décompte de la première vague était déjà lancé.

A suivre…

29 juillet 2018 (2ème partie)

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Rien n’a de sens si je n’y ai mêlé mon corps et mon esprit.
Il n’est point d’aventure si je ne m’y engage.
Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle,  page 604, in Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1967

8h15
De l’immense flotte qui envahissait la minuscule baie, il ne reste que dix bateaux.
De la foule qui envahissait la plage, il ne reste que dix personnes, alignés sur l’eau en attente de leur départ.

J’étais à cet instant précis dans dans un intense état de stress physiologique, ventre serré, gorge sèche, tête vide.
Depuis des mois cet instant se préparait, depuis des jours chaque chose se mettait en place et là, et tout allait se jouer et tout pouvait arriver et je n’étais pas celle qui était toute puissante sur l’action qui allait se dérouler.
Inutile de vous faire un cours au sujet du stress physiologique et des torrents hormonaux qui en induisent les symptômes. Sachez que c’est une simple réaction « normale » et passagère dans laquelle notre corps s’organise pour que tous nos sens soient ultra-performants et que  l’action venant en réponse à l’émotion source de la dégoulinade hormonale soit le mieux possible adaptée à la situation de l’instant.

8h35
Le départ est effectif depuis cinq minutes et déjà ils ne sont plus que minuscules points sur l’océan.
Devenus impossibles à situer précisément.
Ils ne sont plus dix dans notre champ de vision.
Pour S et moi, il n’en reste qu’un : « notre E.T » et son sillage gracieux auquel nous nous attachons, auquel nous accrochons nos regards et nos pensées.
A son poste, le capitaine, engagé à coup de dollars est aux ordres, c’est son job et son émotion exprimée dans l’instant est celle-ci : « ça va vite, j’ai espoir de rentrer avant la nuit »

E.T vole.
E.T ne touche l’eau, que par intermittence, du bout de sa pagaie.
En longues arabesques il passe d’une vague à l’autre, jouant avec leur jeu, poussé par le vent.
Nous admirons.
C’est un merveilleux spectacle qu’aucune vidéo ne peut rendre à la hauteur de la réalité.

Molokaï s’estompe au loin.
Les concurrents qu’E.T a dépassé sont invisibles, ceux qui sont devant tout autant.
Il ne reste, sur l’horizon balloté par la houle, que les minuscules points de quelques bateaux accompagnateurs.

Oahu apparait en point de vue.
Le milieu du « channel » est le lieu de tous les combats entre houle et courants, entre abysses et créations de l’activité volcanique. La puissance de l’environnement est indescriptible mais tellement perceptible pour qui y est engagé.

A l’occasion d’un changement de camel-bag, E.T nous dit que la fatigue commence a se faire sentir en ajoutant « tout va bien, c’est normal » avant de repartir, de relancer et de décoller à nouveau.
A partir de ce moment, nous avons pour consigne de lui indiquer chaque section de cinq kilomètre parcourue par le bateau. Nous devenons actifs, surveillant le GPS, sollicitant le capitaine afin qu’il s’approche, nous mettant à portée de voix.

E.T commence à tomber sous l’effet des trombes d’eau baladées par le « channel ».
La houle se déplace à une vitesse et avec une force qu’il n’a pas eu l’occasion d’apprivoiser à l’avance.
A chaque nouveau départ, nous l’encourageons sans pression : « go, go, go hiééééééééééé »

Oahu parait à portée.
Il est possible de distinguer le fameux China Wall.
Le « channel » perd peu à peu de sa formidable puissance mais demeure mal rangé et difficile à survoler.
E.T tombe et tombe.
Tomber est une chose, réussir à relancer et décoller à nouveau demande une énergie précise et une technique tout autant, nous en sommes conscients.
Nous savons qu’E.T doit garder l’esprit absolument clair contre la fatigue accumulée.
Du coup,
Pour S. et moi, la seule vision des chutes se transforme en une sorte de « douleur » dans nos ventres, impuissants que nous sommes.
S. se tourne vers moi : « qu’est-ce que je peux lui dire maintenant »
Et je lui réponds : « Maintenant, plus rien. Il sait qu’il va y arriver sans abandonner, il sait maintenant que la délivrance est au bout même si le temps pour y arriver reste indéterminé »

Et nous nous sommes tu.
A chaque chute, j’envoyais de tout mon coeur des injonctions silencieuses que je savais inutiles tout en imaginant une certaine reliance possible pour faciliter un nouveau départ : « ok, cool, prends ton temps, reste concentré, ok, cool, ok, la vague arrive, ok tranquille, concentré…. gooooooooo »

Puis nous sommes arrivés à China Wall.
Le capitaine a prévenu le staff selon le règlement « 57, China Wall OK ».
Les vagues avaient disparues.
Le vent était tombé.
E.T, comme prévu ne pouvait plus voler.
Encore quelques mètres et le vent allait souffler de face, dégringolant en rafales de la montagne toute proche.
E.T a posé sa pagaie sur la petite planche, il s’est allongé et il a commencé à ramer avec les bras, comme un surfeur. Il restait un peu plus de deux kilomètres à parcourir ainsi, le foil trainant dans l’eau comme un frein.
C’était prévu « comme ça ».
Nous ne pouvions définitivement plus rien.
Il fallait impérativement sortir de la zone pour éviter que les ondulations produites par l’avancée du bateau ne bénéficient à un concurrent ou à l’autre.

A proximité de la plage d’arrivée, nous avons sauté à l’eau, nos bagages ont été balancé par dessus bord.
Dégoulinants, nous avions 300m à parcourir pour aller accueillir E.T.
Ce qu’il venait de réaliser forçait mon admiration de « maman ».

A suivre…

29 juillet 2018 (3ème partie)

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Le cerveau met le cap en avant. Nous sommes enfin débarrassé des futilités, des inutilités, des bavardages. L’homme, cette étincelle entre deux gouffres, trace ici un chemin qui s’effacera après son passage.
Théodore Monod, Le Chercheur d’Absolu, Editions Le Cherche Midi, 1997, ISBN 2-86274457-3

Sauter à l’eau, ce fut comme une parenthèse qui se refermait.
Entre les parenthèses, avait existé un monde parallèle dans lequel j’avais glissé le temps de la traversée.

Dégoulinante, les bagages à la main, j’étais de retour sur terre.

J’ai presque couru, déposé les sacs à proximité du sas d’arrivée, réglé quelques détails techniques (encore une histoire de tracker oublié… Dans le bateau ce coup ci!) et déjà E.T arrivait.
Visiblement il était allé au bout de son énergie. Il avait soif, je lui ai tendu à boire.
Que dire?
J’ai du dire « Tu l’as fait ».

Il y avait 162 planches au départ (90 prones, 62 SUP et 10 SUPfoil) , 150 sont arrivées dans les délais, des champions ont abandonnés… C’était une année « difficile ». E.T est arrivé dans le TOP20. 

J’ai installé un coin à l’ombre et tout en surveillant tout ce que nous y avions déposé, j’observais les arrivées, j’écoutais les commentaires, j’entendais parler des abandons. Parmi les abandons, un me touchait vraiment. C’était celui du copain de la chambrée, je l’avais observé préparer chaque détail avec tant de soins que j’avais pu mesurer ce qu’il mettait en jeu dans le défi qu’il s’imposait. J’imaginais le poids de sa déception.

S. est revenu avec la voiture peu de temps après l’arrivée du dernier concurrent. La zone d’accueil commençait à se vider du campement qui l’avait envahie.
Il nous restait trop peu de temps pour passer nous changer à la maison avant la réception du soir, nous avons improvisé. Après une bonne douche dans l’hôtel de l’autre copain de chambrée, nous sommes partis en direction du plus prestigieux club privé de Waikiki simplement vêtus avec ce que nous portions la veille dans l’avion.
Retour au quotidien : les tenues de soirée ne sont pas notre tasse de thé, nous étions tous les trois d’accord.
D’ailleurs nous n’avons pas trainé sous les chandelles du luxe.
E.T a avalé ce que le buffet lui offrait, nous avons bu un coup et nous sommes partis en ville.

Déambuler dans Waikiki by night était juste surréaliste après la traversée du Ka’waï Channel.
Pour moi, c’était un nouveau voyage dans un monde parallèle d’une autre dimension !

Puis, nous sommes rentrés à la maison, comme nous en étions partis, tout simplement.

Déjà, nous avions la tête dans la suite.
Dans la mienne il y avait l’acte deux de ma balade, une pièce en trois actes pour cette année.
Le premier acte venait de s’écrire, les suivants étaient encore totalement inconnus.

 

30 juillet 2018

La raison recherche toujours le plus haut.
En toute chose, cherche le plus bas.
Apprends à résider sur terre, à descendre dans les choses les plus basses, les plus simples. (…)
Gaston-Paul Effa, Le dieu perdu dans l’herbe, Presses du Chatelet, 2015, ISBN 978-2-84592-627-1

Si nous étions encore trois au petit matin, c’était seulement pour quelques heures.
E.T s’envolait déjà, nous irions le poser à l’aéroport en fin de matinée pour un voyage ultra-marathon non-stop à son image : Honolulu, Seattle, Paris, Nantes, Le Cormier (changement express de planche de surf!), Nantes, Madrid, Hôtel, Puerto Del Rosario, Corralejo.

En grande forme malgré son périple de la veille, il nous avoua que le voyage à venir l’inquiétait un tantinet du fait de sa longueur! Pour moi, un tel trajet n’était même pas imaginable! Nous avons ri!

Juste après le breakfast, je suis partie en direction de la montagne, seule.

Avant de rentrer de plain-pied dans le deuxième acte de ma balade annuelle, j’avais besoin de respirer les arbres et les rocs, la terre et le ciel, de toucher une fois encore le parfum humide du sentier tropical, de voir les cris stridents des oiseaux affolés par mon passage.
Et j’avais besoin de marcher.
Et j’avais besoin de me centrer.

J’étais de retour à l’heure dite, on ne rigole pas avec les heures des avions, n’est-ce pas?

E.T avait fait une sortie « en ville » nous ramenant un festin de spécialités inconnues dans lesquelles nous avons tapé sans nous faire prier.
C’était une fête improvisée pour nos papilles, nos yeux et nos sens.
C’était l’émotion de la surprise,
Un simple bonheur.

A la bonne heure, nous l’avons déposé devant le hall des départs avec planche et bagage.

Fin du premier acte.

Puis, nous sommes partis en direction de la plage, à la recherche des tortues.

Début de l’acte deux.

J’ai croisé deux grosses tortues gourmandes, volant entre deux eaux, plus que je n’en avais jamais vu.
J’ai admiré des coraux de toutes les couleurs, de toutes les formes et des poissons à profusion.
Pour une dernière plongée dans l’eau d’Oahu, c’était bien plus que le minimum espéré!

De retour à la maison nous étions, chacun à notre manière, bien accrochés à notre solitude et déjà en partance vers plus loin.
Le lendemain c’était à notre tour de décoller.

31 juillet 2018

L’âme n’est rien que l’invisible
Et l’invisible est tout ce que l’on voit
Ou plutôt tout ce qui est sous nos yeux
Demande à être vu
Désespère d’être vu
Appelle, appelle, appelle
Christian Bobin, La vie passante, Editions Fata Morgana, 1990, ISBN 978-2-85194-906-6

Le ciel était absolument clair jusqu’au fond de la vallée tandis que nous ouvrions notre dernier matin sur Oahu.

Aucun programme programmé.
Sinon faire les valises
Et voler plus loin.

Fuyant une nouvelle attente dont j’aurais été la seule maitresse, j’ai décidé de retourner voir la cascade.
Seule.
J’avais besoin d’en sentir le caractère sacré dans l’éclaboussure de ses embruns.
Seule.

Il faut croire que je fus entendue, car le chemin était désert et j’ai pu me l’approprier entièrement.
La cascade dégringolait joyeusement, j’ai eu le temps de jouer dans son bassin de réception sans qu’aucun de ces touristes avides d’apparence, de photo et de selfies, ne hantent « mon » instant.
Je suis partie quand le premier est arrivé.
J’ai poursuivi la grimpette, plus haut.
Mais le temps était compté, j’ai fait demi-tour.

Simplement heureuse, je marchais vite,
Sans souffler
J’étais sur les talons d’un groupe qui descendait aussi.

A l’occasion d’un élargissement du sentier, j’ai mis mon clignotant pour les dépasser, je n’ai pas eu besoin de franchir la ligne continue mais au moment même où je songeais à me rabattre, le gamin de devant refusa de me laisser doubler, il accéléra au pas de course.
La gamine qui dort encore dans mes veines réagit aussitôt d’un tonitruant « Oh… No… OK » amusé et je suis partie en courant.
Et l’imprévisible joua sa partition.
Tout aussi amusé, l’homme que je venais de doubler s’accrocha à mes sandales, avec toute la vitesse dont son ventre rond lui permettait de disposer.
Et nous avons joué ainsi jusqu’au parking!
Et c’était absolument délicieux.
Le gamin se retournait pour voir si je suivais et je suivais, tout à fait réjouie de sauter d’une pierre à l’autre, légère comme je ne savais même plus que j’étais capable de l’être : c’était pas la vieille qui courrait, mais bel et bien la gamine qui jouait!
L’homme avait perdu d’avance, nous étions plusieurs longueurs devant après seulement une centaine de mètres!
D’ailleurs, il avait abandonné la course lorsque je l’ai enfin vu arriver à la barrière où je l’attendais pour le remercier de m’avoir offert un si merveilleux moment.
Il m’a embrassé et ils ont fait une photo souvenir.

J’ai adoré ce moment magique d’alliance éphémère, loin de toute intention, une reliance improvisée légère et gaie.

Il me restait un temps beaucoup plus large que prévu avant de retourner boucler mes valises.
J’ai lézardé, chassé du regards les orchidées cachées dans les jardins, admiré le vieux chinois en pierre qui gardait le cimetière et je suis rentrée.

Trois heures plus tard, nous atterrissions à Maui.

Le « cottage soleil » qui nous était réservé était à la hauteur de mes attentes.
Dans le « cottage lune » d’à côté, un des gars qui avait fait la M2O en SUP foil pliait bagages : après plus d’un mois passé à s’entrainer sur le Ka’waï Channel et sur le Maliko run, il rentrait dans son pays « du soleil levant ».

Une fois installés, chacun dans notre antre, il fallait aller faire les courses ensemble, penser au repas du soir.
Mais avant, j’avais une proposition en tête : passer voir Hookipa et saluer les tortues.

C’est ce que nous avons fait.

1er Août 2018

Dans la perpétuelle mouvance du monde, dans l’infinie fluctuation des apparences, dans le transfert permanent d’énergie et d’informations, l’être âgé ne cherche plus de poignée où se cramponner ni de patère où suspendre son chapeau. Dans une souveraine dérive, il se donne au flux, devient flux.
La vieillesse est une révolution mentale.

Christiane Singer, Les âges de la vie, Editions Albin Michel, 1984, ISBN 2-226-04829-1

En aparté : Christiane Singer n’a jamais vécu la grande vieillesse, elle est passée de l’autre côté de la vie à 64 ans, presque mon âge de maintenant.
Elle avait écrit « les âges de la vie » plus de vingt ans avant sa mort, elle était dans la force de l’âge. En ré-ouvrant ce livre, c’est avec une grande émotion que j’ai croisé cette phrase qui va si bien avec ce que j’ai à vous raconter aujourd’hui.
Christiane, je la connaissais, j’ai bien connu sa voix, sa sensibilité, sa vision du monde. Affirmer qu’elle fut une inspiration n’est pas mentir. La première fois que je l’ai rencontrée, elle avait tout juste cinquante ans, avec douze ans de moins, j’étais une gamine!

Cette balade annuelle était « toute autre » dès le départ, non seulement extrêmement lointaine, donc écologiquement absolument insensée mais de surcroit seule à plusieurs, carte bancaire toujours en train de chauffer et voiture à volonté. Rien à voir avec mes « habituel » trips en autonomie, où je me nourris de manière frugale, où je me branche ultra-rarement, où je me déplace en faisant l’éloge de la lenteur. R I E N à voir!
Et c’est dans ce rien que j’avais tout à découvrir!
Et j’en ai fait des découvertes.
Le terrain le plus riche n’était autre que « moi ».
Un « moi » puisant dans des ressources insoupçonnées l’énergie, le recul et le simple bonheur de fonctionner à l’envers de sa « normale ».

Car je ne décidais rien, c’était un choix, une volonté de ma part.
Remarquablement, j’étais souvent tout à fait incapable d’émettre un avis, une idée.
Quand après avoir fouillé les propositions touristiques, S. disait « On pourrait faire ça, ça te va? » je n’avais pas d’autre réponse que « Tu as envie de faire ça? Alors, OK ».

Et en réfléchissant, je me disais que c’était une autre manière d’avancer au gré du vent, du ciel et des courants.
Que même, peut-être, dans ce non-faire, ces non-intentions, j’étais plus que jamais dans le vent, dans le ciel et dans les courants.

Fascinante découverte.

Ce 1er août, nous sommes partis dans une première direction et ma mémoire ne sait plus du tout laquelle (rassurez vous, c’est facile à retrouver) parce que le vent n’a pas besoin de savoir dans quelle direction il souffle, n’est-ce pas? Il souffle et c’est tout.

Ce dont je me souviens parfaitement, c’est de mon quasi-mutisme : n’ayant aucune intention, je n’avais rien à dire, c’est à dire rien à exprimer intentionnellement.

Fascinante découverte.

Et puis, il y eu mon émerveillement devant la beauté des coraux, en meilleur état et beaucoup plus variés que ceux que j’avais déjà pu voir.
Et puis, un bonheur dense se présenta à la vue des tortues, à la vue de leur lent ballet, si lent, si paisible, si imprévisible que je fus transportée infiniment loin vers plus haut.

Pas très touristique cette journée là, direz-vous.

Chacun son point de vue, n’est-ce pas?

 

2 août 2018

Nous, nous mesurons le temps en fonction du mouvement d’innombrables soleils;
Quant à eux, ils le mesurent à l’aide de petites machines cachées dans leurs petites poches.
Alors dites-moi, comment pourrons-nous nous rencontrer au même endroit, au même moment?

Khalil Gibran, Le sable et l’écume, traduit de l’anglais par J-P; Dahdah et M. Schurman, Editions Albin Michel, 1990, ISBN 2-226-04921-5

Chaque matin, je préparais un de ces délicieux ananas cultivé à Maui.
Dix fois plus onéreux que les ananas venant du Costa Rica vendus  dans les supermarchés français, c’était la-bas, avec les bananes locales le fruit le moins cher et le moins réfrigéré.
Commencer la journée en dégustant ces petits carrés dorés, juteux, gouteux était sans aucun doute la meilleure manière d’y entrer d’un bon pied.

Puis, je montais dans la voiture à la place du passager et je me gavais en ne perdant rien du paysage qui défilait.
Ce jour, la route s’éleva rapidement en interminables lacets.
Moi qui aime beaucoup conduire, et qui regarde souvent le paysage en pointillé sur ces routes où il vaut mieux regarder la route, je n’avais pas d’autre choix que d’admirer au long cours les abîmes, et  les vertigineuses dégringolades de la montagne dans le Pacifique.

Comme la veille, je me laissais porter par le courant.
C’était une expérience et je commençais à m’en amuser.

Je demeurais incapable de m’orienter par rapport à la géographie de l’île.
J’avais beau regarder la carte me dire « nous sommes ici », voir le nom du lieu sans l’imprimer, ça n’avait tellement pas d’importance que ma mémoire refusait d’en prendre note. C’est ce que je croyais, en tout cas. En fait, il faudra attendre la semaine suivante pour que je comprenne le fonctionnement que j’avais, en réalité, mis en oeuvre.

Dès que je pouvais, quand nous nous arrêtions, lorsqu’il était question d’aller regarder ce qu’il fallait regarder selon les meilleures recommandations , je m’éclipsais, je sortais du sentier recommandé, à la recherche de ce que la plupart des gens n’avaient même pas l’idée de regarder ou à la découverte d’un coin désert pour élever un des ces tas de cailloux que j’avais recommencé à édifier depuis la semaine précédente.

Puis, je rentrais dans le droit chemin, sans la moindre difficulté d’orientation, ravie et heureuse.
Et le courant m’emportait
Et arrivait la plage
Et l’heure d’aller nager à la rencontre des tortues.

Nous passions au moins une heure à nager.
C’est la sensation de froid qui me faisait sortir.
Moi qui n’est pas une fan des balades le nez collée dans le masque et la respiration contrainte par le tuba, je ne rechignais pas.
J’aime nager et nager dans l’eau chaude était une grâce.
Evoluer entre les massifs coralliens comme je me balade sur terre, en errance à la recherche de merveilles, en était une autre.

Et puis, nous sortions.
En nous séchant, nous comparions nos visions sous-marines, le nombre de tortues rencontrées et c’était l’heure du retour.
S’il y a un truc notable parmi tous ceux qui nous mettaient sur la même longueur d’onde, c’est bien notre détestation d’une pause « inutile » sur les plages. Pour chacun de nous, la plage aussi belle soit-elle n’est rien d’autre qu’un point de passage pour aller sur l’eau ou dans l’eau!

3 août 2018

Cet utilitarisme réflexif n’est pas un égoïsme, ni un « individualisme » dans le sens critique contemporain, ni un anarchisme. Bien au contraire, Spinoza insiste souvent sur la réciprocité des intérêts et sur l’avantage que chacun tire réciproquement de son accord avec l’autre et de sa propre recherche des biens qu’il poursuit : »Plus chaque homme recherche ce qui lui est utile en propre, plus les hommes sont réciproquement utiles les uns aux autres ».
Robert Mishari, Spinoza, Editions Medicis-Entrelacs, 2005-2013, ISBN 978-2-908606-71-3

Après avoir consulté les meilleurs site météorologiques destinés aux professionnels, S. pensait que c’était « le jour » pour monter au volcan.
Monter au volcan pour aller regarder le coucher du soleil.
Tous les sites l’affirment, il faut absolument monter au volcan pour aller voir le lever du soleil et au pire voir le coucher.
Il restait à trouver « un truc » à faire pour occuper la première partie de journée et ce fut une cascades de cascades enchanteresses.

La première bien que « cascades jumelles » était un parc à touristes à l’intérêt limité.
Mais S. avait super bien étudié le terrain et grâce aux détails de google earth, il avait repéré un autre site un peu plus loin, un site « pas marqué sur le guides »!
Alors, ça, c’est le « truc » que j’aurais « raté » et j’aurais vraiment raté une merveilleuse randonnée.
Bon, il y avait du monde garé, donc le coin était quand même un peu répéré… du monde pour aller où en fait?
Pour commencer, il fallait se faufiler à travers les bambous sur un sentier non balisé mais tellement piétiné qu’il n’y avait aucune hésitation. Il fallait ensuite traverser le torrent à gué et là, ce fut assez gai de regarder les techniques utilisées par les promeneurs en chaussure de marche montante!
Pour ma part, j’ai enlevé mes sandale et allègrement marché dans l’eau.
Une fois de l’autre côté, il y avait trois chemins.
Sans hésiter, nous avons pris le plus large, celui qui allait tout droit. Un groupe nous a suivi.
Nous avons insisté, insisté jusqu’à ce que la pente devienne hyper raide, super glissante, jusqu’à ce que le sentier ne soit plus qu’un fil s’effilochant. Il fallait s’accrocher aux bambous pour progresser et si je m’amusais joyeusement, il devenait clair qu’il n’y avait point d’autre cascade dans cette direction.
Et hop, demi-tour.
Nos poursuivants se trouvèrent devant.
Et hop, tout le monde se retrouva devant le gué.
Il restait deux chemins possibles.
Ayant déjà inspecté le bas lors de ma traversée du gué (et oui, je m’étais « dangereusement » avancée au bord de la chute à la recherche… d’une chute!) j’ai déclaré qu’il était logique de remonter le long du torrent.
Et hop, tout le monde a suivi.

Nous sommes arrivés sous une belle grande cascade vraiment magnifique.

Le sentier montait encore.
Nous sommes arrivés devant une cascade et son bassin, genre « publicité pour la marque qui nourri encore providentiellement le nouveau « ancien ministre » qui n’a jamais pris un seul cheveux blanc ».
Nous aurions pu nous contenter de ce spectacle comme le faisaient tous ceux qui était arrivés là.

Mais, il y avait ce qui pouvait ressembler à un sentier et surtout, il y avait une corde qui nous tendait son noeud.
Et hop, toujours plus haut!

Nous sommes arrivés devant une cascade et son bassin, genre « pub » en encore plus merveilleux.
Nous aurions pu en rester là.

Mais, il y avait une corde, une échelle, une seconde échelle attachée par dessus et un beau seuil à escalader.
S. décida de se poser, il n’était pas pressé, l’endroit était beau.
J’ai continué.
Le passage du seuil était plus facile que je ne l’avais imaginé. Il restait la descente mais dans l’instant, je ne visais que plus haut, plus haut.
J’ai passé un moment absolument magique en marchant de bassin en bassin jusqu’à ce que le torrent, apaisé dans son lit calme, ne me murmure qu’il fallait redescendre.

Du haut de la cascade, j’ai aperçu S. qui se baignait et j’étais doublement heureuse car il était visible que de son côté l’attente avait été comblée.

Nous sommes redescendus. A la croisée des chemins, nous sommes demandé comment nous avions fait pour être l’un et l’autre assez stupides pour nous engager dans le « mauvais chemin ».

Après un déjeuner dans le salon de plein air du « cottage soleil », il était l’heure de partir sur la route du volcan.

Plus, haut, encore plus haut, encore plus haut.
Car le volcan est le toit de l’île.
En haut, plus haut, c’est le ciel.

Après quelques pas au milieu des terres multicolores, il était l’heure.
Il y avait des centaines de personnes qui attendaient.
Et le miracle eu lieu.
Le soleil s’est couché.

Et ce fut vraiment très, très beau.
Comme un très, très long poème
Que ne savent lire dans leur propre langue
Que les personnes qui y étaient.

4 Août 2018


N’importe qui peut payer le prix normal, parce que cela revient à n’être pas un cas « particulier ». N’importe qui peut payer le prix normal, et si c’est votre cas, vous ressemblez à tout le monde.
L’individu normal ne s’acharne pas à poursuivre les bonnes affaires : il fait tout ce qu’il peut pour se faciliter la vie, non pour la rendre compliquée.
Arhur Janov, Le cri primal, traduit de l’américain par Jeanne Etoré et France Daunic, adaptation du langage primal par France Daunic, Editions Flammarion, 1975, ISBN 2-08-081032-4

Après la journée merveilleusement dense de la veille, il fallait certainement le temps d’une respiration avant d’aller du côté de Hana.
En tout cas, c’est ainsi que les conditions météorologiques avaient posée les cartes.
Pas le choix, vu le ciel maussade, il fallait filer sur la côte où le ciel est toujours bleu.

Même sans connaitre les noms des villages, même en me laissant conduire de manière passive, je notais que j’avais précisément enregistré les endroits où nous étions déjà passés et là, nous passions où nous étions déjà passés, sauf que l’idée était d’aller encore plus loin : poursuivre à pieds là où s’arrête la route.

Sur le chemin noir, le soleil était cuisant.
Au contact de la lave et de l’océan, la falaise était sublime.
Nous sommes allés chacun où nos yeux nous guidaient.
C’est en lançant un regard circulaire pour suivre le vol d’une bécasse que j’ai aperçu S. assis sur un promontoire en arrière.
J’étais allée « au bout » du chemin, je l’ai donc rejoint pour lui faire part de mes émerveillements A son tour, il m’exposa les siens.
Je restais néanmoins sur ma faim.
Il y avait tant à explorer.
J’aime tellement ces terrains déserts et brûlants où mes pensées s’évaporent en abondants vagabondages.

Mon compagnon d’aventure, lui avait vraiment trop chaud, il aspirait à une seule chose : aller nager à proximité de la réserve, aller explorer de nouveaux récifs.
Un petit tour de voiture et nous y étions.
Deux minutes pour enfiler nos maillots de bains et nous étions dans l’eau.
Ce coin là est certainement celui où j’ai vu la plus grande variété de poissons et de coraux : fascinant, il ne m’a manqué que le vol d’une tortue.
C’est vrai, je suis gourmande!

Comme il restait un peu de temps, la curiosité nous a poussé vers le plus grand club de pirogue de Maui.
Ce qui était tout à fait imprévu et absolument délicieux, ce fut la boutique de « shave-ice » juste en face.
Qui parlait de gourmandise?
Il y avait devant cette boutique une queue monumentale mais nous avions du temps et donc assez de patience pour attendre ce que tout le monde attendait.
Devant nous, un couple d’américains installés sur une île voisine venaient « en voisins » pour déguster les meilleures glaces du coin. Nous étions donc confiants dans la qualité de ce qui était promis au bout de l’attente.
Et en effet, c’était à la hauteur.
Avec cependant une petite déception : la glace était pilée si fine, que notre « shave ice » ressemblait davantage à un sorbet de chez nous qu’à ce truc parfaitement exotique et typiquement flashy découvert à Diamond-Head la semaine précédente.

Je notais, amusée, l’importance de la première empreinte sur les jugements qui arrivent par la suite.