Archives par étiquette : pluie

Tous les chemins mènent à Rome (7)

Samedi 14 septembre 2013 : Sestri Levante – Porto Venere (île de Palmaria)

Dès le réveil, une pensée me traversa : il faudra bientôt que je demande à Michel de me préciser où est situé le milieu du parcours.   Il me semblait en être encore loin. Après moins de deux semaines d’aventures, j’avais encore du temps devant moi.

D’après ce que m’avaient dit les « rameuses » de Sestri Levante, la journée à venir me promettait une nouvelle balade touristique.
Après un peu plus de deux heures d’avancée, la faim se fit sentir. Sous le regard d’une mouette j’ai pausée à Punta Rospo (Moneglia) et je me suis royalement offert un cappuccino en dessert.

J’ai contourné des caps, j’ai pagayé au loin de falaises abruptes. Partout, des villages sont sertis. Sur le velours émeraude, ils sont parfois rubis, parfois topazes, toujours colorés.

Partout des zones abritées attirent les bateaux.

Arrivant en vue de Monterosso, il était temps de s’arrêter à nouveau. Je voyais au loin les « bateaux-navettes à touristes » longer la côte, je n’avais pas envie de m’approcher davantage, j’ai donc trouvé un coin « juste pour moi », heureuse une fois de plus de voyager avec ce drôle de navire qui se gare partout !
Loin du monde, tout à loisir, j’ai profité du paysage.

Malgré tout
Quelque chose me disais qu’il ne fallait pas mollir.
Quelque chose me disais qu’il fallait avancer sous le soleil.

De pointe en creux, de creux en pointe, je traçais ma route. Levant le nez souvent, ce sont surtout les falaises que je regardais. Passer par ici ce samedi était une chance, c’était presque tout à fait calme.
Le crépuscule se dessinait, les rochers commençaient à flamboyer.
Je voyais les derniers bateaux me doubler, filer à la hâte vers leur abri.
Ne sachant absolument rien de la configuration de la zone, je n’avais aucune idée de l’heure à laquelle j’allais arriver, je me faisais à l’idée de circuler de nuit.

Quelque chose me disais qu’il ne fallait pas bivouaquer dans une crique.
Quelque chose me disais qu’il fallait aller jusque dans un port.

Et tout d’un coup, j’ai vu le château.
On m’avait dit que c’était beau.
C’était magnifique.
Plus j’approchais et plus il devenait magique.

Un dernier petit canot à moteur me doubla et je vis qu’il « rentrait » dans un « canal », à cet instant j’ai compris, qu’il serait inutile de contourner la pointe, il y avait un passage, juste avant, au pied des remparts.
Le passage fait 150 m de large à l’entrée.
En voyant ce rétrécissement, l’illusion est totale, c’est un canal qu’il va falloir s’enfiler. Et à l’instant où les rochers semblent se resserrer, après deux coups de pagaie, la baie s’ouvre et s’offre et c’est presque incroyable et tout à fait merveilleux à la fois.

J’y suis arrivée au coucher du soleil exactement.
Fascinée, je suis entrée dans Porto Venere.
Les lumières s’éclairaient et illuminaient le plan d’eau.
Au loin, les villes côtières formaient un diadème scintillant autour des berges devenues invisibles.
A gauche, l’île que je n’avais pas eu besoin de contourner (Je comprenais à ce moment que c’était une île)
Il y avait de la musique dans toutes les guinguettes et sur tous les bateaux, samedi soir oblige.
J’ai choisi de m’orienter vers l’île, vers une zone sombre d’où ne sortait aucun bruit.
J’ai débarqué quasiment sous le panneau qui indiquait la zone de réserve naturelle.
La nuit commençait à prendre le pas sur les derniers éclats solaires.

J’ai pensé que le lendemain, je serai enfin orientée « comme chez nous », c’est à dire que le soleil se coucherait sur la mer.

Je me suis endormie après avoir lu le SMS de Michel, faisant le point météo avec les prévisions pour le lendemain.
Le calme avait envahi l’espace, le clapotis de l’eau sur la berge était presque imperceptible. Dans le ciel clair, les étoiles s’allumaient une à une.

Dimanche 15 septembre 2013 : Porto Venere (Isola Palmaria) – Lerici (Club de voile)

Avant l’aube, dans l’instant qui précède le véritable réveil, j’ai perçu très nettement que la chanson des vaguelettes dans les galets n’était plus celle de la veille au soir.
Malgré l’abri de la végétation, de temps en temps la toile de tente s’ébrouait bruyamment, parfois, elle claquait sèchement.
Je pensais me laisser bercer encore un peu.
Mais, je sentais bien que tout « ça » n’augurait rien de bon du côté de la météo. Michel avait écrit dans son sms du soir : « Italie zone côtière 4, vent SW puis WSW 5 Bft localement 7 au sud de la zone, activité orageuse, mer assez agitée, houle de WSW 1,6 m. »
Donc,
Sans attendre davantage, je passais de la somnolence à la vigilance totale.
Attrapant la frontale d’une main, je l’allumais tandis que je tâtonnais de l’autre pour trouver la carte.  Dans le même élan, une évidence s’imposait : il fallait que je sorte de l’île au plus vite, pendant que c’était encore navigable. Je ne voulais pas prendre le risque de rester coincée toute la journée à cette endroit là.

Il y a un « truc » en Méditerranée que nous n’avons pas en Atlantique (en raison des marées), ce sont les digues protectrices. En Italie, il y a des digues pour protéger les plages afin qu’elles ne soient bordées que par des plans d’eau parfaitement lisses.
Je découvrais que le  guide de navigation signalait une digue en travers de la baie de La Spezia ; une digue longue de plus de 2km (bien visible sur la carte google) qui protège parfaitement la baie des vents de Sud et de la houle. Pour « m’échapper » j’avais donc une solution : aller chercher la digue (vent portant), la longer à l’abri de la houle (et probablement bien coupée du vent) et une fois la baie traversée, profiter de l’abri de la côte pour avancer le plus loin possible.

J’ai plié la tente bien humide.
Je suis partie, au jour tout juste levant.
Je ne me suis pas retournée.
Le temps pressait.
Le ciel était menaçant.
Les lumières s’éteignaient une à une.

Comme prévu, en longeant la digue de très près, j’étais parfaitement à l’abri. Parfois, les embruns éclaboussaient par dessus, mais la mer n’était pas encore très forte, le vent était environ 4bft, pas plus.
Au fond, la ville dormait encore.

Comme prévu, l’échancrure de la côte « en face » m’apporta une bonne protection, la navigation était facile. Une heure après mon départ, je passais San Terenzo.

En longeant les plages de Lerici, des plages comme toutes celles qui m’avaient accueillie jusqu’ici, je n’était pas convaincue, je ne m’y voyais pas « coincée » pour toute une journée.
J’ai tenté le port, j’ai essayé entre les travées de bateaux, j’ai regardé partout dans l’espoir de viser un point où atterrir, histoire de passer la journée en ville. A ce moment, j’avais dans l’idée de retourner sur une plage, le soir, pour dormir. Je ne voyais rien de satisfaisant. Je me dirigeais donc vers la capitainerie, il semblait y avoir un recoin accueillant juste à côté.
J’ai amarré la planche à un bout qui pendouillait au ponton et j’ai débarqué.
Un homme s’affairait au milieu des « Optimist » et autres dériveurs rangés, empilés en bon ordre devant un atelier. L’heure était matinale et le quai, déjà balayé par les bourrasques, était quasi désert. Ayant toujours reçu un bon accueil dans les clubs de voile, je m’approchais hardiment.
« Bonjour, parlez-vous anglais ?
– Oui, un peu
– Je viens de Marseille avec la planche là-bas (je lui montrais du doigt). Cette nuit j’ai dormi sur l’île Palmaria, à Porto Venere, j’arrive ici et je pense que la météo n’est pas très favorable pour aller plus loin.
– Vous êtes partie de Marseilles, avec « ça » ?… ?…(un grand sourire) Soyez la bienvenue, je parle français aussi (…) »
Son français était excellent, nous avons bavardé, parlé bateau et navigation.
J’ai su en fin de journée que c’était le président du club de voile. Il se préparait en vue d’une régate d’habitables. Les Sociétaires de ce club très huppé sont de véritables marins, ils ont participé à la régate, dans les conditions bien mauvaises de ce dimanche, entre les averses « comme vache qui pisse » et les rafales qui parfois montaient à 30 noeuds (donc le 7 bft annoncé…)
Et voilà comment, après un capuccino d’accueil au club house, après une douche chaude, habillée en tenue de ville et correctement chaussée, je suis partie à la découverte de la citée avant que le ciel ne nous tombe sur la tête pour de bon.  

Après deux heures de marche, après avoir visité une librairie, une église et un café, n’arrivant pas du tout à me réchauffer, j’ai pris la direction du Club pour ajouter une couche au mille-feuilles qui m’emballait pourtant puis j’ai erré encore, visitant le super-market et essayant de trouver l’appétit en explorant les menus pour touristes.

La luminosité était proche de zéro.

Le vent passait, tourbillonnant, entrainant dans sa course la pluie et l’écume en gifles d’humidité.
J’ai passé l’après-midi au Club House, sirotant du thé, décortiquant les journaux locaux, conversant tant bien que mal avec « la patronne » du lieu.
En fin de journée, le jour reprenait de la vigueur. Nous en avons profité pour faire une photo souvenir, entre deux averses.

Puis, bienveillants, les « marins » et leur président décidèrent qu’il ne fallait pas que je parte, que je pouvais très bien dormir dans le Club-House.
L’idée était plaisante, il fallait seulement trouver une solution pour que je puisse partir le lendemain (je déteste me sentir enfermée et le Club semblait pouvoir se fermer comme un coffre-fort)
Finalement l’affaire fut conclue, il y avait une sortie de secours. Il fallait seulement que je sois prudente pour que la porte ne claqua point avant que tout mon matos ne soit dehors!  
Top là!

Sur la verrière, les toiles claquaient, dans le port le cliquetis des haubans restait constant. Des flaques sur le carrelage témoignaient de la puissance des grains du jour.
Je vidais mes sacs.
J’étalais tout ce qui pouvait l’être
Je vérifiais
N’étais-je pas environ à mi-parcours ? (et oui… J’avais acheté une carte un peu plus lisible… )
La nuit était là.
J’espérais fort ne pas moisir ici.

Ecouter pousser les fleurs (2)

Le héron s’est envolé.
En entendant huer des cris rauques, j’ai levé les yeux. Ils étaient trois, tournoyant au dessus du bassin Saint Félix.
Le conflit était déjà réglé lorsque j’entrai au Lieu Unique.

J’ai pris un café au comptoir avant de m’avancer vers « la » personne.
Il était temps de monter au pic,
Je n’avais aucun moyen d’évaluer ni la hauteur, ni la puissance de la vague.
Je savais seulement que j’étais au bon endroit à la bonne heure et que la suite était à vivre.

Une heure plus tard, nous nous sommes salués sur l’idée d’un nouveau RV à la fin du printemps.
En passant j’avais noté les mains fines, parlantes et sensibles de mon interlocuteur.
J’avais aussi souri à l’intérieur en constatant sa prise de notes semblable à la mienne.
Une prise de note sur papier volant attrapé au vol quand l’urgence de noter le nécessite.
Une prise de note en « puzzle » où les petits carrés côtoient les rectangles plus ou moins allongés, à l’endroit et à l’envers parce que la feuille se remplie et que le moindre espace est utilisé.
Tout en répondant à ses questions, je le regardais.
Je voyais des reflets silencieux passer dans ses yeux, je le voyais alternativement écrire ou écouter.
Consciemment, Je posais des « blancs » observant ses « relances » et, en même temps, je l’imaginais en train de jouer avec ce puzzle dans le but de ranger ses réflexions.
Je me voyais dans cet exercice si souvent exécuté après un recueil de données, tournant ma feuille dans tous les sens, barrant d’un trait diagonal chaque carré exploité…
« La prochaine fois, si tu veux bien, je ferai un enregistrement » avait-il conclu avant de me saluer en ajoutant : « Si tu viens au spectacle, tu verras comment je travaille »

Je suis partie tout droit vers l’exposition.
« Le point de vue de nulle part – semiconductor »
Il faudra que j’y retourne, j’ai adoré!
Ne suis-je pas une spécialiste en matière de point de vue de nulle part?

L’histoire aurait pu s’arrêter là.
Je me moque de savoir si un nouveau contact verra le jour ou non.
Je ne connais rien de plus au sujet des objectifs artistiques de cette personne et j’ai la conviction qu’il ne sait pas encore quel sera l’usage donné aux matériaux collectés.
Quelque chose murmure que nous étions l’un et l’autre en train d’écouter pousser les fleurs.
Et même en écoutant avec beaucoup d’attention, il reste impossible de savoir à quoi ressemblera la fleur, il reste même impossible de savoir si elle verra ou non le jour.

L’histoire aurait pu s’arrêter là.
Mais… je suis curieuse et n’ayant pas de programme spécial pour le vendredi soir, j’avais décidé d’aller écouter « l’aparté », un entretien entre lui et la directrice du théâtre.
En ligne, je n’avais pas pu trouver de place libre pour le spectacle. D’abord rien ne me disait que j’avais envie d’aller au spectacle, je suis tellement plus fan du spectacle de la vraie vie que des montages bien léchés et tellement trop conceptuels.

Arrivée dans le hall, cinq minutes avant l’heure, je l’ai vu.
Il terminait son sandwich en se léchant les doigts.
Nos regards se sont croisés et j’ai fait un signe de la main comme j’aurais fait « coucou » à un enfant.
Chacun a fait un pas vers l’autre.
« Tu t’es perdue? »
J’ai pas compris cette question. J’ai répondu :
« Je suis venue à pieds »
Il a enchainé :
« Tu viens voir le spectacle?
-Ben non, seulement l’aparté
-Faut que tu viennes au spectacle »
Et il m’entraina devant la billetterie pour trouver une solution.

Il ne me restait plus qu’à envoyer un sms à la maison pour dire que j’allai rentrer plus tard que prévu et qu’il fallait, en conséquence, fermer les volets.

Le plus amusant dans l’histoire, c’est qu’il s’est mis à pleuvoir et que la question de rentrer à pieds, soit 45mn sous le pluie sans équipement spécial, se posait.

Donc quand, me dirigeant vers la bar pour boire une bière en attendant le spectacle, une dame me demanda : « On s’est déjà vues, non? » tout en déclinant sa spécialité ; j’ai saisi l’occasion en rétorquant : « Je sais pas... En conférence, c’est possible… Au fait, je cherche quelqu’un pour me ramener à la maison après le spectacle… Je suis venue à pieds et il pleut... » et hop, le problème du retour était résolu.
Deux minutes plus tard, son homme la rejoignait dans la queue vers les bières et les frites.
Immédiatement nous nous sommes captés sur la même longueur d’ondes… Une histoire de vie, de mise au monde de respect réciproque… encore… toujours…
Cet homme là, j’en avais beaucoup entendu parler sans jamais le rencontrer ni avoir envie de le rencontrer. C’est la faim et la soif qui nous a déposés l’un à côté de l’autre ce soir là!
Dans le même temps, la directrice du théâtre s’approchait avec l’idée de me présenter… comme par hasard… aux deux personnes avec qui je parlais déjà.
Que dire sinon que j’ai parfois l’impression de surfer dans un monde parallèle!
Et qu’ajouter sinon que j’aime ça?

Les étrennes


Pavé de fin d’année

Il est bien probable que toutes les personnes de ma génération ont gardé en mémoire un poème proposé en deux strophes qui commençait ainsi :

« – Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux,
Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s’éveillait matin, on se levait joyeux,
(…) »

Peut-être que parmi ces personnes, certaines ont, comme je l’ai fait, assidument fréquenté les poètes.
Ainsi au gré d’une navigation auprès du bateau ivre, ces personnes ont sûrement découvert que la gaîté des étrennes vendue par l’éducation nationale était factice.
Car, le très long récit en vers proposé par Arthur Rimbaud était en fait nommé « Les étrennes des orphelins », une histoire triste.
Une triste histoire avec laquelle les médias d’aujourd’hui seraient ravis d’ouvrir le JT, juste avant d’embrayer et d’accélérer sur les histoires de gueule de bois, d’indigestion et de régime minceur.

Un peu d’histoire historique raconte qu’avant le débarquement de Santa Klaus fin décembre (Entre Saint Nicolas (début décembre) et le passage des rois (début janvier))  qui a progressivement transformé la distribution de friandises enfantines en avalanche de paquets cadeaux pour tous, c’était à l’occasion du changement d’année calendaire que s’échangeaient « joujoux, bonbons habillés d’or, étincelants bijoux ».
A la fin du 19ème siècle, le « truc » à la mode c’était le livre d’étrennes, les éditeurs ne manquaient pas d’idées pour profiter de l’aubaine.
Les « beaux livres » ont doucement supplanté les « livres d’étrenne », ils furent largement distribués sous les sapins naissants du 20ème siècle.
A l’aube du 21ème siècle, la mondialisation galopante autant que l’évolution des techniques d’impression ont banalisé les livres au point qu’ils ne constituent  plus un cadeau de prix, mais parfois un cadeau par défaut de « mieux ».

Je reviens à ce jour des étrennes, ce jour de l’an neuf, et plus précisément à la nuit qui précède.
Dans notre actuelle vie d’occidentaux dans le vent, il est « normal » de prévoir et préparer un réveillon.
« Normal » étant une donnée statistique plantée au sommet d’une courbe de Gauss, de chaque côté du sommet tout est possible, bien que ce soit considéré comme un écart à la norme.
Bien entendu plus l’écart est visible sur la courbe, plus le risque de tomber dans « l’anormalité » grandit.
Pourtant je considère que se situer à la marge n’engage en rien l’appartenance de quiconque à la vie de la société.

Tout est tellement relatif.

Je m’aperçois en écrivant ce billet dans le contexte écologique que j’habite, que le fait d’être cette année en France, loin du soleil et des grandes randonnées en terre sauvage exacerbe mon sentiment « d’anormalité » relative.

Me voici donc en train de chercher « un truc » pour meubler ce passage qui semble incontournable.
Pour l’instant tout ce que je vois alentours ressemble à des sorties de secours ouvertes sur des microcosmes fermés.
Il faut avouer que ma vision de la débâcle obligée de fin d’année est dénuée d’objectivité.
J’ai été marquée par ma déambulation dans les rues parisiennes fin 1975. J’assurai alors une partie équestre du spectacle « Ben-Hur » .  Tandis que les gens venaient au spectacle pour ouvrir leur réveillon, nous finissions « le boulot »  (c’est à dire les soins aux chevaux et notre démaquillage) sur les coups de minuit. De fait,  je me suis retrouvée dans la rue « après » et c’était pour voir à travers les vitres des restaurants des dizaines de personnes  comateuses au milieu des serpentins et cotillons qui jonchaient le sol.
Pas de quoi rêver… Pas pour moi, en tout cas.

Et là, maintenant, tandis que mon hyper-connexion fait miroiter de tous les côtés des passages rêvés entre amis, me reviennent ces souvenirs qui disent que je suis, en quelque sorte, étrangère à ces festivités.

Pas pour moi les soirées gastronomiques à exploser la panse
Pas pour moi les soirées soufis à psalmodier le Mathnawi
Pas pour moi les soirées shootées sous les tables
Pas pour moi les soirées Bollywood à chanter Hare krschna
Pas pour moi les soirées Djeun’s entre retraités
Pas pour moi les soirées « paix sur terre » à réciter les Psaumes
Pas pour moi
Pas pour moi…

Il est un fait que je suis à la marge sur bien des points!
Et pourtant, je garde espoir de voir le changement d’année calendaire se faire même si je ne « fais rien » de notable.

Lundi 4 septembre, étape 5

« Qualités et valeurs sont créées par l’homme et son Désir. C’est l’homme lui-même qui crée, par son désir, les lignes de force de son univers et de son action »
Robert Misrahi, Les voies de l’accomplissement, Editions Les Belles Lettres, collection « encre marine », 2016, ISBN 978-2-35088-103-4

Avant que l’aube ne vienne éclairer la nuit, c’est le tambourinement de la pluie sur la tente qui me tira du sommeil.
C’était une grosse averse arrivée dans un cortège de rafales.
Elle s’est tue en quelques minutes, laissant l’ombre reprendre son calme.
Une autre survint, puis une autre.
Je les observais du coin de l’oreille comme certains observent les séries de vagues déferlant sur la plage.

De plus en plus attentivement.

C’est que le jour essayait de s’afficher et qu’il fallait que je me décide à lever le camp !
Pas facile de partir entre deux séries de vagues quand on est chargé !
J’en avait fait l’expérience lorsque je voyageais avec ma planche de SUP.

J’étais dans une situation assez semblable : mon sac était rangé, tout était au sec, j’étais sortie de la tente, le poncho de pluie me protégeait efficacement, il fallait juste trouver un moyen pour plier la tente et la ranger sans tout inonder.
Les averses se succédaient à une telle vitesse et avec une telle impétuosité qu’elles ne laissaient aucun répit, aucun espoir à court terme.

La solution était pourtant toute proche.

Il a fallu quelques longues minutes pour que j’en prenne conscience.
Je voyais la muraille du château sans voir le porche que je savais pourtant à deux pas.
D’un coup, j’ai « vu » le porche et tout est devenu fort simple.

Je suis allée poser mon sac à l’abri.
Je suis revenue « dépiquer » la tente, puis en faisant attention à bien la laisser dégouliner « dans le bon sens », je l’ai transportée telle quel à l’abri de la voute ancestrale.
La suite coulait de source : essuyer, plier, ranger et j’étais prête pour une nouvelle journée de marche, l’esprit léger quant à mon confort assuré pour la nuit suivante.

J’avais pris soin de bien regarder la carte et ce faisant, j’avais pris la décision de commencer par un bout de route, jugeant inutile d’aller tenter des dérapages sur un sentier rendu glissant par les averses.
Passant de la route à des chemins propres et assez rectilignes, j’ai parcouru dès le matin une énorme quantité de kilomètres, et ce d’autant plus tranquillement que j’avais assez de pain, de fromage et d’amandes pour aller jusqu’au lendemain. Aucun stress au sujet du ravitaillement n’occupait mes pensées.

C’est avec amusement que je relis dans les notes laissées dans le carnet bleu :

Un peu fatiguée, c’est l’altitude !

Je constate aujourd’hui, que (toujours) sans le savoir, j’avais parcouru en une journée ce que le « topo » recommande de faire en trois étapes ! C’était donc assez logique de ressentir un peu de fatigue en fin de journée…

Malgré le ciel souvent chargé, cette journée fut tout à fait magnifique.
Vraiment magnifique.

Lors d’une pause, j’avais profité du soleil pour faire disparaître toute trace d’humidité, jusque dans les moindres plis de mes bagages.
Seules les personnes qui se baladent avec leur campement sur le dos peuvent imaginer ce que ça peut représenter en terme de sérénité.

Avec le relief qui s’accentuait pour de bon, pendant quelques heures, mes pensées furent accaparées par un sujet d’actualité : le bâton de marche.
Avant de partir, j’avais retourné ce sujet dans tous les sens. J’avais exploré le web ; dans les boutiques spécialisées, j’avais attentivement touché ce qui se fait en la matière et ensuite j’avais méticuleusement pesé tous les avantages et inconvénients que je voyais apparaître.
Chassant le moindre gramme superflu, me connaissant étourdie (et donc capable d’oublier sur le chemin un objet inutilisé), souhaitant garder les mains à ma disposition, j’avais pris la décision de me passer de cet outil moderne, télescopique, armé d’une pointe, pourvu d’une dragonne et à la mode, cet outil qui s’appelle « bâton de marche ».

Avec le relief qui s’accentuait pour de bon hisser le poids des années, en plus du poids du sac, sur les marches inégales des sentiers, demandait un effort que j’ai vite soulagé en prenant pour compagnon le meilleur bâton de bois trouvé dans le sous-bois.
Joyeusement, je l’ai renvoyé à ses congénères un peu plus loin quand la pente fut plus tendre.
Il est probable qu’un observateur aurait pu décrire un sourire espiègle accroché à mes lèvres, lorsque quelques kilomètres plus loin, j’étais dotée d’un nouveau compagnon.
Sans la moindre fidélité.
C’était un jeu et c’était délicieux de penser que la nature m’offrait tout ce dont j’avais besoin à l’instant même où j’en avais besoin.

Sur les sommets, j’ai traversé les premières « estives ». Sur les pentes parfois abruptes, des troupeaux, principalement des troupeaux de vaches et de chevaux destinés à la boucherie, s’égrainaient, tintinnabulant dans l’air limpide.
En faisant abstraction de la notion de boucherie et de tout se qui est contenu dans la complexité de notre vie d’occidentaux « haut de gamme », il faut reconnaître que l’environnement était merveilleux.

Fait exceptionnel, alors que je posais mon sac après une difficile montée, émerveillée par ce que je découvrais en récompense, j’ai vu apparaître un randonneur solitaire. Il arborait un tee-shirt jaune fluo marqué « Santiago de Compostela ».
Il était seul, autonome, lui aussi.
Nous avons parlé un instant, posés là, à flanc de crête, comme incrustés dans un paysage de carte postale. Il « avait fait Compostelle » l’année dernière et là, il était en train de « faire » le sentier Cathare dans le sens « Foix-Port la Nouvelle ».
Il confirma que le sentier était dépourvu de trafic depuis son départ… Sur le sentier aussi la « pause après les vacances » était palpable !
Et nous sommes repartis chacun vers notre « plus loin ». Je ne connais pas plus son prénom qu’il ne connait le mien.

Plus loin, c’est un panorama époustouflant qui s’ouvrit au « Pas de L’ours ».
Subjuguée, je suis restée un long moment plantée au bord du vide.
Cette vue formidable tombait à cette heure précise où la fatigue exacerbe les sens, elle s’offrait comme un point d’orgue après une merveilleuse journée.
L’instant aurait pu durer, durer, durer…
J’en perçois encore les vibrations.

Il était temps d’entreprendre la descente, de passer sur le domaine skiable de l’unique station des Pyrénées ariégeoises et d’arriver à Comus, en « bas », à plus de 1200m.

La nuit était toute proche, des quelques maisons occupées montait l’odeur douillette du feu de cheminée
Je me serais laissée tentée par une chambre et/ou une douche chaude si le gite/camping avait été ouvert.
Je me suis allégrement contentée du sol presque nivelé sur le petit terrain de foot local. Riche de l’expérience du matin, j’ai posé ma tente juste à côté de l’abri-buvette, certaine de pouvoir plier au sec le lendemain.

A suivre…

 

Samedi 9 septembre, étape 10

« Aujourd’hui est pour hier,
Et hier pour demain.
Ainsi va le temps, s’échappant des mains de l’homme
Comme un sable trop fin »
Faouzi Skali, Traces de lumière, Albin Michel, 1996, ISBN 2-226-07610-7

Quelle que chose me chuchotait qu’il fallait que je me lève tôt.
J’ai écouté.
J’avais à peine parcouru cent mètres que la pluie s’invitait.
Toute joyeuse à l’idée de savoir tout mon bazar bien plié au sec, je marchais gaillardement à l’assaut du col.
Je n’ai aucune idée de ce que représente le passage de ce col en vélo. Ce que je sais c’est qu’en arrivant à proximité les rafales se renforçaient, que la pluie tombait dru, que certaines bourrasques me stoppaient net.
Dire que j’ai foncé m’abriter dès que j’ai vu un abri, est faible.
Ce qui est certain, c’est que j’ai été très reconnaissante à cet abri, prévu juste au bon endroit, au bon moment.
J’ai regretté de n’avoir aucun briquet, j’aurais bien fait un petit feu, pour le plaisir de voir la lumière… sans doute.
J’ai passé du temps avant de me décider à repartir.
Je pense que si une voiture avait montré le bout de son nez, j’aurais demandé un embarquement immédiat.
Aucune voiture ne passa.
Sans feu, même abrité du vent, l’endroit était glacial.
Il fallait impérativement bouger, partir, marcher.
Je me suis jetée sous la pluie entre deux bourrasques.
Un peu plus loin, je cheminai sur un versant un peu abrité.
Puis, la pluie s’est calmée.
J’ai marché.

C’est étrange, cette étape me laisse sans souvenirs, sans autre souvenir que les bourrasques au col du Portet-D’Aspet.
Il y a bien eu ce moment où j’ai taillé la bavette avec un signaleur de course cycliste. Il y a bien eu ce moment de fin d’après-midi où j’ai cherché une place plane pour bivouaquer, ce hameau, ce chasseur qui m’a « royalement » autorisée à dormir à côté de « son » mur, du côté du dehors, sans me demander si j’avais besoin de quoi que ce soit, ce lavoir où l’eau coulait limpide…
Oui.
Rien d’autre.

Quand aujourd’hui, je regarde ce que raconte la toile, je lis que c’est une belle étape de montagne.
Je le lis.
Je n’ai rien vu.

J’ai dormi, à l’abri du mur, pas loin du Col des Ares vers lequel j’avais renoncé de monter, le souvenir du matin était trop présent, je me disais qu’il fallait éviter de s’approcher d’un col pour dormir.

A suivre…

Lundi 11 septembre, étape 12

« C’est là aussi la voie du zen. Quoi que ce soit, le prendre au sérieux. Se dire : « c’est ici et maintenant, pas à droite ni à gauche, pas avant ni après ; n’allons pas plus loin. »
Karlfried Graf Dürckheim, Le Don de la grâce, Traduit de l’allemand par Philippe Giraudon, Editions du Rocher, 1992, ISBN 2-268-01245-X

De loin, de très loin, lorsque j’avais envisagé cette traversée de la mer à l’océan, lorsque j’avais imaginé le sentier cathare, puis le GR 78, puis le GR 10, le passage dans le Piémont devait être un moment d’avancée vers l’ouest.
En effet, pour réaliser le projet en seulement un mois, il ne fallait pas chômer et sans l’avoir expérimenté encore, je subodorais qu’en montagne, des heures et des heures seraient nécessaires pour avancer de quelques kilomètres.

J’avais entendu le clapotis caractéristique de la pluie sur la tente dès le milieu de la nuit, sans m’y attacher.
A l’heure où l’aube blanchissante aurait dû me réveiller par sa luminosité particulière, l’obscurité restait totale.
A l’heure où j’étais complètement réveillée, le jour était à peine visible et la pluie tambourinait de plus belle sur « mon toit ».

Dans un premier temps, j’en ai profité pour retourner mes doutes et mes questions dans tous les sens.
Dans un deuxième temps, je me suis amusée à regarder l’écoulement de l’eau sur la toile.
Je suivais des yeux la trace des gouttes qui entamaient leur descente sur la pente, se fondaient avec une autre goutte, ensemble accéléraient, puis emportaient dans leur élan d’autres gouttes puis disparaissaient de ma vue, me contraignant à revenir au « sommet » pour suivre la dégoulinade d’une nouvelle parcelle tombée du ciel.
C’était tout à fait passionnant.
Cependant dans l’espace minuscule de la minuscule tente, mon corps fourmillait d’impatience et s’agitait  et finalement s’insurgeait de tant d’immobilité imposée. L’heure du repos était largement dépassée, il fallait « faire quelque chose » et peu importait que ma « tête » puisse essayer de tenter la carte « tout a une fin, la pluie va cesser, attendons ».

Histoire de tuer le temps, j’ai tendu le bras vers le téléphone et je l’ai connecté.
Dans l’instant je n’avais pas d’autre intention que celle de « faire quelque chose ».
« Faire quelque chose », c’était empaumer le téléphone et appuyer sur le bouton « on ».
Chaque chose en son temps.

Dès que j’ai eu la confirmation d’un soupçon de réseau, une idée fut prépondérante : il fallait regarder ce que racontaient les prévisions météorologiques!

Chose dite, chose faite : prévisions catastrophiques avec pluie et pluie au programme.
Je n’ai pas été capable de m’imaginer enfermée, quasi immobile dans la tente au fond de mon pré, pendant une journée entière. Côté boisson, j’avais tout ce qui tombait du ciel mais côté nourriture j’étais un peu « courte » pour tenir puisque quand l’ennui gagne, il reste la nourriture comme unique distraction.
Le sommeil, il était inutile d’en parler, je n’avais pas du tout, du tout sommeil, d’ailleurs n’était-ce pas le matin? Le matin avec l’immense énergie matinale qui dit « Bon. Ben alors ? On se lève et on marche ? Allez, go! « .

Il fallait prendre une décision.
J’ai décidé de plier le camp et de partir tout droit vers la route la plus principale pour trouver le moyen de trouver « le bon endroit » où regarder tomber la pluie.
Un endroit au sec.

C’est ainsi que quelques kilomètres plus loin je suis entrée dans la boulangerie de Saint Laurent de Nestes.
Là, non seulement j’ai trouvé un pain particulièrement délicieux, mais en plus la charmante boulangère a eu l’obligeance de tapoter sur son clavier pour me trouver « le bon endroit ».
C’est ainsi que dégoulinante, trempée presque jusqu’aux os, je suis arrivée à « la demi-lune » et que je me suis présentée à la réception d’un hôtel très abordable et remarquable (Géré par un ESAT)
L’hôtesse fut vraiment très très compréhensive, compatissante.
Tandis que la flaque qui s’élargissait à vue d’oeil autour de mes pieds, échappait à son point de vue, elle m’accorda aimablement une chambre, alors que midi n’avait pas encore sonné, alors que « normalement » il eut fallu attendre que sonne 16h!

Il était facile de me suivre à la trace lorsque j’ai pris la direction d’une chambre. Heureusement, il n’y avait personne dans le couloir, sinon un homme de ménage qui s’est empressé d’effacer mon passage!
La chambre était une de celles qui, un jour « normal » offrait la plus belle vue sur le Pic du Midi de Bigorre.
Ce lundi, il n’y avait que du gris, à perte de vue.
J’ai filé sous la douche pour me réchauffer.
J’ai ensuite utilisé absolument tout ce qui était à ma disposition pour suspendre tout ce qu’il fallait faire sécher, de la tente au linge que j’avais lavé en passant par… tout!

Puis je me suis glissée sous la couette douillette et j’ai regardé tomber la pluie.

Les prévisions météorologiques indiquaient une heure d’accalmie dans l’après-midi. J’ai guetté le « bon moment » et je suis allée faire des provisions de nourriture à la ville.
Et je suis allée acheter une carte routière à l’échelle locale.
Je suis rentrée dans la chambre juste avant le retour de nouvelles averses.

Plein de questions débarquaient et en premier :
Quelle suite donner à ma randonnée ?
Où allais-je retrouver « mon » chemin?
La pluie allait-elle durer encore longtemps?
La dépression rodait, elle était là.

Bon… Dans l’immédiat, tout avait séché.
Tout avait été rangé et ce fut « soirée télé »!

A suivre…