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Tous les chemins mènent à Rome (8)

Lundi 16 septembre 2013 : Lerici (Club de Voile) – Viarregio (gazon municipal)  

Le lundi 16 septembre, l’épopée avait débuté depuis deux semaines.
J’en étais approximativement à mi-parcours. J’avais théoriquement le temps d’arriver à Rome dans le mois que je m’étais offert, mais il ne fallait pas trainer et la météo ne jouait plus vraiment le jeu.

Néanmoins, ce lundi à l’aube, j’entendais un silence relatif. Le vent était tombé, il était temps de reprendre la mer.

Je suis sortie par la porte de secours avec mes sacs et pagaies, j’ai consciencieusement refermé derrière moi le portail en inox de la terrasse, j’ai vérifié le verrouillage, noté la mise en service de l’alarme, j’ai récupéré ma planche (elle avait dormi au milieu des dériveurs) et hop, j’étais à nouveau sur l’eau.
Il est impossible de décrire le sentiment de liberté que j’ai ressenti en prenant à nouveau le large !
Le ciel était relativement clair, le vent juste caressant.

Dès la sortie du port, une belle houle ronde m’accueillait, elle était parfaitement orientée. La mer était verte, comme en souvenir des accès de colère de la veille.
J’ai parcouru les premiers kilomètres « à toute vitesse » et sans le moindre effort.

Au niveau de Carrare, j’ai noté que même les falaises étaient en marbre.

J’ai noté aussi que la côte rocheuse s’arrêtait et que l’embouchure de la rivière marquait une « frontière ». De l’autre côté, la côte était basse, visiblement sablonneuse.
Je me suis réjouie.
«  C’est la fin du ressac le long des falaises » ai-je pensé. J’avais si souvent été ballotée par le ressac ! J’avais si souvent eu l’impression de naviguer pendant qu’un grand géant invisible s’amusait à « touiller » la mer de manière absolument anarchique. La pensée d’en avoir terminé était euphorisante.
D’ailleurs, je filais bon train.
La grosse houle ronde m’offrait une succession de toboggans.
Je n’en finissais pas de glisser et c’était délicieux.

Le vent s’affirmait cependant, de plus en plus de travers et la houle suivait  
En restant suffisamment au large, j’étais à l’abri du déferlement des vagues.
Au bord, il y avait des surfeurs. En petit groupes, comme autant de points de suspension, ils ponctuaient le paysage monotone.

Il devenait évident que s’il était possible d’envisager un atterrissage en catastrophe, il était vain d’envisager un décollage à suivre. Je n’avais pas d’autre choix que d’avancer.

La lecture des zones de déferlement m’indiquait précisément les hauts-fonds et c’est en zig-zag que je longeais la plage.
De loin.

Quand j’ai aperçu un phare, posé sur l’horizon brumeux, j’ai concentré toute mon attention vers lui.
De vert, la mer était passée à vert de gris, remuant inlassablement le fond sablonneux, le long de l’interminable plage, infiniment plate et grise.

Il restait plusieurs kilomètres à tirer. J’avais plusieurs fois sorti le tube de lait concentré, m’abreuvant de nutriments à dose presque homéopathique dans l’attente de pouvoir me restaurer plus efficacement. Il n’y avait pas d’autre solution que d’aller droit devant, vers le phare.
Quand j’ai vu un très joli yacht sortir du port, quand je l’ai vu mettre les gaz et filer à toute vitesse vers le nord, je me suis dit que c’était quand même une drôle d’idée d’aller se promener par ce temps !

Enfin l’entrée du port était là. Sur la digue, il y avait du monde. Sur ma gauche, les vagues déferlaient.
Sur ma droite, la digue faisait lever une belle vague, déferlant elle aussi, dans un jaillissement d’écume.
Au milieu, il y avait un passage, il me restait plus qu’à bien viser, avec le bon tempo et hop, hop, j’étais certaine de réussir une arrivée digne sous l’oeil forcément admiratif de la foule en délire (oui, oui, moi aussi j’ai parfois parfois un égo sur-dimentionné!)  
Las…
Une coup de trompe interrompit mon rêve.
Je me retournais et horreur, le yacht que j’avais vu sortir était à mon cul, à toute vitesse!   
Il visait lui aussi l’entrée du port !

Vite, vite, vite, je m’écartais vers le large, faisant fi de mon cap idéal.

Wahooooo, les passages successifs du yacht (qui avait à peine ralenti) et de sa vague me mirent à genoux.
Estomaquée, je le regardais virer en dérapage, freiner, puis glisser sur son élan.
Ce n’est que plus tard, en découvrant l’ensemble du chantier naval qui occupe le port, que j’ai compris : il s’agissait vraissemblablement d’un simple essai « in live »!  

Vite, vite, il fallait que je me ressaisisse pour entrer dignement. Il était encore temps de viser le centre entre deux séries de vagues.
Quelques coups de pagaie plus loin, j’étais à l’abri, encore quelques coups de pagaie et j’étais au ponton.
Il était grand temps de me sustenter avec quelque chose de solide !
Le vent montait encore d’un cran.
A la sortie du port, il y avait maintenant une barre. L’entrée était fermée, la sortie… aussi !

Nous étions en début d’après-midi, je n’étais pas du tout fatiguée.
Pourtant ma route semblait devoir s’arrêtait à Viarregio ce jour là.  

Alors, pour passer le temps, je me suis aventurée et j’ai suivi le canal de Burlamacca pour pénétrer la ville. Au retour, j’ai amarré ma planche à couple d’un bateau (visiblement à l’abandon) pour mettre pied à terre. J’ai regardé la plage, j’ai regardé vers le large…

ET… j’ai cherché un coin pour dormir.

C’est finalement sur le gazon municipal, sous le nez de la capitainerie, de la douane et de la police, que dès la tombée du jour, je me suis plantée au milieu des arbustes décoratifs.

Mardi 17 septembre 2013 :  Viarregio « journée dépression »

Avant même de donner le premier coup de pagaie, j’avais imaginé avoir besoin de contourner certains endroits. J’avais imaginé avoir besoin de quelqu’un pour passer le golfe de Saint-Tropez, j’avais imaginé avoir besoin d’une solution terrestre pour passer le port de Gênes. Je n’avais jamais imaginé me sentir prise au piège dans un coin où les surfeurs affluaient de toute part.  
Depuis dimanche matin (où je fus bloquée à Lerici), je rêvais de trouver une possibilité pour aller directement à Livourne. Impossible d’expliquer pourquoi, mais il est un fait que j’avais comme une sourde impression : cette météo pourrie était liée à la géographie du coin.  

C’est sur ces pensées que je m’étais endormie. C’est avec ces pensées que je me réveillai, à l’heure où s’éteignirent les lampadaires.

Après m’être vivement secouée pour « libérer » le gazon municipal, après avoir rangé la planche sous un buisson et les sacs sous la planche, après avoir attaché les pagaies avec l’ensemble, je suis partie voir la plage.

Puis, comme tout un chacun, je suis passée à la boulangerie et au café afin d’attaquer ma journée dans les meilleures conditions.

Michel avait écrit :
« La météo ne s’arrange pas, une dépression est sur le golfe de Gênes.
Demain matin vent nord force 5 et localement 6 avec houle de 2,4 m, l’après-midi NW force 4 et houle WSW 1,9m « 


A la capitainerie, le bulletin météorologique confirmait le SMS de Michel. Et en interrogeant à droite comme à gauche, il me fut dit que rien ne changerait avant deux ou trois jours
Quelques semaine plus tard, relatant cette journée, bien installée devant mon bureau, voilà ce qui sortait en face de Viarregio:
« Les vents principaux viennent du sud-est, les vents de sud-ouest et d’ouest qui soufflent durant deux ou trois jours de suite causent de violentes tempêtes maritimes. »
Je l’ignorais alors, mais ce qui était certain, c’est que j’aurais donné cher pour sortir de ce coin.  

J’ai erré toute la journée.
J’ai longé les alignements de plages privées où les employés nettoyaient les atteintes de la tempête.
J’ai parcourue l’interminable avenue marchande où déambulaient de rares touristes.
J’ai trainé du côté du port où se construisent les yachts les plus prestigieux.
J’ai découvert des rues pleines d’ateliers au service des chantiers, des rues ouvrières et travailleuses où les bars sont les espaces « à vivre ».

Puis…

Je me suis installée sur « mon » banc.
J’ai observé le va et vient des surfeurs. Invariablement, ils descendent à la hâte de leur voiture, invariablement, ils en partent au pas de course, short-board ou malibu sous le bras et invariablement, ils reviennent très lentement, semblant plongés dans d’insondables pensées, tête presque basse. Ils se changent infiniment lentement, avec maintes précautions. Puis ils montent en voiture, branchent la « musique » à fond et démarrent en trombe !  

J’étais sur « mon » banc. (c’est fou comme on s’approprie vite le moindre espace! )
La journée touchait à sa fin et je m’étais moulée dans l’idée de rester ici. Pise n’était pas si loin, afin d’éviter de moisir, je pouvais envisager de faire un peu de tourisme en train : après une journée de dépression profonde, j’avais repris du poil de la bête et de l’entrain en quantité suffisante pour aborder paisiblement une ou deux journées « immobiles ».

Et il est arrivé  
Quelque chose était différent chez lui, une zenitude particulière peut-être.
Il commença par s’étirer consciencieusement, tranquillement, gardant un oeil attentif vers tout ce qui se passait autour.
Il jeta plusieurs fois un regard en direction de la planche qui dépassait du buisson.
Comme il roulait une petite clope, je décidais de tenter une petite conversation.
Comme je lui expliquais mon trip et ma situation « météorologique », il répondit sobrement :
« Je téléphone à un ami de Livorno » L’ami ne répondait pas, il devait encore être en train de surfer.
« Bon, je vais manger maintenant, je travaille ce soir. Je vais le rappeler, je te dis quand je reviens à la voiture »

C’était une conversation parfaitement surréaliste.    

Il revint avant que je n’aie commencé à installer mon campement. (Il y avait foule sur la terrasse du Club Nautique et je ne souhaitais pas jouer la provoc en plantant ma tente presque sous le nez de tous ces gens « biens »  ).

Directement et droit dans les yeux, il s’adressa à moi :
« J’ai eu mon copain, je vais demain matin à Livorno, je t’emmène. 7H30 ici, tu seras là ? 
– Oui, je dors là. Je serai là.
– Tu dors ici ?
– Oui.
– Sérieusement?
– Oui, où veux-tu que je dorme?
– Alors à demain »


Et hop, il était parti.

Incroyable !

Je me suis endormie en me promettant d’être prête à l’heure dite. Et si ce n’était qu’une blague, s’il ne venait pas, j’avais décidé d’aller à Pise voir la tour qui penche !
J’étais enfin parfaitement sereine.

Mercredi 18 septembre 2013 : Livorno – Forte di Biobona

7h15 : J’étais prête, assise sur « mon » banc j’attendais, confiante et sans « y » croire à la fois.

7h17 : la voiture arrive.

« Hey, tu es prête ?
Oui, tu vois tout est plié… Et puis j’ai dormi là !
Oui, je sais, je suis passé voir après le boulot, dans la nuit… J’ai bien vu »

Ainsi, il avait douté !  

A la place du malibu sur le toit, il avait un shortboard à l’intérieur de sa voiture. Nous avons chargé mon maxi-long-board, les pagaies et les sacs.
Embarquement immédiat.
Passage au café pour un petit noir sur le zinc et c’était parti.

Certaines rencontres sont étonnantes quand on fait la liste des coïncidences, celle-ci l’était vraiment.  
Il m’a posée dans le premier coin abrité et il a filé vers son spot sans attendre.
J’avais parcouru par la route l’étape que je n’avais pas pu faire par la mer la veille, une quarantaine de kilomètres, ma moyenne quotidienne, rien de plus.

Une fois encore, j’ai eu un immense sentiment de joie et de liberté en montant sur ma planche !

Le ciel était parfaitement limpide devant moi. Sur la côte, il y avait de jolis spots de surf autour des rochers, avec de belles vagues bien propres, bien bleues. C’était vraiment autre chose que le chantier de Viarregio, clairement Fabio avait fait le bon choix en venant surfer dans le coin.

De temps en temps je regardais derrière, j’étais comme « en fuite », je surveillais la dépression pour vérifier qu’elle restait bien sagement bloquée au nord. Et je pagayais « comme une voleuse » pour être certaine de lui échapper!

Au loin, un très long débarcadère avançait vers le large, signalant Vada et son port industriel.

Juste après l’avoir passé, j’ai eu l’impression de me trouver sur une immense piscine absolument plate et couleur turquoise, le contraste avec le « terrain » qui avait précédé était étonnant et je ne parle même pas de ce que j’avais laissé à Viarregio!

Je continuais à regarder derrière régulièrement, j’avais l’impression de me faire rattraper par les nuages.
Je me forçais alors à regarder l’horizon tout bleu à l’avant. Fabio m’avait dit que j’allais arriver dans une zone très différente où la pointe de la Corse faisait déjà office de barrage, limitant l’effet de la dépression.
Je voulais y croire.
La côte était redevenue rectiligne et sablonneuse, mais aucune vague ne levait de loin, il y avait une profondeur suffisante pour que je navigue tranquille.

Après une pause à Cecina, j’avais parcouru « ma » quarantaine de kilomètres et c’est parce que le vent de travers commençait à me fatiguer que je me suis arrêtée sur la plage de Forte di Biobona

Les nuages commençaient à me rattraper.
Certes, ce n’était pas le couvercle noir que j’avais laissé en rade, mais je sentais que le vent allait forcir et qu’il serait vain de jouer contre lui.

J’ai choisi un coin bien à l’abri du souffle d’Eole et je me suis amusée en jouant la touriste allongée sur le sable

Sans attendre la tombée du jour, j’ai installé ma maison, heureuse d’avoir absolument tout ce dont j’avais besoin.

Tout était si tranquille ce soir là que je me suis offert quelques postures de yoga au soleil couchant, ne me décidant à « rentrer » qu’après l’extinction des dernières braises  

Le SMS de Michel faisait un point météo mi figue mi raisin.
Demain serait un nouveau jour.

C’est la vie!


Découvrir cette phrase sur FB ce matin était une douce surprise.
Ce livre de C.Bobin qui n’est pas dans ma bibliothèque, je l’ai découvert en septembre, il trainait dans un gite d’étape (voir le lien « escapade 2017 »).
Il est évident que cette phrase précise n’avait aucune chance de m’interpeller à ce moment précis où j’étais tellement remplie par la marche accomplie et tellement loin d’une quelconque fatigue. L’heure était à la lenteur, à l’approche de mon objectif, j’avais même encore ralenti!

J’étais à Paris, vendredi dernier.
Déambulant dans les rues alors que la mission qui m’y avait conduite était réalisée, je me contentais de survivre.
Histoire de grappiller de l’espace humain, je tentais de capter avec insistance la vie des gens que je croisais, la vie des boutiques, des boutiquiers (j’ai acheté des livres…), des passants pressés, errants avec ou sans domicile fixe. Je n’avais que « ça » à faire en attendant le train retour.

Et, voyant les centaines de personnes attablées en terrasse, les centaines de personnes consommant avec compulsion, les centaines de personnes avalant d’improbables aliments, marchant, clavardant, isolées dans leurs bulles, en voyant tous ces gens, en tongs ou collet serré, tous ces gens si différents et cependant « parisiens » je sentais à quel point la capitale est intensément fatigante.
En miroir à ma fatigue intensément ressentie de manière passagère, je compatissais avec toutes ces personnes pour qui « consommer » est le seul remède à leur stress. Consommer plus et plus vite, de tout, de rien sans le moindre repos puisque le repos lui-même est consommable, donc limité.

J’ai traversé Paris à pieds.
J’avais le temps.
J’ai traversé pour commencer le plus grand espace vert parisien : le Père Lachaise.
Les touristes y galopaient, le nez sur le plan qu’ils avaient acheté à la « bonne » entrée.
C’est très agité, le Père Lachaise.
Puis, j’ai longé des rues et des rues, alternant la marche à l’ombre avec la marche au soleil en fonction de mon besoin.
Je suis arrivée à la gare avec trois heures d’avance.

Pour passer le temps, j’ai pris un ticket dans le rayon « guichet-départ ce jour ».
je n’avais que ça à faire.
Arrivée « à mon tour » devant la guichetière désabusée,
J’ai appris ce que je savais, mon billet n’était pas échangeable, il était trop bon marché!
J’avais cependant gagné du temps, environ 30mn pour 20 numéros!
J’ai fait un saut au low-coast alimentaire d’en face, puis une bouteille d’eau dans une main, un infâme sandwich dans l’autre, je suis allée m’asseoir face à la gare.
Depuis le matin et la belle conversation avec mon éditrice, aucun autre mot que « bonjour, merci, bonne journée/bon courage » n’était sorti de ma bouche.
Et là, sur les gradins jonchés de papiers gras et de canettes vides, j’ai observé les échanges entre un black énervé, une ancienne sdf (à ce qu’elle a dit) et un black hyper cool.
Tranquille.
Tranquille en attendant l’heure du train.
Et,
Le black énervé est venu s’asseoir à mon côté.
Et… Ce fut la deuxième conversation de la journée.
Tranquille.
Elle aurait pu devenir interminable.

Puis, l’heure du train est arrivée.
J’étais fatiguée.
Réveillée depuis cinq heures du matin, je pensais à ma couette et à son lointain abris qui ne serraient accessible que sur le coup de minuit.
J’étais fatiguée.
J’ai acheté des bonbons… Le sucre est une drogue puissante qui permet de lutter contre la fatigue… et le stress…

Ce vendredi passé, le temps vécu à non-vivre fut très long à mon goût.
Trop long.
J’avais, longtemps avant, décidé d’économiser sur le prix du billet.
C’était un choix.
La prochaine fois, il faudra me payer cher pour une telle aventure.
J’ai définitivement besoin de vivre dans un espace qui respire une vie plus vive.

Je suis une râleuse, c’est clair!


Les « souvenirs » qui s’affichent sur mon écran chaque matin m’amusent!

Il y sept ans, j’écrivais comme j’écris chaque jour.
J’écrivais pour le plaisir d’écrire, comme depuis que j’ai appris à écrire.

J’étais une toute petite fille qui griffonnait sans cesse, en liberté, joyeusement, histoire d’enfiler des mots et d’en faire des phrases et des histoires que j’allais fièrement montrer à l’institutrice qui savait me féliciter… J’étais si petite qu’elle ne pouvait guère rester insensible, elle s’appelait Mademoiselle Martin, elle avait des cheveux courts coupés comme ceux de Mireille Mathieu qui n’existait pas encore en version disque.
J’étais dans la classe « des moyens » parce que ma grande taille faisait que j’étais ridicule dans la classe des « bébés ».
On disait comme « ça » : tu vas aller chez les « bébés », chez les « moyens » puis chez les « grands ».
A l’époque la terminologie propre à l’école maternelle actuelle n’avait pas cours.

J’ai donc commencé ma scolarité en sautant la classe des bébés!

Je me souviens encore au creux de mon ventre de ce jour où ma mère m’a emmenée à l’école, juste après mes quatre ans : j’étais super heureuse de franchir le porche, de découvrir les odeurs, de marcher dans le grand couloir carrelé, je me sentais grande.
Mais quand, arrivée à la porte de la classe des « bébés » où j’étais admise sur la bonne parole de mon année de naissance, quand l’institutrice m’a toisée de pied en cap et a déclaré que j’étais trop grande, je me suis sentie très, très petite.
Heureusement, Mademoiselle Martin fut extrêmement bienveillante, elle le fut certainement aussi à l’égard de ma mère qui s’est sentie rassurée en m’abandonnant pour la matinée.

C’est drôle ce que je viens d’écrire, c’est très loin du propos que je venais poser sur l’air de « je suis une râleuse »… Mais pas si loin en fait.

Car, si je remonte dans ces souvenirs là avant de revenir à ceux d’il y a sept ans puis à aujourd’hui, je revois la suite en accéléré.
D’abord, l’entrée à « la grande école », mes rebellions puis l’entrée au lycée.
(le collège n’était pas encore inventé, le lycée commençait en 6ème… Wahooooo, j’suis vraiment une vieille gamine!!!!)
L’entrée au lycée posa un point final sur ma liberté littéraire : les sujet étaient imposés, et je n’avais plus aucune marge de manoeuvre sinon dans les versions latines où je laissais décoller mon imagination : quand je « tombais » juste j’avais une excellente note quand je partais sur un contre-sens, j’avais zéro.
Mathématiquement je suis devenue une « élève moyenne ». Comme quoi, il est possible de rentrer dans la norme, c’est simplement une question de temps!

Très normalement, je suis devenue une râleuse et je suis restée constante. Car le français est râleur parait-il et je suis française, donc tout va bien. Je suis dans la norme.

Sauf que, depuis que je suis devenue un peu moins petite, je suis irritée par tous ces gens qui passent leur temps à rouspéter sans jamais rien faire d’autre que rouspéter, pire, en créant un fond de commerce sur leur incapacité à rien faire d’autre, donc en se montrant capables de monter une entreprise sur… du vent!
Et quand je suis irritée, tout naturellement, je gratte où ça me démange et je joue avec les mots!

Car les mots sont restés mes amis.
Ce qui me séduit dans leur présence ce sont leurs infinies nuances.
Je dois certainement beaucoup au prof de latin.
Car si elle m’a fait rentrer en dessous de la moyenne en alternant les zéros et les « huit-neuf », elle m’a entrainée dans la vision poétique dès le premier jour de classe.
Car cette fantasque Madame Millet donnait son cours de latin dans la plus belle classe de l’établissement, au rez-de-chaussé du bâtiment qui, avant de devenir établissement scolaire, avait été une grande maison bourgeoise.
Nous avions cours de latin dans une belle pièce claire pourvue de trois grandes fenêtres donnant sur le parc. Le premier mot de rentrée de ce prof, du moins celui que j’ai retenu, fut « Vous verrez : quand fleurissent les marronniers, c’est splendide!« .
J’ai passé les « années collège » à attendre la splendeur en regardant par la fenêtre pendant les cours de latin.
En même temps, je me délectais de chaque incartade étymologique. Ce qui me passionnait en cours de latin, au delà du fait qu’à l’époque on disait que c’était la langue des « docteurs », ce qui me passionnait c’était ce qui liait le français que je parlais couramment au latin que je découvrais dans la douleur des zéros accumulés.
Pour résumer, dans cette classe, il y avait les racines et les fleurs.
Et… c’est ce poème qui m’accompagna définitivement.

Il y a sept ans, j’écrivais.
Aujourd’hui j’écris.

C’est mon plaisir et ma manière de ranger les pensées, chaque matin avant de plonger dans le quotidien.
En prenant mon café, je regarde les râleurs qui s’expriment sur la toile. Je bondis parfois, souvent, en lisant ce qui se raconte, ce qui se colporte en un clic, les partis pris, les publi-informations qui fusent comme autant de vérités sans source, les sources pas sérieuses citées pour « faire sérieux »…
Et ça me laisse souvent triste.
Et ça me donne envie de réagir, de faire réagir, de questionner…
Et c’est tellement en vain.
Et alors, se lève une vague joyeuse,
Et alors il y a les fleurs et les racines et l’insouciance qui surnagent
Il suffit de poser des mots comme les enfants enfilent des perles,
Pour le plaisir du jeu!

Pic et pique et colle et crème


Am Stram Gram

Quel étonnement lundi matin à la lecture de ces quelques mots : «  Ah merci mais je l’ai déjà fait ce défi il y a plusieurs mois (…) »
Sur mon écran ça sonnait de deux manières : « j’ai déjà fait bon débarras, faut plus compter sur moi » et « C’est ringard, nous ont a fait « ça » il y a longtemps ».

Ni une ni deux, j’embraye, je passe la première et j’écris ce que je pense.
Ni une ni deux, la réaction tombe, tout en longueur à la suite de « Oui, parce que je n’ai pas pu le terminer  »
Il n’en fallait pas plus pour titiller ma tendance à la prose pimentée.

Il n’en fallait pas plus parce que dans les arcanes de ce qui me sert de disque dur interne, une vague s’était levée, avait déferlé et avait entrainé du ressac qui moussait à son tour.

Me revenaient en pleine face les « chaines » qu’on se passait sous le manteau à l’école et qu’il était raisonnable de craquer tout en tremblant car le mauvais sort nous était promis, juré, craché!
Me revenait le système de vente pyramidale qui fit le succès des boites plastiques. L’illégalité déclarée fait qu’on appelle ça du « marketing de réseau » et il y a aujourd’hui des clients à la pelle pour de multiples commerces.
Je pensais aussi à cette tendance très à la mode sur les réseaux sociaux : publier une pub, nommer un « ami » et espérer gagner un gros lot.

Et pourtant, ce lundi là il n’était question ni de « mauvais sort », ni de vente, ni de gain mais plutôt d’un jeu
D’un jeu un peu particulier puisque c’est le genre de jeu dans lequel on ne se lance pas spontanément.
Un jeu qui fait appelle au lien amical, genre « allez, fait le pour moi »
C’est un peu comme dans la cours de récréation, il y a toujours un gamin pour lancer une idée et embarquer les autres « Et… Si on jouait à ça? ». Et pour plein de « bonnes raisons, on joue à « ça »!
Je me souviens de la cours de récréation, ça me gavait souvent les jeux des autres, mais comment être avec les autres en refusant leurs invitations?
Pas facile quand on est gamin.
J’avais besoin d’être appréciée, je n’avais guère de choix : incapable de « faire la chef », je devais suivre.

Bon, soyons clairs, il y a bien longtemps que les personnes en lien ce lundi (à travers de leurs écrans) ont dépassé l’âge de la cours de récré!

Ce qui m’a interpelé, c’est la prise en compte très sérieuse d’une notion d’engagement sur la durée, le poids de la notion de challenge (un challenge est quelque chose de nouveau et difficile qui requiert beaucoup d’effort et de détermination), voire de défi (action de provoquer quelqu’un en combat singulier).
Ces différentes notions sont des expérimentations à faire (ou à éviter, c’est selon chacun) dans la vraie vie, me semble t-il.
Comment est-ce possible de confondre la vraie vie et la virtualité de nos écrans?

Inutile de battre la crème, au risque de la transformer en beurre… C’est glissant le beurre, non?

Ces petits jeux amicaux, ces engagements qui n’engagent pas plus loin que quelques clics du bout du doigt, sont autant d’éclairages de nos reflets. De mon point de vue, c’est aussi certain qu’impalpable.

 

De la sensation d’être utile


Dimanche dernier, après avoir écrit à un ami au sujet d’une profession dans laquelle j’aurai pu m’enfermer parce qu’il est souvent confortable de rester dans un cocon, cachée sous l’étiquette dont les gens vous affublent, le téléphone a sonné.

C’était un appel à l’aide.

Ni une ni deux, j’ai saisi au vol le nécessaire et j’ai couru à la vitesse de mes jambes pas réveillées pour frapper à la porte d’un « ancien voisin » qui habite aujourd’hui à 900 mètres, quelques pâtés de maison plus loin.
Sur le chemin du retour, j’ai savouré avec gourmandise l’impression de mission accomplie.
C’était si délicieux.

La journée s’est achevée sur la même note, après d’autres activités qui m’offrirent l’occasion de me sentir utile.

De fait, j’avais ce billet en tête, parce qu’évidemment, ma réflexion s’est envolée bien plus loin, jusqu’au monde laborieux et vers tous ces « travailleurs » qui ne trouvent plus de sens à leur boulot.

Hier, en regardant une vidéo partagée, je notais une fois de plus ce questionnement au sujet de la sensation d’être utile, je notais ce questionnement suite à ces quelques mots « (…) on m’a mis dans une case(…) j’en pouvais plus (…) il s’agissait de convaincre des convaincus (…) ».

Le besoin de tenter le périlleux exercice des mots s’est fait plus imposant, alors, voilà.

Avant d’aborder la sensation, il faut tenter de définir « être utile »
Je dirai qu’être utile, c’est permettre une amélioration.
En ce sens, littéralement, tout peut être utile.
Même si l’avantage apporté est minime, une chose qui l’apporte est « utile ».
Le mot « utile » est donc tout à fait relatif, il ne prend sens que dans un contexte, que par rapport à autre chose.
Ce qui est utile favorise l’accomplissement d’un projet, être utile, c’est contribuer à l’accomplissement d’un projet.
La tentation est grande d’associer les mots « utile » et « nécessaire » parce que ce qui est inutile ne répond à aucun besoin. Pourtant il est important de distinguer le « nécessaire » qui répond à un besoin de « l’utile » qui se contente d’apporter un peu de facilité à la réalisation d’un projet.

Par exemple, si j’ai besoin du contenu d’une boite de conserve, je dispose de tout un tas de moyens pour accéder au contenu qui m’est nécessaire. Un ouvre boite est un outil qui se révèle très utile pour ce faire, mais pas du tout indispensable.

Avoir la sensation d’être utile s’associe parfaitement avec le non-héroïsme.

Avoir la sensation d’être utile peut être une réalité dans un certain contexte, une réalité qui s’estompe avec le temps en devenant petit à petit une idée dépassée.
Ainsi dans le boulot, il est possible de se sentir vraiment utile puis cette sensation s’estompe et vient le temps où la question se pose de savoir ce qui nous pousse à aller bosser chaque matin.
Ainsi dans la vie de famille, il est possible de se sentir vraiment utile, puis cette sensation s’estompe et vient le jour où la question se pose de savoir ce qu’on fait dans cette famille là.
Ainsi, etc…

Pour avoir la sensation d’être utile, il est indispensable d’apprendre à se connaitre.
Parce que plein de gens sont capables de nous dire « C’est bien ce que tu fais, c’est vraiment utile » alors même que nous avons la sensation globale de ne rien faire de vraiment utile.

Ce qui compte, en vrai, c’est notre sensation, notre impression, la nôtre.
Et « tout va bien » lorsque notre impression est en harmonie avec celle que les autres nous renvoient.
Que « les autres » nous racontent le meilleur, si nous avons la sensation du contraire, un malaise demeure.

Il faut petit à petit prendre conscience de nos dons, de nos talents.

C’est grâce à une famille qui nous laisse libre de tester nos aptitudes, c’est grâce à une intuition, c’est grâce à une rencontre, c’est grâce à la confiance qu’une personne nous accorde que nous parvenons à cette prise de conscience… pour peu que nous décidions d’y parvenir, même inconsciemment.

C’est parfois très long.
Très long.
Exigeant.
Très exigeant.

Et puis, un jour, un jour enfin vient le temps où la sensation de pouvoir être utile nait ou re-nait.
Alors, tout devient possible.
Et ce jour là, il est urgent de noter précieusement une injonction indispensable : S’ennuyer, quel bonheur!

Habiter

Parmi les chemins qui mènent à l’illumination
il y en a deux fort différents
Le premier consiste à marcher dans la lumière d’un sage
Au risque de vivre dans son ombre
L’autre invite à cueillir chaque instant, chaque étoile de la vie
Au risque
D’en devenir ébloui

In Eloge, A traits communs, Nantes 2008

 

Combien de pages « bien être » pour proposer des techniques d’enracinement?
Combien proposent des techniques d’ancrage?
Et de centrage et de reliance et de présence…
Et quelles sont les différentes recettes?
Si les recettes publicitaires varient un peu les autres tournent autour
De toujours quasi le même discours avec la même avalanche de mots fatigués
Où chacun(e) puise sous les images ce qui lui convient d’envisager de faire un jour,
Souvent jamais.
Le rêve est une manière d’être absent.

Pour la jardinière, parler d’enracinement, c’est envisager une présence constante,
Une présence durable.
Sinon, à quoi bon souhaiter qu’une plante s’enracine?

Pour une navigatrice, parler d’ancrage, c’est envisager un lieu propice, une aire de repos
Une présence de passage.
Sinon, à quoi bon souhaiter naviguer?

Les mots sont troubles sans expérience et activent les maux en attisant les rêves
Avec une cueillette virtuelle d’inaccessibles étoiles.

Les mots qui se baladent sur la toile comme autant de miroirs aux alouettes
Peuvent s’avérer redoutables lorsqu’ils invitent les passants
A déserter
Leur parole avant même d’avoir essayé de l’habiter.

Car si la parole est cette faculté d’exprimer et de communiquer la pensée,
Donc, lorsqu’il s’agit de « moi-je », la faculté d’exprimer et de communiquer « ma » pensée,
Quelle est la parole qui sort de ma bouche s’il s’agit d’une pensée qui n’est pas la mienne?
S’il s’agit d’une pensée volée?
S’il s’agit d’une pensée toute faite?
S’il s’agit d’une pensée qui repose sur « rien »?

Et comment alors être qui je suis sans habiter ma parole?