Tourner rond



En préambule, ce petit billet de 2008 où il était question de macaron tout rond.

Car passer d’une potentielle routine (le billet précédent) à tourner rond sans tourner en rond reste une histoire orbitale, histoire de cercles, de bulles, de tourbillons… de roue qui tourne.

Un jour, j’ai tourné en rond pour de vrai.
Et l’aventure aurait pu mal tourner.
C’était dans le désert de Mauritanie, quelque part, pas loin de Ouadane, à quelques kilomètres du Guelb er Richât qui a tant fait marcher Théodore Monot.
J’étais seule.
Comme j’Aime.
Quelle folie m’avait donc invitée à sortir de la piste à peine tracée ?
Le fait est que j’en étais sortie, certaine d’avoir les ressources nécessaires pour m’orienter dans cet univers où pas un caillou ne ressemble à un autre caillou.
Je marchais depuis le matin et le soleil avait commencé son déclin.
Je savais pas trop où j’étais mais j’avais pas jugé nécessaire de faire le point, donc de sortir la boussole.
Et voilà que je vis une trace de pas.
Génial me suis-je dis, si quelqu’un est passé par là, c’est que j’approche des humains.
Et un regain d’énergie s’empara de moi.
Et voilà que la trace unique se multiplia, clairement pas moins de deux personnes étaient passées par là.
J’allongeais encore le pas.
Un peu plus loin, il y avait davantage de traces.
J’étais pas loin d’arriver, c’était certain.
Le soleil devenait de plus en plus rasant, mais l’espoir d’arriver quelque part était plus fort que jamais, les traces dans le sable n’étaient-elles pas de plus en plus nombreuses?

Soudain, le vrombissement d’un camion me fit lever l’oreille. Il arrivait droit sur moi, me confortait une dernière fois sur la « justesse » de la direction que je suivais.

Dans un nuage de poussière, il arriva à mon niveau et le chauffeur me demanda ce que je faisais là.
Quand je lui expliquais mon cheminement et ma certitude d’arriver bientôt pour me recharger en eau, il partit d’un grand rire en me répondant que j’étais bien loin de toutes pistes, au milieu de nulle part, que j’avais une sacrée chance puisqu’il m’avait vue et que son camion avait pu tracer jusqu’à moi. Il me fit monter dans la benne (c’est là que montent les passagers) pour me ramener sur la piste.

Bien calée contre la tôle mais néanmoins secouée dans tous les sens, j’ai fini par comprendre que j’avais suivi consciencieusement mes propres traces, que j’avais tourné en rond avec insistance, encouragée par mon imagination, déraisonnée par mon manque d’expérience et désormais riche Ô combien de cette nouvelle expérience.
J’étais en pleine quarantaine rugissante, mère de quatre fils, épouse tranquille, universitaire sachante, prudente transgressive… bref j’avais déjà passé l’adolescence et l’âge des bêtises… mais voilà, la vie est remarquablement enseignante!

J’ai plus de vingt ans de plus.
Et d’autres aventures se sont ajoutées les unes aux autres, toujours pleines de nouveaux enseignements. Vive les vacances!

Avec l’âge qui avance, je modère mes élans.
Par exemple, il y a deux ans, marchant à flanc de falaise sur un sentier créé par les chèvres (la largeur de mes deux pieds joints), j’observais le jacuzzi menaçant vingt mètres plus bas, puis je levais le nez sur les amas rocheux et force fut de constater que j’étais devenue trop incapable d’escalader avec le poids d’un sac à dos pour imaginer une sortie « par le haut ». Sagement j’ai décidé à ce moment précis que si je survivais à ce passage très risqué, ce serait le dernière fois que je m’engageais dans ce genre de « folie »! J’ai serré les dents pour rester concentrée aussi longtemps que nécessaire, pour écarter la peur et avancer en équilibre aussi loin que ce fut nécessaire.

Et j’ai tenu promesse !

Voilà des récits d’expériences vécues à travers mon corps.
Et je tiens à souligner une réalité : l’esprit est une partie de chaque individu.
Aucune frontière ne sépare le corps de l’esprit quoiqu’en disent ceux qui ont besoin de tout scinder pour tenter d’appréhender et surtout de « gérer » la complexité du vivant.
Pour ma part, j’ai toujours besoin de comprendre physiquement, c’est à dire de prendre à bras le corps chaque parcelle de vie pour en tirer un enseignement. Les explications seulement « intellectuelles » ou livresques m’enchantent ou m’indisposent, me guident parfois, sans jamais s’avérer suffisantes.

Quand j’ai découvert Matthew B. Crawford, il y a dix ans déjà, ses publications m’ont confortée dans ma non-solitude au sujet de ce morcellement corps/esprit qui nuit à notre épanouissement ; cette dissociation portée haut par une certaine mode et qui participe largement à nos prises de tête, à nous empêcher de tourner rond, aussi bien individuellement que collectivement.
Je me re-plonge souvent dans ses bouquins (un peu ardus) afin de chasser les contre-sens interprétatifs : j’ai terriblement besoin de bon sens et balayer chaque jour les croyances qui pourraient s’installer sur mon paillasson est un sacré boulot!
Bon… Je reste d’accord avec moi-même.
Et puis… le temps désormais passé en vie active me permet de regarder en arrière au point de pouvoir valider la réalité d’un cap qui me ressemble, un cap dont je ne me suis guère écartée quel que soit le sens des vents et des courants.

Quelle conclusion puis-je écrire à l’issu de cette prose ?

Aujourd’hui, en toutes choses, les sollicitations publicitaires permanentes, les algorithmes propres à l’exploitation commerciale des réseaux sociaux, que nous fréquentons tous, nous forcent constamment à tourner en rond (virtuellement) en mettant à l’honneur nos biais cognitifs les plus ancrés afin de pervertir nos raisonnements, exactement à l’image de ma vision de mes propres traces dans le désert qui m’avait convaincue d’avancer sur une faute piste.
Parfois un camion bruyant, d’un autre âge, puant le diesel sale arrive à temps pour nous sortir de la boucle infernale, encore est-il sage de lui accorder de l’attention.

Sinon, tourner en rond peut très mal tourner et au moins pire nous empêcher de tourner rond.



5 réflexions sur « Tourner rond »

  1. Sauf-i

    J’ai lu, j’ai suivi les liens proposés, qui m’ont conduit vers d’autres liens. J’ai voyagé, dans le temps, dans l’espace, dans mes souvenirs et dans mes rêves. Merci
    Mais… je me demande bien ce que représente la photo illustrant cet article (fort jolie au demeurant 🙂 )

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    1. Joelle Auteur de l’article

      Mille mercis pour ce retour, il est doux à mon coeur.
      La photo qui l’illustre a été réalisée pour l’occasion en posant mon moulin à café sur une assiette en faïence d’art, il suffisait ensuite de me positionner juste au dessus. Comme souvent (pour ne pas dire toujours) l’image raconte (pour moi qui en connait l’histoire) autant que les mots posés. 😉

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      1. Sauf-i

        Ah, j’avais identifié la manivelle, mais impossible pour moi d’aller au-delà : un moulin à café manuel, c’est forcément carré, en bois, avec le bouton du tiroir qui dépasse en façade 😉

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        1. Joelle Auteur de l’article

          C’est une image de mon petit monde, celui qui tourne rond sous certains angles 😀
          En écrivant, je jette un regard circulaire autour de moi, cherchant ce qui est carré, bien carré. Il y a les meubles, les boites, les livres, les escaliers. J’aime faire ce constat, il y aurait tant à dire 😉
          tourner rond

          PS : le moulin café vient d’être photographié (juste pour toi) ainsi qu’il se présente chaque jour, toutes les journées et toutes les nuits. Je le déloge uniquement pour le faire chanter et grincer quand j’ai besoin d’un café.

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          1. Sauf-i

            L’assiette est vraiment magnifique, et je suis heureuse que mon commentaire ait permis de la découvrir dans son entièreté 🙂

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