Archives de l’auteur : Joelle

Zone de passage

Voilà deux mois qui viennent de courir.
Je fus en zone de passage pendant ce temps.

Ainsi le rapport des choses et de mon corps est décidément singulier : c’est lui qui fait que, quelquefois, je reste dans l’apparence et lui qui fait encore que quelquefois, je vais aux choses mêmes ; c’est lui qui fait le bourdonnement des apparences, lui encore qui le fait taire et me jette en plein monde. Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes n’allaient pas l’un sans l’autre. Davantage : comme si l’accès au monde n’était que l’autre face d’un retrait, et ce retrait en marge du monde une servitude et une autre expression de mon pouvoir naturel d’y entrer. Le monde est cela que je perçois, mais sa proximité absolue, dès qu’on l’examine et l’exprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrémédiable.
M.Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964 (puis 1979, puis 2016 ISBN 978-2-07-028625-6)

Le visible et l’invisible!
Voilà de nombreuses années que je danse passionnément, funambule entre ces deux mots antonymes, et que l’ouvrage de Merleau-Ponti reste en bonne place sous mes yeux, interrogeant quotidiennement mes questions sous l’immensité des spectres contenus entre l’un et l’autre.

Les zones de passage se succèdent dans chacune de nos vies et cependant nous en remarquons certaines plus que d’autres, probablement du fait de la force plus ou moins grande des sensations qu’elles imposent.

Et force est de constater qu’un arrêt brutal a marqué sans coup férir l’entrée dans une zone de passage le mardi 30 mai dernier.
En premier c’est mon corps qui s’est exprimé intensément, accaparant l’ensemble de mes questions et de mes actes.
Puis, très vite je suis partie en exploration… de plus loin… de l’horizon et de l’invisible.

J’ai posé beaucoup de question.
J’ai remis beaucoup de questions en question.

Insuffisamment sans doute, au point qu’un « rappel » (un peu plus doux, comme tout rappel) survint fort opportunément le 8 juin passé.
C’est assez remarquable car au cours de ma vie, jusqu’ici, j’ai presque toujours considéré chaque évènement avec toute l’importance qui lui était dû : l’enseignement qu’il transportait était immédiatement intégré et l’expérience suffisante pour impacter notablement mes actes à venir.

Ce coup ci, un rappel fut nécessaire.
Certainement parce qu’il y avait plus d’une décision à prendre.
Possiblement parce que j’étais embarquée sur plusieurs navires à la fois.

Je sors lentement de cette zone de passage, mon corps me rappelle (presqu’en douceur désormais) la puissance de l’invisible, du non-visible avec les yeux, du présent et de la mélancolie aussi indispensable à la joie que l’ombre l’est à la lumière.

Dans le nouveau décor


« La sagesse se trouve exactement où tu es, il suffit de passer de l’autre côté du désespoir ».
De l’autre côté du désespoir, André Comte-Sponville, Edition Acarias-l’Originel, 1997
EAN: 9782863160657 

Une chose est certaine le changement de décor fut celui qu’il me fallait.
Les quelques jours où je m’y suis immergée en accompagnant une de mes petites filles au « stage poney » ont achevé de me convaincre.
Le lieu est paisible.
Les cavaliers qui le rejoignent sont tranquilles, souriants et simples, tous passionnés évidemment.
Autour de l’île qui héberge les chevaux, la Loire s’écoule, imperturbable.
La marée monte.
La marée descend.
Le paysage est à la fois changeant et permanent.
Exactement ce dont j’avais besoin.

Le cheval aux crins lavés par le soleil se révéla très touchant.
Certainement parce que c’est un vieux cheval.
Mais ma propre vieillesse,
Ma propre expérience des limites imposées par l’âge qui avance,
A mon propre corps de vieille athlète,
Me donnent une sensibilité que les « jeunes » ne peuvent pas avoir.
Dans chacun des exercices que je lui demandais, je sentais la subtile difficulté, la non-décontraction réelle. Un peu « warrior » à sa manière de cheval, il donne sans hésiter, certainement parce qu’il est fait pour ça et en plus formaté « pour ça » depuis de nombreuses années. Mais en réalité ça tire, et séance après séance je me sentais devenir une espèce de kiné spécialisée pour l’inviter à se mouvoir le plus souplement possible, à s’étirer, à mouvoir chacun de ses muscles pour les préserver encore un peu du passage du temps qui passe.
Et force fut de constater que dans les années qui me restent pour monter à cheval, je n’ai aucune envie d’être une soignante et encore moins de payer pour ça!
Il fallait donc trouver une autre monture.
Dans le même décor!
Par chance un petit pur-sang est arrivé récemment.
Sans hésiter, j’ai suivie la proposition de l’essayer.
Je fus prévenue : il ne sait rien faire, il est complètement à l’envers.
Et c’était déjà un programme possible qui m’enchantait.
Mais il fallait essayer, « voir » de moi-même.
Et oui,
Jeune, éduqué mais sans aucun bagage « technique », il a tout à apprendre et en premier comment marcher sous la selle avec harmonie.
Lui aussi est super gentil, exécutant approximativement ce qui lui est demandé de fort simple, mais à la manière d’un gamin, à l’arrache, par soumission, sans enthousiasme.

Banco!

J’étais super heureuse hier en quittant la belle île.
Il y a de l’avenir à écrire.
J’ignore lequel.
Mais l’important est là,
Plus loin.

J’avais ce besoin intense d’imaginer encore un « plus loin ».
Il fallait qu’un brin de jeunesse,
Vienne stimuler ma pensée,
Avec toute la non-intention dont un cheval est capable.

Warrior

Après ma dernière aventure qui fut l’occasion d’annuler tout projet de randonnée estival et de revoir aussi le sens de l’équitation que je désire, j’ai repris quelques activités. Puis, naturellement de plus en plus au fur et à mesure qu’un mieux-être se dessinait.
J’ai sans doute trop vite accéléré, de nouvelles douleurs sont sorties de nulle part, des tensions, des contractures d’autant plus difficiles à supporter que j’avais l’impression d’avoir déjà bien encaissé.
J’aurais vraiment apprécié approcher de la fin du passage.
Sauf que la vie est espiègle et imprévisible.

Et puis, il y avait quand même un planning à respecter : l’obligation d’être la grand-mère de service pendant une semaine.
Il fallait donc tout mettre en place pour réussir le challenge.
Certains peuvent se hâter d’affirmer que le « stress » précédent conjugué au désir d’être à la hauteur pouvait lui-même être la source de la recrudescence des tensions.
Ce serait aller vite en besogne.
Je me savais encore physiquement fragile et je connais les besoins des jeunes enfants, leurs demandes brouillonnes comme leur présence bien ancrée dans leur propre monde, tous incapables de « comprendre » ce qu’un adulte vieillissant peut ressentir.
J’avais accepté le challenge des mois plus tôt et j’étais en état de le relever avec quelques aménagements : pas question de courir la campagne, de sauter les marches dans les musées ni de courir après les papillons ; il restait tant à faire !

J’ai entamé la semaine comme une course d’endurance (j’ai un joli passé, donc une bonne expérience en la matière). J’étais encore vivante à mi-parcours et j’ai relevé le défi jusqu’au bout.
Ce faisant, très peu de temps restait libre pour prendre soin de mes douleurs, pour aller à la piscine, pour étirer chaque tendon trop tendu.
Le week-end est passé, il restait seulement un lundi de « garde » à assurer.

Je suis de nouveau partie en mode warrior pour assurer le service qui m’était demandé.

Auparavant, j’avais longuement réfléchi à la situation qui est la mienne aujourd’hui.
.
A l’époque où je faisais du sport en compétition, je regardais avec interrogation les « vieux » qui cherchaient à se faire valoir en courant après leur jeunesse.
Bien que j’ai cessé assez tôt de challenger corps et mental dans des défis sportifs insensés, j’ai continué à repousser mes capacités d’endurance dans mon activité professionnelle.
Combien de nuits blanches successives m’obligèrent-elles à survivre coûte que coûte?
Combien de temps passé à courir d’une vie à l’autre, des exigences maternelles aux exigences professionnelles, toujours sans faillir ?
C’était important que je le fasse.
Qu’avais-je donc à prouver ?
Quelles reconnaissances avais-je donc à quêter ?
Dans quel but ?

Aujourd’hui, je sens qu’il est plus que temps d’abandonner le terrain.
Que pourrais-je encore prouver ?
Vis à vis de qui ?
Et pourquoi ? Car je sais désormais que l’autosatisfaction est l’unique véritable récompense.

Vieillir, c’est disparaitre à petit feu.
Disparaitre de la vie professionnelle,
Disparaitre des compétitions sportives,
C’est chercher désespérément du sens,
« A quoi ça sert de se décarcasser » questionnait une publicité en 1978.
Qui s’en souvient ?
Vieillir, c’est certainement accepter le début de la fin,
Baisser les armes,
Cesser toute compétition
Et cependant poursuivre les échanges.

Parce que les échanges sont la base de ce qui fait société.
Coûte que coûte, donc.
Car jamais il ne sont gratuits.

Oui, selon la définition je suis une warrior, en ce sens que je suis vieille.
Et j’aspire à la tranquillité,
A la non compétition
A prendre soin de mes vieux os avec plus d’attention que jamais,
Afin de pouvoir,
A l’occasion, prendre encore soin des autres avec plaisir,

Pour le simple plaisir d’avoir l’impression d’exister encore.

Ils sont fait pour ça (bis)


Lorsque j’avais entendu sortir l’expression « Ils sont fait pour ça » dans le contexte d’une conversation simple, je m’étais sentie bien seule et j’avais pondu un petit billet pour en parler.

Evidemment la brave personne qui avait émis cette hypothèse ignorait totalement à quel point « Ils sont fait pour ça » car trop souvent nous passons par dessus le fait que le cheval est domestiqué depuis des milliers d’années, donc qu’il fut patiemment et sans fin génétiquement sélectionné pour « ça ».

D’après les dernières découvertes scientifiques (2021), consécutives à l’amélioration de la puissance de calcul des ordinateurs ( possibilités de séquençage génétique accrues depuis une dizaine d’années) il ressort que tous les chevaux vivant actuellement sur terre ont été domestiqués, c’est à dire sélectionnés par les humains afin d’être utilisés par eux. La première vague de domestication date d’environ 5000 ans et le cheval était alors seulement un animal de rente utilisé pour sa viande et son lait. Une deuxième vague datant d’environ 4200 ans donne naissance à « l’ère du cheval » (laquelle s’achève au début du siècle dernier avec la mécanisation de l’armée, des travaux agricoles et du transport) et les chevaux que nous « utilisons » aujourd’hui pour nos loisir sont les descendants de ces lignées.
Ce qui fut priorisé, en terme de sélection, ce fut la capacité du dos à porter et tirer sans douleurs (gène sur le chromosome 3) et aussi le contrôle de l’anxiété et de la docilité des animaux (gène zfpm1 sur le chromosome 9). Depuis cette « nuit des temps » la sélection n’a jamais cessée pour aboutir où nous en sommes actuellement, avec une incroyable diminution de la biodiversité et un cheval ultra « génétiquement modifié » afin d’être « fait pour ça »!
Plus aucun cheval sauvage n’existe en terme de caractéristiques génétiques bien que des chevaux vivent encore en groupes lâchés dans la nature mais « surveillés » par les humains.
Le cheval d’aujourd’hui, même s’il provient d’un troupeau semblant évoluer en liberté est adapté à l’humain depuis des siècles et il ne s’agit pas de l’apprivoiser comme il faudrait le faire si c’était un animal sauvage attrapé par hasard, mais bien plus de lui expliquer qu’il est « fait pour ça » (course, sauts, exhibitions ou simple esthétisme poussé à l’extrême) et qu’il est temps qu’il se plie à ce pourquoi il est fait.

Remarquablement on voit actuellement sous l’effet de la mode se multiplier les « chevaux de couleurs » (encore « mieux » s’il ont des yeux bleus) qui bien souvent ne feront rien d’autre que de rester au pré sous l’oeil émerveillé de leur propriétaire, un peu à la manière de ces petits bijoux nommés « cheval arabe » qui ne feront rien d’autre que parader au bout d’une longe afin de gonfler l’égo de riches propriétaire prêts à y laisser des sommes colossales.
La sélection se poursuit donc.
Derrière les images faisant gambader notre imagination sur les mots « sauvage », « galop débridé », « grands espaces » se cache l’asservissement du cheval aux besoins actuels de l’humain.
Le cheval est un animal domestique.

Changement de décor (suite)


Il y a quelques jours j’avais promis la suite, la voilà!

Pour entrer dans le vif du sujet j’ai vraiment changé de décor en passant des alentours du canal de Nantes à Brest aux bords de Loire.

Et puis, après le cheval d’indien, me voici en relation avec un cheval beaucoup plus classique. Si le soleil réalise un charmant balayage dans le doré de sa crinière d’alezan, sont look n’a rien d’exceptionnel et je suis assez contente de me retrouver en selle sur un cheval éduqué comme je l’entends.

Comment ai-je donc choisi ?
Peut-être me suis-je laissée happer par la Loire ?
A moins qu’un cheval ne m’ait choisie ?
Ca c’est dans les rêves, non ?
Mais pour l’anecdote, disons que j’ai saisi un clin d’oeil.

La semaine dernière lors de mon premier passage en bord de Loire, j’étais entrée dans le paddock du possible élu, sur l’invitation de la propriétaire : « Tu peux aller le voir et le caresser, il est là-bas ».
Ma béquille dans une main et l’autre vide, je suis entrée et je me suis plantée au milieu de l’espace en me disant que j’allais pas le déranger, juste m’approcher et le regarder.
Il a levé la tête.
Il a baissé la tête.
Il s’est mis en marche dans ma direction.
Il fut bientôt si proche que j’ai posé ma main sur son front en murmurant des mots doux anodins.
Nous étions ainsi en « conversation » lorsqu’un petit gars est arrivé à la barrière en me demandant qui m’avait autorisée à entrer.
Comme je lui expliquais et l’encourageais à bavarder, il m’a rejoint au point où j’étais posée.
Et le cheval s’est éloigné, il est allé se frotter le derrière contre un bel arbre.
Au milieu du paddock, lui posé sur sa fourche et moi sur ma béquille, nous avons passé un instant.
Puis, il s’en est retourné à son boulot avec mes félicitations pour son attention.
Je pensais sortir à mon tour, mais ma lenteur fut telle que déjà le cheval était déjà revenu juste à mes côtés.
Nous avons repris notre conversation où nous l’avions laissé.
Bref, c’était un pur hasard, mais je pourrais dire que la balance avait un penché en sa faveur avant même d’avoir posé mon derrière sur son dos.

Depuis, j’ai poursuivi les essais.
Ce qu’il faut souligner à nouveau c’est que partager la pension d’un cheval avec une autre personne, c’est s’engager vis à vis d’un couple et ma solitude naturelle doit absolument considérer les obligations qui en découlent.

Il me fallait donc utiliser la minuscule balance virtuelle qui est posée sur le même rayonnage que mes pensées en goguette.
Il me fallait y déposer des étoiles scintillantes d’un côté et de l’autres des cailloux noirs en sachant que les étoiles peuvent s’éteindre et que les cailloux noirs peuvent s’illuminer.
Et revenir à l’évidence : choisir c’est renoncer, c’est avancer et aller où le vent me poussera.
J’ai choisi les bords de Loire.

Maintenant, il me reste à annoncer mon choix, aux personnes qui espéraient qu’il soit en leur faveur et ceci sans les blesser.

Et me voilà partie vers de nouvelles aventures !



Changement de décor

Un passage s’achève, je suis à nouveau à cheval.

Demain, je vais retrouver avec joie le « couple princier » qui parait-il m’attend avec impatience. (photo de la princesse)

En attendant les retrouvailles, aujourd’hui j’ai « essayé » un cheval afin d’avoir l’occasion de monter en semaine comme je le faisais avec le petit appaloosa.

Ce matin donc, je suis allée observer puis monter un cheval dont la propriétaire cherche un(e) volontaire pour partager les frais de pension. Et les frais sont conséquents puisque le cheval loge dans un centre de « bien-être » offrant de nombreuses installations.

Trois couples cheval/cavalière s’offrent à mon attention en ce moment et il va falloir choisir sur lequel je jette mon dévolu.
Deux couples utilisent les installations d’un centre situé au nord de Nantes, un autre utilise les installations d’un club de propriétaires un peu au sud.

Me voilà donc partie pour une nouvelle aventure dans de nouveaux environnements.
Cool et sympa, les environnements, j’ai fait le tri, bien évidemment!
Donc, après avoir fait la découverte et l’exploration de « c’est mieux au pré » mâtiné de « je déteste l’équitation classique », je suis en train de rentrer au coeur du business « équitation classique ». Ici les labels sont rois, dont l’indispensable « bien-être animal » sans lequel les animalistes sur canapé ruent beaucoup trop dans les brancards.

Et bien, c’est pas triste.
Bon… C’est du business
Et ce sont des humains très humains de chaque côté.
De bons commerçants d’un bord, de bons consommateurs de l’autre.
Une fois de plus mon exigence d’absolu se trouve bien bousculée
Et ainsi va la vraie vie,
A la recherche d’un certain équilibre sur le fil tendu entre mes paradoxes.

Funambule plus que jamais,
J’observe,
Je constate.
Par exemple, dans le club du nord, j’interroge le « c’est tellement mieux au pré » en notant que les chevaux les plus chers, les mieux bichonnés et les plus importants, vivent en boxe.
Une petite armée de petite mains est à leur disposition pour maintenir leur matelas/litière impeccable, pour leur permettre de se dégourdir un peu les jambes dans un paddock chaque jour et pour veiller sur leur accoutrement afin qu’il soit adapté à la saison. Nourris avec attention grâce à des aliments appropriés pour chaque régime, je les vois ces chevaux « stars », la tête à la « fenêtre » guettant leur voisin de palier. Attentifs aux humains qui déambulent, ils sont prompts à tendre le cou pour attraper ce qui passe, pour jouer les espiègles ou taper dans la porte afin de se faire remarquer. Souvent aussi, ils font la sieste.
Bien tranquilles à l’ombre, dans le calme de leurs boxes bien propres, j’ignore à quoi ils rêvent.
Ces chevaux là vivent comme au siècle dernier…

Et puis, il y a les autres, le vulgum pecus, ceux qui vivent en troupeau… mais en club.
Il parait que « c’est bien » de vivre en troupeau, les propriétaires en sont certains, et c’est sûrement pas parce que c’est plus économique, non.
C’est seulement plus « étho- logique » selon les préceptes à la mode !
Ces chevaux là vivent sur une plaine terreuse.
Aucune paillasse n’accueille leur repos, ils sont hébergés « à la dure ».
En cherchant bien, au loin de l’entrée, quelques brins d’herbe persistent et « c’est cool » car pour grignoter ils faut qu’ils marchent ces braves chevaux, voire qu’ils fassent la preuve de leur détermination pour grappiller à la place d’un moins entreprenant.
Ils ont l’obligation de s’affirmer, de lutter.
Du foin est déposé dans d’immenses mangeoires, l’eau stagne dans des bacs et dans un coin il y a un distributeur de grains.
Dans cette « écurie » d’un nouveau genre, chaque cheval est muni d’un collier électronique et reçoit sa ration lorsqu’il se présente devant « la machine, c’est à dire que deux à trois fois par jour (selon son régime) le passage du collier électronique devant le badge délivre une dose de granulés.
De fait les chevaux font la queue devant le distributeur.
Certains passent et repassent, espérant sans aucun doute qu’un miracle se produise. En vain.
Et puis, il y a les plus rusés qui campent pas trop loin et rappliquent quand ils entendent le grain couler, poussant celui à qui la ration était destinée pour s’en emparer.
C’est un monde merveilleux où les chevaux sont certainement très heureux comme le sont les chevaux sauvages qui n’existent plus.

Elle est quand même super bien trouvée cette hypothèse selon laquelle la vie sauvage rend heureux.
Impossible de m’empêcher de penser aux humains qui imaginent toujours que l’herbe est plus verte ailleurs !

Quel couple vais-je choisir ?
Sur quels critères ?
J’ai déjà une petite idée.
Mais comment pourrais-je déjà vendre la peau de l’ours alors que je n’ai posé mon derrière que sur un seul des trois chevaux en lice?
Certes, je les ai tous vus.
Certes j’ai déjà bien discuté avec les propriétaires que j’ai aussi vu en selle dans une carrière.
Mais,
C’est un couple que je dois choisir,
Donc,
La patience est de mise.

(à suivre)

Passage…


En vérifiant dans le moteur de recherche du site la présence du mot « passage » j’ai trouvé pas moins d’une trentaine de billets dans lesquels il apparait. Celui-ci arrive en tête
J’apprécie toujours la redécouverte des billets enfouis proposé par cette recherche qui précède chaque plongeon dans la rédaction d’une énième réflexion.

Comme j’ai essayé de le relater en trois articles, je suis en zone de passage.
Vers la suite c’est certain.
Quelle suite ? Je l’ignore.
Quand ?
Encore davantage.

Etrange zone que je tente d’explorer passionnément.
Intensément à l’écoute de mon corps,
… et de plus … et de tant.
Car jamais l’occasion ne s’était ainsi présentée.
Etre incapable de poser sans une intense douleur la jambe droite devant la gauche,
Donc être incapable de marcher avec aisance,
Tout en étant capable de me balader à bicyclette,
Tout en étant capable de nager délicieusement,
Tout en étant capable de m’installer dans mes postures de yoga favorites !

« Monter à cheval, c’est partager sa solitude »
Clément Marty, D’un cheval l’autre, Gallimard 2020

Pour l’instant je suis privée de ces moments de partage, incapable de marcher, comment aurais-je l’audace d’inviter un cheval à marcher sous ma selle ?

C’est là que j’en arrive après ce préambule.
Car c’est autour de ces deux mots « cheval » et « solitude » que s’articulent l’ensemble des réflexions qui passent et re-passent en ce moment, dans ce passage là.

Sans aucun doute, la retraite forcée de ces derniers jours met en exergue ce que j’avais déjà posé dans ce billet là , s’y ajoute l’inexorable quête d’absolu qui est mienne.
Et cette quête m’impose des choix,
Donc des renoncements.

Dès l’incident à l’origine de cette pause forcée, j’ai su que le temps était venu de déclarer à la propriétaire du petit appaloosa la fin de ma contribution.
Je m’étais fixée l’horizon de septembre, mais une fois plus le terme de neufs mois a pointé le bout de son nez sans même que j’ai besoin d’en faire le décompte!
Magie de la Vie !
Ma reconnaissance envers ce petit cheval est gigantesque.
C’est principalement sa non-solitude qui a petit à petit précipité la fin de ma relation à lui.
Il appartient à sa propriétaire.
Il loge chez sa logeuse.
Mon besoin d’absolu fut incapable de s’épanouir dans les « entre-deux » abyssaux qui se créaient.
J’en souffrais en silence, sans oser poser un point final.
Le point s’est imposé,
De lui-même.

J’en suis là.
Gourmande plus que jamais.
Confiante
Inlassablement.








Ubérisation

Conséquence des faits précédemment exposés, c’est la deuxième fois que je me fais livrer de quoi préparer à manger.
C’est cool d’habiter en ville, mon garde-manger peut se remplir plus vite en cliquant sur un écran qu’en allant au magasin!

Je déteste ce principe.
Et pourtant, ces jours-ci, je suis bien contente d’en « profiter ».

Dans le temps, il était possible de solliciter le petit voisin, une petite pièce et hop il était tout heureux de rendre service et puis, la famille était souvent juste à côté, bien obligée de se soumettre « aux obligations familliales ».
C’était « dans le temps », ou plus loin, ou ailleurs.
J’en suis à aujourd’hui, dans les conditions de vie que j’ai moi-même choisi pour mon plus grand bonheur.
De fait,
Ma grand-mère qui affirmait « il faut vivre avec son temps » aurait-elle apprécié cette formidable ubérisation ?
Aurait-elle apprécié le bruit du scooter qui arrive à fond sur les pavés?
Qu’aurait-elle pensé du petit black casqué de noir, habillé de noir, articulant difficilement trois mots de français pour exiger un numéro de code avant d’ouvrir son sac et de délivrer les courses commandées ?
Je l’ignore.

Moi, je déteste.

Mais nous en sommes là. Beaucoup de personnes voyant ma limitation actuelle me disent « N’hésite pas si tu as besoin de quelque chose » ce qui signifie en fait :
« Surtout, hésite bien à me demander quoique ce soit, j’ai autre chose à faire »

Et puis, c’est vrai, j’ai les moyens de payer!
Mais que personne ne vienne me parler d’attention, de bien-être animal, de la fin de l’esclavage parce que j’aurais de quoi argumenter…

D’ailleurs si j’affirme volontiers que les gens sont naturellement serviables, je modère mon propos en rajoutant qu’il faut un peu leur forcer la main.
Parce que l’individualisme est une présence ordinaire.
Mardi dernier, lorsque j’ai sollicité un comprimé d’anti-douleur avant de prendre sereinement la route, j’ai bien senti que la personne sollicitée préférait me raconter sa vie et lorsque j’ai insisté après l’avoir patiemment écoutée, elle sembla tellement exténuée à l’idée d’aller chercher « le truc » dans sa maison (à 5mètres) que je l’ai libérée sur l’air de « Laisse tomber, ça va le faire sans ».
Et quand trois jours plus tard, je lui ai fait un bilan de l’aventure, histoire de lui signifier que je la reverrai pas de sitôt, après m’avoir sollicitée pour l’aider dès que possible, elle ajouta : « C’est bête, tu aurais pu me demander des béquilles, j’en avais à la maison. »

Heureusement que l’échange fut réalisé par message électronique sans nécessiter de réponse, car en direct live, j’aurais difficilement pu retenir un « scud joellien » de derrière les fagots!

Bon, d’accord, en certaines choses, l’absence de choix est flagrante et, oui… il faut vivre avec son temps!

De la décontraction (3)

Ultime billet de la trilogie qui débuta ici.

J7 après l’évènement.
Aujourd’hui, j’ai besoin d’aller m’asseoir sur la plage et de me laisser caresser par les vagues. Je vais y aller.
Evidemment.

J7.
J’ai besoin de la chaleur du soleil piquant ma peau.
J’ai besoin d’horizon.
J’ai besoin d’infini.

J7.

Samedi, sous les mains inspirées de mon amie j’ai imaginé que ce qui s’était passé, quelques jours auparavant, avait bousculé des couches très profondes de mon être. J’imaginais (en dessin animé comme d’habitude) qu’une croûte bien sèche, bien collée au profond de l’intérieur s’était décollée sous l’effet du choc puis brisée, lâchant dans le vide une foultitude de questions que j’avais laissées se stratifier faute d’avoir eu le temps de m’en occuper.

Sous les mains soignantes, ou plus exactement sous « l’entre-deux » subtil jouant son propre jeu entre ma peau et la sienne, milles questions se réveillaient, se bousculaient, fusaient, s’emballait dans toutes les directions sans que je ne puisse ni les saisir ni les formuler donc les questionner vraiment.
J’étais intensément présente face à chaque tentative et parfois je constatais mon opposition involontaire.
J’étais soumise à une force tranquille et douce qui essayait, partait, revenait, réfléchissait, tentait à nouveau sous un autre angle, avec patience, en douceur. J’ignorais tout de son intention et c’était bien comme ça. N’étais-je pas depuis le début sans attente, sans espoir, sans autre intention que l’acceptation?

L’unique pensée qui allait et venait assez clairement pour s’imposer était que ce qui était en train de s’accomplir avait tout à voir avec ce que je cherche à réaliser à cheval : obtenir la décontraction autant que possible et goûter à l’harmonie fugace qui en découle.
C’est mon intention lorsque je suis à cheval tandis que le cheval, lui, n’a aucune intention.
(La gourmandise est une aptitude, peut-être un défaut à moins que ce ne soit un péché capital… C’est très différent d’une intention, n’est-ce pas ?)
Le cheval vit le moment présent et se laisse « manipuler » en cherchant à chaque instant et sans le vouloir comment restaurer un plus grand confort dans ces déplacements qui l’écartent de ses préférences innées. Il peut s’opposer à une force qui l’incommode, et il peut le faire à sa manière de cheval mais sans jamais la moindre intention de nuire.
C’est au cavalier, à celui qui choisit intentionnellement d’encombrer le cheval et de le mettre « à sa main » qu’il convient de changer, d’essayer, de tenter, de réfléchir sans s’appesantir.

Les chevaux m’ont appris la patience et j’ai exercé ma patience professionnellement. Au fil du temps qui passe, j’ai expérimenté la force de la relation à travers toutes les tentatives de communications établies et j’en parle encore à propos des chevaux.
Je sais désormais sur le bout des doigts tout ce qui me définit en temps qu’individu à la fois terriblement semblable aux autres et formidablement unique, plutôt non conforme bien que dépourvue de toute étiquette « anticonformiste ».
C’est faible de ce « savoir » que j’écris chaque mot comme une interrogation.

Après le départ de l’amie, alors qu’un certain mouvement s’était rétabli à la rencontre d’une multitude de microémotions, j’ai commencé à sérieusement porter mon attention en direction des questions libérées.

Par curiosité je suis allée clavarder du côté du symbolisme, fascinée comme toujours par le pouvoir de conviction de certains auteurs en appui sur… rien!
Puis, j’ai regardé encore et encore les descriptions anatomiques, les insertions musculaires, les trajets des faisceaux musculaires pour tenter d’expliquer mes propres défenses provoquant des douleurs fulgurantes.
En vain.
Je peux accomplir des mouvements étonnants sans douleurs et parfois un tout petit mouvement parasite encourage un tendon tendu à crier fort.
C’est étrange.

Hier je constatais un véritable « mieux » avec beaucoup moins de rappels douloureux et curieusement je me suis dit que la douleur me manquait.
C’est complètement fou, non?
Alors je suis allée marcher, sans doute un peu trop loin, bien appliquée pourtant à poser mes pieds bien droits entre les cannes et tellement lentement à la fois.

J’étais plutôt algique à l’heure du repos vespéral.

Mais j’ai super bien dormi, exactement comme je le fais habituellement, jusqu’à l’heure sacrée ; ce sacré moment du milieu de la nuit où je me réveille « normalement » avant de replonger jusqu’à l’aube.

Et aujourd’hui est un nouveau jour,
Un passage vers demain,
Vers l’inconnu.

Il est certain que je tire une leçon de chaque expérience,
C’est ma façon d’avancer vers plus loin.

La semaine dernière je partais monter à cheval.
Aujourd’hui je pars à la plage avec mes questions nouvelles.



De la décontraction (2)

Comme dans le billet précédent, aucune illustration ne vient en préambule.

Après m’être blessée,
Après m’être recroquevillée sur la douleur,
J’expérimente avec bonheur le retour vers la décontraction.

Quelques instant après l’évènement traumatisant, j’ai marché.
Il n’y avait pas d’autre choix.
Marcher, avancer, atteindre ma voiture…
C’était la priorité avant de réfléchir à quoi que ce soit d’autre.
Plus j’avançais et plus mes pas vacillaient mais je restais debout.
Parfois j’arrêtais afin de reprendre mon souffle, de stopper les étoiles qui s’allumaient comme des clignotants inquiétants et je repartais.
J’ai atteint la voiture et le bonheur d’une douleur provisoirement en évasion.
Alors j’ai pu réfléchir un peu.
Et je suis rentrée.
Et je fus incapable de marcher un mètre de plus.

Mon corps avait encaissé, il usait déjà de tous ses stratagèmes pour passer l’obstacle.
Douleur intense à la moindre stimulation de la partie blessée (pour forcer au repos)
Inflammation (pour lancer la cicatrisation)
Sommeil (pour relâcher)

J’ai bien respecté ces lois basiques qui ne s’écrivent nulle part alors qu’elles sont essentielles.
J’ai farfouillé sur la toile, comme il se doit désormais.
Comme d’habitude, j’ai trouvé le pire et le moins pire,
Et comme d’habitude, j’ai agi à ma sauce!

En premier, puisque le temps avait déjà largement coulé, j’ai eu besoin de chaleur sur la zone douloureuse. Et j’en ai mis.
Quelques jours plus tard, j’ai eu besoin des mains d’une amie thérapeute, et je lui ai demandé de venir les apporter jusque chez moi.
C’est en sa compagnie que la décontraction a pu refaire surface.
Et ce fut possible parce qu’il était juste temps.
Avant eût été trop tôt.

J’avais préparé une belle boisson d’été à base d’hibiscus. Une boisson qui exhibait sa robe chaude dans la théière transparente et nous savions l’une comme l’autre qu’il était possible d’y épuiser notre soif.
Puis, sur le parquet de chêne blond, devant la fenêtre illuminée par le soleil, entre la blancheur paisible des grands murs, nous nous sommes installées.
Moi allongée immobile, sans attente, sans espoir, disposée à recevoir ce qui était possible sans savoir ce qui serait possible.
Elle pouvait bouger tout autour, glisser sur la parquet, utiliser tous les coussins nécessaires.
Alors, il n’y avait plus rien à dire.
Nous avons l’une et l’autre fermé les yeux.
Et le ballet fut.
Silencieux.
Il se dansa mobile et immobile,
Il se joua dans l’interface où tout se joue.
Et après bien plus d’une heure,
Il prit fin.

Alors nous avons partagé nos actualités, bavardé de choses et d’autres, vidé la théière et elle a pris congé.

Dans mon corps, je sentais circuler la vie jusque dans les moindre recoins.
Je savais que j’entrais dans la phase laborieuse où il est à la fois nécessaire de cultiver la patience et à la fois important de s’émerveiller de chaque petit progrès.

Dans le billet suivant, sur ce sujet de la décontraction, je vais passer de l’autre côté des faits palpables et entrer dans le monde merveilleux des questions faisant écho aux questions, ce monde qui fait agréablement vibrer mon quotidien au long cours.

(A suivre)