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Ecouter pousser les fleurs (2)

Le héron s’est envolé.
En entendant huer des cris rauques, j’ai levé les yeux. Ils étaient trois, tournoyant au dessus du bassin Saint Félix.
Le conflit était déjà réglé lorsque j’entrai au Lieu Unique.

J’ai pris un café au comptoir avant de m’avancer vers « la » personne.
Il était temps de monter au pic,
Je n’avais aucun moyen d’évaluer ni la hauteur, ni la puissance de la vague.
Je savais seulement que j’étais au bon endroit à la bonne heure et que la suite était à vivre.

Une heure plus tard, nous nous sommes salués sur l’idée d’un nouveau RV à la fin du printemps.
En passant j’avais noté les mains fines, parlantes et sensibles de mon interlocuteur.
J’avais aussi souri à l’intérieur en constatant sa prise de notes semblable à la mienne.
Une prise de note sur papier volant attrapé au vol quand l’urgence de noter le nécessite.
Une prise de note en « puzzle » où les petits carrés côtoient les rectangles plus ou moins allongés, à l’endroit et à l’envers parce que la feuille se remplie et que le moindre espace est utilisé.
Tout en répondant à ses questions, je le regardais.
Je voyais des reflets silencieux passer dans ses yeux, je le voyais alternativement écrire ou écouter.
Consciemment, Je posais des « blancs » observant ses « relances » et, en même temps, je l’imaginais en train de jouer avec ce puzzle dans le but de ranger ses réflexions.
Je me voyais dans cet exercice si souvent exécuté après un recueil de données, tournant ma feuille dans tous les sens, barrant d’un trait diagonal chaque carré exploité…
« La prochaine fois, si tu veux bien, je ferai un enregistrement » avait-il conclu avant de me saluer en ajoutant : « Si tu viens au spectacle, tu verras comment je travaille »

Je suis partie tout droit vers l’exposition.
« Le point de vue de nulle part – semiconductor »
Il faudra que j’y retourne, j’ai adoré!
Ne suis-je pas une spécialiste en matière de point de vue de nulle part?

L’histoire aurait pu s’arrêter là.
Je me moque de savoir si un nouveau contact verra le jour ou non.
Je ne connais rien de plus au sujet des objectifs artistiques de cette personne et j’ai la conviction qu’il ne sait pas encore quel sera l’usage donné aux matériaux collectés.
Quelque chose murmure que nous étions l’un et l’autre en train d’écouter pousser les fleurs.
Et même en écoutant avec beaucoup d’attention, il reste impossible de savoir à quoi ressemblera la fleur, il reste même impossible de savoir si elle verra ou non le jour.

L’histoire aurait pu s’arrêter là.
Mais… je suis curieuse et n’ayant pas de programme spécial pour le vendredi soir, j’avais décidé d’aller écouter « l’aparté », un entretien entre lui et la directrice du théâtre.
En ligne, je n’avais pas pu trouver de place libre pour le spectacle. D’abord rien ne me disait que j’avais envie d’aller au spectacle, je suis tellement plus fan du spectacle de la vraie vie que des montages bien léchés et tellement trop conceptuels.

Arrivée dans le hall, cinq minutes avant l’heure, je l’ai vu.
Il terminait son sandwich en se léchant les doigts.
Nos regards se sont croisés et j’ai fait un signe de la main comme j’aurais fait « coucou » à un enfant.
Chacun a fait un pas vers l’autre.
« Tu t’es perdue? »
J’ai pas compris cette question. J’ai répondu :
« Je suis venue à pieds »
Il a enchainé :
« Tu viens voir le spectacle?
-Ben non, seulement l’aparté
-Faut que tu viennes au spectacle »
Et il m’entraina devant la billetterie pour trouver une solution.

Il ne me restait plus qu’à envoyer un sms à la maison pour dire que j’allai rentrer plus tard que prévu et qu’il fallait, en conséquence, fermer les volets.

Le plus amusant dans l’histoire, c’est qu’il s’est mis à pleuvoir et que la question de rentrer à pieds, soit 45mn sous le pluie sans équipement spécial, se posait.

Donc quand, me dirigeant vers la bar pour boire une bière en attendant le spectacle, une dame me demanda : « On s’est déjà vues, non? » tout en déclinant sa spécialité ; j’ai saisi l’occasion en rétorquant : « Je sais pas... En conférence, c’est possible… Au fait, je cherche quelqu’un pour me ramener à la maison après le spectacle… Je suis venue à pieds et il pleut... » et hop, le problème du retour était résolu.
Deux minutes plus tard, son homme la rejoignait dans la queue vers les bières et les frites.
Immédiatement nous nous sommes captés sur la même longueur d’ondes… Une histoire de vie, de mise au monde de respect réciproque… encore… toujours…
Cet homme là, j’en avais beaucoup entendu parler sans jamais le rencontrer ni avoir envie de le rencontrer. C’est la faim et la soif qui nous a déposés l’un à côté de l’autre ce soir là!
Dans le même temps, la directrice du théâtre s’approchait avec l’idée de me présenter… comme par hasard… aux deux personnes avec qui je parlais déjà.
Que dire sinon que j’ai parfois l’impression de surfer dans un monde parallèle!
Et qu’ajouter sinon que j’aime ça?

La vie d’artiste

Copyright C.B, artiste non déclaré

Ainsi va la vie d’artiste, que le talent ne porte pas de nom mais se contente de laisser fleurir l’émotion à la grâce de l’instant.

A l’instant même où cette photo s’est affichée en grand écran sur mon laptop, le frisson qui se levait grandit encore. La légende indiquait « trouvé sur le net » sans le moindre copyright associé.

A mes yeux, une image aussi belle ne pouvait cependant qu’être l’oeuvre d’un artiste au regard de poète, un artiste patient sachant accrocher la lumière quand elle passe et disposant, en plus, de moyens techniques très pointus.
Rien qu’à l’idée de penser que cette merveilleuse photo allait être partagée, que d’autres allaient peut-être se vanter de l’avoir créée, je sentais poindre l’épée de l’injustice.
Et l’injustice est mon ennemie, le « truc » qui me fait sortir de mes gonds en toute circonstance.

Il me fallait trouver la source, féliciter et honorer celui/celle qui avait capté, affiné et partagé ce chef d’oeuvre (de mon point de vue), j’étais incapable de me contenter d’un « trouvé sur le net » pour tout un tas de raisons très résonnantes, donc raisonnables.

L’enquête fut lancée illico.
Et l’affaire fut très rapidement résolue, j’ai pu féliciter l’auteur en direct.

Pour autant j’ai poursuivi la navigation dans le ressac conséquent levé par diverses réflexions dont j’ai le secret.

Il faut avouer que cette question de la définition du  « statut d’artiste »  flotte souvent, entre deux eaux au milieu des pensées en vadrouille.
Un seul billet avait vu le jour à ce sujet jusqu’à présent.
En voici en second.

Mais tout d’abord, alors que je vais m’abstenir de définir le mot « artiste » (afin d’épargner des lignes de surcroit non exhaustives) je partage une réflexion au sujet du statut de héros. Pour certaines personnes, certains artistes ne sont-ils pas portés au nues comme leurs héros du quotidien ?

Finalement tout est dit en quatre minutes!

Mais… je suis bavarde!

Il était une époque pas si lointaine où rien ne valait mieux qu’un boulot fixe, un petit gagne-pain régulier sans beaucoup d’ambition et cependant indispensable. Les parents rêvaient en imaginant leur rejeton prendre la relève de la petite affaire familiale.
Aucun de leurs rêves les plus fous ne voyaient la « vie d’artiste » comme une chance pour l’à venir.
C’est qu’il n’y avait aucune différence, ou si peu, entre la vie d’artiste et celle de saltimbanque, de bohémien, de sans domicile fixe, de sans le sou, de pauvre hère.
Et voilà que nous sommes entrés dans un nouveau siècle.
Et voilà que dès qu’un enfant chante mieux que faux, on le voit déjà sous les sunlight
Et voilà que dès trois vers posés sans disharmonie, on pense déjà à en faire un recueil à succès.
Et voilà que dès les premiers coups de pinceaux, dès les premières notes envolées, beaucoup se rêvent artistes à nul autre pareil, donc very succefull!

Et c’est la précipitation.
Et c’est la voie.
D’aucuns y voient une chance de gagner beaucoup d’argent à l’horizon.
Car, c’est une réalité, les « grands » artistes sont assez semblables à des « chefs d’entreprise » et disposent de nombreuses personnes travaillant dans leur ombre.

Las.
Les places sont rares, très rares.

Les artistes qui ont pignon sur rue restent l’exception. Quant à passer à la postérité, quant à survivre 50, 100 ou mille ans, c’est encore une autre histoire!
Comme pour les héros, ce ne sont pas des humains qui sont portés au statut d’artiste, c’est seulement l’histoire qui s’écrit/s’écrira à leur sujet, une histoire faite pour se propager et attirer et faire parler ou rêver au long cours.

Pourtant,

Pourtant, dans ce monde mondial,
Sur la toile gigantesque virtuellement tressée, pas un jour ne passe sans que je croise des oeuvres que je peux sans conteste nommer « oeuvre d’art ».

Quid des « artistes » alors?
Et quelle différence entre artiste et artisan?
Ne sommes nous pas tous, un jour ou ‘autre, artiste/poète, artisan/bricoleur, artiste/bricoleur voire poète/artisan?
J’en suis certaine!

Le « métier » d’artiste oblige à produire. C’est alimentaire, puis, c’est aussi une lutte contre l’oubli, une lutte pour la survie du « métier ».
La production s’associe difficilement avec la grâce.
Avec la constance de l’état de grâce.

Les anonymes, eux sont libres, libres de poser leurs regards, leurs notes, leurs pinceaux, libres de les promener, de les exposer sans le moindre risque, les anonymes exercent un métier ou une activité qui n’a rien à voir avec leur don artistique , un métier simple ou glorieux, une activité nourrissante ou marginale, peu importe.

Ils sont financièrement libres et c’est ce qui permet à la grâce de poser son coup de patte.
Compter ne sert à rien dans ce domaine.
Il n’est question que d’élan, de passion, de plaisir.

« Ils peuvent tout faire entrer dans leurs calculs sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains. »
Christian Bobin, Ressusciter, Editions Gallimard 2001, ISBN 2-07-042710-2

De l’ile aux enfants à la jungle virtuelle

Après quatre semaines partagées entre marches solitaires et marches accompagnées,
Après quatre semaines sur une île où l’horizon est si proche que ma curiosité doit se contenter d’insignifiants détails pour se nourrir insatiablement,
Après ces quatre semaines,
Et la suivante,
Il y eut « la semaine sur l’île aux enfants ».
L’île aux enfants?
Oui, et sans aucune marionnette, seulement en compagnie de A, J, L, et la présence bienveillante de Y et V.
Quand je parle d’enfant,  je ne propose aucune définition chiffrée, je parle plutôt d’un passage de vie où l’impact sociétal est minimaliste,  où tout peut arriver et particulièrement l’imprévisible.
Quand j’écris « présence bienveillante », c’est afin de mieux éclairer tout l’espace de liberté offert pour laisser s’exprimer la puissance de l’imprévisible tranquille.

Mon contact avec « le monde » se limitait à la recherche de victuailles à « l’HyperDino » du coin de la rue qui tient plus de la supérette que de l’hypermarché suburbain.

Bien évidemment, les livres était à mon chevet.

Dans cette « bulle » où n’existe que la réalité brute, fusse la réalité d’un moment totalement imaginaire, dans cet espace temps soumis à la seule météorologie du ciel, c’est à dire celle qui vient sans prévenir, celle qui mouille, qui décoiffe, qui bouscule sans la moindre arrière pensée, là tout n’est qu’enseignement et apprentissage partagé.
Simple.
Inutile de signifier que le ciel est bleu, il suffit de lever les yeux, il est là et chacun se moque bien de le décrire, de lui donner couleur ou consistance : il est là.
Inutile d’expliquer le vent, il suffit de sortir, d’aller contre ou avec : il est là.
Inutile de commenter la force des vagues, il suffit de marcher sur la plage, de se faire mouiller, de se laisser happer, d’attendre sans lutter, de reprendre pied et de marcher à nouveau.
Inutile d’utiliser les mots « savants » et « universitaires » inutile de traduire en mal-interprétant, il suffit de sourire en entendant A parler d’algorithmes, en saisissant un « merci » sorti par mystère de la bouche de L. et un « mas » venant de J. désirant faire un tour de plus… de sourire, comme une complice, une compagne, une passante… et chacun se sent entièrement compris, dans l’instant et ce qu’il contient.

Alors, en atterrissant dans la jungle aéroportuaire, puis dans la jungle urbaine, puis dans la jungle de derrière l’écran du laptop, en atterrissant là-dedans… il me faut fermer les écoutilles, il faut obliger mes sens à « rentrer dans la norme », à voir « comme tout le monde », à « entendre » sans trop sursauter, à sentir sans irritation, à éviter de me laisser toucher de trop près, etc, etc…
Et s’il « faut », si c’est absolument nécessaire, c’est bien parce que la vraie vie est ailleurs.

Entendons nous bien, oui, elle est aussi dans la jungle la « vraie vie », oui. Elle n’a pas de limite si précise autre que métaphorique, oui, je sais cela.
Mais tout en le sachant, j’ai besoin, à chaque « retour » d’une piqûre de rappel et sans doute est-ce lié à l’âge qui avance, cette piqûre est à nouveau douloureuse.
Plus que devant la « misère dans le monde », la « guerre », « les injustices faites aux minorités », la « souffrance animale » et tout « ces trucs conceptuels » privés de réalité proche et palpable, j’ai mal et j’ai de la tristesse en constatant à quel point l’effet du « rouleau compresseur » sociétal est puissant.

Ce qui se dit, ce qui se joue

 

 

Pavé du jour!

Afin de tenter de me faire « comprendre », je viens de fouiller un ouvrage de Robert Misrahi.
Un peu comme si j’avais tenté de me raccrocher à une bouée.
Je viens d’en feuilleter les pages à la recherche d’un passage, d’une phrase qui a elle seule aurait pu contenir tout ce que j’ai à raconter, comme si j’espérais découvrir chez un philosophe, un contemporain plus ancien, un mille fois plus érudit, une baguette magique. Une baguette qui permettrait de faire entrer dans « mon » monde les personnes qui croisent ma prose.
En vain.
Il fallait cependant que je passe par là avant de me lancer.

Hier, comme chaque mardi, j’étais « en ville ».
« En ville », c’est à dire loin de mon impasse paisiblement ouverte, loin du jardin.
Hier, le planning était potentiellement chargé.
J’en avais décidé ainsi, j’aime remplir certaines journées un peu plus que possible, c’est une invitation à la souplesse.
Pour donner une suite au mardi précédent qui faisait suite au lundi précédent, un rendez-vous était sagement noté dans mon agenda, à l’heure où j’aurais pu rentrer à la maison.
Je savais confusément que c’était du vent, que la personne ne viendrait pas.
Confusément.
Donc, je savais aussi que j’allais y aller un peu à l’avance, que j’allais attendre l’heure dite et même largement davantage.
Je sais que la communication est difficile, d’autant plus difficile que les langues maternelles sont différentes, d’autant plus  improbable que les « mondes »  sont éloignés.

J’ai adoré rester assise au soleil.
J’ai souri en constatant l’absence du moindre signe par écran interposé.
J’ai joué avec mon téléphone, tentant même un redémarrage pour le cas où la réception aurait été bloquée.
J’ai attendu.
Le soleil était doux, le silence était absence.
C’était une expérimentation.
Si j’avais posé une hypothèse confuse, j’acceptais sereinement l’arrivée d’une contradiction.
J’étais disposée à écrire n’importe quelle argumentation.
Toutes les conclusions sont valables et précieuses, et les plus imprévisibles sont les plus fascinantes.

Hier, l’hypothèse de départ s’est révélée être celle d’arrivée.
Personne n’est arrivé.
Alors, j’ai décollé.

En digression, j’ai envie de parler de vendredi soir.
Vendredi, j’étais allée jouer la grand-mère auprès de mes petits enfants à l’heure du coucher où leurs parents avaient à faire.
L’aînée tirait au maximum sur ma patience, refusant obstinément l’idée de repos, impatiente qu’elle était d’attendre le retour de son père pour aller au lit. Elle avait entendu dire qu’il serait là « pour l’histoire du soir » et peu lui importait l’heure qui tournait, elle tenait à son rendez-vous et je l’entendais parfaitement.
Son imagination débordait de trouvailles innovantes que je saisissais ou non, jouant au roseau qui danse dans le vent comme j’aime le faire.
Soudain, elle déclara :
« Le soir j’ai le droit de manger un bonbon. »
Et ce « droit » aussi soudain que surprenant me paru néanmoins plausible. C’est un « droit » que j’aurais pu accorder dans le temps à mes propres enfants, « un droit » soumis bien entendu à un sérieux brossage des dents.
« Ok. Ils sont où les bonbons?
– Ils sont là. (en ouvrant le placard, je découvris le stock de bonbons d’anniversaire. Je savais qu’ils étaient distribués avec parcimonie et pourquoi pas, justement, un chaque soir?)
– Ok, donc je te laisse en choisir un.
– Un rose…
– Ok, parfait, maintenant, je range. »
Et le temps poursuivit sa course lente jusqu’à l’arrivée du papa tant attendu.
J’avais réussi à faire enfiler son pyjama à la princesse. Elle attendait « son » histoire et c’est tout ce que j’avais à faire comme « compte-rendu », la soirée s’étant finalement passée « normalement », sans anecdote particulière.
J’ajoutais cependant « Ah, oui, et puis on a déjà lavé les dents. Un super lavage des dents parce qu’elle m’a demandé le « bonbon du soir »! »
Au sourire de mon fils, j’ai bien compris que je m’étais laissée tendrement emberlificoter avec cette histoire de « bonbon du soir ».

Hier, j’avais rendez-vous avec un grand adolescent majeur.
Je l’avais rencontré une première fois le mardi précédent.
Je l’avais rencontré suite à une conversation amicale. Le lundi précédent le mardi précédent, une amie avait pensé qu’il serait « content » de me rencontrer.
Elle m’avait parlé de lui en deux mots que j’avais soigneusement enregistrés.
Selon mon habitude, j’avais pris soin de préciser que dans le genre « maman-poule » je suis très « mauvaise », préférant de loin répondre aux sollicitations que proposer une « réponse à une non-demande ». Riche de cette réalité, la douce amie avait conclu « Pour la première fois, quand même, il vaut mieux que ce soit toi qui prenne contact, je t’envoie ses coordonnées et je le préviens de mon côté. »
Ok, j’étais tout à fait d’accord.

Dès le lendemain, un mardi matin, j’ai mis le pain sur la planche, il faut battre le fer quand il est chaud à ce qu’affirme le proverbe.
J’ai donc préparé le terrain auprès du protégé de mon amie en prévenant par sms que j’allais appeler en début d’après-midi.
Un sms indiqua illico que le « contact » était établi.
En début d’après-midi j’ai appelée comme promis et nous avons fixé un point de rencontre et une heure de rencontre à sa guise, le jour même.
Après 15mn d’attente à l’heure et à l’endroit proposé par lui, après quelques sms échangés pour valider l’approche, j’ai vu le petit gars apparaitre.
Je l’ai invité au chaud et nous avons bu un café.
A mes yeux, il ne portait aucune étiquette, il n’était ni noir ni blanc ni jaune, c’était un petit gars que je regardais droit dans les yeux comme n’importe quelle autre personne.
Je constatais d’emblée son français à peine accentué, un « bon » niveau de français en apparence.
Je constatais très vite la pauvreté de son vocabulaire.
Je lui proposais de parler en anglais, l’anglais étant la langue officielle de son pays d’origine conjointement avec l’arabe littéral (l’arabe dialectal étant la langue parlée au quotidien… mais c’est une autre histoire…) et il déclina.
Il me restait l’immensité des autres langages à interpréter.
Car, il n’existe jamais d’autre issue que l’interprétation.
Et rien n’est plus subjectif que l’interprétation.
Habitué qu’il est aux interrogatoires, il était clair qu’il avait enregistré ce qui est vital pour lui.
Je captais rapidement son intelligence, sa capacité à évaluer la situation et à se positionner en fonction.
S’il m’était possible de lui « apporter quelque chose », je devais trouver quoi.
Avec la délicatesse d’une exploratrice en milieu fragile, je naviguais entre les réponses préfabriquées et les scintillements de vérité qui explosaient au détour de la conversation.

Rapidement, il ne fit aucun doute qu’il s’ennuyait ferme et qu’il n’avait qu’une hâte : me fausser compagnie.
Une fois libéré, après avoir poliment acquiescé à la proposition d’un prochain rendez-vous, il s’est enfui, vérifiant ma présence derrière lui et hâtant le pas afin que je ne le rattrape pas. J’ai fait demi-tour afin qu’il ne se sente pas « suivi ».

Dans ma tête, restaient les questions face à mes expériences passées, restaient les questions au sujet de l’à venir absolument inconnu. Je notais consciencieusement ce qui pouvait être noté avant que ma mémoire ne déforme les souvenirs.
Pragmatiquement.

Le semaine s’est écoulée sans le moindre sms de la part du jeune homme.
Embarquée par le quotidien, je l’ai oublié.
C’est en regardant mon agenda que la mémoire m’est revenue, j’ai soigneusement noté que ma journée de mardi était bien remplie.
Dans le même instant, j’ai pensé que, vu le silence radio,il était fort probable qu’elle serait plus ouverte en réalité que sur le papier.

Il faisait super beau hier.
Le soleil rayonnait de toutes ses forces hivernales.
La brise caressait la Loire avec une infinie tendresse, imperceptiblement.

J’ai attendu, sagement.
Point blanc sur un point stratégique, visible 330° à la ronde, je pouvais guetter en balayant cet angle immense.
L’ombre a balayé les pavés.
Et j’ai décollé.

Quand, dans la soirée l’amie du lundi m’a fait remarquer (avec un smiley « clin d’oeil ») que j’étais absente au rendez-vous, j’ai souri comme je souris devant une surprise que j’attendais.
Par curiosité quasi « scientifique » je lui posé une question précise. Une seconde question fit suite à sa réponse, sans autre réponse que celle-ci : « Je ne sais plus exactement… ».
Il ne me restait plus qu’à tenter ma version dans le cadre tellement étroit de « messenger ».

Je sais si fort qu’il n’y a rien à dire, rien à faire pour raconter la force de l’expérience.
Comprendre est un mot qui en français signifie étymologiquement « prendre avec soi ».
Comprendre est différent d’entendre.
Entendre est différent d’écouter.
En français.
Et dansent les questions en ronde folle.