Il y a quelques semaines G. , poète reconnu, me fit l’amitié de partager un moment de son temps lors d’un passage à Nantes. Ce fut bref. Mais comme c’est toujours le cas lorsque la relation est sincère, ce fut intense et délicieux. Une fois dans le train qui le reconduisait dans son sud-ouest, il m’envoya un message qui contenait ces lignes : « Lors de notre bref échange, je me suis aperçu que nos mémoires n’ont jamais cessé de dialoguer. Là réside l’essentiel sur cette terre des vivants » Est-il utile d’ajouter que je fus immensément touchée ? Est-il utile d’ajouter que cet ami garde, du fond de son Afrique natale, un puissant et réel lien à ce qui a été presque entièrement radié de notre vivance citadine ? Est-il utile… ? Il était vain d’ajouter quoique ce soit. Il reste vain. Dans la vibration du présent, l’onde de la réalité s’agrandit, Simplement.
Ce matin, le soleil illumine mon appartement. La lumière exacerbe l’ombre et fait scintiller la poussière accumulée.
Dans un élan, J’ai sorti le chiffon afin de soulever cette poussière, Afin de la mettre en mouvement, D’initier une respiration printanière. Ce faisant, j’ai caressé chacun des chevaux présents, Tout d’abord machinalement dans un geste assuré de ménagère, Puis d’un coup, Les paroles de G. ont fait surface, J’ai regardé le cheval en bronze que je tenais à pleine main, Ce cheval que je vois maintes fois dans chaque journée,
Ca fait quelques années que j’ai commencé à faire des tas de cailloux en passant, des tas en équilibre précaire qui ont pour mission de s’écrouler dès que j’ai le dos tourné à moins que je ne les démonte après la captation d’image si ni le vent ni les vagues ne peuvent s’en charger.
Pour écrire ce billet j’ai une fois de plus plongé dans les entrailles de ce blog, à la recherche de billets plus anciens, de souvenirs ou d’arguments déjà avancés. J’ai retrouvé Melchior avec plaisir mais il y en a tant d’autres, celui-ci par exemple et d’autres et d’autres. C’est que je suis inquiète à l’idée de radoter et puis, finalement je suis heureuse de lire qui je suis depuis un bout de temps, racontant toujours les mêmes histoires en les pimentant du présent tout en les conservant à mon image.
J’ai déjà titré « Points de vues« . A deux « S » près, cette fois-ci je questionne davantage.
Davantage et plus loin, je questionne l’équilibre. D’équilibre aussi il est souvent question dans ce blog jusqu’à parler de l’effort nécessaire pour y parvenir. Maintes fois, mille fois, dix milles fois au cours d’une journée nous sommes en équilibre et nous passons d’un équilibre à un autre sans nous en apercevoir sans le noter, aussi automatiquement que nous marchons. nous passons d’une posture à une autre et cela nous semble si « normal » que nous n’y prêtons aucune attention.
Donc.
Quand je construis un tas de cailloux, je recherche un équilibre éphémère. Et, Je suis attentive au point de vue, c’est à dire à l’angle sous lequel je vais capter l’image afin que la fragilité de l’équilibre soit bien visible. Une fois que la construction me parait achevée, je tente de l’enregistrer dans mon APN, espérant que j’en garderai le souvenir préalablement imaginé. C’est difficile car entre l’imagination, la réalité et l’image enregistrée, tout un registre s’écrit. Si le vent m’en laisse le temps, je tente parfois de prendre une photo sous un autre angle, histoire d’avoir un point de vue différent.
L’autre jour, dans la lumière d’avant le crépuscule, dans la paix d’un lagon vidé par la marée, j’ai joué avec les cailloux et la lumière. La photographie visible sous le titre de ce billet fut celle que j’ai prise juste avant de tourner le dos et d’entendre le « plouf » caractéristique d’un « démontage automatique ». Le point de vue est donc celui que je n’avais pas prévu enregistrer, le côté pile en somme. En le regardant le soir sur grand écran, il m’apparu d’une grande stabilité. Impossible de passer à côté de cette notion de « point de vue » alors. Je connaissais la fragilité de mon édifice, je l’avais entendu s’écrouler spontanément sous la faible brise du soir et surtout j’avais l’autre point de vue sous les yeux.
Je voyais ce point « faible » et « fort » à la fois sur lequel reposait une bonne partie de l’édifice. Ce point terriblement fragile.
Comment oublier que la vie toute entière est ainsi construite, en équilibre entre forces et faiblesses ? Comment oublier que tout est question de point de vue ? Comment faire abstraction de la relativité en toute chose, de la variabilité des points de vue, de l’incessant renouvellement des postures ?
Définitivement, c’est en questionnant toujours plus loin que j’avance, en équilibre (forcément instable) sur le fil tendu entre mes paradoxes.
Le phénomène était latent depuis un bon bout de temps. Les personnes qui, comme ma pomme, se baladent sur la toile depuis avant la naissance des réseaux sociaux, avaient déjà constaté la multiplication d’articles « soit disant érudits » concoctés à base d’articles « copié-collé » parfois tels quels (Et tant pis s’ils sont déjà obsolètes). De fait, ces spécialistes auto-proclamés se « spécialisent » d’autant plus vite qu’ils savent mieux se mettre en vitrine.
Ces dernières années, ce fut l’explosion. Certainement grâce à la pause générale organisée par sa majesté SARS-CoV-2 éme. Il fallait bien s’occuper!
Dans tous les domaines, les meilleurs « spécialistes » sont reconnaissables car ils communiquent presque uniquement par vidéo, souvent interminables, lesquelles naviguent sur la toile grâce à des titres « putaclic », une autre de leurs caractéristiques. Pour les suivre, il est non-utile de se fatiguer à lire plus de cinq mots, ceux du titre… Ensuite voguent les paroles…
Mais il existe aussi tout un tas de « spécialistes » beaucoup plus discrets, de ces personnes qui se font un point d’honneur de propager les informations qu’elles pensent détenir aussi fort qu’une vérité écrite noire sur blanc sur l’écran de leur smartphone. Même avec un moteur de recherche hyper bien dressé, il est inévitable de « tomber » dessus dès que la recherche se fait un tantinet imprécise. Et c’est souvent que ce qui m’arrive lorsque j’essaie désespérément de déterminer le nom des fleurs dont je collectionne les images.
Je trouve, sur la toile infinie, « tout » et « le contraire » que je tente de démêler patiemment à la lumière de mes minuscules connaissances d’amatrice. Tout aussi inévitablement je finis toujours par trouver un billet réellement spécialisé, documenté et bien sourcé, lequel me laisse invariablement dans la plus complète expectative car je ne dispose jamais des minuscules éléments nécessaires pour affirmer un peu de certitude. En effet, jamais je n’ai coupé une tige pour évaluer la proportion de son épaisseur rapportée à la lumière qui la traverse ; jamais je n’ai prélevé un peu de la fleur afin d’établir une carte génétique, jamais je n’ai mesuré la largeur d’un labelle, etc, etc… Ainsi, je reste généralement dans l’incertitude et je garde (sagement ?) les souvenirs et les images pour moi seule.
J’en arrive inexorablement à conclure que plus j’en apprends et plus s’agrandie la conviction que j’ignore à peu près tout. Et croyez le ou non, ça me remplie de joie!
Ces derniers jours, alors que mon emploi du temps s’élargit royalement, j’ai entrepris de mettre à jour mes fiches orchidéennes. Pour moi, c’est un moyen de « faire le point » et alors que fleurissent les dernières belles de la saison (Spiranthes spiralis) je rêve déjà aux balades de l’année prochaine, à la recherche de celles que je n’ai pas encore croisées. Autant dire que si j’essaie d’apprendre toujours plus loin, c’est en temps qu’amatrice je le répète au fil des articles. Amatrice, certes mais avec un fond d’exigence qui fait que j’écris moi-même la prose, posant des liens éventuellement, toujours en cherchant davantage à encourager chacun à l’exploration et ceci avec l’intime conviction que pas grand monde ne regarde ce que je raconte.
Et ce faisant, résonne dans mes souvenirs récents les mots prononcés dans une autre langue « si, si yo lo sé » suivis à chaque fois de « je l’ai vu dans un documentaire » (je vous fais grâce de la version originale). A chaque fois je me suis trouvée sans répartie aucune face à la petite bonne femme ignorant encore tout de la lecture et de l’écriture. Comment lui expliquer qu’elle se trompait, comment lui expliquer que les documentaires sont des films de cinéma et que la vraie vie ne peut que se vivre, et qu’elle est d’une folle complexité?
A chaque fois, j’ai pensé à tous ces « spécialistes » qui « googleuent » plus vite que leur ombre, affalés dans leur canapé, afin d’expliquer le monde et la vie à qui veut bien les écouter…
Depuis longtemps, je suis particulièrement sensible à ce qui se passe dans les espaces où il est habituel de ne rien décrire.
Ces espaces sont multiples, ce sont des espaces temps, des espaces lieux, des espaces palpables ou indicibles. Ils sont omniprésents et n’emportent que rarement notre attention. Lors d’un voyage, par exemple il est habituel de considérer uniquement ce qui s’est passé « là-bas » et ce qui se passe, se passait ou se passera « ici ». Dans les aéroports, je me laisse volontiers flotter dans l’entre-deux qui est constitué par l’attente des bagages. Je me souviens des reproches qui m’accueillaient parfois à la porte de sortie « Ben dis donc, tu as pris tout ton temps! » Oui, j’avais pris tout mon temps, j’avais eu besoin de sentir, de ressentir, de laisser monter tout ce qui est à enregistrer dans l’espace « qui n’a pas d’importance », dans cet endroit où il ne se passe apparemment rien d’autre que le défilement des valises sur un tapis et pourtant tant et tant. Qu’elle est difficile à comprendre cette non-hâte. (autre exemple, celui de l’ultime bivouac de 2012)
L’exemple de la mise au monde d’un enfant est tout aussi éclairant. Les projecteurs sont dirigés vers la gestation, puis vers le nouveau-né. J’ai toujours été touchée par l’entre-deux, c’est à dire ce moment absolument remarquable où une partie du corps de l’enfant est sortie quand l’autre est encore à l’intérieur de la mère. Le petit humain est encore foetus d’un côté et déjà bébé de l’autre. J’ai toujours pensé que c’est un moment liminal entre la naissance et la mort, un moment dont la puissance est formidable. Un moment où s’exprime la Vie toute entière. Et en routine, c’est à ce moment que se concentrent toutes les paniques, toutes les hâtes, au point d’annihiler au maximum tout ressenti de l’espace fascinant qu’il représente.
Et que se passe t-il dans l’espace entre deux personnes? Dans ce « rien » qui est tout sauf du vide. Certaines personnes, même inconnues l’une de l’autre peuvent s’approcher très près l’une de l’autre, face à face sans ressentir le moindre trouble. D’autres ont besoin de conserver une distance pour se sentir à l’aise, comme s’il existait « un truc » impossible à compresser entre elles et l’autre. Je me suis beaucoup amusée à observer « ça » tout le temps de l’évolution du règne de sir Sars-Cov 2ème : alors que des obligations de distances étaient partout affichées, les « entre-deux » étaient très très variables, sans doute à la mesure du ressenti des personnes, au-delà d’un quelconque raisonnement.
En réfléchissant plus attentivement, le titre de ce site m’a sauté aux yeux : passage!
Oui, entre deux, il y a bien le passage de l’un à l’autre et c’est tout à fait ce qui est important.
Dans un bouquin, en 2008, j’avais écrit ces mots : « Le plus grand enseignement que j’ai reçu d’un maitre en yoga fut celui qu’il ne donnait pas » C’est à dire que ce que j’avais appris était tout entier contenu entre nos deux présences et la réalité de ce qui nous avait rassemblé. Juste une page avant, il y avait « ça » : « (…) Et je pense au grand écart du funambule entre les racines et les ailes Donner la vie ? Jeter dans l’entre-deux ? Entre la naissance et la mort Où les lisières sont invisibles Où se dansera la mémoire D’une existence pleine et contenue Toute entière Dans une promesse » J’aime les lire aujourd’hui et constater que le sens reste le même.
Alors me vient l’image si précieuse d’un duvet posé à la surface de l’eau, sur l’immensité d’un lac ou de l’océan. Combien de fois ai-je stoppé ma course pour m’y arrêter, pour observer, fascinée ?
Car, en s’approchant très près, sous le duvet si léger, la trace de la présence de l’interface est visible, un léger creux, une surface non horizontale à la surface de l’eau supposée la plus horizontale. Entre l’eau et la plume il « se passe quelque chose » sans que ni l’eau ni la plume n’aient une quelconque intention. Entre l’eau et la plume il se passe quelque chose qui existe, qui est observable seulement parce que c’est cette eau là, ce jour là et cette plume là à cet instant précis.
Oui, ça me fascine. C’est une émotion, c’est à dire un précieux mouvement de mes pensées qui entre en scène à la vue d’un duvet posé à la surface de l’eau. Chaque fois, dans les arcanes de mon cerveau se forment instantanément et simultanément plusieurs dessins animés sur le thème de l’interface, de l’entre-deux, chacun reprenant des objets (ou des personnages) de différents gabarits et de masses diverses situés dans des conditions (météorologiques, temporelles) variables ou spécifiques.
Hier, après avoir ouvert mon écran sur diverses actualités Je suis sortie marcher dans le vent.
Le vent violent.
Je suis allée le toucher, aussi haut que je pouvais monter.
En bas le sable volait Dessinant des ondes Soulevant des volutes De poussière.
Au sommet du cratère J’ai reculé Sous la bourrasque Les petits cailloux Se promenaient.
Alors, j’ai marché à la recherche d’un juste milieu.
Là, un abri existait Une combe Ecrasée de soleil Au sable lissé Une fenêtre de paix.
Et il fut temps de rentrer, légère dans le vent, imprégnée par le vent.
…
Plus, tard, face au vent, sans effort apparent, comme tous les autres avions de la journée, celui qui nous ramenait au quotidien a pris la route du ciel.
La dernière fois que j’avais atterri sur cette île, c’était presque vingt ans en arrière. J’étais en plein boom professionnel, les deux enfants aînés volaient déjà de leurs propres ailes et les deux plus jeunes étaient du voyage, prêts à découvrir de nouveaux spots de surf. Aucun vol direct n’était programmé depuis la France et aucun réseau de location n’était en ligne. Nous étions allés à l’hôtel, deux années de suite dans le même. L’hôtel de la photo, l’unique du coin à cette époque, luxueux par rapport à la vie des locaux et cependant loin d’accumuler les étoiles comme aujourd’hui. Et cet hôtel est la seule image que j’ai vraiment reconnue sur toute l’île.
Ce fut très questionnant. Quels changements avaient pu ainsi troubler mes souvenirs?
Personnellement, je vois bien que passer une semaine de vacances, arracher du temps au temps quotidien d’une mère de famille qui a des activités professionnelles, était déjà un objectif tout à fait suffisant. Voir du paysage, courir d’une plage de surf à l’autre relevait de l’anecdote. Profiter d’un hôtel, du ménage fait, du petit déjeuner servi, d’un bon repas le soir sans avoir à lever le petit doigt, voilà ce qu’étaient ces vacances.
Les photographies se regardaient encore sur papier glacé, nous en faisions seulement quelques unes, principalement des vagues, des surfeurs, des windsurfeurs, pas de quoi raviver des souvenirs paysagesques.
Et puis, si le volcan est resté à sa place, les autoroutes ont poussé. Elles permettent d’acheminer rapidement les flots de passagers débarquant des vols « économiques » vers les gigantesques réseaux de logements prévus pour eux avec vue lointaine sur l’océan, piscine, bar et sorties organisées. Elles offrent aussi aux « individualistes » (comme nous) qui circulent en voiture de location, la possibilité d’aller au plus vite d’un côté à l’autre de l’Île (compter cependant sur de multiples embouteillages) et de s’engouffrer sur les plus minuscules pistes afin d’aller faire pleins d’images forcément exceptionnelles de sites réellement remarquables. Terminé les obligatoires interminables routes serpentant entre les vertes bananeraies et les serres* pour se rendre à l’ouest ou au fin fond du nord, le GPS (encore un truc nouveau) fait la trace en ligne quasiment droite d’un côté à l’autre, après, ce n’est que du détail.
Et pour ce genre de détail, il suffit de cliquer sur Go@gle afin de voir apparaitre tout ce que les passants ont déjà photographié et « religieusement » mis en ligne afin de faire un choix de destination. Après, en se fiant aux commentaires, il est presque « normal » d’aller où il y en a beaucoup, beaucoup de positifs… et ainsi certains endroits autrefois quasi sauvages sont aujourd’hui piétinés, dépourvus de végétation et parsemés de papiers toilette (oui, je sais c’est biodégradable – sauf les lingettes soit dit en passant – mais c’est franchement moche et le vent se permet parfois d’envoyer balader « tout ça »…).
Alors, de petits riens en petits rien, j’ai fini par comprendre que le temps était passé. Super vite. J’ai, une fois de plus, constaté qu’il est urgent de profiter de ce qui est offert au moment présent où c’est offert, sans chercher à comparer. Car quoi comparer alors que moi-même change au fil des années qui s’accumulent ?
Je vois bien que je suis entrée dans un espace où le temps est désormais et plus que jamais ouvert sur l’horizon.
Et l’horizon est là, bien présent, toujours plus loin, inconnu, super attirant, enthousiasmant jusque dans ses moindre détails. La nostalgie est un « truc » qui m’est totalement étranger.
* Les serres : à noter que ces immenses taches blanches et plates désormais incluses dans les paysages sont destinés à produire les fruits « exotiques » (bananes, papaye et autres) et aussi les tomates, tous estampillés biologiques, ceux que nous sommes si « fiers » de consommer responsables!
En tout cas, je l’étais dramatiquement, Et mon frère aussi. Lorsqu’elle était à bout, ma mère s’écriait : « Vous pouvez pas changer de disque? » Et dire que « ça marchait » serait s’avancer, mais il est clair que nous entendions son ras le bol et qu’avec une certaine inertie, nous finissions par appuyer sur pause.
J’aimerai pouvoir crier aussi « Vous pouvez pas changer de disque? » à la radio, y compris à mes animateurs préférés, aux billettistes, à toutes les personnes qui passent et repassent sur le devant de la scène médiatique. Car, même si la scène médiatique qui entre dans mon salon est de l’ordre du théâtre de poche tant je la restreins, elle me tape un peu sur le système. (encore une expression de ma défunte mère)
Notre monde va mal Notre monde va si mal Avec ce monde qui va mal
Que nous ayons été des enfants gâtés jamais satisfaits est une chose. Que nous ayons été des enfants frustrés de « pas pouvoir faire n’importe quoi » est une chose. Que nous soyons tous passés par la phase adolescente où les parents n’étaient que des emmerdeurs que nous sollicitions cependant sans cesse pour financer pas mal de « trucs » est une chose.
Mais, quoi ? Ne sommes nous pas des adultes?
Et franchement, le monde n’est-il pas enthousiasmant, rempli de surprises, toujours prêt à nous surprendre?
Le monde va bien. Le monde est le monde, Sans états d’âmes, Le monde a besoin qu’on lui foute la paix.
Et si moi, individuellement, je peux parfois avoir envie de plus de lumière, de plus d’océan, d’une plus grande chaleur, de plus de falaises brutes, de plus de fleurs, de plus de contemplation et que le moment n’est pas le bon, je « prends mon mal en patience » (troisième expression qui vient de loin).
Je sais qu’il n’y a pas de lumière sans ombre, Je sais aussi que sans mouvement la vie s’éteint. Je sais que jouer avec moins que rien et s’amuser de presque tout fait monter…
C’est généralement le matin que j’écris, riche de l’inspiration nocturne.
Ce dimanche, j’avais décidé d’envoyer un peu de prose à une personne récemment croisée, pas vraiment une inconnue, pas déjà une connaissance, une personne qui m’avait pourtant adressée une autre personne afin que je lui fasse part d’une parcelle d’un supposé « savoir ». La transmission est à la mode. Une certaine forme de transmission qui, à mes yeux ressemble davantage à une forme de commerce. Sauf, que pour qui est aussi peu douée que moi pour le commerce, donc sans étiquette et sans rien à vendre, c’est open bar. Open bar? Pas tout à fait. Le bénévolat contient en sa définition et dans ses racines tout à fait autre chose que la gratuité, un bénévole est une personne « qui le veut bien » avant tout, qui donne un sens à son action.
Je devais quelques explications à cette personne qui me « recommande », quelques explications puisque, à la suite d’une longue réflexion, j’ai repoussé l’idée d’une rencontre et donc l’idée de « transmettre » comme elle avait pu imaginer que j’allais le faire.
En 2007, j’avais écrit « Aucune escalade, aucune aventure n’est jamais gratuite, ni en terme d’efforts, ni en terme de finance. Un des leurres de notre société se situe là, dans une propension à laisser croire que le rêve est d’accès facile, offert sur un plateau. » et c’est amusant de retrouver aujourd’hui ces lignes avec lesquelles je suis toujours d’accord.
Alors, pour expliquer à mon interlocutrice, j’ai usé de métaphores, selon mon habitude. Et comme je parlais de galet, de ce simple caillou qu’il est commun de trouver beau soit parce qu’il est usé en forme de coeur, soit parce qu’il offre une rondeur quasi parfaite, soit parce que son grain lissé nous émeut , soit parce que…etc, j’ai soudain pensé à ces énormes galets de sable fossile trouvés loin du passage des humains sur « mon » île.
C’était la première fois que je voyais « ça ». Des galets de sable, couleur de sable, posés sur le sable à la limite des vagues d’automne entre les galets de basaltes encore mal adoucis.
Les caressant, mille pensées me traversaient : ils seraient très vite à nouveau bousculés, réduits en morceaux, de retour à leur état de sable, les grains millénaires se mêlant au grains contemporains pour finir ensemble roulés par les vagues jusqu’à devenir poussière et encore moins, disparaissant aux yeux humain. Et bien sûr il y avait exactement au même moment les images d’un formidable volcan, soulevant la plage des milliers d’années plus tôt, la compactant sous une pluie minérale en fusion, rajoutant des strates et une nouvelle montagne par dessus. Puis venait le vent jouant avec les embruns, sculptant la montagne, patiemment, mettant à jour le sable enfermé, fragilisant les affleurements jusqu’à ce qu’ils se cassent, dévalent la pente, arrivent sur la plage où les vagues s’en emparent pour les rouler, les adoucir, les arrondir… et les offrir ce jour là à mes yeux émerveillés. Il y avait du fracas, du chaos, du feu, du silence, de l’eau et tant et tant, une phénoménale quantité d’évènements ordinaires. Tout était là, condensé dans le même instant, et circulant en même temps avec une incroyable fluidité au point de me toucher jusqu’au centre de chaque cellule.
Ce jour là j’ai eu le bonheur de toucher une minuscule parcelle d’absolu. Et j’ai bien conscience que sur la photo, il n’y a rien d’autre à voir que de vulgaires galets.
Bientôt sept années seront écoulées depuis sa réalisation et pourtant, chaque grain de chaque instant vit encore dans chacune de mes cellules.
Le mois dernier, là-bas sur « mon » île, j’ai rencontré une personne dont j’ignorais tout de l’existence. Avant qu’elle ne me soit présentée, j’avais entendu dire qu’elle me connaissait. C’est toujours étrange de se trouver dans cette situation, d’entendre dire qu’une personne qui vous est inconnue vous connait.
De quand, de quoi, que connaissait-elle « de moi » cette personne ?
L’unique piste que j’avais était « Escuela Nautica » et j’avais beau creuser mes souvenirs à cet endroit précis, rien ne remontait. J’étais impatiente d’en savoir plus. Tellement impatiente que pas plus de deux minutes s’écoulèrent entre le moment où je le vis et le moment où je lui posai la question. « Oui, je t’ai vu, c’était quand tu partais avec ta planche! » Répondit-il en souriant.
Instantanément, en entendant ces mots, le temps se rembobina et je revoyais ce jour de départ sans tambours ni trompettes et je l’imaginais passant par là, sur le port de ce petit village où tout le monde connais tout le monde. Je l’imaginais en parler à sa soeur, plus tard et j’allais jusqu’à imaginer que sa soeur avait pu lui dire que j’étais la mère d’un de ces potes! Ainsi il me « connaissait »! Amusée, j’ai dû balbutier un truc du genre : « Ooooh… oui, oui, je me souviens de cette aventure » et j’ai embrayé sur autre chose. Non, en fait, il m’ a demandé de « faire le GPS » pour aller sur notre lieu de randonnée. Et « ça » c’était un « truc » super important qu’il me confiait. Non seulement il est pilote dans la vraie vie, mais en plus il est accro de la haute technologie. J’ai donc « fait GPS » avec ma plus douce voix et sans même penser à sortir mon téléphone. De toute manière, il ignorait où je l’emmenais, donc il suivait! En toute confiance!
Pour l’anecdote : De retour en France, jai appris par mon fils, qu’il avait discuté avec lui (par hasard) le veille de cette petite randonnée et qu’ils avaient ensemble parié sur le fait que j’allais sûrement le faire sortir de sa zone de confort. C’est drôle d’avoir une réputation! Heureusement que je ne savais rien. J’ignore ce que j’aurais pu en faire.
Ce jour dont il avait été question, ce jour où je partis, fut plus exceptionnel pour les personnes qui m’y voyaient que pour moi qui prenait le large. Je me souviens avoir tranquillement arrimé mes bagages sur la planche, sans la moindre inquiétude. J’avais bien étudié les conditions météorologiques, le temps était super calme jusqu’à l’horizon et je partais moins loin que l’horizon puisque j’allais simplement « là-bas », sur l’île d’en face. Le temps était clair, il me suffisait de viser le phare, là-bas, de l’autre côté, il n’y avait que 20 kilomètres d’océan à traverser.
Tant et si peu.
J’ignorais ce que me prévoyait l’imprévisible, j’ignorais ce qu’il y avait en approchant le phare et ce qu’il y avait de l’autre côté. J’avais décidé de commencer le tour de là-bas par la côte ouest, la « plus méchante » celle qui reçoit le vent du large, la houle du large, la puissance de l’immensité dans toute sa puissance. J’ignorais où j’allais dormir. J’étais tout à fait sereine. j’avais une petite provision d’eau, j’avais des vivres et ma planche était à mes yeux un confortable navire.
Tant et si peu.
De l’avion, je regarde toujours ce passage. A chaque voyage. L’autre jour, deux ferries s’y croisaient, deux minuscules points. Alors, j’ai pensé qu’un jour, j’avais été, dans ces parages, bien moins que ces points blancs, tout a fait invisible, en fait.
Il faut bien avouer que les séries en trois actes me plaisent. Comme les trois points de suspension. Mais aussi tout autant que les cercles.
Parfois je joue à tracer dans le sable des traits, des points et des ronds, amusée d’observer à la fin une espèce d’écriture qu’il serait audacieux de considérer comme quelque chose de sérieux.
Sérieusement, je sens une fois de plus l’effet de cette île. Jamais je n’ose y croire d’avance et souvent je rechigne à y séjourner à nouveau, ayant l’impression que je n’ai plus grand chose de nouveau à découvrir entre ses vagues et ses volcans. Et la magie opère à chaque fois.
Il y a évidement l’effet « désert » (comprenant autant l’étymologie du mot que la description environnementale d’ici) et l’effet « île ». Il y a aussi la compagnie qui m’oblige à ralentir parfois, à pauser longuement dans les journées, m’incitant à creuser un peu plus profond chacune de mes réflexions. Il y a surtout l’effet désert, c’est certain.
Hier, je suis allée une fois de plus vers un coin de l’île particulier. Il est historique car c’est par cet endroit que les conquistadors sont rentrés au centre de l’île au 15ème siècle. Il présente une configuration géologique unique sur l’île. Il raconte l’histoire de l’agriculture locale soumise à la pression des besoins en eau. Là-bas, le vent tourbillonne, chante et danse. Hier, il était totalement absent. J’ai pu emmener celui que j’avais invité à découvrir jusqu’aux plus hauts sommets et nous sommes passés par l’arche.
Cette arche je l’avais, pour ma part, découverte dix ans plus tôt, alors que nul sentier n’y conduisait, que nulle photo n’avait été partagée sur la toile. Comme d’habitude, c’était parti d’un jeu dont la règle est simple : « allez, je grimpe là-haut ». Et j’avais grimpé tout droit. Et j’avais gardé pour moi l’image, comme je protège mes spots les plus précieux. Depuis, tout a changé puisque les conduites ont changé, puisque le monde bouge, avance, se transforme et vit. L’arche est connue, notée comme un centre d’intérêt difficile d’accès, mais accessible, an particulier aux jeunes, avides d’images spectaculaires. Du matériel d’escalade y a été fixé… c’est devenu un terrain de jeu.
Et, le vent poursuit son oeuvre. Il sculpte, façonne, élimine. Les débris montrent que l’éboulement est proche. Bientôt l’arche disparaitra.
Une nouvelle sculpture sera là : l’humain et la nature, sans le savoir vraiment, se seront ligués pour la créer.