Le temps qui passe apporte son lot de questions, sans questions il serait terne.
En 2023, j’ai accepté l’idée d’abandonner l’état « actif » ce qui signifie que sur les listes proposées à la fin des interrogatoires statistiques, je dois cocher l’ultime case, celle dans laquelle il est « normal » de mettre toutes les personnes qui vivent au crochet des « actifs », ceux qui cochent les cases d’au dessus. Dans ces bas-fonds, plus question de titres ni de diplômes, plus question de qualification, c’est l’antichambre vers l’oubli.
Les « boomers », ces « vieux schnocks » d’aujourd’hui disparaissent petit à petit, les plus célèbres offrant un espace aux spécialistes en nécrologie d’autant plus qu’ils se sont désespérément accroché à leur célébrité. Car certains sont incapables de laisser leur place aux jeunes, que ce soit en politique, dans le showbizz, partout où l’existence est intimement liée à l’exposition médiatique.
Enfant, je regardais les films western sur l’unique chaine de la télévision qu’il me fallait aller regarder chez ma grand-mère les jours sans école. Aucun salon ni aucun canapé à l’époque, c’est assise sur une chaise en paille devant la table de « salle à manger » que nous regardions la boite magique en sirotant du « pschitt » et en mangeant une tartine « beurre-chocolat ».
J’étais toujours « pour » les indiens.
J’étais fascinée par ces « sauvages ».
Un jour, je fus marquée par l’histoire d’une vieille femme qui s’éloignait de la tribu. Devenue inutile, elle partait finir ses jours au loin, seule afin d’éviter de devenir un poids pour les siens.
Je fus marquée.
Marquée au point de me dire que j’en ferai autant, un jour, lorsque le moment viendra.
Las, le temps des « indiens » est terminé.
Ni l’environnement sociétal ni l’environnement tout court ne se prête plus à ce genre de « disparition ».
Aujourd’hui, de mon point de vue, la personne vieillissante, vit une espèce d’adolescence à l’envers, un temps entre l’âge adulte (époque de productivité et de cotisations sociales) et l’ultime vieillesse croupissante qui parfois s’étiole infiniment dans les établissements spécialisés parce qu’il est interdit d’achever les humains, quand bien même ils ne sont devenus que charges et soucis incapables de communiquer.
Donc, me voilà vaillamment et joyeusement entrée dans cette drôle d’adolescence !
2024 marque mon retour en adolescence.
Une preuve s’il en était besoin : je monte à nouveau à cheval quasiment chaque jour.
Car le mot « adolescence » est une affaire de bavardage, de signifiant donc comme l’écrit le psychanalyste B.Nominé :
Et, je remarque que la première partie de l’article telle qu’elle apparait sur l’image ci-dessus pourrait tout à fait être plausible en remplaçant « jeune » par « vieux » ainsi il serait possible d’écrire :
« Je propose donc de situer l’adolescence entre la réalité biologique de la « ménopause/andropause » qui est un évènement du corps qui s’étiole, et le bavardage. »
Et plus loin :
« Ce qui va donner un statut à la vieillesse, et c’est la qu’on va trouver l’adolescence, c’est le fait de séparer les vieux des adultes au moyen de la retraite. »
Ca me fait rire.
Ce genre d’humour me comble sans jamais me désoler.
L’existence ne vaut-elle qu’en terme de productivité ? J’ai toujours eu beaucoup d’admiration et de reconnaissance pour les personnes « souffrant » d’incapacité, qui ont croisé ma route et m’ont tant donné et appris. Et pour les vieux aussi. Cette réflexion m’est venue récemment, au cours d’une conversation avec un collègue qui évoquait la visite qu’il s’apprêtait à rendre à sa mère, en ajoutant sur un ton affligé qu’elle venait de faire le constat d’un nouveau renoncement : elle ne parvenait plus à « faire son potager ». Et là je me suis dit, mais pourquoi renoncer ? Pourquoi ne serait-il pas possible de faire comme avec les enfants et accompagner en douceur la perte d’autonomie, comme on accompagne la prise d’autonomie d’un enfant ?
Je me souviens quand j’ai commencé à faire de la patisserie : j’ai d’abord été présente dans la cuisine pendant que maman préparait un gateau, puis à force de la voir faire, j’ai pris part à l’une ou l’autre des étapes de la recette : peser les ingrédients, puis mélanger, monter les blancs en neige, d’abord en tournant la manivelle du fouet manuel quelques tours, maman terminant, puis de plus en plus jusqu’à réussir à monter des blancs bien fermes moi-même, pour enfin parvenir à réaliser un dessert succulent en toute autnomie. Cela ne s’est pas fait en un jour, ni sans erreurs (des coquilles d’oeufs dans le mélange, ou une préparation renversée). A l’inverse, si on offrait la possibilité d’une présence, pour palier aux mouvements douloureux, offrir des alternatives, compléter les travaux ébauchés et qui demandent un trop gros effort à terminer, cela ne permettrait-il pas à nos anciens de rester « dans la vie » et d’en profiter plutôt que de s’en désoler.
Il y a chaque semaine à la messe une petite mamie sans âge qui m’émeut au plus haut point, je ne sais pas bien dire pourquoi. Elle est là, toute fragile, vêtue de noir, avec un fichu sur la tête comme cela se faisait autrefois dans les campagnes. Une sorte de personnification de l’humilité. Et pourtant quand elle lève son regard clair sur moi, sans un mot, j’ai l’impression qu’elle illumine. Elle est juste heureuse d’être là, entourée, de participer à la vie, même si la sienne avance doucement vers son terme.
Réflexion du soir, bonsoir 🙂
Wahoooo, voilà une réflexion du soir très intense. M E R C I
L’existence ne vaut-elle qu’en terme de productivité ? Cette question est évidemment à contextualiser, à poser dans chacune des cases de ce que nous appelons « la vie d’un humain » et cependant globalement, oui la vie n’a de sens que par la productivité de chaque individu. La moindre minuscule orchidée sauvage n’est-elle pas très précisément pourvue afin de favoriser la production de graines bien réelles ?
Notre évolution en temps qu’humain « pensant » favorise les réflexions en digression, vagabondant dans les arcanes infinies de nos pensées, et pour avancer encore nous nous arrangeons avec le sens de la vie, jusqu’au sens même de la notion de graines semées par le vent ! 😉
Oui, certainement, chaque individu vivant vit encore un peu après avoir produit. La belle orchidée, après avoir semé au vent ses graines va sécher, commencer sa vie souterraine et apporter au sol la nourriture de son squelette devenu inutile (à la production)
Car, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme nous l’avons un jour appris en classe de chimie. C’est une réalité en « tout ». C’est peut-être même ce qui participe au concept de « résurrection » présent dans toutes les religions sous une forme ou sous une autre.
Il reste que notre société humaine, inconsciemment consciente de sa finitude, et tellement pléthorique à la fois, a peut-être un peu perdu le fil de cette réalité. Quand tant de professions sont mises à l’honneur pour ce qu’elles « apportent » à la cité (productivité donc), pourquoi l’individu lambda oublie t-il que son activité laborieuse permet avant tout (dans notre système) de fournir le budget nécessaire à notre vie commune (taxes et impôts), à la subsistance des indigents, des vieux, des handicapés, des malades, pourquoi oublie t-il qu’il est le maillon indispensable au « care » auquel il aspire lui-même?
Un passage de ma vie m’a incluse dans la secte des « soignants » et j’ai toujours été consciente que, ce faisant, je me nourrissais (symboliquement) autant que je « produisais » assez afin de participer financièrement à la vie de la société dans laquelle j’habite. Au fil de mes activités, j’ai plus apporté financièrement à la société que je n’ai apporté en temps que « soignante ». Désormais, je n’apporte plus rien de palpable. Certes, il est facile d’affirmer qu’il reste l’empreinte… et évidemment je questionne la notion d’empreinte! 😉
Et puis, parce que nous pensons, parce que notre évolution nous a apporté cette capacité unique qu’est la pensée, nous pouvons définir et mesurer un bon nombre de « passages de vie », vivre le deuil de ceux qui sont achevés et souffler sur ceux qui sont en train d’éclore… Car aller « plus loin » est chaque jour un devoir qui nous incombe, tout en ignorant totalement où se trouve ce « plus loin ».
Réflexion du matin, bon jour 🙂
Je connais deux petites orchidées sauvages qui ne produiront pas de graines 🙁
Et pourtant je peux témoigner qu’elles ont bien existé
Je n’avais jamais vu les choses ainsi… Mais oui, effectivement on parle assez peu de cette période entre deux cycles de vie. J’ai toujours eu cette impression d’une symétrie et que le temps de l’âge très mûr avait des ressemblances avec les premiers mois de la vie.
Ceci confirme un peu…
Petite enfance enfance /adolescence / adulte / retraité / très vieux
Mais tout ça n’est que bavardage ;p
Bavardage, oui, évidemment comme tout ce que j’écris ici, oui!
Ce qui est amusant, c’est de mettre en perspective l’évolution du langage et du parler.
Lorsque j’étais enfant, à la mi-temps du siècle dernier, il était commun d’affirmer que les personnes âgées qui « perdaient la tête » retombaient en enfance, que leur famille devaient s’en occuper comme on s’occupe des enfants et s’en suivait la description de leur galère quotidienne (pas d’allocs et pas autre chose que le terrible hospice à l’époque)… Aujourd’hui il faut établir un diagnostic, et aussi déclarer que le déclin est pathologique un peu comme tout ce qui sort d’une « norme » mouvante au gré des publications qui la fabriquent.
Il reste que le sourire édenté d’un nourrisson est charmeur, l’avenir lui appartient.
Le même sourire édenté d’une personne âgée nous fait détourner le regard, sans doute parce qu’il s’agit de regarder en face l’oeuvre d’une vie passée, notre fin programmée.
L’autre jour, avant de monter à cheval nous parlions d’âge et à l’annonce du mien, le jeune apprenti (14 ans) me regarda étonné « Tant que ça! Moi je te donnais 50 ans » et je me suis souvenu qu’à son âge, je voyais les gens de 50 ans comme des vieux, mes grands-mères ont toujours été « vieilles » à mes yeux, à 50 ans comme à 80 ans 😀
Je suis forcément « vieille » pour mes petits enfants, et c’est normal puisque je suis leur aîeule! C’est ainsi qu’ils se situent sur la frise du temps.
Peut-être n’est-ce que du bavardage ?
Mais qu’est-ce que la notion de bavardage sous la plume d’un psychanalyste?
Heidegger, le philosophe, écrivait dans Etre et Temps : « L’expression « bavardage » ne doit pas être prise ici dans un sens dépréciatif. Elle signifie terminologiquement un phénomène positif qui constitue le mode d’être du comprendre et de l’explicité du Dasein (le « être là ») quotidien. (…) Le bavardage est la possibilité de tout comprendre sans appropriation préalable de la chose. D’emblée, il préserve du danger d’échouer dans une telle appropriation. Le bavardage, que tout un chacun peut saisir au vol, ne délie pas seulement de la tâche d’un comprendre véritable, mais encore il configure une compréhensivité indifférente à laquelle plus rien n’est fermé. » Etc, il y a plus de trois cents pages dans l’ouvrage et il faut adhérer à la phénoménologie 😉 pour déguster!
Bref.
Beaucoup de sujets sont clairement mis sous le tapis, notre goût contemporain pour le lisse, le « normal », le « doux » nous oblige ça s’appelle la politesse (du latin politus, uni, lisse brillant) !
Je suis assez certaine que des professionnels comme toi ont beaucoup à faire avec tout ce qui est mis sous le tapis, tout en le laissant… sous le tapis! 😀