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Jamais, toujours

Bientôt, une année se sera écoulée depuis ma rencontre avec le petit gris.

Un jour, j’avais abandonné l’idée de monter à cheval, c’était après avoir vécu avec un certain Grand Lama la quintessence de la complicité, je ne pouvais alors imaginer « aimer » les chevaux plus loin qu’en les laissant tranquilles dans leur pré.
Et puis un jour, je me suis retrouvée sur le dos d’un cheval… et j’ai replongé comme on replonge dans une drogue.
Je pensais qu’il n’était plus l’heure de posséder à nouveau un cheval.
J’ai donc « partagé » des chevaux.
J’imaginais que c’était suffisant puisque je n’avais plus aucun objectif de compétition, puisque je ressentais seulement le « besoin » d’être à côté des chevaux. J’ai même songé à me contenter de balades!

Las, je me fourvoyais.

Le côté positif, c’est que j’ai découvert un monde dont j’ignorais tout, celui des cavalières indépendantes qui se font plaisir en balade et en randonnée, de ces personnes qui bichonnent passionnément leurs chevaux chez elles et montent seulement quand leur planning familial et professionnel leur en accorde le temps, souvent le week-end. J’ai découvert la vie de ces chevaux de loisir là et si je les ai montés parfois bien plus souvent que leurs propriétaires ne pouvaient le faire, il me manquait cependant quelques chose.

Jamais, toujours.
Jamais les chevaux ne sont sortis de ma tête,
Toujours je les ai évoqués, ils étaient là.
N’est-ce pas eux qui m’ont appris la patience ?

La vie est espiègle et je l’apprécie tellement pour ce fait.
Combien de fois ai-je parlé de folle sagesse, utilisant cet oxymore pour faire l’éloge du déraisonnable qui donne un sens à mon chemin ?
Me contenter d’un cheval partagé collait mal à ma gourmandise.
Mais devenir une fois de plus responsable d’un cheval me semblait fou, à mon âge.
Pourtant l’idée était en germe.
Et du jour au lendemain, le germe s’est enflé,
Et il a fini par éclater sous la pression !

J’ai rencontré le p’tit pur sang et ce fut un coup de coeur.
J’ai annulé les autres rencontres prévues, sans regarder le moins du monde ce à quoi je renonçais.
Choisir impose de regarder droit devant et d’accepter entièrement toutes les conséquences du choix.

Qu’allais-je « faire » de ce jeune padawan ?
Quels projets pouvais-je élaborer ?
Serai-je encore capable d’éduquer et vers où ? Et pourquoi ? Et pour qui ?

Je me suis trouvée face à des centaines de questions sans le moindre embryon de réponse.
Sur les réseaux sociaux, le mot « cheval » a terriblement excité les algorithmes, m’invitant à consommer les coachs autant que les tapis de selle, les compléments alimentaires et les soignants en tout genre. Je me suis laissée emporter par le tourbillon (sans répondre à l’appel consumériste), ce fut un passage nécessaire.
Et, chaque jour, je regardais mon petit cheval jusque dans son dedans, dans son monde intime, ce monde où il n’est question que de besoins vitaux, où aucun écran ne prêche pour une chapelle en faveur d’une autre, où tout est calme et simple, presque binaire parfois « je suis bien/je suis mal à l’aise » et le tourbillon a disparu.
L’essentiel a fait surface.
Le cheval est jeune.
Il a besoin d’éducation.
Pour où, pour quoi importe peu dans l’immédiat.

Je dispose de beaucoup de temps libre, plus que jamais,
Et je peux l’offrir au petit cheval.
Lui qui se moque totalement des apparences,
Semble apprécier ma présence,
Devient petit à petit capable de s’y connecter,
Pour laisser passer ses frayeurs de gamin,
Et ensemble nous avançons vers plus loin,
Petit à petit.

Seul l’avenir pourra un jour affirmer que nous avons tenu un cap.





De l’équilibre


Ce jour là, je n’ai pas réussi à tenir mon équilibre!

En équitation, la notion d’équilibre est constamment abordée.
Que ce soit par les accro d’une vision mécaniste, par les puristes de l’analyse sur image (et sur canapé), par les spécialistes du développement personnel (cheval mon miroir) ou par nous tous qui avons toujours entendu parler de cette histoire d’équilibre sans vraiment la disséquer.

Jusqu’au déferlement des experts de salon sur les réseaux sociaux qui vivent de la publicité, je n’avais pas vraiment réfléchis à la question.
A partir du moment où j’ai réussi à bien tenir à cheval, à partir du moment où je fus moi-même « en équilibre » liant avec ma monture sans jamais avoir besoin de m’accrocher aux rênes, j’ai considéré que mon cheval était en équilibre lorsqu’il ne tombait pas en avant. De mon point de vue, quelle que soit la nature du terrain, quelle que soit la position de son encolure, mon cheval est en équilibre lorsqu’il maintient son allure sans jamais butter ou trébucher.
Il semble qu’aujourd’hui plus que jamais il existe plein de « théories » sur le sujet et je suis assez triste en pensant à toutes les personnes qui souhaitent « bien faire » et qui se noient au beau milieu de toutes ces théories parfois paradoxales tant elles sont élaborées avec des sauces étranges et lointaines.

Bref.
Ce jour là, j’ai pas réussi à tenir un équilibre très imparfait plus de quelques secondes.
Pourtant chaque jour, je termine mes assouplissements quotidiens avec lui, pour le fun, par plaisir.
Toujours pieds nus, dans la neige, dans le désert ou sur le parquet ciré,
Toujours seule.
Sans chercher le moindre record, je reste ainsi entre 2mn et 2mn30 de chaque côté, après j’ai ma journée à vivre et pas plus de temps à y consacrer!
C’est parfois sur un rocher pas très lisse, parfois sur du gravillon, parfois dans le vent ou devant les vagues qui éclaboussent et dont les embruns viennent m’humidifier et je reste en équilibre… tant que je suis seule.

J’avais déjà noté la nécessité de pouvoir disposer d’un point fixe : un point sur lequel je fixe mon regard disposant ainsi de trois points de contact : un pied par terre, le bout des doigts vers le ciel et un fil invisible me reliant du regard à ce point fixe.

L’autre jour (celui du montage qui illustre ce propos) mon homme était assez proche (souvent il fait des images en étant vraiment au loin) et j’ai pas réussi.
J’ai donc pris note et analysé.

La vie est espiègle.
Hier matin, dans la calme de mon appart sans vent, sans vagues, sur la parquet sans la moindre aspérité, l’équilibre est demeuré « tendu », inconfortable, d’une stabilité relative précaire.
Pourquoi?
Parce que j’avais laissé la radio parler.
Et ce son là était suffisant pour « faire un vent » plus violent et déstabilisant que le véritable vent!

Wahoooooo.

Alors, comment imaginer qu’un cheval puisse être absolument imperturbablement comme nous le souhaitons quand j’en suis moi-même non-capable?

Certes, ils sont capables d’acrobaties remarquables lorsqu’ils sont en liberté.
Certes après des années d’étude, ils deviennent capables de « danser », de sauter, de nous trimballer avec grâce.
Mais ce sont des animaux sensibles, que dis-je? Hypersensibles ils sont.
Et comme nous, parce qu’ils sont parcourus par les mêmes dégoulinades hormonales (même si les « réponses » physiologiques sont adaptées à leurs particularité de quadrupède nidifuge), ils ont des « saisons », des passages de vie plus ou moins « en équilibre » dans leur tête, des frayeurs bien ancrées, des tensions à propos et parfois chroniques.

L’équitation est une affaire de couple.
Dans le couple, la bienveillance est de mise pour chacun des protagonistes.
Le cheval nous écoute autant qu’il peut et il n’a pas vraiment la possibilité de s’opposer et il est en quelque sorte « programmé » pour aller de l’avant sans se plaindre. Autrefois, dans sa vie sauvage, en l’absence de nid protecteur, se plaindre, s’arrêter ou même simplement trainer la patte le mettait en état de grand danger avec la peine de mort au bout.
Nous humains, nous sommes capables de « trouver refuge » dans un « nid », auprès des « autres » et d’être soigné avec hospitalité depuis très, très, très longtemps. Mais nous avons un travers que les chevaux n’ont pas, nous comparons sans cesse.
Et cette obsession pour les comparaison nous fait souvent davantage perdre la raison que cultiver la bienveillance.

Finalement, il s’agit bien qu’une question d’équilibre!

Communication et intention

Sans nul doute, regarder « à travers les yeux des chevaux » est une invitation à découvrir un peu plus loin l’humain que nous sommes.

Tandis que notre tendance naturelle à l’anthropomorphisme nous pousse à imaginer qu’un cheval serait capable de « penser comme nous », à l’inverse, j’aime essayer d’imaginer ce qui se passe dans la tête d’un animal dépourvu d’intentions, dans la tête d’un animal qui a seulement des besoins, qui les exprime sans frein, un animal qui n’a aucun objectif, qui ne prépare ni les cadeaux de Noël, ni la prochaine compétition de son cavalier ; un cheval qui raconte efficacement, sans mentir et avec tout son corps, son bien-être comme son mal-être.

L’action de communiquer, la communication est un sujet qui me passionne.
Un billet avait déjà abordé cette histoire de « communiquer » avec un cheval.
Etant redevenue propriétaire d’un cheval, avec toutes les responsabilités qui m’incombent de ce fait, j’expérimente à nouveau quotidiennement, donc plus passionnément encore, ce qui contribue à la réalité d’une communication entre individus fondamentalement différents.

Chez nous, les humains, il faut bien avouer que communiquer est intrinsèquement corrélé aux intentions.
Des intentions qui souvent relèvent du moyen ou long terme, par exemple :
– Je communique avec mon cheval parce que j’aimerai qu’il devienne mon « ami »
– Je communique avec mon cheval parce que j’ai envie de « faire des résultats » en sa compagnie
– Je communique avec mon cheval parce que je désire lui faire « plaisir »

Que pourrait donc être l’amitié, le plaisir ou la satisfaction pour un cheval?
Une sensation procurée par une dégoulinade hormonale?
Les mêmes molécules messagères produisent-elles les mêmes effets chez l’humain et le cheval?
Rien n’est moins certain.
C’est déjà tellement variable d’un humain à l’autre.

Capables de marcher et de chercher où se nourrir dès leur naissance, le besoin de sécurité des équidés est différent de celui des jeunes animaux nidicoles (dont nous sommes), pour eux, nul besoin de la chaleur maternelle pour s’endormir, nul besoin de câlins ni de toilettes bien léchées, ce qui est important, c’est leur capacité de fuite!

Les chevaux, animaux domestiqués depuis plusieurs millénaires, sont actuellement hébergés par les humains en quête de loisir (dans nos contrées, les chevaux sont moins qu’autrefois des outils de travail), ils se sont fort bien adaptés à nos exigences, ils n’en demeure pas moins qu’ils ne nous ne font pas la conversation pour raconter un spectacle ou une compétition passée.
De même, s’ils savent manifester leur goût pour la nourriture, c’est qu’ils ont irrésistiblement besoin de manger mais aucun cheval n’offrirait aucune carotte à un congénère, n’est-ce pas?
Et aucune de nos intentions les plus « aimables » n’amènent pour eux aucune reconnaissance telle que nous l’espérons si souvent.

Pourtant, afin de communiquer avec nos chevaux, nous mettons en place un certain nombres de codes de même que de nombreux « codes de communications » sont élaborés au sein des différentes sociétés humaines.
C’est le propre de toute vie en communauté où il est essentiel de savoir communiquer.

Nous avons, en commun avec les chevaux, ce même besoin de communiquer, il en va de notre survie comme de la leur.

Eux sont extrêmement compréhensifs, en ce sens qu’il « prennent avec eux » tous les signaux qu’ils savent capter : l’odeur de nos émotions, les expressions faciales et corporelles de notre bien ou mal-être, l’intonation de notre voix, notre empressement, notre colère latente, etc.
Et nous, très souvent, nous nous contentons de « faire passer » nos intentions à travers nos « aides », fussent-elles non réalistes, fussent-elle des « mensonges » que nous nous faisons à nous même.

« Je vais lui montrer qui c’est le plus fort » !
What?
Je fais 60kg et lui en fait 500… Y’a pas photo, non ?
Arfffff…
Comment on se la raconte parfois.

Si mon cheval est incapable d’avoir et d’exprimer aucune reconnaissance, si son mode de communication reste celui qui lui est propre, très différent du mien, je suis cependant infiniment reconnaissante à la vie de m’avoir fait rencontrer les chevaux.
Leur grande taille et toutes leurs différences m’obligent à pointer ma vulnérabilité, ma faiblesse, mon impuissance réelle.
Dans la vie de tous les jours…

Le temps est la clé

« Ils peuvent tout faire entrer dans leurs calculs sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains »
C.Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001

Sans être vraiment capable de donner une définition précise à la grâce, j’ai recopié des centaines de fois cette phrase en illustration de propos très variés. Le livre qui la contient est marqué à la page sur laquelle elle trône en tête.
Une fois de plus je la note ici, elle résume un flot de pensées débarquant après une session en compagnie du p’tit pur-sang.

J’ai l’immense chance de ne plus avoir d’autre objectif que le plaisir.

Autrefois bien que la patience ait toujours fait partie de mes outils, autrefois j’avais des objectifs sportifs.
Je mesure aujourd’hui à quel point ces objectifs étaient aussi ceux d’un passage de vie, à quel point je reprenais les arguments qui m’allaient bien pour les mettre en oeuvre, parfois dans la souffrance.

C’est vraiment toute une aventure que celle qui consiste à traverser la Vie en se nourrissant au jour le jour de façon très éclectique tout en gardant le cap afin de rester qui nous sommes en réalité.

Désormais dans l’éducation de ce nouveau cheval, j’avance avec une patience plus grande que jamais. Chaque jour est un cadeau.

Il n’a rien demandé ce petit cheval.
Personne, aucun être vivant ne demande rien le jour où il vient au monde, sinon de pouvoir se nourrir, grandir s’élever, en paix. C’est un fait.
Pourtant, dans l’environnement, dans chaque société, il faut faire ses preuves pour exister et il existe mille voies pour y parvenir.
Pour ce qui concerne les animaux domestiqués, à l’instar du cheval, il s’agit de rentrer dans le cadre pour lequel il a été conçu et de montrer au plus vite s’il convient ou pas.
Il parait que le temps c’est de l’argent!
Le p’tit Prodi a faillit. Il fut nul sur la piste de galop.
Réformé.
Son avenir tenait à un fil et il suffit de lire les petites annonces pour constater comment les marchands de chevaux valorisent « les tas de viande » : ils les bousculent, exigent d’eux la réalisation de consignes inconnues, les obligent à franchir des barres, l’objectif étant de les faire rentrer dans un nouveau cadre au plus vite.
Le plaisir est étranger.
Du côté du marchand comme de celui du cheval.
Quoiqu’en dise… le marchand!

Le temps est la clé.
Une clé en or pur.

Les animaux ne savent pas lire l’heure !

Là est peut-être la grâce.



Prodigalité



J’avais en tête le mot générosité pour ce billet tout en me disant que c’est quand même très « humain » la notion de générosité.
En cherchant parmi mes billets, un seul utilise le mot « générosité » et c’est tout à la fin du billet qu’il débarque, et c’est un extraordinaire souvenir qui remonta en le lisant.
Il date de 2019 et je n’avais pas encore renoué avec les chevaux.

En parcourant la lexicographie à la recherche d’un mot mieux ajusté à mon propos, j’ai trouvé « prodigalité » et comme, tout à fait par hasard, le p’tit pur sang à l’origine de ma réflexion s’appelle Prodi. (abrégé de Prodigal Son) j’ai validé le titre bien qu’il soit un peu imparfait à mon goût.

En ce mois de juillet très humide, je vais parfois cueillir des chanterelles après ma session à cheval. Grâce aux pluies printanières et désormais estivales, la forêt a retrouvé un état de fraicheur qu’elle avait perdu les années précédentes et les plantes en profitent avec exubérance parfois, les chanterelles aussi.
Je vais donc « sur mon spot » et je ramasse uniquement ce dont j’ai besoin pour ma poêlée du diner. Inutile de faire des stocks ; je suis heureuse de prendre une toute petite part en reconnaissant qu’elle sera bien suffisante pour me régaler.
J’ai l’impression de « respecter la nature » en agissant ainsi.

Mais quel est le rapport entre mes cueillettes, les chevaux, l’équitation et le p’tit Prodi ?
J’y viens.
Il y a un peu plus d’une semaine, un dimanche comme un autre, j’étais en fin de session équestre et je tentais pour la première fois une transition trot-trot plus lent-trot (nous sommes encore très loin des termes pompeux, le p’tit n’a que 4 ans). Et là, il y eu un instant suspendu. Dans la demande de ralentissement, Prodi a trouvé le moyen de me sortir trois foulées merveilleuses, en parfait équilibre, relevées, souples, gracieuses. J’ai aussitôt ouvert les doigts afin qu’il aille de l’avant, je savais l’effort physique qu’il donnait pour réaliser « ça » et il n’est pas encore prêt pour « tenir » longtemps.
J’avais cependant des étoiles plein le ventre : « wahoooo, il sait faire ça, wahooo ».
Après un tour du manège, au même endroit, je lui ai redemandé et, banco, il me redonna !
Magique.
Nous sommes restés là-dessus, et je lui ai indiqué la direction du fond de la propriété, là où l’herbe est bien grasse, là où il aime brouter.
Le reste de la semaine, j’ai suivi mon programme, celui qui prévoit des exercices simples, à la portée du jeune cheval. Mais à partir du mardi, il devint un peu bizarre, moins allant, un peu rechignant à l’ouvrage.

C’est à cause du temps maussade me dit l’une sous la pluie
C’est à cause de la chaleur m’a proposé une autre le lendemain sous le soleil.
Cette année, les chevaux sont « mal » avec cette météo bizarre finit par conclure une troisième qui passait par là.

Mouais… Je connais l’influence des conditions météorologiques sur mon énergie, mais là il se passait autre chose, j’en était certaine.
Et c’est grâce à ma cueillette de chanterelles que j’ai compris.

Parce qu’il m’avait donné, sans intention, simplement donné/offert comme seul sait le faire un animal dénué de la moindre intention humaine, j’ai pensé que je pouvais prendre un peu plus.
Prendre un peu plus, c’est à dire le considérer d’un coup plus grand qu’il était.

C’est amusant d’écrire « ça » moi qui fut considérée pour « plus grande » que mon âge simplement à cause de ma taille élevée de petite fille ! Certes je me suis adaptée coûte que coûte mais je me souviens encore des « interdictions » qui en découlaient sur l’air de « tu es grande » alors que dans ma tête j’avais seulement l’âge de mes artères. J’en ai souffert et j’ai fait avec, fièrement.
Mais fi d’antropomorphisme !

J’ai la chance d’avoir trouvé un cheval « tout neuf » qui s’exprime sans arrières pensées.
Et j’ai la chance d’avoir tellement de temps, tellement pas d’objectifs, tellement de plaisir à l’accompagner comme il est, que je l’écoute attentivement.
Après cette « révélation » de ma « lourdeur » à son égard, j’ai redonné des rênes dès le lendemain et « mon Prodi » est redevenu le p’tit cheval plein d’entrain et de générosité que je connais.
Pas plus tard qu’hier, il est venu de lui-même se « placer » pour me dire une nouvelle fois qu’il saura faire, un jour, quand il sera plus grand.


L’amour n’est rien d’autre qu’une joie concomitante à l’idée d’une cause extérieure
Baruch Spinoza, Éthique, III, 13

Effet miroir (bis)


J’ai oublié la date à laquelle j’ai commencé ma collection de « petits chevaux » même si je sais que le premier cheval « pour de vrai » qui m’a été confié s’appelait Furibard, était gris, avait 4 ans et avait donné lieu à un contrat exceptionnel (acceptable pour mon argent de poche). C’était précisément en 1974!
Je l’ai rapidement abandonné pour aller courir plus loin, d’autant plus que je n’avais pas encore les compétences nécessaires pour l’éduquer. En écrivant ces mots, je me demande dans quelle mesure, ce ne fut pas une leçon que le maitre avait souhaité me donner en me proposant ce quasi poulain ?

J’ai oublié la date, mais je vois bien que je possède une belle collection.
Ils sont de toutes les tailles, immenses ou minuscules ; ce sont des juments, des mâles ou des questions.
Ils sont en plastique, en carton-pâte, en bronze, en verre, en cristal, en céramique, en porcelaine, et même en or (c’est pas le plus gros…) ou sculptés dans la malachite, le bois ou l’ivoire.

Ils sont là.

Et l’effet miroir est là aussi.
Dans cette diversité.
Dans cette multitude.

Avant hier, j’ai décidé de prendre soin d’un cheval en biscuit de porcelaine anglaise.
Il me suit depuis au moins trente ans et de déménagement en déménagement d’année en année, il a beaucoup souffert : fractures multiples, rafistolages à l’arrache, habitats poussiéreux, voire abandon relatif.
Je me suis attelée à l’ouvrage, cassant les fractures déplacées, re-collant finement, réparant dans les règles de l’art, puis ponçant, lissant avec attention et passion et patience.

Puis, hier, d’un coup la plaque dorée affichant le nom de ce cheval là est entrée dans mon champ de vision « Spirit of the wild ».

Spirit of the wild !

Pour certaines personnes, qu’un cheval blanc, cabré et doté de ses attributs mâles s’appelle ainsi toucherait certainement une certaine émotion.

Pour moi, à l’instant où ces mots sont entrés dans mon champ de vision une immensité s’est présentée à mon imagination ; par effet miroir m’est apparu tout ce dont je n’avais pas eu le temps de prendre soin et tout le temps ouvert dont je dispose désormais pour le faire.
Et puis j’ai élargi le champ des possibles, j’ai vu tout mes « petits chevaux », chacun avec ses particularités, tous ces petits chevaux trouvés dans le monde, offerts parfois, collectionnés, amassés au fil du temps qui passe, fragiles parfois ou incassables ou inclassables et tellement plus nombreux que lorsque j’étais jeune.

Effet miroir…


Histoire d’adolescence


Le temps qui passe apporte son lot de questions, sans questions il serait terne.

En 2023, j’ai accepté l’idée d’abandonner l’état « actif » ce qui signifie que sur les listes proposées à la fin des interrogatoires statistiques, je dois cocher l’ultime case, celle dans laquelle il est « normal » de mettre toutes les personnes qui vivent au crochet des « actifs », ceux qui cochent les cases d’au dessus. Dans ces bas-fonds, plus question de titres ni de diplômes, plus question de qualification, c’est l’antichambre vers l’oubli.

Les « boomers », ces « vieux schnocks » d’aujourd’hui disparaissent petit à petit, les plus célèbres offrant un espace aux spécialistes en nécrologie d’autant plus qu’ils se sont désespérément accroché à leur célébrité. Car certains sont incapables de laisser leur place aux jeunes, que ce soit en politique, dans le showbizz, partout où l’existence est intimement liée à l’exposition médiatique.

Enfant, je regardais les films western sur l’unique chaine de la télévision qu’il me fallait aller regarder chez ma grand-mère les jours sans école. Aucun salon ni aucun canapé à l’époque, c’est assise sur une chaise en paille devant la table de « salle à manger » que nous regardions la boite magique en sirotant du « pschitt » et en mangeant une tartine « beurre-chocolat ».
J’étais toujours « pour » les indiens.
J’étais fascinée par ces « sauvages ».
Un jour, je fus marquée par l’histoire d’une vieille femme qui s’éloignait de la tribu. Devenue inutile, elle partait finir ses jours au loin, seule afin d’éviter de devenir un poids pour les siens.
Je fus marquée.
Marquée au point de me dire que j’en ferai autant, un jour, lorsque le moment viendra.
Las, le temps des « indiens » est terminé.
Ni l’environnement sociétal ni l’environnement tout court ne se prête plus à ce genre de « disparition ».

Aujourd’hui, de mon point de vue, la personne vieillissante, vit une espèce d’adolescence à l’envers, un temps entre l’âge adulte (époque de productivité et de cotisations sociales) et l’ultime vieillesse croupissante qui parfois s’étiole infiniment dans les établissements spécialisés parce qu’il est interdit d’achever les humains, quand bien même ils ne sont devenus que charges et soucis incapables de communiquer.

Donc, me voilà vaillamment et joyeusement entrée dans cette drôle d’adolescence !
2024 marque mon retour en adolescence.
Une preuve s’il en était besoin : je monte à nouveau à cheval quasiment chaque jour.

Car le mot « adolescence » est une affaire de bavardage, de signifiant donc comme l’écrit le psychanalyste B.Nominé :

Et, je remarque que la première partie de l’article telle qu’elle apparait sur l’image ci-dessus pourrait tout à fait être plausible en remplaçant « jeune » par « vieux » ainsi il serait possible d’écrire :
« Je propose donc de situer l’adolescence entre la réalité biologique de la « ménopause/andropause » qui est un évènement du corps qui s’étiole, et le bavardage. »
Et plus loin :
« Ce qui va donner un statut à la vieillesse, et c’est la qu’on va trouver l’adolescence, c’est le fait de séparer les vieux des adultes au moyen de la retraite. »

Ca me fait rire.
Ce genre d’humour me comble sans jamais me désoler.

Une certaine routine

Je parlais de point fixe aujourd’hui même, ici.
Et j’avais aussi conjugué les points fixes avec les points de suspension par ici.

Depuis que je monte à cheval, beaucoup de mes réflexions tournent autour des chevaux et de l’équitation parce que j’y vois plusieurs sociétés en taille réduite, donc autant d’interrogations qui me situent moi-même sur un certain chemin, sur certaines recherches, certaines attentes tranquilles ou plaisirs immédiats.

La « routine » de ces dernières semaines avec cinq jours passés auprès des chevaux chaque semaine représente un point fixe placé sur les turbulences des passages.

Trois chevaux, toujours les mêmes B. , I. et S.
Je les observe, je les monte chacun leur tour, je les observe.
Attentive à ma relation à eux, donc attentive à mon attitude en leur présence, à ce que change le moindre geste dans leur regard de cheval si différent de notre regard humain, à ce que change la moindre contraction « parasite » de mon corps posé à leurs sens de chevaux tellement à fleur de peau.
Car les chevaux ne pensent pas.
En tout cas, ils ne regardent pas les chaines d’information en continue, pas plus que les réseaux sociaux qui parfois déblatèrent en leur nom.
Les chevaux sont dans l’instant présent.

C’est certainement cet instant présent super présent qui constitue le point fixe qui m’est utile en ce moment. (A noter pour les personnes qui suivent et s’y perdent que j’ai remplacé C. par S. preuve s’il en était que chaque cheval est tout sauf un point fixe! )

Parce que la vie des humains est remplie par l’actualité galopante, par ce que nous oblige la société de consommation, mes pensées sont alternativement hyper denses et absolument creuses.
Lorsque je descends de vélo pour m’asseoir dans la voiture et me diriger en direction de l’une ou l’autre écurie, je laisse s’égrener ce que raconte la radio sans avoir besoin de mettre la moindre pause musicale. Ma petite musique interne fait le job. Je suis dans un entre-deux et j’ai toujours apprécié ces moments.

Et 20 à 30 minutes plus tard, je mets pied à terre et je suis dans l’univers des chevaux.
Et là, je suis là.
Encore plus intensément dès le moment où j’arrive à côté du cheval du jour.
Et davantage encore au moment où je l’enfourche.
Je suis en sa compagnie, je lui propose d’établir une relation, toujours la même, paisible, sans état d’âme, dénuée de la notion binaire bien/mal.
Ce qu’il me fait sentir m’oblige à essayer de ressentir ce qu’il a ressenti pour en arriver à réagir. La moindre tension de son côté interroge la tension que je lui impose.
C’est une partition absolument passionnante, toujours renouvelée, impossible à rejouer exactement pareil, tout comme en mer il est impossible de retourner sur sa trace, bien qu’il soit possible de reprendre un cap.

J’ai tellement conscience de la qualité de ces moments.

Je suis pleinement reconnaissante à tout le chemin déjà parcouru depuis ma venue au monde car c’est ce chemin à nul autre pareil qui nourrit aujourd’hui ma routine.

Dans cet espace, si je suis parfois conseillère, si je suis parfois scrutée, si je suis parfois radoteuse, jugée « réac » même, je sais que c’est uniquement avec et par les humains qui passent. Les animaux ignorent les jugements et c’est pour nous, humains, une grâce qui nous permet de regarder ce que nous souhaitons dans le miroir de leurs yeux.

A mes yeux, la grâce, c’est le bonheur et le confort d’un point fixe, d’une routine, de nombreux « entre-deux » toujours différents bien que renouvelés cinq fois par semaine.

Zone de passage (2)

Ce deuxième épisode élargit le premier.

Nous passons de passages en passages, c’est un fait.
Ce constat est vertigineux.
C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que…
C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…

Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir.
Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.

Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse.
Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette.
Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.

J’en suis là.
Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.

L’automne arrive.
En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ».
En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte.
Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux.
Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.

J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.

Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?

Zone de passage (1)

Voilà deux mois qui viennent de courir.
Je fus en zone de passage pendant ce temps.

Ainsi le rapport des choses et de mon corps est décidément singulier : c’est lui qui fait que, quelquefois, je reste dans l’apparence et lui qui fait encore que quelquefois, je vais aux choses mêmes ; c’est lui qui fait le bourdonnement des apparences, lui encore qui le fait taire et me jette en plein monde. Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes n’allaient pas l’un sans l’autre. Davantage : comme si l’accès au monde n’était que l’autre face d’un retrait, et ce retrait en marge du monde une servitude et une autre expression de mon pouvoir naturel d’y entrer. Le monde est cela que je perçois, mais sa proximité absolue, dès qu’on l’examine et l’exprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrémédiable.
M.Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964 (puis 1979, puis 2016 ISBN 978-2-07-028625-6)

Le visible et l’invisible!
Voilà de nombreuses années que je danse passionnément, funambule entre ces deux mots antonymes, et que l’ouvrage de Merleau-Ponti reste en bonne place sous mes yeux, interrogeant quotidiennement mes questions sous l’immensité des spectres contenus entre l’un et l’autre.

Les zones de passage se succèdent dans chacune de nos vies et cependant nous en remarquons certaines plus que d’autres, probablement du fait de la force plus ou moins grande des sensations qu’elles imposent.

Et force est de constater qu’un arrêt brutal a marqué sans coup férir l’entrée dans une zone de passage le mardi 30 mai dernier.
En premier c’est mon corps qui s’est exprimé intensément, accaparant l’ensemble de mes questions et de mes actes.
Puis, très vite je suis partie en exploration… de plus loin… de l’horizon et de l’invisible.

J’ai posé beaucoup de question.
J’ai remis beaucoup de questions en question.

Insuffisamment sans doute, au point qu’un « rappel » (un peu plus doux, comme tout rappel) survint fort opportunément le 8 juin passé.
C’est assez remarquable car au cours de ma vie, jusqu’ici, j’ai presque toujours considéré chaque évènement avec toute l’importance qui lui était dû : l’enseignement qu’il transportait était immédiatement intégré et l’expérience suffisante pour impacter notablement mes actes à venir.

Ce coup ci, un rappel fut nécessaire.
Certainement parce qu’il y avait plus d’une décision à prendre.
Possiblement parce que j’étais embarquée sur plusieurs navires à la fois.

Je sors lentement de cette zone de passage, mon corps me rappelle (presqu’en douceur désormais) la puissance de l’invisible, du non-visible avec les yeux, du présent et de la mélancolie aussi indispensable à la joie que l’ombre l’est à la lumière.