Voilà deux mois qui viennent de courir. Je fus en zone de passage pendant ce temps.
Ainsi le rapport des choses et de mon corps est décidément singulier : c’est lui qui fait que, quelquefois, je reste dans l’apparence et lui qui fait encore que quelquefois, je vais aux choses mêmes ; c’est lui qui fait le bourdonnement des apparences, lui encore qui le fait taire et me jette en plein monde. Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes n’allaient pas l’un sans l’autre. Davantage : comme si l’accès au monde n’était que l’autre face d’un retrait, et ce retrait en marge du monde une servitude et une autre expression de mon pouvoir naturel d’y entrer. Le monde est cela que je perçois, mais sa proximité absolue, dès qu’on l’examine et l’exprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrémédiable. M.Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964 (puis 1979, puis 2016 ISBN 978-2-07-028625-6)
Le visible et l’invisible! Voilà de nombreuses années que je danse passionnément, funambule entre ces deux mots antonymes, et que l’ouvrage de Merleau-Ponti reste en bonne place sous mes yeux, interrogeant quotidiennement mes questions sous l’immensité des spectres contenus entre l’un et l’autre.
Les zones de passage se succèdent dans chacune de nos vies et cependant nous en remarquons certaines plus que d’autres, probablement du fait de la force plus ou moins grande des sensations qu’elles imposent.
Et force est de constater qu’un arrêt brutal a marqué sans coup férir l’entrée dans une zone de passage le mardi 30 mai dernier. En premier c’est mon corps qui s’est exprimé intensément, accaparant l’ensemble de mes questions et de mes actes. Puis, très vite je suis partie en exploration… de plus loin… de l’horizon et de l’invisible.
J’ai posé beaucoup de question. J’ai remis beaucoup de questions en question.
Insuffisamment sans doute, au point qu’un « rappel » (un peu plus doux, comme tout rappel) survint fort opportunément le 8 juin passé. C’est assez remarquable car au cours de ma vie, jusqu’ici, j’ai presque toujours considéré chaque évènement avec toute l’importance qui lui était dû : l’enseignement qu’il transportait était immédiatement intégré et l’expérience suffisante pour impacter notablement mes actes à venir.
Ce coup ci, un rappel fut nécessaire. Certainement parce qu’il y avait plus d’une décision à prendre. Possiblement parce que j’étais embarquée sur plusieurs navires à la fois.
Je sors lentement de cette zone de passage, mon corps me rappelle (presqu’en douceur désormais) la puissance de l’invisible, du non-visible avec les yeux, du présent et de la mélancolie aussi indispensable à la joie que l’ombre l’est à la lumière.
« La sagesse se trouve exactement où tu es, il suffit de passer de l’autre côté du désespoir ». De l’autre côté du désespoir, André Comte-Sponville, Edition Acarias-l’Originel, 1997 EAN: 9782863160657
Une chose est certaine le changement de décor fut celui qu’il me fallait. Les quelques jours où je m’y suis immergée en accompagnant une de mes petites filles au « stage poney » ont achevé de me convaincre. Le lieu est paisible. Les cavaliers qui le rejoignent sont tranquilles, souriants et simples, tous passionnés évidemment. Autour de l’île qui héberge les chevaux, la Loire s’écoule, imperturbable. La marée monte. La marée descend. Le paysage est à la fois changeant et permanent. Exactement ce dont j’avais besoin.
Le cheval aux crins lavés par le soleil se révéla très touchant. Certainement parce que c’est un vieux cheval. Mais ma propre vieillesse, Ma propre expérience des limites imposées par l’âge qui avance, A mon propre corps de vieille athlète, Me donnent une sensibilité que les « jeunes » ne peuvent pas avoir. Dans chacun des exercices que je lui demandais, je sentais la subtile difficulté, la non-décontraction réelle. Un peu « warrior » à sa manière de cheval, il donne sans hésiter, certainement parce qu’il est fait pour ça et en plus formaté « pour ça » depuis de nombreuses années. Mais en réalité ça tire, et séance après séance je me sentais devenir une espèce de kiné spécialisée pour l’inviter à se mouvoir le plus souplement possible, à s’étirer, à mouvoir chacun de ses muscles pour les préserver encore un peu du passage du temps qui passe. Et force fut de constater que dans les années qui me restent pour monter à cheval, je n’ai aucune envie d’être une soignante et encore moins de payer pour ça! Il fallait donc trouver une autre monture. Dans le même décor! Par chance un petit pur-sang est arrivé récemment. Sans hésiter, j’ai suivie la proposition de l’essayer. Je fus prévenue : il ne sait rien faire, il est complètement à l’envers. Et c’était déjà un programme possible qui m’enchantait. Mais il fallait essayer, « voir » de moi-même. Et oui, Jeune, éduqué mais sans aucun bagage « technique », il a tout à apprendre et en premier comment marcher sous la selle avec harmonie. Lui aussi est super gentil, exécutant approximativement ce qui lui est demandé de fort simple, mais à la manière d’un gamin, à l’arrache, par soumission, sans enthousiasme.
Banco!
J’étais super heureuse hier en quittant la belle île. Il y a de l’avenir à écrire. J’ignore lequel. Mais l’important est là, Plus loin.
J’avais ce besoin intense d’imaginer encore un « plus loin ». Il fallait qu’un brin de jeunesse, Vienne stimuler ma pensée, Avec toute la non-intention dont un cheval est capable.
Après ma dernière aventure qui fut l’occasion d’annuler tout projet de randonnée estival et de revoir aussi le sens de l’équitation que je désire, j’ai repris quelques activités. Puis, naturellement de plus en plus au fur et à mesure qu’un mieux-être se dessinait. J’ai sans doute trop vite accéléré, de nouvelles douleurs sont sorties de nulle part, des tensions, des contractures d’autant plus difficiles à supporter que j’avais l’impression d’avoir déjà bien encaissé. J’aurais vraiment apprécié approcher de la fin du passage. Sauf que la vie est espiègle et imprévisible.
Et puis, il y avait quand même un planning à respecter : l’obligation d’être la grand-mère de service pendant une semaine. Il fallait donc tout mettre en place pour réussir le challenge. Certains peuvent se hâter d’affirmer que le « stress » précédent conjugué au désir d’être à la hauteur pouvait lui-même être la source de la recrudescence des tensions. Ce serait aller vite en besogne. Je me savais encore physiquement fragile et je connais les besoins des jeunes enfants, leurs demandes brouillonnes comme leur présence bien ancrée dans leur propre monde, tous incapables de « comprendre » ce qu’un adulte vieillissant peut ressentir. J’avais accepté le challenge des mois plus tôt et j’étais en état de le relever avec quelques aménagements : pas question de courir la campagne, de sauter les marches dans les musées ni de courir après les papillons ; il restait tant à faire !
J’ai entamé la semaine comme une course d’endurance (j’ai un joli passé, donc une bonne expérience en la matière). J’étais encore vivante à mi-parcours et j’ai relevé le défi jusqu’au bout. Ce faisant, très peu de temps restait libre pour prendre soin de mes douleurs, pour aller à la piscine, pour étirer chaque tendon trop tendu. Le week-end est passé, il restait seulement un lundi de « garde » à assurer.
Je suis de nouveau partie en mode warrior pour assurer le service qui m’était demandé.
Auparavant, j’avais longuement réfléchi à la situation qui est la mienne aujourd’hui. . A l’époque où je faisais du sport en compétition, je regardais avec interrogation les « vieux » qui cherchaient à se faire valoir en courant après leur jeunesse. Bien que j’ai cessé assez tôt de challenger corps et mental dans des défis sportifs insensés, j’ai continué à repousser mes capacités d’endurance dans mon activité professionnelle. Combien de nuits blanches successives m’obligèrent-elles à survivre coûte que coûte? Combien de temps passé à courir d’une vie à l’autre, des exigences maternelles aux exigences professionnelles, toujours sans faillir ? C’était important que je le fasse. Qu’avais-je donc à prouver ? Quelles reconnaissances avais-je donc à quêter ? Dans quel but ?
Aujourd’hui, je sens qu’il est plus que temps d’abandonner le terrain. Que pourrais-je encore prouver ? Vis à vis de qui ? Et pourquoi ? Car je sais désormais que l’autosatisfaction est l’unique véritable récompense.
Vieillir, c’est disparaitre à petit feu. Disparaitre de la vie professionnelle, Disparaitre des compétitions sportives, C’est chercher désespérément du sens, « A quoi ça sert de se décarcasser » questionnait une publicité en 1978. Qui s’en souvient ? Vieillir, c’est certainement accepter le début de la fin, Baisser les armes, Cesser toute compétition Et cependant poursuivre les échanges.
Oui, selon la définition je suis une warrior, en ce sens que je suis vieille. Et j’aspire à la tranquillité, A la non compétition A prendre soin de mes vieux os avec plus d’attention que jamais, Afin de pouvoir, A l’occasion, prendre encore soin des autres avec plaisir,
Pour le simple plaisir d’avoir l’impression d’exister encore.
Pour entrer dans le vif du sujet j’ai vraiment changé de décor en passant des alentours du canal de Nantes à Brest aux bords de Loire.
Et puis, après le cheval d’indien, me voici en relation avec un cheval beaucoup plus classique. Si le soleil réalise un charmant balayage dans le doré de sa crinière d’alezan, sont look n’a rien d’exceptionnel et je suis assez contente de me retrouver en selle sur un cheval éduqué comme je l’entends.
Comment ai-je donc choisi ? Peut-être me suis-je laissée happer par la Loire ? A moins qu’un cheval ne m’ait choisie ? Ca c’est dans les rêves, non ? Mais pour l’anecdote, disons que j’ai saisi un clin d’oeil.
La semaine dernière lors de mon premier passage en bord de Loire, j’étais entrée dans le paddock du possible élu, sur l’invitation de la propriétaire : « Tu peux aller le voir et le caresser, il est là-bas ». Ma béquille dans une main et l’autre vide, je suis entrée et je me suis plantée au milieu de l’espace en me disant que j’allais pas le déranger, juste m’approcher et le regarder. Il a levé la tête. Il a baissé la tête. Il s’est mis en marche dans ma direction. Il fut bientôt si proche que j’ai posé ma main sur son front en murmurant des mots doux anodins. Nous étions ainsi en « conversation » lorsqu’un petit gars est arrivé à la barrière en me demandant qui m’avait autorisée à entrer. Comme je lui expliquais et l’encourageais à bavarder, il m’a rejoint au point où j’étais posée. Et le cheval s’est éloigné, il est allé se frotter le derrière contre un bel arbre. Au milieu du paddock, lui posé sur sa fourche et moi sur ma béquille, nous avons passé un instant. Puis, il s’en est retourné à son boulot avec mes félicitations pour son attention. Je pensais sortir à mon tour, mais ma lenteur fut telle que déjà le cheval était déjà revenu juste à mes côtés. Nous avons repris notre conversation où nous l’avions laissé. Bref, c’était un pur hasard, mais je pourrais dire que la balance avait un penché en sa faveur avant même d’avoir posé mon derrière sur son dos.
Depuis, j’ai poursuivi les essais. Ce qu’il faut souligner à nouveau c’est que partager la pension d’un cheval avec une autre personne, c’est s’engager vis à vis d’un couple et ma solitude naturelle doit absolument considérer les obligations qui en découlent.
Il me fallait donc utiliser la minuscule balance virtuelle qui est posée sur le même rayonnage que mes pensées en goguette. Il me fallait y déposer des étoiles scintillantes d’un côté et de l’autres des cailloux noirs en sachant que les étoiles peuvent s’éteindre et que les cailloux noirs peuvent s’illuminer. Et revenir à l’évidence : choisir c’est renoncer, c’est avancer et aller où le vent me poussera. J’ai choisi les bords de Loire.
Maintenant, il me reste à annoncer mon choix, aux personnes qui espéraient qu’il soit en leur faveur et ceci sans les blesser.
Après avoir parcouru l’intégralité de ma photothèque, il faut bien en arriver à la conclusion qu’aucune image n’est envisageable pour illustrer ce billet.
Aucune image ne peut rendre compte, même à travers mon imagination facilement galopante, de ce que signifie ce mot. Car ce mot en contient tant d’autres, dans de multiples dimensions et toujours en mouvement, que toute image plaquée dessus ne fait que le réduire à une illusion.
De la décontraction. Les deux derniers billets publiés ont fait une allusion à ce mot. L’un dans le rayon « cheval », l’autre associant ma quête botanique avec mon retour vers les chevaux. J’avais omis de le définir un peu plus précisément. Et voilà que mon actualité récente me plonge au coeur même de la réalité, de la vie, de la danse très particulière que je ressens lorsque je l’utilise, ce mot là. Décontraction.
Je me suis récemment blessée. Pour la première fois dans toute ma vie consciente (excluant de fait la toute petite enfance et seulement la toute petite enfance) je suis blessée sans avoir besoin d’en rendre compte à aucune collectivité, sans avoir besoin de faire un mot pour l’école, sans avoir besoin de prouver quoi que ce soit à l’université, à un employeur , à des collègues ou à qui que ce soit qui n’en à rien à faire sinon pour remplir des cases, des papiers, des étiquettes. Contrainte par mon corps, je suis obligée de ralentir, de me poser, d’interroger, de décider avec une certaine liberté car il ne s’agit que de ma petite personne, de ma propre responsabilité à assumer les conséquences auprès d’autres personnes certes, mais loin de tout système.
Je me suis blessée. J’ai fait mon propre diagnostic. Je me soigne.
Que j’avance rapidement ou lentement me touche en premier chef. Jamais je n’avais goûté cela. Les dernières blessures m’avaient obligée à jongler avec les obligations de la vie de famille, du boulot, m’avaient obligée à être pressée, à faire au plus vite, à faire « comme si » à imaginer que des « recettes » pourraient accélérer le processus inexorable de la guérison. J’accepte de penser que c’est le moment idéal pour expérimenter. J’ai la chance de disposer d’un corps encore souple, efficace, fonctionnant sans aides chimiques exogènes. J’ai cette chance car c’est ainsi que je peux rester chercheuse autonome, juste face à moi-même.
Une blessure, c’est une rupture de l’harmonie.
Sans harmonie, l’aisance disparait, la facilité aussi.
Par principe, j’ai toujours pensé qu’une blessure contactée à une vitesse humaine (15-20 km/h maximum, le pas de course d’un humain, le trot d’un cheval) survient mécaniquement en protection de l’essentiel, c’est à dire qu’elle survient de telle manière qu’elle évite, en fonction de ses conditions de survenue, une blessure vitalement plus grave. Par exemple, un os ou une articulation qui cède joue le rôle d’amortisseur pour éviter une blessure viscérale beaucoup plus dramatique. Ce coup-ci, aucun os, aucune articulation n’est lésé. Seul, un faisceau musculaire puissant a cédé quelques fibres afin d’amortir une chute qui, de fait, ne m’a occasionné aucune égratignure et aucune casse délétère. Mon principe est donc sauf une fois de plus !
Mais je suis bel et bien blessée. Donc il existe une réelle douleur Et j’ai besoin de regagner la décontraction…
Je m’étais levée bien avant l’aube. Avant même de réussir à mettre de l’ordre dans mes pensées encore endormies, débarqua le souvenir de la veille. Sur le chemin de l’écurie, une belle jument pangarée m’avait offert une succession de transitions dans une attitude légère quasi parfaite. Rien d’extraordinaire pour qui ne regarde que les parades de cinéma, mais un simple bonheur s’était invité dans l’instant. Ce petit matin là, j’en gardais la saveur intacte.
Dans l’avion, incapable de m’assoupir, j’avais fini par ouvrir ma tablette sur les derniers enseignements de F.Baucher (recueillis par le General Faverot de Kerbrech si cher à l’écuyer mirobolant que fut E. Beudant) Pour la énième fois, je relisais l’entrée du chapitre « Progression » : « On veut toujours aller trop vite. Pour arriver promptement, ne pas se presser mais assurer solidement chacun de ses pas. Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup. » J’étais en avion. Nous nous déplacions à environ 0,8 Mach et j’avais les fesses bien calées dans un fauteuil. En même temps, je souriais à l’idée du côté vain de toute négation : la phrase « ne pas se presser » étant lue par toute personne pressée en sautant à pieds joints sur l’adverbe négatif. De fait il pourrait être question de se presser tout en assurant chacun de ses pas ? Pourtant les proverbes sont nombreux à encourager positivement la patience! Mon père ne disait-il pas que tout vient à point pour qui sait attendre?
Fraichement débarqués sur l’île à explorer, en attendant que notre appartement soit prêt, nous nous sommes attablés devant un copieux « desayuno » local. Là, j’ai profité de la pause pour raconter mes dernière aventures équestres, passionnément, comme pour tourner la page des semaines précédentes et entrer de plein-pied dans une nouvelle aventure botanique.
Plus tard, lorsque la fatigue commença à se faire sentir, j’ai refusé l’idée de m’y laisser aller avant le soir en prenant la décision d’aller « là-bas » grimper sur la montagne visible à la droite de la magnifique baie que nous avions sous le regard. Seule. C’était une évidence. Et alors…
L’ascension commença. Le soleil avait le poids du plomb et mon sac à dos était bien léger en comparaison. J’avançais très lentement sur le chemin aride et caillouteux, par obligation et par prudence aussi, l’absence de sommeil étant un risque avéré de faux-pas. Mon obsession botanique était bien présente, toutes mes antennes étaient sorties sans que rien, rien ne les interpellât. Je me laissais porter par les fragrances méditerranéennes, tellement exotiques à mes sens, et par le paysage somptueux alliant le chaos des roches calcaires à la l’infini lisse de la mer.
Je grimpais, je contournais, j’inspectais parfois des oasis plus propices, mais d’orchidées sauvages point. Un regard à ma montre indiqua qu’il aurait été temps de rebrousser chemin, mais j’avançais encore. J’avais l’impression imaginaire qu’un rendez-vous m’attendait plus loin. Où aurait été le « plus loin » ? A quelques mètres ? Demain ? Un autre jour ? Je l’ignorais, j’avais simplement envie d’avancer encore un peu.
Et voilà que je l’ai vue. Dans un éclat lumineux, elle m’avait sauté aux yeux avec toute sa perfection, cette Ophrys des Baléares qui ne se trouve que dans l’archipel. En m’approchant, je pouvais vérifier qu’elle était particulièrement belle et intacte au bord de ce chemin où broutent les chèvres sauvages. Je me suis étirée, en équilibre sur les rochers, pour être encore plus proche, pour en contempler la splendeur.
Puis,
Le cœur en joie, j’ai poursuivi mon chemin un peu plus loin, imaginant trouver d’autres belles. En vain. Il était l’heure de faire demi-tour.
C’est alors que s’est invitée une longue méditation au sujet de la patience qui mène à la joie, une patience qui est mienne et qui m’entraine au bout de la patience volontaire, là où il n’y a plus rien que la patience paisible. Et j’allais du cheval aux fleurs sauvages, des fleurs au cheval, et tout en marchant avec attention, je me disais une fois encore que seul le chemin est important, le chemin déjà parcouru !
Car cette fleur là, je l’avais vue parce que je la connais, parce que je cherchais tout en marchant, tout en respirant, tout en m’extasiant du paysage, tout en saluant les passants. Qui d’autre l’avait remarquée en ce jour ? Combien de personnes passantes pressées d’arriver je ne sais où ? Combien de personnes bavardant au sujet de tout et rien ? Combien de solitaires rêvassant je ne sais quoi ? D’autres passionnés étaient-ils passé dans cet endroit si peu propice ?
Alors les histoires de chevaux débarquèrent en écho. Tellement semblables. Quel passant sait admirer, avant tout, la simple décontraction d’un palefroi? Combien de cavaliers ont eu l’émotion de diriger leur monture vers la lenteur majestueuse au souffle d’une intention absolument paisible ? Combien nombreux sont les chercheurs de subtilité et d’harmonie ? Combien se réjouissent d’un instant fugace, se contentant de savoir qu’il est possible pour pouvoir l’accueillir mieux encore une prochaine fois dans l’émotion d’un simple bonheur ?
Jusqu’à la plage ces questions tournèrent, rebondirent de l’une à l’autre sans que je sois capable de trouver le moindre réponse ni l’ultime recette qui aurait proposé une synthèse faisant éclater une quelconque vérité.
La virée touchait à la fin, sur le bitume retrouvé l’urgence était de capter une image à publier sur les réseaux sociaux, histoire de dire que nous étions bien arrivés, histoire de publier sans vraiment savoir pour qui, en fait. Ce fut fait. Alors, pour rejoindre mon véhicule, j’ai choisi de passer en équilibre au ras de l’eau, pour le plaisir. Et là… au creux d’un rocher… Se nichaient des belles, serrées les unes contre les autres. O.speculum et Serapia lingua Illuminées par le soleil du soir!
Le meilleur est toujours à venir. Il suffit de le savoir, Et d’oublier l’impatience.
Irrigation ancestrale creusée à même le sol (Tenerife)
Aparté : en fin d’année 2018, je publiais un billet nommé « Les autres », de fait celui ci porte le même titre agrémenté d’un « bis ». Le propos est différent bien que semblable dans le fond. J’ajoute que je choisis toujours les images avec soin, qu’elles font toujours partie de ma photothèque et qu’elles sont toujours en lien avec le billet, même s’il faut parfois un peu se creuser pour trouver 😉
Les autres. Ces autres qui dessinent le sens de nos vies. Le sens que nous attrapons en passant afin d’aller plus loin. Toujours plus loin, Au gré du vent.
Les autres. Ces autres indispensables à chacun de nos devenirs Quand bien même c’est absolument seuls Que nous marchons, Au gré du vent.
Je traverse un moment de turbulences. C’est évident. Inévitable, Comme lors de tous les vols. Et merveilleusement fascinant aussi, La danse des questions qui s’agitent Est formidablement multicolore.
Les chevaux sont à nouveau entrés dans ma vie. Innocemment. Et les chevaux n’ayant plus rien de sauvage, Ils sont associés aux humains, aux autres, Ces autres, ceux qui ne sont pas moi Et cependant de mon espèce, Donc un peu « moi » aussi.
(j’ai ouvert un nouveau chapitre dans ce blog sous le titre « cheval » afin d’y coller souvenirs et questions d’actualité)
Mon quotidien est à nouveau rythmé par la résonance du pas des chevaux, par l’éclat de leurs regards dénués d’intentions humaines, par leur puissance soumise et leurs exigences exploitées. Le jardin, la « chasse » aux orchidées sauvages représentaient à mes yeux, ces dernières années, des livres ouverts, des livres de philosophie. Les chevaux ajoutent le leur et je dispose maintenant d’un triptyque à nul autre pareil.
Pour revenir au titre de ce billet parti en digression, voici le résumé d’une récente aventure.
Je me balade généralement seule avec le petit appaloosa. Un jour, je le sentis frémissant à l’abord d’un pont et en cherchant au loin ce qui pouvait le mettre dans un tel état, j’aperçus un grand cheval noir. Le cheval noir et sa cavalière allaient leur chemin. Nous nous sommes croisés. Chacune, nous avons retenu nos chevaux afin qu’ils puissent se saluer dignement à la manière humaine, évitant ainsi les gestes et les expressions vocales propres à nos montures, un peu comme les parents demandent à leurs enfants de « bien se tenir » en présence d’inconnus. Et nous sommes reparties le long du canal, l’une d’un côté, l’autre à l’opposé. Je gardais le souvenir de la belle cavalière si différente dans son allure de celles que je côtoyais désormais.
Quelques semaines plus tard, les filles dont les chevaux partagent le même gite que « le mien » se promenaient ensemble lorsqu’elle firent la même rencontre. Mais à la différence de la solitaire assumée que je suis, elles entrèrent en relation avec la cavalière du cheval noir, échangèrent davantage qu’un simple salut et se firent la promesse de sortir ensemble d’autres fois.
Grâce à ces filles bien plus téméraires que moi (en matière d’invitation à cheminer à cheval) et grâce à un faisceau d’autres faits j’ai pu, à mon tour, faire plus ample connaissance avec la cavalière du cheval noir, avec le cheval noir lui-même et avec un autre cheval noir de la même écurie. Des trotteurs ! Des trotteurs avec une histoire de trotteurs précédant leur vie de « cheval de balade ». La vie est espiègle, c’est certain.
Et me voilà, grâce à ces autres, devant un « plus loin » toujours aussi inconnu, riche de nouveaux possibles presque palpables bien que réellement improbables. J’en viens à tirer des plans sur la comète, c’est dire !
La suite demeure à vivre. Passionnément Paisiblement Joyeusement.
Deuxième billet avec ce même titre et comme par hasard, le précédent était illustré bien à propos pour aujourd’hui.
A la fin du mois d’octobre, j’avais pris soin de « ma » pirogue, du « va’a » qui m’a tant offert dans ces dix dernières années. Depuis qu’un certain virus est entrée dans nos vies, ma pirogue est sortie de la ville, elle m’a entrainée sur l’océan. Là, encore davantage que sur l’eau dormante de la rivière, elle m’a montré à quel point elle est telle un cheval qu’il convient d’apprivoiser afin qu’en chaque circonstance il soit possible de garder un cap.
Combien de personnes m’ont ainsi entendu argumenter que je préférais mille fois le va’a traditionnel aux pirogues américaines pour la simple et bonne raison que j’aime son côté « cheval sauvage », ses initiatives qui ne sont pas toujours les miennes et qu’il me faut « gérer » pour avancer plus loin autant que pour rentrer à bon port ?
Depuis que je l’ai remise en état, pour un faisceau de raisons, je n’ai pas eu l’occasion de la chevaucher à nouveau. Et dans le même temps, plusieurs fois par semaine, je vais chevaucher un petit appaloosa. Clin d’oeil, je reste en noir et blanc!
Samedi, dans l’air limpide et froid, seule avec le petit cheval, j’ai respiré la nature comme je respire l’océan, immensément, juste posée entre terre et ciel, passionnément, comme dans un poème, exactement située dans l’instant présent. Hier dimanche, bis repetita. Comme le veille j’ai pensé au va’a.
Pourtant, hormis l’assemblage du noir et du blanc, pour tout un chacun, rien ne ressemble moins à un va’a qu’un cheval et rien ne ressemble moins à un cheval américain qu’une pirogue polynésienne. Sauf que pour moi, il est question de relation, de confiance et de moments passés ensemble pour l’une comme pour l’un, pour l’un comme pour l’une, seuls ensemble, seuls entre tout et rien. C’est très métaphysique, tout à fait impalpable, donc difficile à expliquer, mais c’est pareil.
Ca fait quelques années que j’ai commencé à faire des tas de cailloux en passant, des tas en équilibre précaire qui ont pour mission de s’écrouler dès que j’ai le dos tourné à moins que je ne les démonte après la captation d’image si ni le vent ni les vagues ne peuvent s’en charger.
Pour écrire ce billet j’ai une fois de plus plongé dans les entrailles de ce blog, à la recherche de billets plus anciens, de souvenirs ou d’arguments déjà avancés. J’ai retrouvé Melchior avec plaisir mais il y en a tant d’autres, celui-ci par exemple et d’autres et d’autres. C’est que je suis inquiète à l’idée de radoter et puis, finalement je suis heureuse de lire qui je suis depuis un bout de temps, racontant toujours les mêmes histoires en les pimentant du présent tout en les conservant à mon image.
J’ai déjà titré « Points de vues« . A deux « S » près, cette fois-ci je questionne davantage.
Davantage et plus loin, je questionne l’équilibre. D’équilibre aussi il est souvent question dans ce blog jusqu’à parler de l’effort nécessaire pour y parvenir. Maintes fois, mille fois, dix milles fois au cours d’une journée nous sommes en équilibre et nous passons d’un équilibre à un autre sans nous en apercevoir sans le noter, aussi automatiquement que nous marchons. nous passons d’une posture à une autre et cela nous semble si « normal » que nous n’y prêtons aucune attention.
Donc.
Quand je construis un tas de cailloux, je recherche un équilibre éphémère. Et, Je suis attentive au point de vue, c’est à dire à l’angle sous lequel je vais capter l’image afin que la fragilité de l’équilibre soit bien visible. Une fois que la construction me parait achevée, je tente de l’enregistrer dans mon APN, espérant que j’en garderai le souvenir préalablement imaginé. C’est difficile car entre l’imagination, la réalité et l’image enregistrée, tout un registre s’écrit. Si le vent m’en laisse le temps, je tente parfois de prendre une photo sous un autre angle, histoire d’avoir un point de vue différent.
L’autre jour, dans la lumière d’avant le crépuscule, dans la paix d’un lagon vidé par la marée, j’ai joué avec les cailloux et la lumière. La photographie visible sous le titre de ce billet fut celle que j’ai prise juste avant de tourner le dos et d’entendre le « plouf » caractéristique d’un « démontage automatique ». Le point de vue est donc celui que je n’avais pas prévu enregistrer, le côté pile en somme. En le regardant le soir sur grand écran, il m’apparu d’une grande stabilité. Impossible de passer à côté de cette notion de « point de vue » alors. Je connaissais la fragilité de mon édifice, je l’avais entendu s’écrouler spontanément sous la faible brise du soir et surtout j’avais l’autre point de vue sous les yeux.
Je voyais ce point « faible » et « fort » à la fois sur lequel reposait une bonne partie de l’édifice. Ce point terriblement fragile.
Comment oublier que la vie toute entière est ainsi construite, en équilibre entre forces et faiblesses ? Comment oublier que tout est question de point de vue ? Comment faire abstraction de la relativité en toute chose, de la variabilité des points de vue, de l’incessant renouvellement des postures ?
Définitivement, c’est en questionnant toujours plus loin que j’avance, en équilibre (forcément instable) sur le fil tendu entre mes paradoxes.
Je vous dis pas le nombre de fois où ces mots assemblés apparaissent sur les réseaux sociaux, dans des cadres sans âme, signés par des célébrités ou des anonymes, rappelant Lao-Tseu, Goethe ou n’importe qui, souvent dans un but de fourrer un peu plus la locution « développement personnel » laquelle ne signifie souvent rien de plus que « votre argent m’intéresse ».
Oui, la délicatesse et moi, ça fait deux!
Et oui, sur cette image, c’est le chemin qui prend toute la place. Et c’est le chemin qui prend toute la place particulièrement grâce au long bout de chemin qui est absent à l’image, celui qui est déjà parcouru.
Vous suivez ?
Depuis quelques temps, je fouille sur la toile du côté du microcosme « cheval » et c’est exactement comme fouiller dans un quelconque microcosme, il y a de tout, du pire, du moins pire, beaucoup de copier-collés et… le dressage de mon moteur de recherche ne permettant pas encore l’accès au « mieux », il faut que je cherche encore.
Car depuis quelques temps, précisément depuis que j’avais prévu d’offrir une balade en ma compagnie à une petite fille, je savais qu’inéluctablement j’allais réveiller un virus endormi.
Tout en le sachant, je me questionnais fort. Pas vraiment au sujet de « vais-je me souvenir? » car un cheval offrant un devant et un derrière, il suffit de se poser sur son dos dans le bon sens et hop, il se met en marche. Je me questionnais à propos d’un autre sens. A propos du sens que je pouvais trouver pour avancer plus loin à proximité des chevaux. N’avais-je pas décidé un jour que c’est en liberté qu’ils sont les plus beaux et le mieux respectés? Ce jour là j’avais décidé de vendre Grand Lama, un pur sang bai réformé des courses et acheté dans les couloirs de l’abattoir, un brave cheval, plutôt doué sur les barres. En sa compagnie après plusieurs mois d’exercices et d’entrainements au concours hippique, j’avais pu vivre la quintessence de la complicité jusqu’à ne plus avoir besoin ni de selle ni de bride pour partir sur son dos et le laisser jouer à sa guise. (1) Alors évidemment, en posant ces décisions, je ne faisais que danser sur le fil tendu entre mes paradoxes : je vendais un cheval à un cavalier qui allait « l’exploiter » et je gardais pour moi le principe de laisser les chevaux tranquilles. Oups….
Depuis ce jour déjà lointain, les centres équestres se sont multipliés, le nombre des cavaliers aussi et l’élevage des chevaux destinés aux loisirs des citadins, puis à la boucherie s’est lui aussi agrandi.
Oui, la délicatesse et moi, ça fait deux! Bis repetita placent.
Car si les chevaux sont réputés « travaillant », en France il existe très peu de travaux utilisant les chevaux pour une quelconque utilité laborieuse. Les chevaux sont en ultra majorité des animaux produits pour le loisir des loisirants. Les loisirants cavaliers sont des personnes qui soumettent des animaux qu’ils « vénèrent » à leurs bon vouloir pour… rien. C’est une sacré aventure contemporaine quand même, non?
Car, oui, remonter à cheval, c’est comme remonter à vélo, il faut sa plier aux obligations de sécurité en cours, il faut mettre un casque. Car, non, remonter à cheval, c’est pas comme remonter à vélo : un cheval est un animal sensible qui ne demande qu’à brouter jusqu’à la fin de ses jours.
Alors, quel sens donner à cette histoire ? Pour quelle raison « avoir à nouveau le désir » de monter à cheval ? Pour me balader avec A. ? Ok, ça peut rester très ponctuel. Et puis, d’ici un an ou deux ans elle n’aura vraiment plus aucun goût pour caracoler auprès d’une vieille grand-mère qui préfère le pas au galop débridé.
Comme d’habitude, j’ai donné du mou et laissé les questions se débrouiller entre elles. J’ai changé de sujet tout en tapotant sur la toile pour voir s’il y avait des chevaux qui cherchaient une cavalière aussi bizarre que moi.
Et voilà que j’ai finalement vu apparaitre un cheval d’indien, à moins que ce ne soit un cheval de cirque, un cheval blanc à taches noires, tout à fait assorti à la couleur de ma chevelure, un appaloosa selon le nom de sa race. (noter que pour les animaux, la notion de race demeure…) Il habite en rase campagne nantaise, chez des particuliers. il vit au pré sans rien demander mais sa propriétaire-cavalière aimerait qu’il se bouge un peu plus que deux fois par semaine, rien d’autre.
Banco ! Donner un coup de main, en voilà un truc sensé !
Et hop, l’affaire fut vite conclue entre les deux parties, le cheval n’avait rien à dire, un peu comme un vélo… donc !
Ce qui est magique, à l’image de ma vie, c’est que dès que je suis sortie seule avec ce cheval, j’ai vu tout ce que m’offre l’horizon. Et surtout j’ai vu que le potentiel qui s’offre est envisageable seulement parce que le temps est passé, patiemment, parce que j’ai plein d’expériences tellement différentes, parce que je suis tout à fait à la marge, parce que je suis … moi.
Bref, je remonte à cheval. Le cheval d’une personne qui « aime » son cheval. Et aussi, je marche à côté de ce cheval et je cours aussi lorsque je lui impose de trotter… Et je monte, Et je parle, Et il écoute. Le chemin est devant. Vers plus loin.
(1) Je précise que si ces moments furent le résultat spontané d’une relation très particulière poussée vers ces « jeux » qui n’avaient jamais été proposés en devanture des réseaux sociaux, lesquels n’existaient pas encore. Il ne fut jamais question de « challenge » ni d’exhibition. J’allais voir Grand Lama, généralement au crépuscule, à l’heure où tout s’apaise, je lui disais « on y va », j’ouvrais la barrière, je m’aidais d’une souche pour l’escalader et nous y allions. Où ? Où le vent nous portais, à travers les champs moissonnés. C’était sans aucune autre intention que « nous y allons ». Quand il en avait terminé avec ses expressions de joie, il partait au petit galop quelques foulées, il s’arrêtait, repartait au trot ou au galop, s’arrêtait, broutait un brin et rentrait au petit trot quand il décidait qu’il y aurait plus de nourriture à grappiller « chez nous » que dans la nature aride du coin… C’était fort simple. Je n’imagine pas que ce soit reproductible d’un simple claquement de doigts. Nous l’avons vécu. C’est tout.