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Une certaine routine

Je parlais de point fixe aujourd’hui même, ici.
Et j’avais aussi conjugué les points fixes avec les points de suspension par ici.

Depuis que je monte à cheval, beaucoup de mes réflexions tournent autour des chevaux et de l’équitation parce que j’y vois plusieurs sociétés en taille réduite, donc autant d’interrogations qui me situent moi-même sur un certain chemin, sur certaines recherches, certaines attentes tranquilles ou plaisirs immédiats.

La « routine » de ces dernières semaines avec cinq jours passés auprès des chevaux chaque semaine représente un point fixe placé sur les turbulences des passages.

Trois chevaux, toujours les mêmes B. , I. et S.
Je les observe, je les monte chacun leur tour, je les observe.
Attentive à ma relation à eux, donc attentive à mon attitude en leur présence, à ce que change le moindre geste dans leur regard de cheval si différent de notre regard humain, à ce que change la moindre contraction « parasite » de mon corps posé à leurs sens de chevaux tellement à fleur de peau.
Car les chevaux ne pensent pas.
En tout cas, ils ne regardent pas les chaines d’information en continue, pas plus que les réseaux sociaux qui parfois déblatèrent en leur nom.
Les chevaux sont dans l’instant présent.

C’est certainement cet instant présent super présent qui constitue le point fixe qui m’est utile en ce moment. (A noter pour les personnes qui suivent et s’y perdent que j’ai remplacé C. par S. preuve s’il en était que chaque cheval est tout sauf un point fixe! )

Parce que la vie des humains est remplie par l’actualité galopante, par ce que nous oblige la société de consommation, mes pensées sont alternativement hyper denses et absolument creuses.
Lorsque je descends de vélo pour m’asseoir dans la voiture et me diriger en direction de l’une ou l’autre écurie, je laisse s’égrener ce que raconte la radio sans avoir besoin de mettre la moindre pause musicale. Ma petite musique interne fait le job. Je suis dans un entre-deux et j’ai toujours apprécié ces moments.

Et 20 à 30 minutes plus tard, je mets pied à terre et je suis dans l’univers des chevaux.
Et là, je suis là.
Encore plus intensément dès le moment où j’arrive à côté du cheval du jour.
Et davantage encore au moment où je l’enfourche.
Je suis en sa compagnie, je lui propose d’établir une relation, toujours la même, paisible, sans état d’âme, dénuée de la notion binaire bien/mal.
Ce qu’il me fait sentir m’oblige à essayer de ressentir ce qu’il a ressenti pour en arriver à réagir. La moindre tension de son côté interroge la tension que je lui impose.
C’est une partition absolument passionnante, toujours renouvelée, impossible à rejouer exactement pareil, tout comme en mer il est impossible de retourner sur sa trace, bien qu’il soit possible de reprendre un cap.

J’ai tellement conscience de la qualité de ces moments.

Je suis pleinement reconnaissante à tout le chemin déjà parcouru depuis ma venue au monde car c’est ce chemin à nul autre pareil qui nourrit aujourd’hui ma routine.

Dans cet espace, si je suis parfois conseillère, si je suis parfois scrutée, si je suis parfois radoteuse, jugée « réac » même, je sais que c’est uniquement avec et par les humains qui passent. Les animaux ignorent les jugements et c’est pour nous, humains, une grâce qui nous permet de regarder ce que nous souhaitons dans le miroir de leurs yeux.

A mes yeux, la grâce, c’est le bonheur et le confort d’un point fixe, d’une routine, de nombreux « entre-deux » toujours différents bien que renouvelés cinq fois par semaine.

Zone de passage (2)

Ce deuxième épisode élargit le premier.

Nous passons de passages en passages, c’est un fait.
Ce constat est vertigineux.
C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que…
C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…

Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir.
Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.

Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse.
Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette.
Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.

J’en suis là.
Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.

L’automne arrive.
En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ».
En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte.
Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux.
Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.

J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.

Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?

Zone de passage (1)

Voilà deux mois qui viennent de courir.
Je fus en zone de passage pendant ce temps.

Ainsi le rapport des choses et de mon corps est décidément singulier : c’est lui qui fait que, quelquefois, je reste dans l’apparence et lui qui fait encore que quelquefois, je vais aux choses mêmes ; c’est lui qui fait le bourdonnement des apparences, lui encore qui le fait taire et me jette en plein monde. Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes n’allaient pas l’un sans l’autre. Davantage : comme si l’accès au monde n’était que l’autre face d’un retrait, et ce retrait en marge du monde une servitude et une autre expression de mon pouvoir naturel d’y entrer. Le monde est cela que je perçois, mais sa proximité absolue, dès qu’on l’examine et l’exprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrémédiable.
M.Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964 (puis 1979, puis 2016 ISBN 978-2-07-028625-6)

Le visible et l’invisible!
Voilà de nombreuses années que je danse passionnément, funambule entre ces deux mots antonymes, et que l’ouvrage de Merleau-Ponti reste en bonne place sous mes yeux, interrogeant quotidiennement mes questions sous l’immensité des spectres contenus entre l’un et l’autre.

Les zones de passage se succèdent dans chacune de nos vies et cependant nous en remarquons certaines plus que d’autres, probablement du fait de la force plus ou moins grande des sensations qu’elles imposent.

Et force est de constater qu’un arrêt brutal a marqué sans coup férir l’entrée dans une zone de passage le mardi 30 mai dernier.
En premier c’est mon corps qui s’est exprimé intensément, accaparant l’ensemble de mes questions et de mes actes.
Puis, très vite je suis partie en exploration… de plus loin… de l’horizon et de l’invisible.

J’ai posé beaucoup de question.
J’ai remis beaucoup de questions en question.

Insuffisamment sans doute, au point qu’un « rappel » (un peu plus doux, comme tout rappel) survint fort opportunément le 8 juin passé.
C’est assez remarquable car au cours de ma vie, jusqu’ici, j’ai presque toujours considéré chaque évènement avec toute l’importance qui lui était dû : l’enseignement qu’il transportait était immédiatement intégré et l’expérience suffisante pour impacter notablement mes actes à venir.

Ce coup ci, un rappel fut nécessaire.
Certainement parce qu’il y avait plus d’une décision à prendre.
Possiblement parce que j’étais embarquée sur plusieurs navires à la fois.

Je sors lentement de cette zone de passage, mon corps me rappelle (presqu’en douceur désormais) la puissance de l’invisible, du non-visible avec les yeux, du présent et de la mélancolie aussi indispensable à la joie que l’ombre l’est à la lumière.

Dans le nouveau décor


« La sagesse se trouve exactement où tu es, il suffit de passer de l’autre côté du désespoir ».
De l’autre côté du désespoir, André Comte-Sponville, Edition Acarias-l’Originel, 1997
EAN: 9782863160657 

Une chose est certaine le changement de décor fut celui qu’il me fallait.
Les quelques jours où je m’y suis immergée en accompagnant une de mes petites filles au « stage poney » ont achevé de me convaincre.
Le lieu est paisible.
Les cavaliers qui le rejoignent sont tranquilles, souriants et simples, tous passionnés évidemment.
Autour de l’île qui héberge les chevaux, la Loire s’écoule, imperturbable.
La marée monte.
La marée descend.
Le paysage est à la fois changeant et permanent.
Exactement ce dont j’avais besoin.

Le cheval aux crins lavés par le soleil se révéla très touchant.
Certainement parce que c’est un vieux cheval.
Mais ma propre vieillesse,
Ma propre expérience des limites imposées par l’âge qui avance,
A mon propre corps de vieille athlète,
Me donnent une sensibilité que les « jeunes » ne peuvent pas avoir.
Dans chacun des exercices que je lui demandais, je sentais la subtile difficulté, la non-décontraction réelle. Un peu « warrior » à sa manière de cheval, il donne sans hésiter, certainement parce qu’il est fait pour ça et en plus formaté « pour ça » depuis de nombreuses années. Mais en réalité ça tire, et séance après séance je me sentais devenir une espèce de kiné spécialisée pour l’inviter à se mouvoir le plus souplement possible, à s’étirer, à mouvoir chacun de ses muscles pour les préserver encore un peu du passage du temps qui passe.
Et force fut de constater que dans les années qui me restent pour monter à cheval, je n’ai aucune envie d’être une soignante et encore moins de payer pour ça!
Il fallait donc trouver une autre monture.
Dans le même décor!
Par chance un petit pur-sang est arrivé récemment.
Sans hésiter, j’ai suivie la proposition de l’essayer.
Je fus prévenue : il ne sait rien faire, il est complètement à l’envers.
Et c’était déjà un programme possible qui m’enchantait.
Mais il fallait essayer, « voir » de moi-même.
Et oui,
Jeune, éduqué mais sans aucun bagage « technique », il a tout à apprendre et en premier comment marcher sous la selle avec harmonie.
Lui aussi est super gentil, exécutant approximativement ce qui lui est demandé de fort simple, mais à la manière d’un gamin, à l’arrache, par soumission, sans enthousiasme.

Banco!

J’étais super heureuse hier en quittant la belle île.
Il y a de l’avenir à écrire.
J’ignore lequel.
Mais l’important est là,
Plus loin.

J’avais ce besoin intense d’imaginer encore un « plus loin ».
Il fallait qu’un brin de jeunesse,
Vienne stimuler ma pensée,
Avec toute la non-intention dont un cheval est capable.

Warrior

Après ma dernière aventure qui fut l’occasion d’annuler tout projet de randonnée estival et de revoir aussi le sens de l’équitation que je désire, j’ai repris quelques activités. Puis, naturellement de plus en plus au fur et à mesure qu’un mieux-être se dessinait.
J’ai sans doute trop vite accéléré, de nouvelles douleurs sont sorties de nulle part, des tensions, des contractures d’autant plus difficiles à supporter que j’avais l’impression d’avoir déjà bien encaissé.
J’aurais vraiment apprécié approcher de la fin du passage.
Sauf que la vie est espiègle et imprévisible.

Et puis, il y avait quand même un planning à respecter : l’obligation d’être la grand-mère de service pendant une semaine.
Il fallait donc tout mettre en place pour réussir le challenge.
Certains peuvent se hâter d’affirmer que le « stress » précédent conjugué au désir d’être à la hauteur pouvait lui-même être la source de la recrudescence des tensions.
Ce serait aller vite en besogne.
Je me savais encore physiquement fragile et je connais les besoins des jeunes enfants, leurs demandes brouillonnes comme leur présence bien ancrée dans leur propre monde, tous incapables de « comprendre » ce qu’un adulte vieillissant peut ressentir.
J’avais accepté le challenge des mois plus tôt et j’étais en état de le relever avec quelques aménagements : pas question de courir la campagne, de sauter les marches dans les musées ni de courir après les papillons ; il restait tant à faire !

J’ai entamé la semaine comme une course d’endurance (j’ai un joli passé, donc une bonne expérience en la matière). J’étais encore vivante à mi-parcours et j’ai relevé le défi jusqu’au bout.
Ce faisant, très peu de temps restait libre pour prendre soin de mes douleurs, pour aller à la piscine, pour étirer chaque tendon trop tendu.
Le week-end est passé, il restait seulement un lundi de « garde » à assurer.

Je suis de nouveau partie en mode warrior pour assurer le service qui m’était demandé.

Auparavant, j’avais longuement réfléchi à la situation qui est la mienne aujourd’hui.
.
A l’époque où je faisais du sport en compétition, je regardais avec interrogation les « vieux » qui cherchaient à se faire valoir en courant après leur jeunesse.
Bien que j’ai cessé assez tôt de challenger corps et mental dans des défis sportifs insensés, j’ai continué à repousser mes capacités d’endurance dans mon activité professionnelle.
Combien de nuits blanches successives m’obligèrent-elles à survivre coûte que coûte?
Combien de temps passé à courir d’une vie à l’autre, des exigences maternelles aux exigences professionnelles, toujours sans faillir ?
C’était important que je le fasse.
Qu’avais-je donc à prouver ?
Quelles reconnaissances avais-je donc à quêter ?
Dans quel but ?

Aujourd’hui, je sens qu’il est plus que temps d’abandonner le terrain.
Que pourrais-je encore prouver ?
Vis à vis de qui ?
Et pourquoi ? Car je sais désormais que l’autosatisfaction est l’unique véritable récompense.

Vieillir, c’est disparaitre à petit feu.
Disparaitre de la vie professionnelle,
Disparaitre des compétitions sportives,
C’est chercher désespérément du sens,
« A quoi ça sert de se décarcasser » questionnait une publicité en 1978.
Qui s’en souvient ?
Vieillir, c’est certainement accepter le début de la fin,
Baisser les armes,
Cesser toute compétition
Et cependant poursuivre les échanges.

Parce que les échanges sont la base de ce qui fait société.
Coûte que coûte, donc.
Car jamais il ne sont gratuits.

Oui, selon la définition je suis une warrior, en ce sens que je suis vieille.
Et j’aspire à la tranquillité,
A la non compétition
A prendre soin de mes vieux os avec plus d’attention que jamais,
Afin de pouvoir,
A l’occasion, prendre encore soin des autres avec plaisir,

Pour le simple plaisir d’avoir l’impression d’exister encore.

Changement de décor (suite)


Il y a quelques jours j’avais promis la suite, la voilà!

Pour entrer dans le vif du sujet j’ai vraiment changé de décor en passant des alentours du canal de Nantes à Brest aux bords de Loire.

Et puis, après le cheval d’indien, me voici en relation avec un cheval beaucoup plus classique. Si le soleil réalise un charmant balayage dans le doré de sa crinière d’alezan, sont look n’a rien d’exceptionnel et je suis assez contente de me retrouver en selle sur un cheval éduqué comme je l’entends.

Comment ai-je donc choisi ?
Peut-être me suis-je laissée happer par la Loire ?
A moins qu’un cheval ne m’ait choisie ?
Ca c’est dans les rêves, non ?
Mais pour l’anecdote, disons que j’ai saisi un clin d’oeil.

La semaine dernière lors de mon premier passage en bord de Loire, j’étais entrée dans le paddock du possible élu, sur l’invitation de la propriétaire : « Tu peux aller le voir et le caresser, il est là-bas ».
Ma béquille dans une main et l’autre vide, je suis entrée et je me suis plantée au milieu de l’espace en me disant que j’allais pas le déranger, juste m’approcher et le regarder.
Il a levé la tête.
Il a baissé la tête.
Il s’est mis en marche dans ma direction.
Il fut bientôt si proche que j’ai posé ma main sur son front en murmurant des mots doux anodins.
Nous étions ainsi en « conversation » lorsqu’un petit gars est arrivé à la barrière en me demandant qui m’avait autorisée à entrer.
Comme je lui expliquais et l’encourageais à bavarder, il m’a rejoint au point où j’étais posée.
Et le cheval s’est éloigné, il est allé se frotter le derrière contre un bel arbre.
Au milieu du paddock, lui posé sur sa fourche et moi sur ma béquille, nous avons passé un instant.
Puis, il s’en est retourné à son boulot avec mes félicitations pour son attention.
Je pensais sortir à mon tour, mais ma lenteur fut telle que déjà le cheval était déjà revenu juste à mes côtés.
Nous avons repris notre conversation où nous l’avions laissé.
Bref, c’était un pur hasard, mais je pourrais dire que la balance avait penché en sa faveur avant même d’avoir posé mon derrière sur son dos.

Depuis, j’ai poursuivi les essais.
Ce qu’il faut souligner à nouveau c’est que partager la pension d’un cheval avec une autre personne, c’est s’engager vis à vis d’un couple et ma solitude naturelle doit absolument considérer les obligations qui en découlent.

Il me fallait donc utiliser la minuscule balance virtuelle qui est posée sur le même rayonnage que mes pensées en goguette.
Il me fallait y déposer des étoiles scintillantes d’un côté et de l’autres des cailloux noirs en sachant que les étoiles peuvent s’éteindre et que les cailloux noirs peuvent s’illuminer.
Et revenir à l’évidence : choisir c’est renoncer, c’est avancer et aller où le vent me poussera.
J’ai choisi les bords de Loire.

Maintenant, il me reste à annoncer mon choix, aux personnes qui espéraient qu’il soit en leur faveur et ceci sans les blesser.

Et me voilà partie vers de nouvelles aventures !



De la décontraction (1)

Après avoir parcouru l’intégralité de ma photothèque, il faut bien en arriver à la conclusion qu’aucune image n’est envisageable pour illustrer ce billet.

De la décontraction.
Décontraction

Aucune image ne peut rendre compte, même à travers mon imagination facilement galopante, de ce que signifie ce mot.
Car ce mot en contient tant d’autres, dans de multiples dimensions et toujours en mouvement, que toute image plaquée dessus ne fait que le réduire à une illusion.

De la décontraction.
Les deux derniers billets publiés ont fait une allusion à ce mot.
L’un dans le rayon « cheval », l’autre associant ma quête botanique avec mon retour vers les chevaux.
J’avais omis de le définir un peu plus précisément.
Et voilà que mon actualité récente me plonge au coeur même de la réalité, de la vie, de la danse très particulière que je ressens lorsque je l’utilise, ce mot là.
Décontraction.

Je me suis récemment blessée.
Pour la première fois dans toute ma vie consciente (excluant de fait la toute petite enfance et seulement la toute petite enfance) je suis blessée sans avoir besoin d’en rendre compte à aucune collectivité, sans avoir besoin de faire un mot pour l’école, sans avoir besoin de prouver quoi que ce soit à l’université, à un employeur , à des collègues ou à qui que ce soit qui n’en à rien à faire sinon pour remplir des cases, des papiers, des étiquettes.
Contrainte par mon corps, je suis obligée de ralentir, de me poser, d’interroger, de décider avec une certaine liberté car il ne s’agit que de ma petite personne, de ma propre responsabilité à assumer les conséquences auprès d’autres personnes certes, mais loin de tout système.

Je me suis blessée.
J’ai fait mon propre diagnostic.
Je me soigne.

Que j’avance rapidement ou lentement me touche en premier chef.
Jamais je n’avais goûté cela.
Les dernières blessures m’avaient obligée à jongler avec les obligations de la vie de famille, du boulot, m’avaient obligée à être pressée, à faire au plus vite, à faire « comme si » à imaginer que des « recettes » pourraient accélérer le processus inexorable de la guérison.
J’accepte de penser que c’est le moment idéal pour expérimenter.
J’ai la chance de disposer d’un corps encore souple, efficace, fonctionnant sans aides chimiques exogènes. J’ai cette chance car c’est ainsi que je peux rester chercheuse autonome, juste face à moi-même.

Une blessure, c’est une rupture de l’harmonie.

Sans harmonie, l’aisance disparait, la facilité aussi.

Par principe, j’ai toujours pensé qu’une blessure contactée à une vitesse humaine (15-20 km/h maximum, le pas de course d’un humain, le trot d’un cheval) survient mécaniquement en protection de l’essentiel, c’est à dire qu’elle survient de telle manière qu’elle évite, en fonction de ses conditions de survenue, une blessure vitalement plus grave.
Par exemple, un os ou une articulation qui cède joue le rôle d’amortisseur pour éviter une blessure viscérale beaucoup plus dramatique.
Ce coup-ci, aucun os, aucune articulation n’est lésé. Seul, un faisceau musculaire puissant a cédé quelques fibres afin d’amortir une chute qui, de fait, ne m’a occasionné aucune égratignure et aucune casse délétère.
Mon principe est donc sauf une fois de plus !

Mais je suis bel et bien blessée.
Donc il existe une réelle douleur
Et j’ai besoin de regagner la décontraction…

(à suivre)

De la patience joyeuse


Histoire d’un jour.

Je m’étais levée bien avant l’aube.
Avant même de réussir à mettre de l’ordre dans mes pensées encore endormies, débarqua le souvenir de la veille. Sur le chemin de l’écurie, une belle jument pangarée m’avait offert une succession de transitions dans une attitude légère quasi parfaite. Rien d’extraordinaire pour qui ne regarde que les parades de cinéma, mais un simple bonheur s’était invité dans l’instant.
Ce petit matin là, j’en gardais la saveur intacte.

Dans l’avion, incapable de m’assoupir, j’avais fini par ouvrir ma tablette sur les derniers enseignements de F.Baucher (recueillis par le General Faverot de Kerbrech si cher à l’écuyer mirobolant que fut E. Beudant)
Pour la énième fois, je relisais l’entrée du chapitre « Progression » :
« On veut toujours aller trop vite. Pour arriver promptement, ne pas se presser mais assurer solidement chacun de ses pas.
Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup. »

J’étais en avion. 
Nous nous déplacions à environ 0,8 Mach et j’avais les fesses bien calées dans un fauteuil.
En même temps, je souriais à l’idée du côté vain de toute négation : la phrase « ne pas se presser » étant lue par toute personne pressée en sautant à pieds joints sur l’adverbe négatif. De fait il pourrait être question de se presser tout en assurant chacun de ses pas ? Pourtant les proverbes sont nombreux à encourager positivement la patience!
Mon père ne disait-il pas que tout vient à point pour qui sait attendre?

Fraichement débarqués sur l’île à explorer, en attendant que notre appartement soit prêt, nous nous sommes attablés devant un copieux « desayuno » local. 
Là, j’ai profité de la pause pour raconter mes dernière aventures équestres, passionnément, comme pour tourner la page des semaines précédentes et entrer de plein-pied dans une nouvelle aventure botanique.

Plus tard, lorsque la fatigue commença à se faire sentir, j’ai refusé l’idée de m’y laisser aller avant le soir en prenant la décision d’aller « là-bas » grimper sur la montagne visible à la droite de la magnifique baie que nous avions sous le regard.
Seule.
C’était une évidence.
Et alors…

L’ascension commença.
Le soleil avait le poids du plomb et mon sac à dos était bien léger en comparaison. J’avançais très lentement sur le chemin aride et caillouteux, par obligation et par prudence aussi, l’absence de sommeil étant un risque avéré de faux-pas.
Mon obsession botanique était bien présente, toutes mes antennes étaient sorties sans que rien, rien ne les interpellât.
Je me laissais porter par les fragrances méditerranéennes, tellement exotiques à mes sens, et par le paysage somptueux alliant le chaos des roches calcaires à la l’infini lisse de la mer.

Je grimpais, je contournais, j’inspectais parfois des oasis plus propices, mais d’orchidées sauvages point.
Un regard à ma montre indiqua qu’il aurait été temps de rebrousser chemin, mais j’avançais encore.
J’avais l’impression imaginaire qu’un rendez-vous m’attendait plus loin.
Où aurait été le « plus loin » ? 
A quelques mètres ?
Demain ?
Un autre jour ? 
Je l’ignorais, j’avais simplement envie d’avancer encore un peu. 

Et voilà que je l’ai vue.
Dans un éclat lumineux, elle m’avait sauté aux yeux avec toute sa perfection, cette Ophrys des Baléares qui ne se trouve que dans l’archipel.
En m’approchant, je pouvais vérifier qu’elle était particulièrement belle et intacte au bord de ce chemin où broutent les chèvres sauvages. Je me suis étirée, en équilibre sur les rochers, pour être encore plus proche, pour en contempler la splendeur.

Puis,

Le cœur en joie, j’ai poursuivi mon chemin un peu plus loin, imaginant trouver d’autres belles.
En vain.
Il était l’heure de faire demi-tour.

C’est alors que s’est invitée une longue méditation au sujet de la patience qui mène à la joie, une patience qui est mienne et qui m’entraine au bout de la patience volontaire, là où il n’y a plus rien que la patience paisible. Et j’allais du cheval aux fleurs sauvages, des fleurs au cheval, et tout en marchant avec attention, je me disais une fois encore que seul le chemin est important, le chemin déjà parcouru !

Car cette fleur là, je l’avais vue parce que je la connais, parce que je cherchais tout en marchant, tout en respirant, tout en m’extasiant du paysage, tout en saluant les passants. 
Qui d’autre l’avait remarquée en ce jour ?
Combien de personnes passantes pressées d’arriver je ne sais où ?
Combien de personnes bavardant au sujet de tout et rien ?
Combien de solitaires rêvassant je ne sais quoi ?
D’autres passionnés étaient-ils passé dans cet endroit si peu propice ?

Alors les histoires de chevaux débarquèrent en écho.
Tellement semblables.
Quel passant sait admirer, avant tout, la simple décontraction d’un palefroi
Combien de cavaliers ont eu l’émotion de diriger leur monture vers la lenteur majestueuse au souffle d’une intention absolument paisible ?
Combien nombreux sont les chercheurs de subtilité et d’harmonie ?
Combien se réjouissent d’un instant fugace, se contentant de savoir qu’il est possible pour pouvoir l’accueillir mieux encore une prochaine fois dans l’émotion d’un simple bonheur ?

Jusqu’à la plage ces questions tournèrent, rebondirent de l’une à l’autre sans que je sois capable de trouver le moindre réponse ni l’ultime recette qui aurait proposé une synthèse faisant éclater une quelconque vérité.

La virée touchait à la fin, sur le bitume retrouvé l’urgence était de capter une image à publier sur les réseaux sociaux, histoire de dire que nous étions bien arrivés, histoire de publier sans vraiment savoir pour qui, en fait.
Ce fut fait.
Alors, pour rejoindre mon véhicule, j’ai choisi de passer en équilibre au ras de l’eau, pour le plaisir.
Et là… au creux d’un rocher…
Se nichaient des belles, serrées les unes contre les autres.
O.speculum et Serapia lingua
Illuminées par le soleil du soir!

Le meilleur est toujours à venir.
Il suffit de le savoir,
Et d’oublier l’impatience.

Les autres (bis)

Irrigation ancestrale creusée à même le sol (Tenerife)



Aparté : en fin d’année 2018, je publiais un billet nommé « Les autres », de fait celui ci porte le même titre agrémenté d’un « bis ». Le propos est différent bien que semblable dans le fond.
J’ajoute que je choisis toujours les images avec soin, qu’elles font toujours partie de ma photothèque et qu’elles sont toujours en lien avec le billet, même s’il faut parfois un peu se creuser pour trouver 😉

Les autres.
Ces autres qui dessinent le sens de nos vies.
Le sens que nous attrapons en passant afin d’aller plus loin.
Toujours plus loin,
Au gré du vent.

Les autres.
Ces autres indispensables à chacun de nos devenirs
Quand bien même c’est absolument seuls
Que nous marchons,
Au gré du vent.

Je traverse un moment de turbulences.
C’est évident.
Inévitable,
Comme lors de tous les vols.
Et merveilleusement fascinant aussi,
La danse des questions qui s’agitent
Est formidablement multicolore.

Les chevaux sont à nouveau entrés dans ma vie.
Innocemment.
Et les chevaux n’ayant plus rien de sauvage,
Ils sont associés aux humains, aux autres,
Ces autres, ceux qui ne sont pas moi
Et cependant de mon espèce,
Donc un peu « moi » aussi.

(j’ai ouvert un nouveau chapitre dans ce blog sous le titre « cheval » afin d’y coller souvenirs et questions d’actualité)

Mon quotidien est à nouveau rythmé par la résonance du pas des chevaux, par l’éclat de leurs regards dénués d’intentions humaines, par leur puissance soumise et leurs exigences exploitées.
Le jardin, la « chasse » aux orchidées sauvages représentaient à mes yeux, ces dernières années, des livres ouverts, des livres de philosophie. Les chevaux ajoutent le leur et je dispose maintenant d’un triptyque à nul autre pareil.

Pour revenir au titre de ce billet parti en digression, voici le résumé d’une récente aventure.

Je me balade généralement seule avec le petit appaloosa.
Un jour, je le sentis frémissant à l’abord d’un pont et en cherchant au loin ce qui pouvait le mettre dans un tel état, j’aperçus un grand cheval noir.
Le cheval noir et sa cavalière allaient leur chemin.
Nous nous sommes croisés.
Chacune, nous avons retenu nos chevaux afin qu’ils puissent se saluer dignement à la manière humaine, évitant ainsi les gestes et les expressions vocales propres à nos montures, un peu comme les parents demandent à leurs enfants de « bien se tenir » en présence d’inconnus.
Et nous sommes reparties le long du canal, l’une d’un côté, l’autre à l’opposé.
Je gardais le souvenir de la belle cavalière si différente dans son allure de celles que je côtoyais désormais.

Quelques semaines plus tard, les filles dont les chevaux partagent le même gite que « le mien » se promenaient ensemble lorsqu’elle firent la même rencontre.
Mais à la différence de la solitaire assumée que je suis, elles entrèrent en relation avec la cavalière du cheval noir, échangèrent davantage qu’un simple salut et se firent la promesse de sortir ensemble d’autres fois.

Grâce à ces filles bien plus téméraires que moi (en matière d’invitation à cheminer à cheval) et grâce à un faisceau d’autres faits j’ai pu, à mon tour, faire plus ample connaissance avec la cavalière du cheval noir, avec le cheval noir lui-même et avec un autre cheval noir de la même écurie.
Des trotteurs !
Des trotteurs avec une histoire de trotteurs précédant leur vie de « cheval de balade ».
La vie est espiègle, c’est certain.

Et me voilà, grâce à ces autres, devant un « plus loin » toujours aussi inconnu, riche de nouveaux possibles presque palpables bien que réellement improbables.
J’en viens à tirer des plans sur la comète, c’est dire !

La suite demeure à vivre.
Passionnément
Paisiblement
Joyeusement.

Instant présent (bis)

Deuxième billet avec ce même titre et comme par hasard, le précédent était illustré bien à propos pour aujourd’hui.

A la fin du mois d’octobre, j’avais pris soin de « ma » pirogue, du « va’a » qui m’a tant offert dans ces dix dernières années. Depuis qu’un certain virus est entrée dans nos vies, ma pirogue est sortie de la ville, elle m’a entrainée sur l’océan. Là, encore davantage que sur l’eau dormante de la rivière, elle m’a montré à quel point elle est telle un cheval qu’il convient d’apprivoiser afin qu’en chaque circonstance il soit possible de garder un cap.

Combien de personnes m’ont ainsi entendu argumenter que je préférais mille fois le va’a traditionnel aux pirogues américaines pour la simple et bonne raison que j’aime son côté « cheval sauvage », ses initiatives qui ne sont pas toujours les miennes et qu’il me faut « gérer » pour avancer plus loin autant que pour rentrer à bon port ?

Depuis que je l’ai remise en état, pour un faisceau de raisons, je n’ai pas eu l’occasion de la chevaucher à nouveau.
Et dans le même temps, plusieurs fois par semaine, je vais chevaucher un petit appaloosa.
Clin d’oeil, je reste en noir et blanc!

Samedi, dans l’air limpide et froid, seule avec le petit cheval, j’ai respiré la nature comme je respire l’océan, immensément, juste posée entre terre et ciel, passionnément, comme dans un poème, exactement située dans l’instant présent.
Hier dimanche, bis repetita.
Comme le veille j’ai pensé au va’a.

Pourtant, hormis l’assemblage du noir et du blanc, pour tout un chacun, rien ne ressemble moins à un va’a qu’un cheval et rien ne ressemble moins à un cheval américain qu’une pirogue polynésienne.
Sauf que pour moi, il est question de relation, de confiance et de moments passés ensemble pour l’une comme pour l’un, pour l’un comme pour l’une, seuls ensemble, seuls entre tout et rien.
C’est très métaphysique, tout à fait impalpable, donc difficile à expliquer, mais c’est pareil.

La pirogue était entrée dans ma vie par hasard, comme ces rêves qui se laissent attraper.
Le cheval y est revenu de même.

L’été dernier, alors même que j’ignorais tout de l’automne à venir, j’ai songé qu’il était temps de vendre ma pirogue.

Je pense que l’heure est venue.
Il y a encore de belles aventures à vivre pour elle.
Et pour moi,
Dans un univers différent,
Mais pareil aussi.