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Le temps est la clé

« Ils peuvent tout faire entrer dans leurs calculs sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains »
C.Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001

Sans être vraiment capable de donner une définition précise à la grâce, j’ai recopié des centaines de fois cette phrase en illustration de propos très variés. Le livre qui la contient est marqué à la page sur laquelle elle trône en tête.
Une fois de plus je la note ici, elle résume un flot de pensées débarquant après une session en compagnie du p’tit pur-sang.

J’ai l’immense chance de ne plus avoir d’autre objectif que le plaisir.

Autrefois bien que la patience ait toujours fait partie de mes outils, autrefois j’avais des objectifs sportifs.
Je mesure aujourd’hui à quel point ces objectifs étaient aussi ceux d’un passage de vie, à quel point je reprenais les arguments qui m’allaient bien pour les mettre en oeuvre, parfois dans la souffrance.

C’est vraiment toute une aventure que celle qui consiste à traverser la Vie en se nourrissant au jour le jour de façon très éclectique tout en gardant le cap afin de rester qui nous sommes en réalité.

Désormais dans l’éducation de ce nouveau cheval, j’avance avec une patience plus grande que jamais. Chaque jour est un cadeau.

Il n’a rien demandé ce petit cheval.
Personne, aucun être vivant ne demande rien le jour où il vient au monde, sinon de pouvoir se nourrir, grandir s’élever, en paix. C’est un fait.
Pourtant, dans l’environnement, dans chaque société, il faut faire ses preuves pour exister et il existe mille voies pour y parvenir.
Pour ce qui concerne les animaux domestiqués, à l’instar du cheval, il s’agit de rentrer dans le cadre pour lequel il a été conçu et de montrer au plus vite s’il convient ou pas.
Il parait que le temps c’est de l’argent!
Le p’tit Prodi a faillit. Il fut nul sur la piste de galop.
Réformé.
Son avenir tenait à un fil et il suffit de lire les petites annonces pour constater comment les marchands de chevaux valorisent « les tas de viande » : ils les bousculent, exigent d’eux la réalisation de consignes inconnues, les obligent à franchir des barres, l’objectif étant de les faire rentrer dans un nouveau cadre au plus vite.
Le plaisir est étranger.
Du côté du marchand comme de celui du cheval.
Quoiqu’en dise… le marchand!

Le temps est la clé.
Une clé en or pur.

Les animaux ne savent pas lire l’heure !

Là est peut-être la grâce.



Prodigalité



J’avais en tête le mot générosité pour ce billet tout en me disant que c’est quand même très « humain » la notion de générosité.
En cherchant parmi mes billets, un seul utilise le mot « générosité » et c’est tout à la fin du billet qu’il débarque, et c’est un extraordinaire souvenir qui remonta en le lisant.
Il date de 2019 et je n’avais pas encore renoué avec les chevaux.

En parcourant la lexicographie à la recherche d’un mot mieux ajusté à mon propos, j’ai trouvé « prodigalité » et comme, tout à fait par hasard, le p’tit pur sang à l’origine de ma réflexion s’appelle Prodi. (abrégé de Prodigal Son) j’ai validé le titre bien qu’il soit un peu imparfait à mon goût.

En ce mois de juillet très humide, je vais parfois cueillir des chanterelles après ma session à cheval. Grâce aux pluies printanières et désormais estivales, la forêt a retrouvé un état de fraicheur qu’elle avait perdu les années précédentes et les plantes en profitent avec exubérance parfois, les chanterelles aussi.
Je vais donc « sur mon spot » et je ramasse uniquement ce dont j’ai besoin pour ma poêlée du diner. Inutile de faire des stocks ; je suis heureuse de prendre une toute petite part en reconnaissant qu’elle sera bien suffisante pour me régaler.
J’ai l’impression de « respecter la nature » en agissant ainsi.

Mais quel est le rapport entre mes cueillettes, les chevaux, l’équitation et le p’tit Prodi ?
J’y viens.
Il y a un peu plus d’une semaine, un dimanche comme un autre, j’étais en fin de session équestre et je tentais pour la première fois une transition trot-trot plus lent-trot (nous sommes encore très loin des termes pompeux, le p’tit n’a que 4 ans). Et là, il y eu un instant suspendu. Dans la demande de ralentissement, Prodi a trouvé le moyen de me sortir trois foulées merveilleuses, en parfait équilibre, relevées, souples, gracieuses. J’ai aussitôt ouvert les doigts afin qu’il aille de l’avant, je savais l’effort physique qu’il donnait pour réaliser « ça » et il n’est pas encore prêt pour « tenir » longtemps.
J’avais cependant des étoiles plein le ventre : « wahoooo, il sait faire ça, wahooo ».
Après un tour du manège, au même endroit, je lui ai redemandé et, banco, il me redonna !
Magique.
Nous sommes restés là-dessus, et je lui ai indiqué la direction du fond de la propriété, là où l’herbe est bien grasse, là où il aime brouter.
Le reste de la semaine, j’ai suivi mon programme, celui qui prévoit des exercices simples, à la portée du jeune cheval. Mais à partir du mardi, il devint un peu bizarre, moins allant, un peu rechignant à l’ouvrage.

C’est à cause du temps maussade me dit l’une sous la pluie
C’est à cause de la chaleur m’a proposé une autre le lendemain sous le soleil.
Cette année, les chevaux sont « mal » avec cette météo bizarre finit par conclure une troisième qui passait par là.

Mouais… Je connais l’influence des conditions météorologiques sur mon énergie, mais là il se passait autre chose, j’en était certaine.
Et c’est grâce à ma cueillette de chanterelles que j’ai compris.

Parce qu’il m’avait donné, sans intention, simplement donné/offert comme seul sait le faire un animal dénué de la moindre intention humaine, j’ai pensé que je pouvais prendre un peu plus.
Prendre un peu plus, c’est à dire le considérer d’un coup plus grand qu’il était.

C’est amusant d’écrire « ça » moi qui fut considérée pour « plus grande » que mon âge simplement à cause de ma taille élevée de petite fille ! Certes je me suis adaptée coûte que coûte mais je me souviens encore des « interdictions » qui en découlaient sur l’air de « tu es grande » alors que dans ma tête j’avais seulement l’âge de mes artères. J’en ai souffert et j’ai fait avec, fièrement.
Mais fi d’antropomorphisme !

J’ai la chance d’avoir trouvé un cheval « tout neuf » qui s’exprime sans arrières pensées.
Et j’ai la chance d’avoir tellement de temps, tellement pas d’objectifs, tellement de plaisir à l’accompagner comme il est, que je l’écoute attentivement.
Après cette « révélation » de ma « lourdeur » à son égard, j’ai redonné des rênes dès le lendemain et « mon Prodi » est redevenu le p’tit cheval plein d’entrain et de générosité que je connais.
Pas plus tard qu’hier, il est venu de lui-même se « placer » pour me dire une nouvelle fois qu’il saura faire, un jour, quand il sera plus grand.


L’amour n’est rien d’autre qu’une joie concomitante à l’idée d’une cause extérieure
Baruch Spinoza, Éthique, III, 13

Effet miroir (bis)


J’ai oublié la date à laquelle j’ai commencé ma collection de « petits chevaux » même si je sais que le premier cheval « pour de vrai » qui m’a été confié s’appelait Furibard, était gris, avait 4 ans et avait donné lieu à un contrat exceptionnel (acceptable pour mon argent de poche). C’était précisément en 1974!
Je l’ai rapidement abandonné pour aller courir plus loin, d’autant plus que je n’avais pas encore les compétences nécessaires pour l’éduquer. En écrivant ces mots, je me demande dans quelle mesure, ce ne fut pas une leçon que le maitre avait souhaité me donner en me proposant ce quasi poulain ?

J’ai oublié la date, mais je vois bien que je possède une belle collection.
Ils sont de toutes les tailles, immenses ou minuscules ; ce sont des juments, des mâles ou des questions.
Ils sont en plastique, en carton-pâte, en bronze, en verre, en cristal, en céramique, en porcelaine, et même en or (c’est pas le plus gros…) ou sculptés dans la malachite, le bois ou l’ivoire.

Ils sont là.

Et l’effet miroir est là aussi.
Dans cette diversité.
Dans cette multitude.

Avant hier, j’ai décidé de prendre soin d’un cheval en biscuit de porcelaine anglaise.
Il me suit depuis au moins trente ans et de déménagement en déménagement d’année en année, il a beaucoup souffert : fractures multiples, rafistolages à l’arrache, habitats poussiéreux, voire abandon relatif.
Je me suis attelée à l’ouvrage, cassant les fractures déplacées, re-collant finement, réparant dans les règles de l’art, puis ponçant, lissant avec attention et passion et patience.

Puis, hier, d’un coup la plaque dorée affichant le nom de ce cheval là est entrée dans mon champ de vision « Spirit of the wild ».

Spirit of the wild !

Pour certaines personnes, qu’un cheval blanc, cabré et doté de ses attributs mâles s’appelle ainsi toucherait certainement une certaine émotion.

Pour moi, à l’instant où ces mots sont entrés dans mon champ de vision une immensité s’est présentée à mon imagination ; par effet miroir m’est apparu tout ce dont je n’avais pas eu le temps de prendre soin et tout le temps ouvert dont je dispose désormais pour le faire.
Et puis j’ai élargi le champ des possibles, j’ai vu tout mes « petits chevaux », chacun avec ses particularités, tous ces petits chevaux trouvés dans le monde, offerts parfois, collectionnés, amassés au fil du temps qui passe, fragiles parfois ou incassables ou inclassables et tellement plus nombreux que lorsque j’étais jeune.

Effet miroir…


Histoire d’adolescence


Le temps qui passe apporte son lot de questions, sans questions il serait terne.

En 2023, j’ai accepté l’idée d’abandonner l’état « actif » ce qui signifie que sur les listes proposées à la fin des interrogatoires statistiques, je dois cocher l’ultime case, celle dans laquelle il est « normal » de mettre toutes les personnes qui vivent au crochet des « actifs », ceux qui cochent les cases d’au dessus. Dans ces bas-fonds, plus question de titres ni de diplômes, plus question de qualification, c’est l’antichambre vers l’oubli.

Les « boomers », ces « vieux schnocks » d’aujourd’hui disparaissent petit à petit, les plus célèbres offrant un espace aux spécialistes en nécrologie d’autant plus qu’ils se sont désespérément accroché à leur célébrité. Car certains sont incapables de laisser leur place aux jeunes, que ce soit en politique, dans le showbizz, partout où l’existence est intimement liée à l’exposition médiatique.

Enfant, je regardais les films western sur l’unique chaine de la télévision qu’il me fallait aller regarder chez ma grand-mère les jours sans école. Aucun salon ni aucun canapé à l’époque, c’est assise sur une chaise en paille devant la table de « salle à manger » que nous regardions la boite magique en sirotant du « pschitt » et en mangeant une tartine « beurre-chocolat ».
J’étais toujours « pour » les indiens.
J’étais fascinée par ces « sauvages ».
Un jour, je fus marquée par l’histoire d’une vieille femme qui s’éloignait de la tribu. Devenue inutile, elle partait finir ses jours au loin, seule afin d’éviter de devenir un poids pour les siens.
Je fus marquée.
Marquée au point de me dire que j’en ferai autant, un jour, lorsque le moment viendra.
Las, le temps des « indiens » est terminé.
Ni l’environnement sociétal ni l’environnement tout court ne se prête plus à ce genre de « disparition ».

Aujourd’hui, de mon point de vue, la personne vieillissante, vit une espèce d’adolescence à l’envers, un temps entre l’âge adulte (époque de productivité et de cotisations sociales) et l’ultime vieillesse croupissante qui parfois s’étiole infiniment dans les établissements spécialisés parce qu’il est interdit d’achever les humains, quand bien même ils ne sont devenus que charges et soucis incapables de communiquer.

Donc, me voilà vaillamment et joyeusement entrée dans cette drôle d’adolescence !
2024 marque mon retour en adolescence.
Une preuve s’il en était besoin : je monte à nouveau à cheval quasiment chaque jour.

Car le mot « adolescence » est une affaire de bavardage, de signifiant donc comme l’écrit le psychanalyste B.Nominé :

Et, je remarque que la première partie de l’article telle qu’elle apparait sur l’image ci-dessus pourrait tout à fait être plausible en remplaçant « jeune » par « vieux » ainsi il serait possible d’écrire :
« Je propose donc de situer l’adolescence entre la réalité biologique de la « ménopause/andropause » qui est un évènement du corps qui s’étiole, et le bavardage. »
Et plus loin :
« Ce qui va donner un statut à la vieillesse, et c’est la qu’on va trouver l’adolescence, c’est le fait de séparer les vieux des adultes au moyen de la retraite. »

Ca me fait rire.
Ce genre d’humour me comble sans jamais me désoler.

Une certaine routine

Je parlais de point fixe aujourd’hui même, ici.
Et j’avais aussi conjugué les points fixes avec les points de suspension par ici.

Depuis que je monte à cheval, beaucoup de mes réflexions tournent autour des chevaux et de l’équitation parce que j’y vois plusieurs sociétés en taille réduite, donc autant d’interrogations qui me situent moi-même sur un certain chemin, sur certaines recherches, certaines attentes tranquilles ou plaisirs immédiats.

La « routine » de ces dernières semaines avec cinq jours passés auprès des chevaux chaque semaine représente un point fixe placé sur les turbulences des passages.

Trois chevaux, toujours les mêmes B. , I. et S.
Je les observe, je les monte chacun leur tour, je les observe.
Attentive à ma relation à eux, donc attentive à mon attitude en leur présence, à ce que change le moindre geste dans leur regard de cheval si différent de notre regard humain, à ce que change la moindre contraction « parasite » de mon corps posé à leurs sens de chevaux tellement à fleur de peau.
Car les chevaux ne pensent pas.
En tout cas, ils ne regardent pas les chaines d’information en continue, pas plus que les réseaux sociaux qui parfois déblatèrent en leur nom.
Les chevaux sont dans l’instant présent.

C’est certainement cet instant présent super présent qui constitue le point fixe qui m’est utile en ce moment. (A noter pour les personnes qui suivent et s’y perdent que j’ai remplacé C. par S. preuve s’il en était que chaque cheval est tout sauf un point fixe! )

Parce que la vie des humains est remplie par l’actualité galopante, par ce que nous oblige la société de consommation, mes pensées sont alternativement hyper denses et absolument creuses.
Lorsque je descends de vélo pour m’asseoir dans la voiture et me diriger en direction de l’une ou l’autre écurie, je laisse s’égrener ce que raconte la radio sans avoir besoin de mettre la moindre pause musicale. Ma petite musique interne fait le job. Je suis dans un entre-deux et j’ai toujours apprécié ces moments.

Et 20 à 30 minutes plus tard, je mets pied à terre et je suis dans l’univers des chevaux.
Et là, je suis là.
Encore plus intensément dès le moment où j’arrive à côté du cheval du jour.
Et davantage encore au moment où je l’enfourche.
Je suis en sa compagnie, je lui propose d’établir une relation, toujours la même, paisible, sans état d’âme, dénuée de la notion binaire bien/mal.
Ce qu’il me fait sentir m’oblige à essayer de ressentir ce qu’il a ressenti pour en arriver à réagir. La moindre tension de son côté interroge la tension que je lui impose.
C’est une partition absolument passionnante, toujours renouvelée, impossible à rejouer exactement pareil, tout comme en mer il est impossible de retourner sur sa trace, bien qu’il soit possible de reprendre un cap.

J’ai tellement conscience de la qualité de ces moments.

Je suis pleinement reconnaissante à tout le chemin déjà parcouru depuis ma venue au monde car c’est ce chemin à nul autre pareil qui nourrit aujourd’hui ma routine.

Dans cet espace, si je suis parfois conseillère, si je suis parfois scrutée, si je suis parfois radoteuse, jugée « réac » même, je sais que c’est uniquement avec et par les humains qui passent. Les animaux ignorent les jugements et c’est pour nous, humains, une grâce qui nous permet de regarder ce que nous souhaitons dans le miroir de leurs yeux.

A mes yeux, la grâce, c’est le bonheur et le confort d’un point fixe, d’une routine, de nombreux « entre-deux » toujours différents bien que renouvelés cinq fois par semaine.

Zone de passage (2)

Ce deuxième épisode élargit le premier.

Nous passons de passages en passages, c’est un fait.
Ce constat est vertigineux.
C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que…
C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…

Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir.
Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.

Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse.
Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette.
Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.

J’en suis là.
Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.

L’automne arrive.
En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ».
En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte.
Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux.
Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.

J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.

Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?

Zone de passage (1)

Voilà deux mois qui viennent de courir.
Je fus en zone de passage pendant ce temps.

Ainsi le rapport des choses et de mon corps est décidément singulier : c’est lui qui fait que, quelquefois, je reste dans l’apparence et lui qui fait encore que quelquefois, je vais aux choses mêmes ; c’est lui qui fait le bourdonnement des apparences, lui encore qui le fait taire et me jette en plein monde. Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes n’allaient pas l’un sans l’autre. Davantage : comme si l’accès au monde n’était que l’autre face d’un retrait, et ce retrait en marge du monde une servitude et une autre expression de mon pouvoir naturel d’y entrer. Le monde est cela que je perçois, mais sa proximité absolue, dès qu’on l’examine et l’exprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrémédiable.
M.Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964 (puis 1979, puis 2016 ISBN 978-2-07-028625-6)

Le visible et l’invisible!
Voilà de nombreuses années que je danse passionnément, funambule entre ces deux mots antonymes, et que l’ouvrage de Merleau-Ponti reste en bonne place sous mes yeux, interrogeant quotidiennement mes questions sous l’immensité des spectres contenus entre l’un et l’autre.

Les zones de passage se succèdent dans chacune de nos vies et cependant nous en remarquons certaines plus que d’autres, probablement du fait de la force plus ou moins grande des sensations qu’elles imposent.

Et force est de constater qu’un arrêt brutal a marqué sans coup férir l’entrée dans une zone de passage le mardi 30 mai dernier.
En premier c’est mon corps qui s’est exprimé intensément, accaparant l’ensemble de mes questions et de mes actes.
Puis, très vite je suis partie en exploration… de plus loin… de l’horizon et de l’invisible.

J’ai posé beaucoup de question.
J’ai remis beaucoup de questions en question.

Insuffisamment sans doute, au point qu’un « rappel » (un peu plus doux, comme tout rappel) survint fort opportunément le 8 juin passé.
C’est assez remarquable car au cours de ma vie, jusqu’ici, j’ai presque toujours considéré chaque évènement avec toute l’importance qui lui était dû : l’enseignement qu’il transportait était immédiatement intégré et l’expérience suffisante pour impacter notablement mes actes à venir.

Ce coup ci, un rappel fut nécessaire.
Certainement parce qu’il y avait plus d’une décision à prendre.
Possiblement parce que j’étais embarquée sur plusieurs navires à la fois.

Je sors lentement de cette zone de passage, mon corps me rappelle (presqu’en douceur désormais) la puissance de l’invisible, du non-visible avec les yeux, du présent et de la mélancolie aussi indispensable à la joie que l’ombre l’est à la lumière.

Dans le nouveau décor


« La sagesse se trouve exactement où tu es, il suffit de passer de l’autre côté du désespoir ».
De l’autre côté du désespoir, André Comte-Sponville, Edition Acarias-l’Originel, 1997
EAN: 9782863160657 

Une chose est certaine le changement de décor fut celui qu’il me fallait.
Les quelques jours où je m’y suis immergée en accompagnant une de mes petites filles au « stage poney » ont achevé de me convaincre.
Le lieu est paisible.
Les cavaliers qui le rejoignent sont tranquilles, souriants et simples, tous passionnés évidemment.
Autour de l’île qui héberge les chevaux, la Loire s’écoule, imperturbable.
La marée monte.
La marée descend.
Le paysage est à la fois changeant et permanent.
Exactement ce dont j’avais besoin.

Le cheval aux crins lavés par le soleil se révéla très touchant.
Certainement parce que c’est un vieux cheval.
Mais ma propre vieillesse,
Ma propre expérience des limites imposées par l’âge qui avance,
A mon propre corps de vieille athlète,
Me donnent une sensibilité que les « jeunes » ne peuvent pas avoir.
Dans chacun des exercices que je lui demandais, je sentais la subtile difficulté, la non-décontraction réelle. Un peu « warrior » à sa manière de cheval, il donne sans hésiter, certainement parce qu’il est fait pour ça et en plus formaté « pour ça » depuis de nombreuses années. Mais en réalité ça tire, et séance après séance je me sentais devenir une espèce de kiné spécialisée pour l’inviter à se mouvoir le plus souplement possible, à s’étirer, à mouvoir chacun de ses muscles pour les préserver encore un peu du passage du temps qui passe.
Et force fut de constater que dans les années qui me restent pour monter à cheval, je n’ai aucune envie d’être une soignante et encore moins de payer pour ça!
Il fallait donc trouver une autre monture.
Dans le même décor!
Par chance un petit pur-sang est arrivé récemment.
Sans hésiter, j’ai suivie la proposition de l’essayer.
Je fus prévenue : il ne sait rien faire, il est complètement à l’envers.
Et c’était déjà un programme possible qui m’enchantait.
Mais il fallait essayer, « voir » de moi-même.
Et oui,
Jeune, éduqué mais sans aucun bagage « technique », il a tout à apprendre et en premier comment marcher sous la selle avec harmonie.
Lui aussi est super gentil, exécutant approximativement ce qui lui est demandé de fort simple, mais à la manière d’un gamin, à l’arrache, par soumission, sans enthousiasme.

Banco!

J’étais super heureuse hier en quittant la belle île.
Il y a de l’avenir à écrire.
J’ignore lequel.
Mais l’important est là,
Plus loin.

J’avais ce besoin intense d’imaginer encore un « plus loin ».
Il fallait qu’un brin de jeunesse,
Vienne stimuler ma pensée,
Avec toute la non-intention dont un cheval est capable.

Warrior

Après ma dernière aventure qui fut l’occasion d’annuler tout projet de randonnée estival et de revoir aussi le sens de l’équitation que je désire, j’ai repris quelques activités. Puis, naturellement de plus en plus au fur et à mesure qu’un mieux-être se dessinait.
J’ai sans doute trop vite accéléré, de nouvelles douleurs sont sorties de nulle part, des tensions, des contractures d’autant plus difficiles à supporter que j’avais l’impression d’avoir déjà bien encaissé.
J’aurais vraiment apprécié approcher de la fin du passage.
Sauf que la vie est espiègle et imprévisible.

Et puis, il y avait quand même un planning à respecter : l’obligation d’être la grand-mère de service pendant une semaine.
Il fallait donc tout mettre en place pour réussir le challenge.
Certains peuvent se hâter d’affirmer que le « stress » précédent conjugué au désir d’être à la hauteur pouvait lui-même être la source de la recrudescence des tensions.
Ce serait aller vite en besogne.
Je me savais encore physiquement fragile et je connais les besoins des jeunes enfants, leurs demandes brouillonnes comme leur présence bien ancrée dans leur propre monde, tous incapables de « comprendre » ce qu’un adulte vieillissant peut ressentir.
J’avais accepté le challenge des mois plus tôt et j’étais en état de le relever avec quelques aménagements : pas question de courir la campagne, de sauter les marches dans les musées ni de courir après les papillons ; il restait tant à faire !

J’ai entamé la semaine comme une course d’endurance (j’ai un joli passé, donc une bonne expérience en la matière). J’étais encore vivante à mi-parcours et j’ai relevé le défi jusqu’au bout.
Ce faisant, très peu de temps restait libre pour prendre soin de mes douleurs, pour aller à la piscine, pour étirer chaque tendon trop tendu.
Le week-end est passé, il restait seulement un lundi de « garde » à assurer.

Je suis de nouveau partie en mode warrior pour assurer le service qui m’était demandé.

Auparavant, j’avais longuement réfléchi à la situation qui est la mienne aujourd’hui.
.
A l’époque où je faisais du sport en compétition, je regardais avec interrogation les « vieux » qui cherchaient à se faire valoir en courant après leur jeunesse.
Bien que j’ai cessé assez tôt de challenger corps et mental dans des défis sportifs insensés, j’ai continué à repousser mes capacités d’endurance dans mon activité professionnelle.
Combien de nuits blanches successives m’obligèrent-elles à survivre coûte que coûte?
Combien de temps passé à courir d’une vie à l’autre, des exigences maternelles aux exigences professionnelles, toujours sans faillir ?
C’était important que je le fasse.
Qu’avais-je donc à prouver ?
Quelles reconnaissances avais-je donc à quêter ?
Dans quel but ?

Aujourd’hui, je sens qu’il est plus que temps d’abandonner le terrain.
Que pourrais-je encore prouver ?
Vis à vis de qui ?
Et pourquoi ? Car je sais désormais que l’autosatisfaction est l’unique véritable récompense.

Vieillir, c’est disparaitre à petit feu.
Disparaitre de la vie professionnelle,
Disparaitre des compétitions sportives,
C’est chercher désespérément du sens,
« A quoi ça sert de se décarcasser » questionnait une publicité en 1978.
Qui s’en souvient ?
Vieillir, c’est certainement accepter le début de la fin,
Baisser les armes,
Cesser toute compétition
Et cependant poursuivre les échanges.

Parce que les échanges sont la base de ce qui fait société.
Coûte que coûte, donc.
Car jamais il ne sont gratuits.

Oui, selon la définition je suis une warrior, en ce sens que je suis vieille.
Et j’aspire à la tranquillité,
A la non compétition
A prendre soin de mes vieux os avec plus d’attention que jamais,
Afin de pouvoir,
A l’occasion, prendre encore soin des autres avec plaisir,

Pour le simple plaisir d’avoir l’impression d’exister encore.

Changement de décor (suite)


Il y a quelques jours j’avais promis la suite, la voilà!

Pour entrer dans le vif du sujet j’ai vraiment changé de décor en passant des alentours du canal de Nantes à Brest aux bords de Loire.

Et puis, après le cheval d’indien, me voici en relation avec un cheval beaucoup plus classique. Si le soleil réalise un charmant balayage dans le doré de sa crinière d’alezan, sont look n’a rien d’exceptionnel et je suis assez contente de me retrouver en selle sur un cheval éduqué comme je l’entends.

Comment ai-je donc choisi ?
Peut-être me suis-je laissée happer par la Loire ?
A moins qu’un cheval ne m’ait choisie ?
Ca c’est dans les rêves, non ?
Mais pour l’anecdote, disons que j’ai saisi un clin d’oeil.

La semaine dernière lors de mon premier passage en bord de Loire, j’étais entrée dans le paddock du possible élu, sur l’invitation de la propriétaire : « Tu peux aller le voir et le caresser, il est là-bas ».
Ma béquille dans une main et l’autre vide, je suis entrée et je me suis plantée au milieu de l’espace en me disant que j’allais pas le déranger, juste m’approcher et le regarder.
Il a levé la tête.
Il a baissé la tête.
Il s’est mis en marche dans ma direction.
Il fut bientôt si proche que j’ai posé ma main sur son front en murmurant des mots doux anodins.
Nous étions ainsi en « conversation » lorsqu’un petit gars est arrivé à la barrière en me demandant qui m’avait autorisée à entrer.
Comme je lui expliquais et l’encourageais à bavarder, il m’a rejoint au point où j’étais posée.
Et le cheval s’est éloigné, il est allé se frotter le derrière contre un bel arbre.
Au milieu du paddock, lui posé sur sa fourche et moi sur ma béquille, nous avons passé un instant.
Puis, il s’en est retourné à son boulot avec mes félicitations pour son attention.
Je pensais sortir à mon tour, mais ma lenteur fut telle que déjà le cheval était déjà revenu juste à mes côtés.
Nous avons repris notre conversation où nous l’avions laissé.
Bref, c’était un pur hasard, mais je pourrais dire que la balance avait penché en sa faveur avant même d’avoir posé mon derrière sur son dos.

Depuis, j’ai poursuivi les essais.
Ce qu’il faut souligner à nouveau c’est que partager la pension d’un cheval avec une autre personne, c’est s’engager vis à vis d’un couple et ma solitude naturelle doit absolument considérer les obligations qui en découlent.

Il me fallait donc utiliser la minuscule balance virtuelle qui est posée sur le même rayonnage que mes pensées en goguette.
Il me fallait y déposer des étoiles scintillantes d’un côté et de l’autres des cailloux noirs en sachant que les étoiles peuvent s’éteindre et que les cailloux noirs peuvent s’illuminer.
Et revenir à l’évidence : choisir c’est renoncer, c’est avancer et aller où le vent me poussera.
J’ai choisi les bords de Loire.

Maintenant, il me reste à annoncer mon choix, aux personnes qui espéraient qu’il soit en leur faveur et ceci sans les blesser.

Et me voilà partie vers de nouvelles aventures !