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La source


Hier, dans cette île aride où l’eau coule aux robinets grâce à l’usine de dessalinisation, j’ai découvert une source.

Non, en fait, je suis montée à la source.

Comme je le fais consciencieusement depuis des années au sujet de tout et de rien, j’ai « remonté » le fil aussi loin que je pouvais le faire.
Ce fut à quatre cents mètres d’altitude augmentés de quatre mètres de verticalité, pas plus.

En partant de la maison, j’avais rentré une direction dans le GPS de mon smartphone.
En voiture, nous sommes allés au bout de la route.
J’ai garé la voiture en plein vent au bord du précipice, c’était le seul endroit possible pour la garer. Le vent obligea mon homme à se passer de couvre-chef, il avait trop peur de le voir s’envoler… le couvre-chef!
Une centaine de mètres plus loin, la falaise coupait les tourbillons et nous avancions à l’abri.
Quelques centaines de mètres encore et une vasque était offerte aux oiseaux, remplie d’eau limpide.
Cette découverte était en elle-même satisfaisante.
N’étions nous pas sur un site ancestral (pré-hispanique) et devant un panorama remarquable?

Les nombreux oiseaux virevoltaient, des mésanges bleues allaient et venaient portant inlassablement de la nourriture à leur nichée. Le silence était assourdissant du chant de la nature. La roche portait en elle l’histoire récente et passée. Rabotée à la machine pour dégager le point de vue et attirer les touristes, elle affichait les stigmates de notre hâte moderne tandis que les gravures ancestrales restaient enfouies sous les lichens loin de la portée du regard des gens pressés.

D’où pouvait venir l’eau de la vasque si bien construite, tellement visible?

De plus haut, c’était certain.
Et de plus loin encore.
Si le « plus loin » m’était inaccessible, le plus haut immédiat semblait à ma portée.
Il suffisait de grimper un peu, de trouver des prises fermes dans la roche friable, de poser mes pieds aussi légèrement et furtivement que les chèvres le font, mais en conscience, avec une folle prudence. N’avais-je pas gardé les clés de la voiture dans la poche ? je n’avais pas le droit de décrocher…

Alors, je suis arrivée là où l’eau sortait de la montagne.
Devant, j’ai pu caresser une pierre tout à fait lisse, finement polie.
Je l’ai caressée,
Avec émotion,
Reconnaissance.
Etait-ce le poil du cou des chèvres, était-ce le frottement des plumes des oiseaux, était-ce le frôlement des bras des terriens qui avaient poli cette pierre?
Je ne sais pas.
Le temps était passé par là.
Un temps long, très long, plus vieux que mon temps, à moi.
Un temps plus ancien encore que celui de ma mère,
Récemment éteinte,
Comme s’éteint une dernière braise,
Sans le moindre bruit,
Elle qui avait oublié depuis des mois la notion du temps qui coule.

J’aime intensément ces instants formidables où l’essentiel se rassemble,
Rien
Tout.
Seule.
Ensemble.

Et je suis redescendue sur terre.
Et nous avons observé le va et vient des oiseaux.
Et nous avons rejoint la voiture.
Il était l’heure d’aller ramer,
De me fondre sur l’océan.
Le soleil baissait,
J’étais soudain pressée!

C’est la vie!


Découvrir cette phrase sur FB ce matin était une douce surprise.
Ce livre de C.Bobin qui n’est pas dans ma bibliothèque, je l’ai découvert en septembre, il trainait dans un gite d’étape (voir le lien « escapade 2017 »).
Il est évident que cette phrase précise n’avait aucune chance de m’interpeller à ce moment précis où j’étais tellement remplie par la marche accomplie et tellement loin d’une quelconque fatigue. L’heure était à la lenteur, à l’approche de mon objectif, j’avais même encore ralenti!

J’étais à Paris, vendredi dernier.
Déambulant dans les rues alors que la mission qui m’y avait conduite était réalisée, je me contentais de survivre.
Histoire de grappiller de l’espace humain, je tentais de capter avec insistance la vie des gens que je croisais, la vie des boutiques, des boutiquiers (j’ai acheté des livres…), des passants pressés, errants avec ou sans domicile fixe. Je n’avais que « ça » à faire en attendant le train retour.

Et, voyant les centaines de personnes attablées en terrasse, les centaines de personnes consommant avec compulsion, les centaines de personnes avalant d’improbables aliments, marchant, clavardant, isolées dans leurs bulles, en voyant tous ces gens, en tongs ou collet serré, tous ces gens si différents et cependant « parisiens » je sentais à quel point la capitale est intensément fatigante.
En miroir à ma fatigue intensément ressentie de manière passagère, je compatissais avec toutes ces personnes pour qui « consommer » est le seul remède à leur stress. Consommer plus et plus vite, de tout, de rien sans le moindre repos puisque le repos lui-même est consommable, donc limité.

J’ai traversé Paris à pieds.
J’avais le temps.
J’ai traversé pour commencer le plus grand espace vert parisien : le Père Lachaise.
Les touristes y galopaient, le nez sur le plan qu’ils avaient acheté à la « bonne » entrée.
C’est très agité, le Père Lachaise.
Puis, j’ai longé des rues et des rues, alternant la marche à l’ombre avec la marche au soleil en fonction de mon besoin.
Je suis arrivée à la gare avec trois heures d’avance.

Pour passer le temps, j’ai pris un ticket dans le rayon « guichet-départ ce jour ».
je n’avais que ça à faire.
Arrivée « à mon tour » devant la guichetière désabusée,
J’ai appris ce que je savais, mon billet n’était pas échangeable, il était trop bon marché!
J’avais cependant gagné du temps, environ 30mn pour 20 numéros!
J’ai fait un saut au low-coast alimentaire d’en face, puis une bouteille d’eau dans une main, un infâme sandwich dans l’autre, je suis allée m’asseoir face à la gare.
Depuis le matin et la belle conversation avec mon éditrice, aucun autre mot que « bonjour, merci, bonne journée/bon courage » n’était sorti de ma bouche.
Et là, sur les gradins jonchés de papiers gras et de canettes vides, j’ai observé les échanges entre un black énervé, une ancienne sdf (à ce qu’elle a dit) et un black hyper cool.
Tranquille.
Tranquille en attendant l’heure du train.
Et,
Le black énervé est venu s’asseoir à mon côté.
Et… Ce fut la deuxième conversation de la journée.
Tranquille.
Elle aurait pu devenir interminable.

Puis, l’heure du train est arrivée.
J’étais fatiguée.
Réveillée depuis cinq heures du matin, je pensais à ma couette et à son lointain abris qui ne serraient accessible que sur le coup de minuit.
J’étais fatiguée.
J’ai acheté des bonbons… Le sucre est une drogue puissante qui permet de lutter contre la fatigue… et le stress…

Ce vendredi passé, le temps vécu à non-vivre fut très long à mon goût.
Trop long.
J’avais, longtemps avant, décidé d’économiser sur le prix du billet.
C’était un choix.
La prochaine fois, il faudra me payer cher pour une telle aventure.
J’ai définitivement besoin de vivre dans un espace qui respire une vie plus vive.

Précipitations


Ah combien les précipitations peuvent faire baisser la tête, quand bien même l’herbe alentours est parfaitement verte!

Oui, le jardin m’inspire, c’est certain.

Et tête baissée les gens marchent, foncent parfois.
Et tête baissée, ils tombent dans le panneau, deviennent victimes.
Victimes de « trop vite », victimes de « sans nuance », victimes d’enfermement dans leur microcosme qu’ils voient comme la réalité du monde entier.

Le monde est vaste, large, en mouvement, imprévisible, passionnant, merveilleux, formidable.

Le passé n’existe que par les histoires qu’on s’en fait, l’à venir est inconnu, le présent passe et nous échappe.
Ce qui donne sens à chaque vie, ce sont les projets. Ils se nourrissent de nos histoires passées nous entrainent dans des rêves d’avenir et accaparent le présent.

Chacun ses projets,
Faire des enfants,
Construire une maison,
Changer de peau,
Quand ce n’est pas changer le monde!
Aller plus loin…
Toujours plus loin.

Oui, toujours plus loin.
Mais, pas à pas, à vitesse humaine,
Sans hâte,
Sans précipitation.

Comment avancer?
Comment se trouver?
Sinon en laissant le temps faire son oeuvre lente?

Il est si difficile pour moi de « comprendre » tous ces gens qui s’agitent, attachés aux apparences affichées dans l’air du temps, tous ces gens qui militent (même racine que « militaire » je le rappelle)  un jour dans un camp, dans un autre le suivant, d’un genre puis d’un autre, poursuivant une idée fixe puis une autre, à toute vitesse, à très grande vitesse, formidablement impatients, soumis à la technologie,  accrochés aux voix des autres sans en mesurer l’opportunisme mercantile…

De l’attention

Ce matin, après avoir écrit le mot « attention » dans un commentaire ici même, je suis entrée dans ma journée ordinaire.
J’ai en réserve quelques billet au sujet de l’extra-ordinaire de la semaine dernière, mais comment pourrait exister « extraordinaire » sans la présence acharnée et quasi constante de « ordinaire » ?
C’est une question et pas le propos de ce billet.

Dans la voiture, sur les chemins de la philosophie, j’entendis une rediffusion et j’écoutai :

J’avais été attentive en découvrant H.D.Thoreau en avril 2017, ce matin ma curiosité vivifiée par le grand air, le désert récemment traversé et les bouquins avalés, révélait une multitude de nouveaux points de réflexion.
Et ces points convergeaient ou tournaient autour de ce simple mot abandonné au fil d’un commentaire : attention

Attention, il s’agit d’attention.
Soyons clairs, je n’ai pas dit : attention!
J’ai parlé d’attention…

De cette attention qui fait tellement défaut dans notre société.
De cette attention à tout, à rien, au grand, au petit, à la relativité, à l’impalpable, à l’ensemble jamais seul, toujours situé ici et maintenant.
Parce que trop de gens sont naturellement focalisés sur « un truc », au point de ne voir que « ce truc », au point d’en devenir obnubilés, au point d’en être malades, au point de souhaiter convaincre le monde entier que seul « ce truc » est important. Parce que ces gens là sont, de fait dénués d’attention alors même qu’ils ne cessent de faire attention!

Vous n’y comprenez rien à cette prose!
Quoi de plus normal?
Si vous étiez ici, là, à mes côtés, je me ferais un plaisir de vous faire toucher une ou deux expériences pour que vous puissiez peut-être saisir quelque chose, mais vous êtes de l’autre côté de votre écran…

L’anecdote du jour va nous ramener à quelque chose de plus facile à comprendre.

Ce matin, pressée par le temps, je me suis habillée à toute vitesse, enfilant le pantalon de la veille qui me tendait les bras.
Je ne l’ai pas regardé.
J’ai fait ce que j’avais à faire, enchainant les actions à enchainer pour rester dans le timing.
Je suis sortie, j’ai croisé du monde, plein de monde.
je suis rentrée.
J’ai avalé un en-cas en tapant sur mon clavier et hop, il fallait déjà repartir.
je suis partie à pieds, comme chaque mardi ordinaire à la même heure.
Alors, marchant à grand pas, j’ai retrouvé toute ma capacité d’attention et …
J’ai vu « la » tache sur mon pantalon!
Une tache… Deux taches…
Que j’ai immédiatement mis sur le compte de ma gourmandise de la veille, rouge de piment rouge…
Arghhhhh…
Il fallait faire avec.
Arrivée à l’école, les enfants m’ont accueillie en m’expliquant l’absence de leur institutrice. Pour moi, il y avait donc un peu de « gestion de groupe » à prévoir.
Ce fut simple et nous sommes rentrés en classe :
« On a reçu ta carte, tu sais? » Puis : « Oh, tu as une tache sur ton pantalon » dit l’une… « Non deux taches » ajouta l’autre… « Et même trois » répliqua un troisième!!!
J’étais ravie, ils avaient immédiatement remarqué les taches plutôt que mon merveilleux bronzage!
« Et oui, j’ai vu ça, moi aussi » ai-je répondu en toute sincérité, ajoutant que c’était le résultat de ma gourmandise de la veille associé à mon empressement matinal. J’ai en plus ajouté que je n’avais pas d’autre solution que de me promener « comme ça » jusqu’en fin d’après-midi.
Les enfants n’eurent de cesse que de me trouver une solution.
Il fallait trouver ça avant de passer à l’activité pour laquelle j’étais venue.
Il eut été vain de balayer le problème, les jeunes enfants sont super attentifs aux détails.
Il y eut maintes propositions, raisonnables ou farfelues.
Puis, nous sommes tombés d’accord sur le fait que s’il est assez tendance de se promener avec un pantalon déchiré, je pouvais sans soucis affirmer que me promener avec pantalon taché était « style »!
Et hop : affaire conclue.

Plus tard, déambulant en ville, entrant dans de chics boutiques du centre, j’avais la tête haute de celle qui sait qu’elle a du style!

 

La crème et le piment


Il fallait un jeu pour qu’un autre commence.

Il fallait que le fruit soit mûr pour qu’il tombe à l’instant même où j’approchais la main dessous pour le cueillir!
Les spécialistes de Jung dissertent au sujet de la synchronicité, je préfère parler de mes errances et des grands moments de bonheur aussi simples qu’une ballade égrainée par le vent qui se faufile dans le jardin.

J’imagine que toutes les personnes pour qui les mots sont autant de perles à mettre sur des fils, autant d’éclats de couleur à poser dans un tube à reflets multiples, autant de pièces à monter en pyramides improbables, j’imagine que toutes ces personnes gribouillent comme moi des textes qui s’accumulent sans jamais voir autre chose que la direction d’une archive ou d’une autre.

Quelque soit le temps passé, l’attention apportée, les ciselures essayées, je sais que le regard des passants sur les mots est généralement ultra rapide, attirés qu’il est par mille sollicitations toutes plus précises les unes que les autres,  occupé qu’il est par des requêtes multicolores créées pour séduire de manière certaine, scotché qu’il est aux invitations pressantes, aux mouvements répétitifs excitant plus fort encore une curiosité qui pourrait finir par s’émousser.

Alors, entre deux salves de mots
Je joue.

Et je viens d’inventer un nouveau jeu : laisser tomber les couleurs pour les mettre encore plus en valeur, pour les laisser à portée de l’imagination instantanée des passants pressés.

Ca commence aujourd’hui, là-bas.

Il n’y a aucune règle du jeu.

Va où tes yeux te mènent

 

C’était au siècle dernier, mes cheveux étaient encore auburn très foncé.
Pour une unique aventure et pour la seule fois de toute ma vie sportive, j’avais accepté l’idée de servir de panneau de publicité.
Il faut dire que le slogan était tout à fait acceptable : « Va où tes yeux te mènent »

Hier, dans la nuit, je cherchais un titre en vue d’un billet du jour. Cette petite phrase est arrivée, ramenant à ma mémoire une époque révolue, celle des jours où je courais éperdument, où les photographies étaient encore stockées sur papier glacé et où personne n’imaginait qu’arriverait aujourd’hui et son inondation de selfies impalpables.

Voilà pour l’anecdote.

Va où tes yeux te mènent.

Tous les enfants gardent le souvenir de cette injonction qui leur interdit de montrer du doigt dès qu’ils ont atteint « l’âge de raison ».
Car les bambins n’ont de cesse que de pointer leur doigt.
Et les adultes raisonnables n’ont de cesse que de nommer ce qu’ils imaginent voir au bout.
Et ils le font sans jamais se mettre à la hauteur du regard du bambin.
Il faudrait pour le faire se baisser, se courber, s’incliner.
Il faudrait pour le faire avoir du temps à perdre, serait-ce vraiment raisonnable ?
Je ne sais pas.

Ce que je sais de manière certaine, c’est que mes yeux m’entrainent , me mènent dans des dédales très personnels.
Ce que je sais, c’est que chacun ne peut voir que ce qu’il cherche, et que sans la curiosité aiguisée du gamin qui dort en nous, il est facile de se recroqueviller dans un monde « sécuritaire » où tout est repéré, « connu » et reconnu comme prévisible. Il y a dans cette attitude quelque chose de l’ordre de la croyance.
Croire est tellement rassurant, que la plupart des enfants finissent par croire tout ce que racontent leurs parents, ce que les autres disent, ce qui se dit, etc…

Ce que je sais, en plus, c’est que les arcanes de mes pensées s’enrichissent chaque jour grâce à ceux et celles qui m’offrent leurs regards et m’invitent à chercher plus loin, dans d’autres sens.

Va où tes yeux te mènent.

Déjà, à l’époque lointaine de la photo d’hier, je trouvais dans le moindre galet parfaitement lissé toute une histoire à raconter, le temps ne fait qu’apporter d’importants détails au courant de l’histoire.
Jamais rien ne se perd, la toile se tisse, infiniment.

Et entre les lignes, il y a

Il y a ce que le bambin pointe du doigt,
Une curiosité jamais satisfaite,

Il y a « mon » monde.