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De l’attention (bis)


Aparté
Il y a exactement cinq ans presque jour pour jour, je publiais un billet nommé « De l’attention« .
Voilà pourquoi celui-ci se nomme « bis »!


L’attention.
La tension.

Lundi matin, j’ai posé un commentaire sur un réseau social, en écho à la publication d’une amie. J’ai questionné l’attention et depuis, cette question autant que les autres font la sarabande dans les arcanes de mes réflexions.

L’attention.
La tension.

C’est aussi que je suis à nouveau en contact avec les chevaux depuis plus de cinq mois maintenant et que cette sonorité résonne sans cesse : latɑ̃sjɔ̃ (transcription phonétique semblable pour les deux mots associés à leurs articles définis ci-dessus)

Les humains ont grandement besoin d’attention, c’est un fait. La relation humain/animal s’établit incontestablement sur l’attention, c’est un autre fait.
Mais de quoi est-il question, en fait ?
Quelle est l’attention d’un animal envers un humain ?
Quelle est l’attention d’un humain pour un animal ?
Est-elle une attention purement scientifique, éthologique, rigoureuse, dénuée d’émotions ?
Est-elle une attention complètement anthropomorphique ?
Un peu des deux ?

La semaine dernière, j’ai assuré la garde d’un petit de deux ans chaque matin. Il s’exprime déjà fort précisément à l’aide d’un vocabulaire qui étonnerait ceux qui ne le possèdent pas, donc il serait facile d’affirmer qu’il suffit de l’écouter pour le comprendre. Néanmoins, je n’ai eu de cesse que de guetter les signes non-verbaux, une lèvre qui tremble, un oeil qui s’écarquille ou se plisse, un départ de course, un relâchement soudain, etc…
Grâce à cette attention précise de chaque instant, nous avons passé de très bonnes matinées, changé maintes fois d’activité et aussi nous avons été à l’heure de chaque rendez-vous avec « les autres ».
Pour l’anecdote, j’ai rapidement remarqué qu’il a l’habitude de dire non pour dire non, qu’il dit un petit oui pour dire « cause toujours » et qu’il dit gaillardement mmmouii pour dire « OUI, avec plaisir ». Ce fut l’occasion de scènes cocasses avec ses cousins qui prenaient ses mignons « oui » pour argent comptant et s’offusquaient de son opposition par la suite. En leur faisant part de mon observation, ils ont fini par comprendre qu’il était vain et non avenu de lui arracher un petit « oui ».

Hier, comme la plupart des mardis, je suis allée voir le petit appaloosa. Une fois de plus je fus hyper attentive à chacun de ses gestes, autant qu’aux miens qui se posent en miroir. Je sais qu’ils les note à sa manière de cheval et qu’il prend position en fonction de ces gestes, à sa manière de cheval aussi et suite à ses expériences passées qui sont les siennes, donc indéchiffrables pour l’humaine que je suis.
Après un temps d’exercices en carrière, nous sommes partis dans la campagne. Mon but était avéré : aller jusqu’à un bon spot pour brouter en paix et écouter au loin l’arrivée du printemps.

Et pour répondre à une des cavalières qui me posait un jour la question de savoir si je « travaille toujours » lorsque je suis avec le cheval, je réaffirme OUI (bien que le mot « travail » m’écorche les oreilles au long cours).
J’ai passé un délicieux moment en l’observant brouter, ce petit cheval, en captant chaque mouvement d’oreille, de queue, de tête, chaque frémissement, chaque bougement. Lui faisait de même avec ses sens à lui et personne ne lui posera jamais la question de savoir s’il « travaille toujours », n’est-ce pas ?

En septembre 2022, je questionnais ce retour étonnant vers les chevaux. J’en questionnais le sens. Je poursuis ce questionnement, c’est une quête comme une autre.

Une quête, des milliers de questions.

Et…
Mais…

Ecouter le printemps qui arrive au loin, posée dans l’herbe humide juste à côté d’un cheval qui choisissait ses mets avec attention, fut un moment de paix totale qui vaut son pesant de bonbons à la réglisse!

A cheval sur l’authenticité

En partant sur « mon » île préférée, j’avais emporté deux choses : un bouquin publié à la fin des années 60 au sujet de la psychologie du cheval et l’idée d’aller voir un vieux gaucho installé sur l’île.

Le bouquin s’avérait âpre à lire, ce fut un livre que j’avais pourtant dévoré « dans le temps ». Il m’apparaissait désormais comme d’un autre âge bien que les propos abordés soient tout à fait bien argumentés et que la « science » n’ait pas changé grand chose dans le domaine.
Il n’en demeurait pas moins d’autant plus passionnant, mais à petites doses quotidiennes.
En fait comme beaucoup d’ouvrages d’autrefois, il est écrit en langage savant, riche d’une multitudes de sources et il ne ressemble aucunement aux ouvrages d’aujourd’hui chargés de belles images mais dénués de textes réellement érudits, des ouvrages de « consommation courante » destinés à encourager la course à la consommation et au … jetable!

Jetables les livres, jetables les idées, jetables les influenceurs.

Le gaucho habite sur l’île depuis une vingtaine d’années, il a conservé de son pays d’origine (L’Uruguay, pays du monde où il y a le plus de chevaux par habitant) l’habitude d’avoir des chevaux dans son jardin. A un détail près : sur l’île il n’existe ni herbe ni pâtures. Les chevaux sont confinés sur de la terre battus et nourris avec des granulés et un peu de foin importé, c’est très onéreux!
Il m’avait dit que je pouvais arriver un peu à l’avance, ce que j’ai fait après avoir trouvé grâce au GPS le site où ses animaux sont hébergés au milieu de nulle part.
Je l’ai aperçu de loin derrière le grand portail clôt, son accoutrement en bleu de travail et son chapeau ne trompaient pas. Il rentra les énormes bergers allemands qui montaient la garde et m’accueillit avec le sourire « comme il se doit » envers la touriste que je suis.
En premier il m’informa : « tu vas voir, moi je fais dans le respect et le naturel, mais pour de vrai ».

OK

J’étais préparée pour me taire et observer.

Mais quand même, ignorant ce qui avait été dit à mon sujet, il fallait que je lui montre mon intérêt réel pour les chevaux, ma non-peur et… Pourquoi pas un soupçon d’expérience?
Je me dirigeais donc vers le cheval à l’attache.
C’était un cheval plutôt joli et bien fait. En lui flattant l’encolure, je questionnais pleine d’espoir : « C’est celui que je vais monter? »
Non, il désigna à mon intention un petit cheval quasi noir vers lequel il m’entraina.
Une fois dans le corral, je tentais (délicatement) une allusion sur l’aspect « maigrichon » de la pauvre bête, mais je fus vite remise à ma place.
Lui était le maître, le spécialiste de l’équitation naturelle et de « l’amour » des chevaux.

A partir de ce moment, je n’ai plus parlé que de la pluie et du beau temps, me contentant d’observer tout ce que je pouvais capter.
Le gaucho essaya de me faire une démonstration de son rapport aux chevaux en utilisant, pour ce faire, le compagnon de corral du cheval noir qui m’était imparti. Ceci non sans avoir préalablement affirmé que le cheval choisi pour la démo était encore sauvage, immontable et difficile.

OK.

De retour à la barre d’attache, il me refusa toute action. J’étais une touriste, c’était clair.
En retrait, je notais tous les détails.
Les noeuds des licols en corde (en France on les appelle « licols éthologiques ») avaient usé le poil des chevaux aux points d’appui. La longe était attachée si courte que les chevaux pouvaient à peine tourner la tête pour regarder alentours.
Je posais quand même la question de savoir si nous allions monter en licol (j’avais vu des photos où il le fait) en me réjouissant ouvertement à cette idée. Une fois de plus la réponse tomba en fermant le sujet : « Non, c’est une question de sécurité! ».

OK

Il sella en serrant d’un coup les sangles à leur point de non retour.
Il emboucha les deux animaux avec un mors droit à levier et ajusta les gourmettes.
Comme il vit ma grimace, il se justifia : « Ca leur fait pas mal, c’est pour la sécurité ! »
Puis il me tendit une cravache avant de m’inviter à monter.
Décidément incapable de me taire, je lui rétorquais que je n’avais pas besoin de cravache d’autant moins que les chevaux allaient vraisemblablement se suivre.
Il argumenta une fois de plus, vantant l’indépendance de ses chevaux, ses méthodes naturelles et la sécurité, puis devant mon attitude bien campée, il finit par conclure qu’il allait prendre la cravache avec lui.. okazou !

OK

Et nous partîmes.
Et il fit la conversation.
Comme prévu mon cheval suivait le sien d’un petit pas raide. Rênes longues et jambes inactives, je me laissais aller, à la fois impuissante et totalement résolue à le demeurer.
Plus loin, il me proposa de trotter et après quelques foulées les chevaux se remirent paisiblement à leur routine, au pas.
Bis repetita placent, résultat identique.
Alors, il me proposa d’échanger nos chevaux, je me demande encore sur quelle « bonne raison ».
J’acquiesçais avec joie.
Sentant le changement de cavalier, le grand cheval blanc se précipita trois pas en avant. Impassible je la laissais faire en serrant imperceptiblement les doigts sur les rênes longues (l’embouchure était vraiment trop « méchante » pour que je l’utilise).
Sans autre action l’animal repris son pas calme et le noir suivi comme il avait suivi jusque là. Ce qui est certain c’est que le pas du grand blanc était vraiment plus souple, donc plus agréable à mon vieux dos.
Enfin, la promenade toucha à sa fin.
Le gaucho continuait à me faire la conversation, essayant de positiver « cet excellent moment que nous passions ensemble à partager nos idées qui étaient semblables ». Captait-il les milliers de pensées qui me traversaient ou était-il en quelque sorte désarçonné par mon attitude si peu « normale » pour une touriste en mal de balade à cheval ?
Je l’ignore.
Dans l’ultime montée vers le corral, il m’ordonna de tendre les rênes en expliquant que le cheval allait partir au galop, car d’habitude il part au galop à cet endroit, car c’est un cheval qui « aime » courir.

OK

Je prenais un contact mou pour lui faire plaisir, le relâchant immédiatement.
Il demanda le galop.
Et mon cheval resta au pas.
Puis l’animal voyant son compagnon galoper décida de trotter et finalement galopa.
Rênes longues, il galopait.
Je tenais ma casquette d’une main afin qu’elle ne s’envola point.
Tranquille.
Tranquille pendant que le gaucho essayait de faire la démonstration de ce qu’il était capable de faire au galop, comme attraper les oreilles de « mon » cheval.
Je me contentais de surveiller ma casquette.
Tranquille.
Rapidement les chevaux qui aiment tant courir se mirent spontanément au pas.
En voyant enfin arriver le portail, je me suis dit que j’en avais définitivement terminé avec l’idée de me balader à cheval de cette manière.

Je me balade en vélo, je me balade à pied.
Je me balade dans ma tête.
Toujours avec un grand plaisir.

A cheval, je cherche une relation, j’explore, je note, j’observe, je suis dans un « monde » spécifique, c’est une réponse à un autre besoin.

Ils sont faits pour ça

« Mais… ils sont fait pour ça! »

Cette phrase est tombée d’un coup, obstruant immédiatement l’écoulement du flot de questions que j’essayais de traduire en paroles.
C’était après une courte séance d’éducation proposée au petit cheval Apaloosa avec l’aide d’une jeune cavalière.
Ses parents (propriétaires des lieux) s’étant approchés, je tentais d’expliquer à nouveau et à l’aide de mots simples autant que de métaphores anthropomorphiques à quel point il était difficile de trouver un équilibre entre « aimer monter à cheval » et « aimer le cheval » ; à quel point les chevaux sont fondamentalement gentils mais bien loin d’apprécier l’obligation de se prêter au bon plaisir des humains alors qu’ils sont si heureux en troupeau. Le non-goût pour l’activité avec les humains se révélant par le non-allant (cheval qui avance avec le frein à main bloqué, genre ado qu’on force à sortir le nez de son écran) autant que par un empressement désorganisé (cheval qui fonce, genre individu pressé d’en terminer pour aller boire une bière avec les copains)

« Mais… ils sont fait pour ça! »
Et d’ajouter :
« Bah sinon… ils ne se laisseraient pas monter… »

Je me suis sentie terriblement seule devant une telle logique simple.

Et presque instantanément, face à ces gens vivant dans un monde différent du mien, j’ai réalisé à quel point nous vivons tous sous l’injonction de la consommation « c’est là pour ça », « on a inventé ça pour vous », prenez, servez vous, pensez à payer et puis faites en ce que vous voulez « c’est fait pour ça »!

Je vais apprendre encore et encore, grâce a cette nouvelle-ancienne activité.

Nouvelle activité qui consiste à monter à cheval pour mon bon plaisir dans l’environnement d’aujourd’hui où les chevaux sont (c’est la cas de ceux que je côtoie en ce moment) régulièrement vu par le pareur (ils sont « pieds-nu » mais obligés de voir leur podologue chaque mois) par un ostéopathe, par un dentiste, par le vétérinaire, sont régulièrement complémentés en probiotiques, mangent des friandises saveur « fraise tagada » spécialement crées pour eux (oui, oui, c’est écrit sur le paquet! Impossible d’affirmer que ce fut créé dans le but de forcer les humains à consommer au grand magasin pour chevaux!) et vivent « en liberté » dans un pré d’herbe rase régulièrement inspecté. (Oui, il existe tant de dangers « volants » qui peuvent planer sur une pré soigneusement clôturé )
Je vois en filigrane ces gamins nombreux, vivant « en liberté » dans un monde préservé, « fait pour eux », hyper « bien soignés » mais si peu éduqués. Ils sont capables de rendre fiers leurs parents qui font du mieux qu’ils peuvent pour leur apprendre ce qu’ils n’ont eux même jamais appris qu’à travers des vidéos faites « pour ça »!

PS : Bien que j’aie ouvert une rubrique « cheval » c’est aussi dans la rubrique « vivre avec son temps » que ces billets ont leur place! Aurais-je pu l’imaginer?

Les « spécialistes »

Les spécialistes!

Le phénomène était latent depuis un bon bout de temps.
Les personnes qui, comme ma pomme, se baladent sur la toile depuis avant la naissance des réseaux sociaux, avaient déjà constaté la multiplication d’articles « soit disant érudits » concoctés à base d’articles « copié-collé » parfois tels quels (Et tant pis s’ils sont déjà obsolètes). De fait, ces spécialistes auto-proclamés se « spécialisent » d’autant plus vite qu’ils savent mieux se mettre en vitrine.

Ces dernières années, ce fut l’explosion.
Certainement grâce à la pause générale organisée par sa majesté SARS-CoV-2 éme.
Il fallait bien s’occuper!

Dans tous les domaines, les meilleurs « spécialistes » sont reconnaissables car ils communiquent presque uniquement par vidéo, souvent interminables, lesquelles naviguent sur la toile grâce à des titres « putaclic », une autre de leurs caractéristiques. Pour les suivre, il est non-utile de se fatiguer à lire plus de cinq mots, ceux du titre… Ensuite voguent les paroles…

Mais il existe aussi tout un tas de « spécialistes » beaucoup plus discrets, de ces personnes qui se font un point d’honneur de propager les informations qu’elles pensent détenir aussi fort qu’une vérité écrite noire sur blanc sur l’écran de leur smartphone.
Même avec un moteur de recherche hyper bien dressé, il est inévitable de « tomber » dessus dès que la recherche se fait un tantinet imprécise. Et c’est souvent que ce qui m’arrive lorsque j’essaie désespérément de déterminer le nom des fleurs dont je collectionne les images.

Je trouve, sur la toile infinie, « tout » et « le contraire » que je tente de démêler patiemment à la lumière de mes minuscules connaissances d’amatrice.
Tout aussi inévitablement je finis toujours par trouver un billet réellement spécialisé, documenté et bien sourcé, lequel me laisse invariablement dans la plus complète expectative car je ne dispose jamais des minuscules éléments nécessaires pour affirmer un peu de certitude.
En effet, jamais je n’ai coupé une tige pour évaluer la proportion de son épaisseur rapportée à la lumière qui la traverse ; jamais je n’ai prélevé un peu de la fleur afin d’établir une carte génétique, jamais je n’ai mesuré la largeur d’un labelle, etc, etc…
Ainsi, je reste généralement dans l’incertitude et je garde (sagement ?) les souvenirs et les images pour moi seule.

J’en arrive inexorablement à conclure que plus j’en apprends et plus s’agrandie la conviction que j’ignore à peu près tout. Et croyez le ou non, ça me remplie de joie!

Ces derniers jours, alors que mon emploi du temps s’élargit royalement, j’ai entrepris de mettre à jour mes fiches orchidéennes.
Pour moi, c’est un moyen de « faire le point » et alors que fleurissent les dernières belles de la saison (Spiranthes spiralis) je rêve déjà aux balades de l’année prochaine, à la recherche de celles que je n’ai pas encore croisées.
Autant dire que si j’essaie d’apprendre toujours plus loin, c’est en temps qu’amatrice je le répète au fil des articles.
Amatrice, certes mais avec un fond d’exigence qui fait que j’écris moi-même la prose, posant des liens éventuellement, toujours en cherchant davantage à encourager chacun à l’exploration et ceci avec l’intime conviction que pas grand monde ne regarde ce que je raconte.

Et ce faisant, résonne dans mes souvenirs récents les mots prononcés dans une autre langue « si, si yo lo sé » suivis à chaque fois de « je l’ai vu dans un documentaire » (je vous fais grâce de la version originale).
A chaque fois je me suis trouvée sans répartie aucune face à la petite bonne femme ignorant encore tout de la lecture et de l’écriture. Comment lui expliquer qu’elle se trompait, comment lui expliquer que les documentaires sont des films de cinéma et que la vraie vie ne peut que se vivre, et qu’elle est d’une folle complexité?

A chaque fois, j’ai pensé à tous ces « spécialistes » qui « googleuent » plus vite que leur ombre, affalés dans leur canapé, afin d’expliquer le monde et la vie à qui veut bien les écouter…

Et passe le temps et passent les années


La dernière fois que j’avais atterri sur cette île, c’était presque vingt ans en arrière.
J’étais en plein boom professionnel, les deux enfants aînés volaient déjà de leurs propres ailes et les deux plus jeunes étaient du voyage, prêts à découvrir de nouveaux spots de surf.
Aucun vol direct n’était programmé depuis la France et aucun réseau de location n’était en ligne.
Nous étions allés à l’hôtel, deux années de suite dans le même.
L’hôtel de la photo, l’unique du coin à cette époque, luxueux par rapport à la vie des locaux et cependant loin d’accumuler les étoiles comme aujourd’hui.
Et cet hôtel est la seule image que j’ai vraiment reconnue sur toute l’île.

Ce fut très questionnant.
Quels changements avaient pu ainsi troubler mes souvenirs?

Personnellement, je vois bien que passer une semaine de vacances, arracher du temps au temps quotidien d’une mère de famille qui a des activités professionnelles, était déjà un objectif tout à fait suffisant. Voir du paysage, courir d’une plage de surf à l’autre relevait de l’anecdote. Profiter d’un hôtel, du ménage fait, du petit déjeuner servi, d’un bon repas le soir sans avoir à lever le petit doigt, voilà ce qu’étaient ces vacances.

Les photographies se regardaient encore sur papier glacé, nous en faisions seulement quelques unes, principalement des vagues, des surfeurs, des windsurfeurs, pas de quoi raviver des souvenirs paysagesques.

Et puis, si le volcan est resté à sa place, les autoroutes ont poussé.
Elles permettent d’acheminer rapidement les flots de passagers débarquant des vols « économiques » vers les gigantesques réseaux de logements prévus pour eux avec vue lointaine sur l’océan, piscine, bar et sorties organisées. Elles offrent aussi aux « individualistes » (comme nous) qui circulent en voiture de location, la possibilité d’aller au plus vite d’un côté à l’autre de l’Île (compter cependant sur de multiples embouteillages) et de s’engouffrer sur les plus minuscules pistes afin d’aller faire pleins d’images forcément exceptionnelles de sites réellement remarquables.
Terminé les obligatoires interminables routes serpentant entre les vertes bananeraies et les serres* pour se rendre à l’ouest ou au fin fond du nord, le GPS (encore un truc nouveau) fait la trace en ligne quasiment droite d’un côté à l’autre, après, ce n’est que du détail.

Et pour ce genre de détail, il suffit de cliquer sur Go@gle afin de voir apparaitre tout ce que les passants ont déjà photographié et « religieusement » mis en ligne afin de faire un choix de destination. Après, en se fiant aux commentaires, il est presque « normal » d’aller où il y en a beaucoup, beaucoup de positifs… et ainsi certains endroits autrefois quasi sauvages sont aujourd’hui piétinés, dépourvus de végétation et parsemés de papiers toilette (oui, je sais c’est biodégradable – sauf les lingettes soit dit en passant – mais c’est franchement moche et le vent se permet parfois d’envoyer balader « tout ça »…).

Alors, de petits riens en petits rien, j’ai fini par comprendre que le temps était passé.
Super vite.
J’ai, une fois de plus, constaté qu’il est urgent de profiter de ce qui est offert au moment présent où c’est offert, sans chercher à comparer.
Car quoi comparer alors que moi-même change au fil des années qui s’accumulent ?

Je vois bien que je suis entrée dans un espace où le temps est désormais et plus que jamais ouvert sur l’horizon.

Et l’horizon est là, bien présent, toujours plus loin, inconnu, super attirant, enthousiasmant jusque dans ses moindre détails.
La nostalgie est un « truc » qui m’est totalement étranger.

* Les serres : à noter que ces immenses taches blanches et plates désormais incluses dans les paysages sont destinés à produire les fruits « exotiques » (bananes, papaye et autres) et aussi les tomates, tous estampillés biologiques, ceux que nous sommes si « fiers » de consommer responsables!


Changer de disque

Les enfants sont terriblement insistants parfois.

En tout cas, je l’étais dramatiquement,
Et mon frère aussi.
Lorsqu’elle était à bout, ma mère s’écriait :
« Vous pouvez pas changer de disque? »
Et dire que « ça marchait » serait s’avancer, mais il est clair que nous entendions son ras le bol et qu’avec une certaine inertie, nous finissions par appuyer sur pause.

J’aimerai pouvoir crier aussi « Vous pouvez pas changer de disque? » à la radio, y compris à mes animateurs préférés, aux billettistes, à toutes les personnes qui passent et repassent sur le devant de la scène médiatique.
Car, même si la scène médiatique qui entre dans mon salon est de l’ordre du théâtre de poche tant je la restreins, elle me tape un peu sur le système. (encore une expression de ma défunte mère)

Notre monde va mal
Notre monde va si mal
Avec ce monde qui va mal


Pfffff, c’est la méthode Coué ou quoi?

Que nous ayons été des enfants gâtés jamais satisfaits est une chose.
Que nous ayons été des enfants frustrés de « pas pouvoir faire n’importe quoi » est une chose.
Que nous soyons tous passés par la phase adolescente où les parents n’étaient que des emmerdeurs que nous sollicitions cependant sans cesse pour financer pas mal de « trucs » est une chose.

Mais, quoi ?
Ne sommes nous pas des adultes?

Et franchement, le monde n’est-il pas enthousiasmant, rempli de surprises, toujours prêt à nous surprendre?

Le monde va bien.
Le monde est le monde,
Sans états d’âmes,
Le monde a besoin qu’on lui foute la paix.


Et si moi, individuellement, je peux parfois avoir envie de plus de lumière, de plus d’océan, d’une plus grande chaleur, de plus de falaises brutes, de plus de fleurs, de plus de contemplation et que le moment n’est pas le bon, je « prends mon mal en patience » (troisième expression qui vient de loin).

Je sais qu’il n’y a pas de lumière sans ombre,
Je sais aussi que sans mouvement la vie s’éteint.
Je sais que jouer avec moins que rien et s’amuser de presque tout fait monter…

… Des étoiles dans les yeux des enfants!

Et « ça » fait mon bonheur.

Changer de disque.
C’est urgent!

Je sais, je sais!

Oui, je sais, je sais.

Qui n’a jamais entendu ces mots sortir de la bouche d’un enfant haut comme trois pommes?
Qui n’a jamais entendu la version un tantinet plus agacée partant du haut d’un teenager dégingandé ?
Et qui n’a jamais lu ici ou là des affirmations péremptoires sur autant de sujets que de personnes capables de dire « moi je sais »?

Enfant, j’usais et abusais de cette locution : « je sais ».
Si je m’en souviens si bien c’est que je me souviens du jour où j’ai cessé de la proférer. Je devais avoir six ou sept ans et mon père, certainement à bout d’arguments m’avait sèchement cloué le bec en disant « Non, tu ne sais pas ».
Dans ma tête d’enfant, ce moment résonne encore comme une chance. Il m’avait fort à propos bousculée et une quantité de nouvelles portes s’étaient instantanément ouvertes.
Car, en disant « je sais » à cet âge là je revendiquais, non pas un quelconque savoir, mais plutôt la possibilité de découvrir par moi même.
Je refusais le tout cuit, le prêt à croire, la soumission à un quelconque discours et j’avais envie de faire mes propres expériences, grappillant ça et là.

Quand vint le temps de l’adolescence, je savais un certain nombre de choses.
Plus de douze ans d’expérience dans une vie, c’est pas rien, n’est-ce pas ?

Par exemple il était clair que ma meilleure amie était la solitude.

Pour autant, j’avais soif d’apprendre partout (sauf à l’école, c’est notable).
J’étais de ces personnes qui répondent un hâtif « oui » aux conseils et autres « enseignements académiques » tout en pensant « je ferai ce que je veux », « je vais vérifier ce que tu racontes ».

Cependant, j’avais la certitude d’avoir déjà quelques connaissances dans de multiples domaines et j’étais plutôt du genre à la ramener quand les circonstances me le permettaient.
Et en même temps, une petite voix me chantait « non tu ne sais pas ».
C’était une chanson douce, paisible, et parce qu’elle était là, elle me permettait d’avancer mes pions avec grand sérieux et sans vraiment me prendre au sérieux.

Avec le temps qui est passé, j’ai eu l’immense chance de rencontrer des personnes extra-ordinaires. Et il devenait vraiment clair que j’étais une minuscule « sachante » par rapport à elles.
Pourtant, à force d’être à leurs côtés et sans comprendre quel rôle m’était assigné, je constatais à l’envi que ces personnes là étaient en quête de savoir, remettant sans cesse en question le leur ; que ces personnes étaient fort enclines à partager leurs questions, qu’elles avaient peu de réponses ou alors des réponses du genre « Aujourd’hui, ceci est connu et tout peu changer très vite en fonction des découvertes à venir. »
Ces personnes étaient admirables à mes yeux et j’avais vraiment envie de leur ressembler bien que je n’aie ni leur étoffe, leur niveau intellectuel, ni leur expérience.

Aujourd’hui, le temps poursuit inexorablement son avancée.
Je marche paisiblement vers mon ultime naissance.
Je connais le nombre d’expériences qui m’ont fait devenir qui je suis.
Je suis définitivement capable de dire « Je l’ignore » ou « J’en sais rien » en me sentant parfaitement bien, tout à fait à ma place.
Je navigue de question en question comme je mets un pied devant l’autre, tranquille et sans hâte, curieuse et avide d’apprendre encore, de partager mes questionnements et de cueillir ceux des autres.

J’ai bien compris qu’il existe des personnes qui considèrent, à leur idée, ce que je raconte.
Certaines imaginent « elle sait », d’autres pensent vraiment fort : « elle parle d’un sujet sans le connaitre aussi bien que moi ».

Ma réalité est autre.

Je dirais que je suis certainement beaucoup trop fascinée par ce monde en mouvement pour avoir envie de me bloquer, de m’immobiliser définitivement sur d’éphémères certitudes et encore moins pour « croire » confortablement ce qui se raconte.

Dès que je ne bouge plus, je me sens insécure.

Et oui, parfois, c’est fatigant, je sais!

Reset (part III)

Il faut bien avouer que les séries en trois actes me plaisent.
Comme les trois points de suspension.
Mais aussi tout autant que les cercles.

Parfois je joue à tracer dans le sable des traits, des points et des ronds, amusée d’observer à la fin une espèce d’écriture qu’il serait audacieux de considérer comme quelque chose de sérieux.

Sérieusement, je sens une fois de plus l’effet de cette île. Jamais je n’ose y croire d’avance et souvent je rechigne à y séjourner à nouveau, ayant l’impression que je n’ai plus grand chose de nouveau à découvrir entre ses vagues et ses volcans.
Et la magie opère à chaque fois.

Il y a évidement l’effet « désert » (comprenant autant l’étymologie du mot que la description environnementale d’ici) et l’effet « île ». Il y a aussi la compagnie qui m’oblige à ralentir parfois, à pauser longuement dans les journées, m’incitant à creuser un peu plus profond chacune de mes réflexions. Il y a surtout l’effet désert, c’est certain.

Hier, je suis allée une fois de plus vers un coin de l’île particulier.
Il est historique car c’est par cet endroit que les conquistadors sont rentrés au centre de l’île au 15ème siècle.
Il présente une configuration géologique unique sur l’île.
Il raconte l’histoire de l’agriculture locale soumise à la pression des besoins en eau.
Là-bas, le vent tourbillonne, chante et danse.
Hier, il était totalement absent.
J’ai pu emmener celui que j’avais invité à découvrir jusqu’aux plus hauts sommets et nous sommes passés par l’arche.

Cette arche je l’avais, pour ma part, découverte dix ans plus tôt, alors que nul sentier n’y conduisait, que nulle photo n’avait été partagée sur la toile. Comme d’habitude, c’était parti d’un jeu dont la règle est simple : « allez, je grimpe là-haut ». Et j’avais grimpé tout droit. Et j’avais gardé pour moi l’image, comme je protège mes spots les plus précieux.
Depuis, tout a changé puisque les conduites ont changé, puisque le monde bouge, avance, se transforme et vit.
L’arche est connue, notée comme un centre d’intérêt difficile d’accès, mais accessible, an particulier aux jeunes, avides d’images spectaculaires.
Du matériel d’escalade y a été fixé… c’est devenu un terrain de jeu.

Et, le vent poursuit son oeuvre.
Il sculpte, façonne, élimine.
Les débris montrent que l’éboulement est proche.
Bientôt l’arche disparaitra.

Une nouvelle sculpture sera là : l’humain et la nature, sans le savoir vraiment, se seront ligués pour la créer.

Reset.