Dans la droite ligne qui suit l’article au sujet de la crédulité, je me devais d’aborder le rapport de mon cheval à l’effet placebo.
J’ai tenté de lui en parler, il a eu la même tête que celle qu’il a pris devant le ballon de foot dégonflé abandonné par son copain « C’est quoi ce truc? C’est pas dangereux? Ok, ben je vais manger alors, je vois de l’herbe bien verte par là » et il a commencé à manger sans m’en raconter davantage.
Si, chez l’humain, l’effet thérapeutique du placebo est bien connu, reposant sur de multiples publications amassées depuis des années, au point d’être désormais ouvertement utilisé dans les meilleurs hôpitaux, c’est un peu différent chez l’animal.
Néanmoins, de nombreux propriétaires peuvent témoigner de l’efficacité des médecines alternatives sur leurs chouchous.
Car il faut bien le constater les propriétaires, ont toujours peur d’en faire pas assez pour le bien-être de leur cheval et ils multiplient facilement les visites d’experts en effets placebo.
Je l’ai affirmé dans cet article, mes croyances sont quasi nulles, je pourrais même ajouter que je prends soin de balayer chaque matin toute croyance qui aurait pu germer insidieusement afin de m’en débarrasser illico.
Pourtant j’ai toujours transporté dans mon sac professionnel un paquet d’aiguilles d’acupuncture, des tubes de granules blanches, des flacons mystérieux, tout en étant bien au fait du seul pouvoir de mes mains nues. Ma « pharmacie » familiale contient aussi pas mal de poudres de perlimpipin.
Alors pourquoi cet article ?
Bon. Sans illusions, je sais qu’il ne sert à rien et en plus, même lorsque je fus très sollicitée, jamais le complexe du sauveur ne fut mien. Je suis pleinement consciente de mon impuissance. Dans mon agenda, des années durant la phrase suivante ouvrait le bal :
« Aujourd’hui l’homme est encore
Trop faible
Pour supporter sa faiblesse
Il doit devenir fort
Pour s’accepter vulnérable »
Jean-yves Leloup, Déserts, Le Fennec Editeur, 1994
Alors, disons que je connais suffisamment et depuis assez longtemps la puissance de l’effet placebo pour l’utiliser à bon escient dans les circonstances où je sais pouvoir compter sur lui.
Mais, qu’en est-il pour mon p’tit Prodi?
D’abord quand il est en pleine forme, je le vois et il a sûrement besoin de rien.
Ensuite il sait exprimer la moindre tracasserie et d’autant mieux que c’est un p’tit pur sang à la sensibilité à fleur de sa peau très fine. Il m’appartient d’essayer de comprendre. Parfois c’est de ma faute et il suffit que je corrige mes « bétises », comme je l’ai relaté ici.
Ensuite plus loin, j’ai un peu d’expérience et je me sens tout à fait capable de faire un examen physique à la recherche de signes expliquant le symptôme exprimé.
J’ai appris chez les humains qu’il est généralement urgent d’envisager des choses simples avant d’envisager les scenarii catastrophes et je l’ai appris encore mieux que dans les livres en voyageant dans des contrées où n’existe pas notre médecine et où les réelles pathologies s’exhibent dans des tableaux qui ne laissent aucun doute planer.
Sur la toile le sujet est assez peu évoqué. J’ai cependant trouvé quelques articles qui me plaisent sur ce site en particulier. Et j’ai bien conscience que « ça » peut ne pas plaire à tout le monde!
Le mystère du placebo est immense. Un bouquin avait abordé ce mystère, mais avec l’évolution de la technologie, l’invasion des écrans et la rédaction des prescriptions par les machines, le discours est désormais daté.
Le mystère du placebo, Patrick Lemoine, Edition Odile Jacob, 1996
En fait je comprends le dédain, de mon p’tit cheval quand je lui demande ce qu’il pense de ce mot. Une fois tout risque de danger immédiat écarté, il s’en moque.
C’est que lui, l’animal, le sacré animal ne demande rien.
Qu’il se cogne, que son voisin lui arrache un petit bout de peau, qu’il boitille, qu’il tousse parfois, que son crottin soit un peu mou, il s’en moque.
C’est moi qui l’examine chaque jour sous toutes les coutures et qui décide s’il va bien ou non.
C’est moi.
Moi seule.
Et c’est mon imagination qui bosse à travers cet anthropomorphisme dont il est si difficile de se détacher.
Mon jugement au sujet de la gravité d’un symptôme m’appartient.
Le traitement pour y « remédier » aussi, d’ailleurs, c’est moi qui vais éventuellement contacter un professionnel ou un expert et qui vais ouvrir les cordons de ma bourse.
Mon cheval est insolvable, lui!
Il est tout entier sous ma tutelle.
De fait, aucun biais cognitif ne peut s’emparer de lui en lui suggérant que parce qu’il a payé fort cher, il va bientôt guérir et ce d’autant moins qu’il ne se voit pas « malade »!
L’effet placebo, s’il s’exerce ne peut s’exercer que sur le propriétaire du cheval.
Les dernières études en éthologie suggèrent que le cheval est sensible aux émotions, il est donc possible d’imaginer qu’il est plus serein à côté d’une personne sereine et qu’en conséquence il est important de prendre soin du mental d’un cheval en prenant soin de celui de son propriétaire, donc en proposant un placebo qui fait sens pour ce propriétaire là.
Est-il utile d’ajouter qu’en cas de gros accident ou de maladie cataclysmique, dans nos contrées nanties, « tout le monde » va naturellement penser à contacter un vétérinaire de qualité et accepter les chirurgies de pointe et les drogues les plus dures… dans la mesure de ses moyens financiers, évidemment.
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Mon cheval s’ennuie
Récemment lu chez un « granguru » : « votre cheval s’ennuie en carrière, partez en balade »
Pfffff.
Mon cheval est incapable de s’ennuyer.
L’ennui est un sentiment.
Un sentiment indissociable de la notion du temps qui passe.
Et mon cheval ne sait pas lire l’heure!
Alors…
Quand mes enfants et désormais mes petits-enfants disent « je m’ennuie », je cherche à interpréter ce qu’ils me racontaient/racontent.
Est-ce que l’heure du repas approche ? : ils auraient faim
Est-ce que je vois un bouquin terminé ? : il en faudrait un nouveau
Est-ce que je constate un déballage de jouets? : c’est d’une demande de collaboration à jouer dont il est question
Etc.
Mon cheval ne s’ennuie pas.
Parfois il somnole tête basse dans son pré.
C’est son moment de récupération, tout va bien.
Parfois il a les yeux dans le vague à la porte de son box.
C’est qu’il digère un peu, tout va bien.
Mon cheval ne s’ennuie pas.
Pas même en carrière.
Ca, c’est parce que j’aime beaucoup inventer plein d’exercices en carrière, jamais je ne m’y ennuie.
Par simple anthropomorphisme, je suis incapable de voir mon cheval s’ennuyer parce que jamais je ne me lasse d’inventer de nouvelles gammes, de nouveaux exercices en sa compagnie. Jamais, même pas en balade!
D’ailleurs si vraiment j’ai besoin de me balader pour me « laver la tête », je m’en vais à pieds, voire à bicyclette !
Une balade à cheval, une balade à côté du cheval, c’est toujours avec un objectif éducatif, jamais mon esprit ne s’envole en vagabondage, je suis toujours connectée seulement avec mon cheval.
C’est pour la richesse de cette connexion que « j’aime » l’équitation, les chevaux et l’ensemble des exercices qui vont avec.
Mais je connais beaucoup de cavalières qui me disent qu’elles détestent rester « en carrière » qu’elles s’y ennuient, que « tourner en rond » ne les intéresse pas.
Et je comprends tout à fait ce qu’elles me racontent : parfois il s’agit d’un sentiment de solitude, parfois il s’agit d’un sentiment d’incompétence, parfois il s’agit d’un manque d’imagination, de celui qui porte à répéter infiniment et sans but le même exercice.
Mon imagination galopante voit alors un enfant qui ne souhaitait pas apprendre la musique contraint à faire des gammes, un enfant qui ne voit pas l’intérêt de l’écriture contraint à faire des lignes, un adulte qui n’a pas eu le choix de son boulot contraint à attendre le client dans une boutique vide, etc.
Alors, oui, le cheval étant lui aussi contraint par son cavalier de sortir de son pré où il broutait tranquillement, de son boxe confortable où il se sent en sécurité, ce cheval là est de fait « ennuyé » par son cavalier.
Passer d’un cheval que l’on ennuie volontairement à un cheval qui s’ennuie est, à mon avis, une acrobatie intellectuelle risquée.
Nos ancêtres qui bossaient du matin au soir avaient-ils le temps de se poser des questions au sujet de leurs sentiments?
Les ancêtres des chevaux actuels, ceux qui étaient les « outils » corvéables sans fin des humains qui bossaient du matin au soir ne s’ennuyaient pas plus que nos chevaux d’aujourd’hui, par contre force est de constater qu’ils devaient être, comme leur maîtres, bien fatigués en fin de journée!
Les animaux ne savent pas lire l’heure
Toutes les personnes qui possèdent un animal domestique savent que les animaux passent beaucoup de temps à dormir ou à somnoler, bref… à ne rien « faire », à ne rien produire.
Les chevaux, s’il passent très peu de temps à dormir couché, passent beaucoup de temps à somnoler debout.
C’est peut-être parce que les animaux ne savent pas lire l’heure qu’ils sont de merveilleux compagnons ?
Les animaux nous apprennent à prendre le temps et à rester immobile.
Car temps et mobilité sont liés.
Le temps s’est accéléré avec les progrès technologiques.
Les horloges ont éclaboussé leur précision de machine lorsque des gares ont été construites pour accueillir les trains. Et les trains avaient changé les repères en dépassant largement les vitesses de voyage en vigueur avant eux. Du pas de l’homme, du galop des lourds chevaux postiers, l’humanité passait soudain à la vitesse de la machine, démesurée. La mobilité qu’elle apportait rangeait la mobilité humaine au grade de quasi immobilité en quelque sorte.
Et tout s’est accéléré au fil du 20 ème siècle, puis encore plus par la suite avec des informations capables de parcourir le monde en quelques minutes seulement!
Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne était visionnaire et il est largement dépassé aujourd’hui.
Sociologues et philosophes se sont emparés de ce sujet contemporain à l’instar de l’allemand Hartmut Rosa dans son livre : Accélération. Une critique sociale du temps » (Beschleunigung. Die Veränderung des Zeitstrukturen in der Moderne)Traduit de l’allemand par Didier Renault, La Découverte, 2010
Nos animaux ne savent pas lire l’heure.
En leur compagnie, nous apprenons leur monde.
Qui n’a jamais passé un long moment à seulement caresser son chien, à rêvasser avec un chat ronronnant sur les genoux, à faire briller la robe d’un cheval patient ignore cet enseignement.
Avons nous conscience de ce qui nous est offert là?
Cette clé d’un temps très relatif?
Je n’en suis pas certaine.
Trop souvent,
Ces instants pausés,
Sont autant de simples bulles qui nous mènent vers la bousculade sur l’air de « Oups, j’ai pas vu le temps passer, j’ai tant à faire, viiiiiiiiite…. »
De la crédulité
Mon cheval ne me croit pas du tout.
Certes, il est plutôt obéissant mais c’est à la fois le résultat d’une âpre sélection génétique menée en faveur de sa domestication – cf (1) ) – et d’un patient conditionnement à la soumission opéré dès son sevrage par les éleveurs, les éducateurs puis les cavaliers.
Mon cheval vit l’instant présent et l’interprète selon son propre mode de raisonnement.
Il peut être sensible à l’attitude de ses congénères, mais de nature zen, il est capable de considérer très rapidement la situation afin d’adapter son comportement. Loin de lui l’idée de crier au feu s’il ne sent pas le feu, loin de lui l’idée de fuir devant des fantômes imaginaires.
Mon cheval vit à l’écart des réseaux sociaux et s’il est capable d’anticiper une routine bien connue, il est pour autant dénué de la moindre imagination, incapable de fomenter la moindre théorie.
En sa compagnie, je respire et je vis minute après minute, suivant son exemple.
Pourtant,
Pourtant, le plus grand nombre des propriétaires de chevaux de loisir que je croise, eux, sont extrêmement crédules.
Ils sont parfois prêts à croire n’importe quoi et n’importe qui.
Ils sont prêt à avaler des couleuvres, ils sont attirés par des miroirs aux alouettes de toutes sortes et c’est généralement dans l’unique but de pouvoir atteindre (plus vite si possible) des objectifs tout à fait humains et de fait contradictoires. Parce que, par exemple, favoriser le bien-être de leur animal préféré et viser des objectifs compétitifs – cf (2) – pour leur plaisir à eux est évidemment quasi incompatible stricto sensu.
En temps qu’humains, nous sommes ainsi, cherchant l’équilibre entre nos paradoxes. Animaux pensants, nous sommes soumis à des instincts du fond des âges et nous avons besoin de les légitimer puis d’imposer nos lois, de créer nos chapelles pour caresser notre égo humain. (L’égo humain étant une construction psychologique complexe, influencée par la culture, qui émerge des caractéristiques uniques du cerveau humain et de son architecture cognitive particulière)
Les chevaux cherchent surtout a être en paix, respirer, boire, manger et se mouvoir librement suffit à leur bonheur.
Et la crédulité, et les croyances alors?
Pour éviter de partir dans tous les sens, je vais prendre pour exemple celles qui sont associées à l’injonction « bien-être ».
La notion de « bien-être » est politique en premier. Avec les acquis sociaux et l’évolution de nos sociétés nanties, elle s’élargit actuellement jusqu’à atteindre le monde animal en entier (animaux domestiques et animaux sauvages, animaux d’élevage, animaux de rente, animaux des villes et des champs dans le même sac tant qu’ils sont « mignons » et qu’ils ne nous piquent ni ne nous mordent auquel cas, ils deviennent « nuisibles »)
Ce bien-être politique, de part l’injonction qui lui est liée, peut être perçu comme un syndrome à part entière avec de sacrés effets délétères, certaines personnes se sentant coupables (quand elles ne sont pas culpabilisées par des « bien-pensants ») de se « sentir mal ».
Comme c’est le cas chaque fois que l’affaire est tellement complexe qu’elle en devient inconfortable à penser pour un bon nombre de personnes, des « grangurus » – cf (3) – sont là pour tout simplifier, donc devenir « rassurants » et emballer vite fait bien fait leurs « clients » crédules.
Je reviens à nos chers chevaux.
Je suis effarée lorsque je lis les annonces destinées à vendre des chevaux communs et que je lis « ostéo OK » et parfois « shiatsu OK » et bientôt « horoscope favorable » pourquoi pas?
Qu’est-ce que ça signifie ?
Ces chevaux n’ont pas subit d’examen vétérinaire assurant qu’ils sont exempts de tares et de maladies, mais des « professionnels » les ont examiné et ont affirmé « tout va bien ». C’est à dire que par la seule imposition des mains, ils auraient les mêmes pouvoirs que toute l’imagerie médicale réunie avec toutes les analyses biologiques scientifiquement connues ! C’est à se demander pour quelle raisons des humains se sont cassé la tête à inventer ces techniques, à les mettre au point et à les « métanalyser » afin de les étayer statistiquement. Franchement ce que les « anciens » nous ont appris au sujet de la lecture dans le marc de café, dans les tripes de poulet et autres « techniques » de prédiction antiques, moyen-âgeuses et pré-pasteuriennes seraient largement suffisant, il suffirait d’y croire.
Je suis stupéfiée en ouvrant chaque matin les réseaux sociaux quand je vois défiler les « experts » qui vendent leurs méthodes infaillibles pour réussir avec nos chevaux en 10 leçons… ou beaucoup plus mais c’est beaucoup plus cher.
J’ai souvent ouvert la discussion avec certains et j’ai toujours reçu en retour des réflexions remarquables. Remarquables par la similitude de leurs constructions : elles partent d’une affirmation scientifiquement connue pour aboutir à un cloaque où se mélangent les concepts copiés/collés sans autre source que les réseaux sociaux. Des concepts, des représentations, des abstractions souvent basées sur un fort anthropomorphisme et il suffit de croire pour se retrouver piégé. Car les réseaux sociaux sont ainsi faits qu’il suffit de cliquer sur un lien pour en recevoir des dizaines de semblables, pour se retrouver envahi par « tout le monde » qui parle de la mème chose, avec le même langage, ce qui prouve « évidemment » que c’est la « vérité » à quiconque est un tantinet crédule. Et au premier abord il n’y aurait rien à vendre, ce serait juste de l’information bénévole, c’est doublement piégeux pour les personnes qui lisent plus vite que leur ombre en s’empressant de partager « la bonne nouvelle », contaminant de fait ceux qui leur font confiance.
Curieuse de nature et disposant d’un temps libre suffisant, je m’amuse à lire ces « experts » en tous genres afin de mieux comprendre le monde qui vibre autour du mien. Leurs certitudes sont incroyables ! Clairement je suis pas croyante, mes besoins sont autres.
Pour ma part, l’unique « truc » super important à faire de manière urgente consiste à demander au réseau social de masquer définitivement la publication une fois lue. Pendant quelques jours je n’ai plus que des vendeurs de clémentines bio ou de shampooing sec qui émergent et puis, parce que j’ai cliqué chez « googlemonami » un mot clé ou un autre autour de « cheval » les propositions reviennent au galop!
A suivre…
(1) : « ZFPM1 is essential for the development of dorsal raphe serotonergic neurons involved in mood regulation31 and aggressive behaviour32. ZFPM1 inactivation in mice causes anxiety disorders and contextual fear memory31. » in The origins and spread of domestic horses from the Western Eurasian steppes.
(2) Compétitif : la compétition est partout. Souhaiter faire un long galop sur la plage peut être compétitif pour un cheval qui passe 14 jours/15 jours au pré, tourner à la manière western autour des tonneaux est compétitif, imposer une course d’endurance est compétitif, proposer un spectacle meilleur que celui du concurrent est compétitif, etc… En ce moment seules les disciplines olympiques font le buzz, c’est dire combien nombreuses sont les personnes qui portent des oeillères sans en avoir conscience.
(3) Si le « guru » est à l’origine un maitre indien, il se décline désormais de « granguru » à p’titguru ».
Le « granguru » peut venir d’Australie comme son nom l’indique mais il est plus largement anglo-saxon et adore organiser des grand-messes pour rassembler les membres de sa secte.
Le p’titguru » contrairement à ce qu’on pourrait penser n’est pas le fils du « granguru » mais un dérivé plus européen. Grâces aux réseaux sociaux, il aspire a devenir célèbre, convaincu qu’il est de détenir la vérité vraie et de devoir la propager, porté par le bien connu « complexe du sauveur« .
Ces personnes sont à distinguer des véritables enseignants qui proposent leur services tant sur le terrain qu’en ligne avec humilité et passion.
Evolution du vocabulaire et des comportements
Il faut vivre avec son temps disait ma grand-mère.
Et elle appliquait sa maxime, cette phrase qu’elle avait laissé tomber un jour en revenant du marché, en déclarant qu’il était devenu inutile de tricoter puisque de beaux pulls en laine était vendus pour moins cher que leur valeur en nombre de pelotes achetées.
Pour moi ce fut un grand ouf de soulagement, j’en pouvais plus des pulls tricotés par Mémé, détricotés et re-détricotés à l’envie. Toujours la même histoire d’apparence.
Dans mon lycée huppé de centre ville, les filles étaient sapées « mieux », certaines avaient même des chaussures venues d’Amériques, ça s’appelait des « clarks » et ça ne ressemblait en rien à ce qui se vendait chez le marchand de chaussure de mon quartier de banlieue.
Rien à voir avec les chevaux.
Non.
Et oui, il faut vivre avec son temps, OUI.
Logiquement, nous vivons dans le siècle où nous habitons, nous sommes les sportifs de ce monde, les cavaliers de ce monde et nous nous agitons situés dans ce monde là précisément.
Un monde où jamais l’offre de consommation n’a été si large et jamais l’offre de services, n’a été aussi pléthorique.
Désormais, il est même possible d’apprendre le yoga, la course à pied ou l’équitation en restant dans son canapé devant un écran!
De fait, le nombre de spécialistes, d’experts et de « savants » est plutôt conséquent.
La concurrence est partout, elle est rude car elle oblige à une certaine « guerre », c’est à dire que pour survivre, de nombreuses personnes doivent défendre leur chapelle, coûte que coûte, en particulier en oubliant toute forme de nuances.
Il y a le « bien », celui qui est prêché par l’un et il y a le « mal » celui de l’autre chapelle.
Et cette observation est possible sous tous les angles.
C’est factuel et actuel.
Et ce, quand bien même, chacun s’empresse de parler de sa propre modération.
Il y a plus d’un demi-siècle, quand j’étais rentrée dans le monde des chevaux, c’était la fin d’une ère. Les tracteurs avait remplacé les chevaux de trait, le triporteur avait remplacé la bourrique du laitier ; il restait les chevaux de course avec la joie populaire autour des nombreux hippodromes et les grands concours hippiques commentés par Léon Zitrone pour lesquels je pouvais rester scotchée devant le petit écran gris de la télévision de ma grand mère (décidément très moderne!)
En 1975, lorsque j’ai suivi mon inspiration, lâchant « tout » en échange d’un contrat pour une saison au cirque, j’ai découvert un monde que je n’avais pas imaginé, celui du dressage des animaux.
J’ai surtout découvert des chevaux présentés au public en « liberté ».
C’était du cirque!
DU CIRQUE.
C’était tellement loin de tout ce que j’avais pu connaitre jusque là.
Là-bas, j’ai vu.
J’ai eu la chance incroyable de côtoyer chaque jour un homme de cheval en la personne de F.Knie senior. J’ai su bien plus tard tout le bien que pensait de lui N.Oliveira et ce que certains grands cavaliers de dressage lui devaient.
Il présentait cette année là un numéro de haute école, tout en légèreté, avec un superbe lipizzan que l’école de Vienne avait cassé et dont il avait patiemment recollé les bouts prouvant toute la hauteur de son art.
Il m’avait signé un contrat, tout comme à l’anglaise qui m’accompagnait, tout comme à une jeune allemande de ses amies : précurseur, il cherchait des filles pour bosser avec ses chevaux car il détestait toute forme de dressage par la force et la violence.
Des années plus tard, les plus grands cavaliers optaient en masse pour des « grooms » au féminin.
J’ai tellement appris lors de ce passage en Suisse.
J’ai appris ce qui était pour moi une évidence, les chevaux écoutent mieux quand on leur parle avec douceur, même lorsqu’il est nécessaire de faire preuve de rigueur et de fermeté.
Lorsque je suis rentrée en France, j’ai repris la routine.
Etudiante, cavalière classique et cavalière de course à la fois, je restais imprégnée par ce que je venais de vivre et, droit dans mes bottes ou relax dans mes chaps, je m’efforçais afin d’appliquer ce que j’avais appris tout en me gardant bien d’évoquer le cirque.
En concours, après le succès de l’équipe nationale aux JO, c’était à fond la mode de la méthode d’Orgeix et au moins la position me convenait-elle parfaitement en adéquation avec l’équilibre que je connaissais au champ de course.
Et le temps est passé.
Les boudhistes affirment justement que seule l’impermanence est permanente.
Mon père aimait dire que la roue tourne.
Aujourd’hui, nombreux sont les spectacles équestres où apparaissent des chevaux plus ou moins nus répondant à des « dresseurs » plus ou moins charismatiques et ce n’est pas du tout du cirque!
Le cirque, n’est-ce pas de la clownerie et de l’acrobatie?
Non, ce n’est pas du cirque, c’est du dressage et aussi une nouvelle forme d’équitation (lorsqu’il s’agit de chevaux montés) voire une nouvelle discipline qui se pratique à pieds, à côté d’un cheval de compagnie, allant du TAP plus ou moins fantaisiste aux compétitions d’Equifeel!
Nous sommes tous très doués pour jongler avec les mots en fonction de la mode.
Aujourd’hui, dans les prairies, dans les manèges, rôdent les messages paradoxaux, de ces messages qui rendent fous.
Car l’exploitation des chevaux devrait aller de pair avec leur bien-être un peu comme si « se tirer dessus physiquement » (en pratiquant du sport intensif) pouvait rimer avec « être mieux dans ses baskets ».
A l’heure où les médias font l’éloge de l’activité physique douce nécessaire au bien vivre des humains, la question se pose en parallèle pour les équidés alors même que perdure pour eux comme pour les humains le sport spectacle de haut niveau.
Entre messages paradoxaux et complexité du vivant, le plus simple consiste souvent à choisir une chapelle, à y croire et à suivre scrupuleusement son évangile.
Et pour éviter toute déconvenue, je conseille fortement de le faire au fond d’un canapé, devant un bel écran.
Finalement, j’en reviens à ma grand-mère.
En arrêtant de tricoter, détricoter et retricoter, « on » en est un peu au même point.
« On » détricote, « on » retricote avec ce qui nous passe sous le nez!
Et « on » reste tout à fait humain, chacun faisant la tambouille qui est a sa portée.
Et… comme tout un chacun, je fais la mienne.
PS : Pour écrire rapidement et sans nuances aucune sur les réseaux sociaux (par exemple) l’usage des « ils » et des « on » qui désignent personne et tout le monde à la fois est très répandu.
Histoire d’adolescence
Le temps qui passe apporte son lot de questions, sans questions il serait terne.
En 2023, j’ai accepté l’idée d’abandonner l’état « actif » ce qui signifie que sur les listes proposées à la fin des interrogatoires statistiques, je dois cocher l’ultime case, celle dans laquelle il est « normal » de mettre toutes les personnes qui vivent au crochet des « actifs », ceux qui cochent les cases d’au dessus. Dans ces bas-fonds, plus question de titres ni de diplômes, plus question de qualification, c’est l’antichambre vers l’oubli.
Les « boomers », ces « vieux schnocks » d’aujourd’hui disparaissent petit à petit, les plus célèbres offrant un espace aux spécialistes en nécrologie d’autant plus qu’ils se sont désespérément accroché à leur célébrité. Car certains sont incapables de laisser leur place aux jeunes, que ce soit en politique, dans le showbizz, partout où l’existence est intimement liée à l’exposition médiatique.
Enfant, je regardais les films western sur l’unique chaine de la télévision qu’il me fallait aller regarder chez ma grand-mère les jours sans école. Aucun salon ni aucun canapé à l’époque, c’est assise sur une chaise en paille devant la table de « salle à manger » que nous regardions la boite magique en sirotant du « pschitt » et en mangeant une tartine « beurre-chocolat ».
J’étais toujours « pour » les indiens.
J’étais fascinée par ces « sauvages ».
Un jour, je fus marquée par l’histoire d’une vieille femme qui s’éloignait de la tribu. Devenue inutile, elle partait finir ses jours au loin, seule afin d’éviter de devenir un poids pour les siens.
Je fus marquée.
Marquée au point de me dire que j’en ferai autant, un jour, lorsque le moment viendra.
Las, le temps des « indiens » est terminé.
Ni l’environnement sociétal ni l’environnement tout court ne se prête plus à ce genre de « disparition ».
Aujourd’hui, de mon point de vue, la personne vieillissante, vit une espèce d’adolescence à l’envers, un temps entre l’âge adulte (époque de productivité et de cotisations sociales) et l’ultime vieillesse croupissante qui parfois s’étiole infiniment dans les établissements spécialisés parce qu’il est interdit d’achever les humains, quand bien même ils ne sont devenus que charges et soucis incapables de communiquer.
Donc, me voilà vaillamment et joyeusement entrée dans cette drôle d’adolescence !
2024 marque mon retour en adolescence.
Une preuve s’il en était besoin : je monte à nouveau à cheval quasiment chaque jour.
Car le mot « adolescence » est une affaire de bavardage, de signifiant donc comme l’écrit le psychanalyste B.Nominé :
Et, je remarque que la première partie de l’article telle qu’elle apparait sur l’image ci-dessus pourrait tout à fait être plausible en remplaçant « jeune » par « vieux » ainsi il serait possible d’écrire :
« Je propose donc de situer l’adolescence entre la réalité biologique de la « ménopause/andropause » qui est un évènement du corps qui s’étiole, et le bavardage. »
Et plus loin :
« Ce qui va donner un statut à la vieillesse, et c’est la qu’on va trouver l’adolescence, c’est le fait de séparer les vieux des adultes au moyen de la retraite. »
Ca me fait rire.
Ce genre d’humour me comble sans jamais me désoler.
Voeux
1er janvier 2024
Le premier janvier fut longtemps le jour des étrennes dans notre civilisation.
Les étrennes.
J’ai vécu dans mes tripes ce mot. Je l’ai vécu avec la tournée familiale du jour de l’an où nous visitions la famille afin de les récolter, ces tout petits cadeaux, en échange de nos bons voeux.
Pour moi, c’était très lourd.
Comme tout ce qui relève de l’obligation obligée.
Embrasser des gens quasi inconnus, grimper sur les genoux des vieilles tantes, attendre dans leurs appartements trop chargés en odeurs étranges, remplis d’objets surannés, dans la grisaille des jours d’hiver était presque un supplice.
Et attendre la pièce promise en restant sagement assise pendant que les hommes buvaient leur « petite » eau-de-vie était un triste moment.
Parfois, il y avait une bouteille merveilleuse dans laquelle trempait soit un fruit soit un pantin animé, soit une cathédrale… c’était cool, je pouvais m’y perdre pendant que le temps s’écoulait.
C’était autrefois, un temps disparu.
L’idée des étrennes, c’est aussi et toujours et chaque année le souvenir de ce poème d’Arthur Rimbaud, celui qui arrive en entrée des « Oeuvres complètes » publiées par La Pléiade :
Les étrennes des orphelins.
1er janvier 2024
Les voeux s’échangent virtuellement.
Regardez vos mails, il est probable que les entreprises commerciales les plus incisives vous ont envoyé leurs « bon voeux ».
A quoi rime cette histoire ?
Quel en est le moteur ?
Je suis tellement mal à l’aise depuis toujours avec tout ce « genre de truc ».
1er janvier 2024
J’avais publié ce billet « Haute voltige » en ouverture de 2019, c’est toujours le fond de ma pensée.
Zone de passage (2)
Ce deuxième épisode élargit le premier.
Nous passons de passages en passages, c’est un fait.
Ce constat est vertigineux.
C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que…
C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…
Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir.
Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.
Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse.
Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette.
Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.
J’en suis là.
Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.
L’automne arrive.
En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ».
En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte.
Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux.
Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.
J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.
Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?
Souvenirs
Avant de laisser mes mots se tricoter dans un deuxième épisode sous le titre « Zone de passage », il me faut parler un peu de souvenirs.
Depuis mon débarquement au monde dans le milieu du siècle dernier, le sens de la vue, la vision, est devenu central et prépondérant. A un tel point que Les boutiques des opticiens ont naturellement envahi les centres des villes, les meilleurs coins de rue, repoussant au loin les autres commerces.
Dans mon enfance, porter des lunettes à l’école était chose rare, les écoliers qui « voyaient mal » étaient placés au premier rang afin de « voir mieux le tableau » ou, rendant d’emblée les armes, ils étaient près du radiateur au fond de la classe.
Petit à petit la « mode » s’est répandue, « soignant » même la physiologie, c’est à dire l’évolution normale de l’oeil enfantin, afin de procurer à chaque jeune humain une vision correspondant à celle d’un adulte.
– Remarquablement, et je pose cette réflexion en aparté, les jeunes humains sont de plus en plus considérés comme des adultes tout simplement parce que les adultes les regardent comme des individus achevés à leur image, capables de comprendre la vie comme s’il en avaient l’expérience innée. ( Cf La norme) –
Je fais partie des personnes âgées qui refusent de porter des lunettes au long cours. Non par difficultés financières, non, simplement par goût pour la liberté de sentir le vent sur mon visage jusque dans mes yeux, pour le plaisir de froncer ou écarquiller les yeux au besoin, pour la joie de laisser s’échapper les détails et de sonder l’alentours avec tous mes sens, peut-être aussi avec le coeur. Je me moque du 10 dixièmes moyen, alors même que je fus longtemps dotée d’une acuité bien supérieure, je vois comme je vois c’est finalement une question de point de vue, n’est-ce pas ?
Tout ça pour en arriver aux souvenirs que je suis en train de classer!
Car la suite logique de la traversée de ces derniers mois, c’est un nouvel épisode de rangement, de tri et d’élimination, le dernier datait de six mois avant l’an zéro de C. Nous sommes aujourd’hui à l’an 3!
(Oui, je constate souvent que les gens comptent désormais les années avant C(ovid) et après!!!!)
Et il y a du boulot, j’avais gardé un paquet de papiers « sentimentaux » dont je peux désormais me débarrasser.
Et puis, il y a les centaines de photos accumulées dans la photothèque virtuelle, dans les disques de sauvegarde et dans divers dossiers virtuels.
Les stocks sont dans les nuages, à ce qu’il parait.
Impalpables donc.
Je questionne souvent le rapport commun à l’image.
Observer des personnes vivre un feu d’artifice, un spectacle ou un fait divers à travers leur écran qui enregistre des images m’interpèle. Au delà du regard, d’autres sens sont-ils sollicités ?
Comment la mémoire, notre mémoire physiologique, notre mémoire bassement humaine, enregistre t-elle ces expériences là ? Cette mise à distance ?
Quand chaque acte est mis en boite afin d’aller ensuite dans les nuages ?
Quand chaque acte est « enregistré » comme un souvenir « véritable » ?
Un souvenir « preuve infalsifiable » que n’importe quelle application de smartphone peut pourtant s’amuser à modifier ?
Les souvenirs construisent le socle de notre présent, j’en suis certaine.
Quels qu’ils soient, ces souvenirs, même ceux d’aujourd’hui genre « Ah oui, je me souviens j’avais filmé la scène, attends je vais te montrer » et de scroller à toute vitesse.
Les souvenirs sont situés.
Comme le reste.
Pendant des millénaires, les humains se contentaient de se les passer par la parole, sans se soucier des transformations qui jouaient leur rôle à chaque passage.
Pour quelques personnes, puis pour un nombre de plus en plus grands d’individus, l’écriture est venue apporter l’impression d’une certaine précision. Certes, interpréter les gravures rupestres voire les écritures logographiques exige un grande interprétation, bien plus que les écriture alphabétiques actuelles, surtout celles qui comme la nôtre contient des voyelles écrites. Mais il est probable que les humains qui « gravaient dans le marbre » avaient l’impression de laisser des empreintes pour l’éternité.
Nous en sommes à l’époque où nous avons l’impression de laisser des empreintes dans les nuages!
J’ai besoin de choses palpables pour ma part.
Alors vider ma photothèque numérique, c’est m’amuser à construire des albums à thème, c’est balancer à la corbeille des centaines d’images pour n’en garder que quelques unes.
Ces quelques unes qui me parlent vraiment au plus profond de ma mémoire, qui viennent titiller le fond de mes tripes, qui me racontent des histoires et me font des films… à moi, à moi seulement.
Peut-être que dans quelques années, sentant s’approcher la fin de manière encore plus certaine, peut-être que dans quelques années je ferai un nouveau tri, me débarrassent aussi de ces souvenirs là ?
A moins que je n’ai tout au fond des arcanes de mes réflexions l’idée folle de les laisser à ceux qui restent afin qu’ils les jettent eux même… ou pas ?
C’est vraiment un « truc » particulier les souvenirs.
Avez vous remarqué que les vieux parlent volontiers de leurs exploits passés, de leur ville/village « d’avant », d’un autrefois revisité à leur guise ?
Je me souviens combien j’étais agacée, enfant, par ces radotages des vieux.
Et aujourd’hui, je radote!
Je me souviens.
Je catalogue, je classe les souvenirs.
La vie est cruellement espiègle.
La norme
En faisant le tri dont il est question ici, j’ai retrouvé cette image de terminale avec la « chemise » paraphée par les quelques unes qui avaient accepté de le faire.
Quelle courageuse la « Elizabeth » qui écrivit « C’est ça joelle, une folle bien gentille »!
Elle faisait partie des « blouses bien boutonnées » à l’opposée des richissimes bourgeoises qui osaient défier la direction en refusant la blouse.
J’étais timidement entre les deux, portant ma blouse sale et jamais boutonnée sans passer le cap de l’abandonner… C’est difficile l’adolescence, j’essayais en vain de ressembler aux autres sans avoir d’exemple précis, je savais pas vraiment ce qu’était « la norme » dans ce lycée public mais huppé des années soixante-dix. La terminale était un microcosme bizarre où se côtoyaient les filles du quartier (le quartier le plus riche de Lyon) et les meilleures élèves d’ailleurs, de banlieue même comme ma pomme, les meilleures élèves qui étaient aussi les plus jeunes, les moins aguerries.
Ma vie était en dehors et encore, je cherchais.
J’avais plusieurs vies, déjà… chacune dans un microcosme bien précis que j’habitais en équilibre toujours précaire.
J’ignorais, pendant cette traversée là, j’ignorais que je tentais désespérément de me couler dans une norme que j’ai toujours été incapable de simuler totalement.
Il a fallu de nombreuses années pour que j’accepte ma solitude et que je prenne à bras le corps la joie de cheminer en sa compagnie.
Il a fallu que j’étudie avec acharnement pour découvrir la relativité, les injonctions paradoxales qui mènent à la folie pour de vrai et l’absence de limites, donc de normes.
J’ai alors passé un peu de temps à déconstruire cette histoire de norme, moquant la fameuse courbe de Gauss, cette courbe mathématique qui s’appelle aussi « courbe de la loi normale », une courbe mouvante en fonction de ce qu’on lui fournit. Une courbe ni vrai ni fausse, un exercice statistique sans plus.
Et désormais, alors que je suis entrée de plein pied dans le rayon des vieux, je peux me permettre de questionner cette obligation faite à cette grosse partie de la population française née pendant les trente glorieuses de « rester normale » autant que possible, d’appareiller ses oreilles, ses yeux, d’opérer ce qui peut l’être pour garder la peau ferme, les poils doux, les cheveux colorés, de se doper un peu afin de garder des réflexes au taquet.
Comme j’en ai parlé (ici) les enfants sont souvent considérés comme des adultes miniatures, de l’autre côté les vieux sont considérés comme des adultes un peu abimés. La norme c’est l’âge adulte, la force de l’âge. Où commence t-elle la, où s’achève t-elle cette norme ? Là est la question!