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Et un et deux et trois

Trois paires d’oreilles, trois tempéraments, tant à apprendre



En septembre, lorsque j’écrivais au sujet de l’importance du chemin passé, j’étais incapable d’imaginer ce printemps… et pourtant mon imagination est capable de bien des films!

Depuis, les billets se sont accumulés au sujet du cheval, j’ai même ouvert une rubrique dédiée tant les réflexions se sont accumulées au point de déborder. (pas moins d’une quinzaine de billets déjà…)

J’avais besoin de sens pour avancer et je pensais en être arrivée à l’âge où je pouvais me contenter de balades salutaires.

Mais…

Mais j’ai découvert un nouveau monde,
J’ai questionné la relation,
Et aussi la notion de « bien-être » qu’elle soit appliquée aux humains ou aux animaux,
J’ai fait un retour express dans mon passé de cavalière,
J’ai réfléchi, douté, questionné, appris plus loin encore
Et j’en suis revenue à mes convictions profondes,
Celles qui avaient germées auprès de F.Knie senior,
Celles que j’avais entretenues avec la lecture passionnée des grands écuyers,
Des humbles écuyers d’avant l’époque du commerce opportuniste,
Celles qui finalement avaient grandi en même temps que grandissait
Mon goût pour l’éducation des chevaux.
Patiemment laborieuse.

Et force est de constater aujourd’hui que non, les simples balades à cheval ne m’offrent aucun sens.
La chasse aux orchidées sauvages se pratique en marchant, le regard rivé au ras du sol.
Mon exercice physique « de santé » se pratique à bicyclette au quotidien, la tête dans les étoiles.
Mon besoin d’adrénaline diminue avec l’âge qui avance et par ailleurs, j’ai appris à entretenir le flux des hormones qui contribuent à l’état de bonheur au long cours.

Mais…

Mais, il me reste le plaisir intense et toujours renouvelé d’établir une relation.
Il me reste le besoin de sentir la merveilleuse décontraction d’un cheval qui se déplace harmonieusement sous ma selle, sa capacité à jaillir en équilibre à la demande et la confiance à élargir aussi souvent qu’elle vacille.
Un besoin qui nécessite labeur et patience.

Monter à cheval, c’est chaque jour un nouveau passage de vie.

Aucun cheval ne ressemble à un autre, même si chaque cheval appartient à l’espèce « cheval » si différente de l’espèce humaine.
Grâce au petit cheval appaloosa découvert en septembre dernier, la porte s’est grande ouverte sur d’autres possibilités de chevauchées, de rencontres et de relations à établir.
A l’impossible nul n’est tenu,
Je fais confiance au vent pour me pousser en sagesse au fil des jours qui passent.

« Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner »
Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001

Comment oublier le bleu marine si particulier des yeux qui s’ouvrent à la vie terrestre, leur innocence formidable, leur absence de jugement ?

Monter à cheval est chaque jour un passage de vie.

De la patience joyeuse


Histoire d’un jour.

Je m’étais levée bien avant l’aube.
Avant même de réussir à mettre de l’ordre dans mes pensées encore endormies, débarqua le souvenir de la veille. Sur le chemin de l’écurie, une belle jument pangarée m’avait offert une succession de transitions dans une attitude légère quasi parfaite. Rien d’extraordinaire pour qui ne regarde que les parades de cinéma, mais un simple bonheur s’était invité dans l’instant.
Ce petit matin là, j’en gardais la saveur intacte.

Dans l’avion, incapable de m’assoupir, j’avais fini par ouvrir ma tablette sur les derniers enseignements de F.Baucher (recueillis par le General Faverot de Kerbrech si cher à l’écuyer mirobolant que fut E. Beudant)
Pour la énième fois, je relisais l’entrée du chapitre « Progression » :
« On veut toujours aller trop vite. Pour arriver promptement, ne pas se presser mais assurer solidement chacun de ses pas.
Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup. »

J’étais en avion. 
Nous nous déplacions à environ 0,8 Mach et j’avais les fesses bien calées dans un fauteuil.
En même temps, je souriais à l’idée du côté vain de toute négation : la phrase « ne pas se presser » étant lue par toute personne pressée en sautant à pieds joints sur l’adverbe négatif. De fait il pourrait être question de se presser tout en assurant chacun de ses pas ? Pourtant les proverbes sont nombreux à encourager positivement la patience!
Mon père ne disait-il pas que tout vient à point pour qui sait attendre?

Fraichement débarqués sur l’île à explorer, en attendant que notre appartement soit prêt, nous nous sommes attablés devant un copieux « desayuno » local. 
Là, j’ai profité de la pause pour raconter mes dernière aventures équestres, passionnément, comme pour tourner la page des semaines précédentes et entrer de plein-pied dans une nouvelle aventure botanique.

Plus tard, lorsque la fatigue commença à se faire sentir, j’ai refusé l’idée de m’y laisser aller avant le soir en prenant la décision d’aller « là-bas » grimper sur la montagne visible à la droite de la magnifique baie que nous avions sous le regard.
Seule.
C’était une évidence.
Et alors…

L’ascension commença.
Le soleil avait le poids du plomb et mon sac à dos était bien léger en comparaison. J’avançais très lentement sur le chemin aride et caillouteux, par obligation et par prudence aussi, l’absence de sommeil étant un risque avéré de faux-pas.
Mon obsession botanique était bien présente, toutes mes antennes étaient sorties sans que rien, rien ne les interpellât.
Je me laissais porter par les fragrances méditerranéennes, tellement exotiques à mes sens, et par le paysage somptueux alliant le chaos des roches calcaires à la l’infini lisse de la mer.

Je grimpais, je contournais, j’inspectais parfois des oasis plus propices, mais d’orchidées sauvages point.
Un regard à ma montre indiqua qu’il aurait été temps de rebrousser chemin, mais j’avançais encore.
J’avais l’impression imaginaire qu’un rendez-vous m’attendait plus loin.
Où aurait été le « plus loin » ? 
A quelques mètres ?
Demain ?
Un autre jour ? 
Je l’ignorais, j’avais simplement envie d’avancer encore un peu. 

Et voilà que je l’ai vue.
Dans un éclat lumineux, elle m’avait sauté aux yeux avec toute sa perfection, cette Ophrys des Baléares qui ne se trouve que dans l’archipel.
En m’approchant, je pouvais vérifier qu’elle était particulièrement belle et intacte au bord de ce chemin où broutent les chèvres sauvages. Je me suis étirée, en équilibre sur les rochers, pour être encore plus proche, pour en contempler la splendeur.

Puis,

Le cœur en joie, j’ai poursuivi mon chemin un peu plus loin, imaginant trouver d’autres belles.
En vain.
Il était l’heure de faire demi-tour.

C’est alors que s’est invitée une longue méditation au sujet de la patience qui mène à la joie, une patience qui est mienne et qui m’entraine au bout de la patience volontaire, là où il n’y a plus rien que la patience paisible. Et j’allais du cheval aux fleurs sauvages, des fleurs au cheval, et tout en marchant avec attention, je me disais une fois encore que seul le chemin est important, le chemin déjà parcouru !

Car cette fleur là, je l’avais vue parce que je la connais, parce que je cherchais tout en marchant, tout en respirant, tout en m’extasiant du paysage, tout en saluant les passants. 
Qui d’autre l’avait remarquée en ce jour ?
Combien de personnes passantes pressées d’arriver je ne sais où ?
Combien de personnes bavardant au sujet de tout et rien ?
Combien de solitaires rêvassant je ne sais quoi ?
D’autres passionnés étaient-ils passé dans cet endroit si peu propice ?

Alors les histoires de chevaux débarquèrent en écho.
Tellement semblables.
Quel passant sait admirer, avant tout, la simple décontraction d’un palefroi
Combien de cavaliers ont eu l’émotion de diriger leur monture vers la lenteur majestueuse au souffle d’une intention absolument paisible ?
Combien nombreux sont les chercheurs de subtilité et d’harmonie ?
Combien se réjouissent d’un instant fugace, se contentant de savoir qu’il est possible pour pouvoir l’accueillir mieux encore une prochaine fois dans l’émotion d’un simple bonheur ?

Jusqu’à la plage ces questions tournèrent, rebondirent de l’une à l’autre sans que je sois capable de trouver le moindre réponse ni l’ultime recette qui aurait proposé une synthèse faisant éclater une quelconque vérité.

La virée touchait à la fin, sur le bitume retrouvé l’urgence était de capter une image à publier sur les réseaux sociaux, histoire de dire que nous étions bien arrivés, histoire de publier sans vraiment savoir pour qui, en fait.
Ce fut fait.
Alors, pour rejoindre mon véhicule, j’ai choisi de passer en équilibre au ras de l’eau, pour le plaisir.
Et là… au creux d’un rocher…
Se nichaient des belles, serrées les unes contre les autres.
O.speculum et Serapia lingua
Illuminées par le soleil du soir!

Le meilleur est toujours à venir.
Il suffit de le savoir,
Et d’oublier l’impatience.

De l’imagination à la réalisation


Qui se souvient de ses dessins d’enfance ?
Qui se souvient de ses essais consistant à essayer de mettre une pensée en image sur le papier, à l’aide de traits et de couleurs?
Personnellement le souvenir de mon impuissance à mettre au monde ce qui galopait dans mon imagination est tenace.
Les mots des observateurs résonnent encore : « c’est joli », « tu as du talent », « oui, pas mal », « il faudrait ajouter ça », etc.
Dans ma tête le jugement était sans appel, j’étais incapable.
La gentillesse des gentils me blessait autant que les conseils des « enseignants » (diplômés ou auto-proclamés) car les uns ne disaient pas la réalité que je constatais et les autres me proposaient des solutions qui me paraissaient au dessus de mes compétences.
J’ai appris à « garder pour moi ».

Peut-être que mon imagination est définitivement trop débordante?
Trop complexe?
Simplement elle-même?

Avec le temps qui est passé, grâce à l’eau qui a coulé sous les ponts, j’ai fini par réussir à tendre des fils entre mes paradoxes et à trouver une joie bien vivante en les écoutant vibrer sous mes pas.

Et en plus : je me réjouie lorsque l’idée de faire sentir à d’autres un « truc » de l’ordre de la sensation … vibrante vient à m’effleurer.

Il est un fait que je suis bien ancrée dans la réalité, quelle que soit sa complexité, son infini mouvement de vie et aussi son indicible part d’invisible.

En posant ce que vous pourrez lire comme du charabia, un rangement s’opère dans mes pensées, les fils qui semblent en vrac se tissent ensemble et je vois précisément où en venir tout en sachant que le plus attentif des lecteurs est déjà au bord de la céphalée.
Il est temps de révéler la source de l’envie de rédiger ce billet.

Plus je lis des « modes d’emploi » et plus me reviennent les paroles d’un Professeur devenu sage une fois déchargé de sa charge de service.

Nous étions en lien épistolaire, souvent d’accord sur un bon nombre de plans techniques au sujet des muscles et de leur fonctionnement « physiologique » en cas de stimulation médicamenteuse (autrement dit en cas de dopage). Naturellement lors des conférences, nous nous accordions un instant pour refaire le monde selon notre vision.
Un bon matin, alors que j’étais encore sous l’émotion d’un « sauvetage » réalisé sans pouvoir expliquer exactement ce que mes mains avaient réellement fait, je lui en faisais part. J’étais d’autant plus troublée par mon propre questionnement que j’avais longuement répété la manipulation afin de me sentir (presque) prête afin d’aborder (presque) sereinement une aventure à venir. Et voilà que dans l’urgence, j’avais agi comme je pouvais, incapable d’affirmer que mon geste était reproductible avec succès dans une autre situation.
Alors, avec une immense bienveillance, visiblement compatissant devant ma confusion, il posa ces paroles réconfortantes : « Sois bien consciente d’une chose, toutes les personnes qui t’expliquent par A+B avec force a, b, x et y comment te sortir d’une telle situation sont des personnes qui n’ont JAMAIS été confrontées à la situation »
Devant mes yeux qui devaient être ouverts tels des soucoupes, il ajouta : « En réalité, quand « ça » arrive, « on » fait ce qu’on peut et on prie. »

Je suis bien loin de cette époque, mais je suis à nouveau en lien avec les chevaux, avec leur puissance vivante, avec l’urgence constante de mettre au monde le meilleur et l’harmonie à laquelle j’aspire.
Et bien évidemment je doute.
Alors, je me balade au rayon des recettes, histoire de trouver de l’inspiration.
En vain.
Car bien évidemment (et désormais grâce à une certaine expérience) je suis incapable de poser aucune explication par A+B infiniment reproductible pour parvenir à un résultat standard.

Est-il possible d’affirmer que je suis une indécrottable fervente du sur-mesure?

Simplicité volontaire

Photo prise par Renée G. Idjana


Sous ce titre il serait possible de parler du Québec, d’écologie, de sobriété, voire de société, il ne sera question de rien de tout cela et l’image le prouve.

Ces deux mots « simplicité » et « volontaire » sont arrivés dans mes pensées tandis que j’essayais une fois de plus de poser des mots sur cette « rechute », cette passion des chevaux qui semblait s’être effacée mais dont les braises étaient restées bien plus ardentes que je ne pouvais l’imaginer.

Après chaque session à cheval, je repasse le film du temps passé à chevaucher.
Je repasse le film à la recherche de la moindre sensation, mettant en exergue les moments « justes », ceux où l’harmonie existe, où les tensions ont disparu, où l’équilibre est atteint. Avec les chevaux que je monte actuellement, ce sont des instants encore fugaces, mais leur présence est réelle et porte en elle le germe que je souhaite laisser éclore.
C’est extrêmement simple.
De cette simplicité qui dans mes tripes touche autant à l’art qu’à la foi.
En évoquant cette quête de simplicité qui ressemble peut-être à une quête d’absolu (substantif, II), inexorablement l’image d’un galet parfaitement poli apparait dans mon esprit portant en elle-même la longue traversée réalisée par la roche avant de parvenir à cette aspect si lisse.

Etant arrivée à cet âge suffisamment avancé pour n’avoir plus rien à prouver, il est certain que le choix que j’ai fait de chercher à monter des « chevaux de balade » me pousse plus encore qu’autrefois vers cette recherche d’harmonie.
C’est ce qui reste, ce qui m’importe.
J’ai assouvi tant de rêves que je n’avais même jamais rêvé. Le cheval est venu à moi et je l’ai suivi où le vent m’a poussée et ce fut une chance immense.

L’autre jour D. m’expliquant qu’elle avait envoyé son cheval en pension chez une dresseuse me disait en même temps qu’elle était, elle, une « pilote » mais pas une dresseuse. Ces propos ont fait écho à ce que j’avais lu récemment expliquant que désormais les chevaux étant hyperselectionnés pour ce qu’ils sont commercialement censés accomplir (saut, course, dressage), ils avaient seulement besoin d’un « bon » dresseur puis d’un « bon » pilote pour atteindre le haut niveau dans la discipline pour laquelle ils ont été, en quelque sorte… créés!
Dans les temps si lointains où les chevaux faisaient partie de la vie des armées et des paysans, où ils étaient le moteur des diligences et ne connaissaient en activité de « loisir » que la chasse, les tournois ou la parade pour la frange la plus oisive de la société, tout était fort différent. Les merveilleux Traités d’Equitation des écuyers les plus célèbres sont à lire à travers le filtre du temps qui passe.
C’est aussi parce que je relis ces Traités, ces romans, ces histoires obsolètes en les situant dans leur siècle que j’arrive à en extraire ce qui persiste, cet essentiel, la quête de l’équilibre, de l’élégance, de la simplicité apparente.
Prendre soin du cheval afin qu’il soit en état, afin que sa robe renvoie des éclats de soie, que ses crins flottent en souplesse, puis soigner la tenue du cavalier afin de mettre le cheval en valeur ; enfin monter, c’est à dire former un couple harmonieux, chacun étant parfaitement à l’aise dans chacune de ses positions.
C’est en apparence si simple qu’il semble que ce soit à la portée de tout un chacun.
Et pourtant,
Il suffit de croiser, sur nos chemins de campagne, un cheval aux crins emmêlés, trottant l’encolure à l’envers et la bouche grande ouverte, il suffit de voir ses sabots boueux sous les canons décorés de guêtres, il suffit d’observer sa cavalière en chaussettes à la mode, posée un peu avachie sur sa selle à pommeau, les jambes bringuebalantes et le gilet pare-chutes ajusté pour constater qu’il se joue actuellement, en équitation, quelque chose de très contemporain.
Certes, il est commun d’affirmer que les apparences sont trompeuses.
Certes…

Comme toujours, j’ai tant à dire…
Comme souvent je coupe court à mon discours en cours.
A cheval, il est indispensable de demander peu, très peu à la fois.
Et de répéter souvent, la même chose, exactement la même chose,
Avant de passer à la suite…



Ils étaient là

Il y a quelques semaines G. , poète reconnu, me fit l’amitié de partager un moment de son temps lors d’un passage à Nantes.
Ce fut bref.
Mais comme c’est toujours le cas lorsque la relation est sincère, ce fut intense et délicieux.
Une fois dans le train qui le reconduisait dans son sud-ouest, il m’envoya un message qui contenait ces lignes :
« Lors de notre bref échange, je me suis aperçu que nos mémoires n’ont jamais cessé de dialoguer.
Là réside l’essentiel sur cette terre des vivants »

Est-il utile d’ajouter que je fus immensément touchée ?
Est-il utile d’ajouter que cet ami garde, du fond de son Afrique natale, un puissant et réel lien à ce qui a été presque entièrement radié de notre vivance citadine ?
Est-il utile… ?
Il était vain d’ajouter quoique ce soit.
Il reste vain.
Dans la vibration du présent, l’onde de la réalité s’agrandit,
Simplement.

Ce matin, le soleil illumine mon appartement.
La lumière exacerbe l’ombre et fait scintiller la poussière accumulée.

Dans un élan,
J’ai sorti le chiffon afin de soulever cette poussière,
Afin de la mettre en mouvement,
D’initier une respiration printanière.
Ce faisant, j’ai caressé chacun des chevaux présents,
Tout d’abord machinalement dans un geste assuré de ménagère,
Puis d’un coup,
Les paroles de G. ont fait surface,
J’ai regardé le cheval en bronze que je tenais à pleine main,
Ce cheval que je vois maintes fois dans chaque journée,

Puis,

J’ai pensé aux chevaux que je rencontre à nouveau,
Bien vivants chez les personnes qui les hébergent,

Et,

J’ai soudain réalisé que nous ne nous étions jamais quittés,
Nous n’avons jamais cessé de dialoguer.
Ils étaient là.

Et j’en fus émue.

Les autres (bis)

Irrigation ancestrale creusée à même le sol (Tenerife)



Aparté : en fin d’année 2018, je publiais un billet nommé « Les autres », de fait celui ci porte le même titre agrémenté d’un « bis ». Le propos est différent bien que semblable dans le fond.
J’ajoute que je choisis toujours les images avec soin, qu’elles font toujours partie de ma photothèque et qu’elles sont toujours en lien avec le billet, même s’il faut parfois un peu se creuser pour trouver 😉

Les autres.
Ces autres qui dessinent le sens de nos vies.
Le sens que nous attrapons en passant afin d’aller plus loin.
Toujours plus loin,
Au gré du vent.

Les autres.
Ces autres indispensables à chacun de nos devenirs
Quand bien même c’est absolument seuls
Que nous marchons,
Au gré du vent.

Je traverse un moment de turbulences.
C’est évident.
Inévitable,
Comme lors de tous les vols.
Et merveilleusement fascinant aussi,
La danse des questions qui s’agitent
Est formidablement multicolore.

Les chevaux sont à nouveau entrés dans ma vie.
Innocemment.
Et les chevaux n’ayant plus rien de sauvage,
Ils sont associés aux humains, aux autres,
Ces autres, ceux qui ne sont pas moi
Et cependant de mon espèce,
Donc un peu « moi » aussi.

(j’ai ouvert un nouveau chapitre dans ce blog sous le titre « cheval » afin d’y coller souvenirs et questions d’actualité)

Mon quotidien est à nouveau rythmé par la résonance du pas des chevaux, par l’éclat de leurs regards dénués d’intentions humaines, par leur puissance soumise et leurs exigences exploitées.
Le jardin, la « chasse » aux orchidées sauvages représentaient à mes yeux, ces dernières années, des livres ouverts, des livres de philosophie. Les chevaux ajoutent le leur et je dispose maintenant d’un triptyque à nul autre pareil.

Pour revenir au titre de ce billet parti en digression, voici le résumé d’une récente aventure.

Je me balade généralement seule avec le petit appaloosa.
Un jour, je le sentis frémissant à l’abord d’un pont et en cherchant au loin ce qui pouvait le mettre dans un tel état, j’aperçus un grand cheval noir.
Le cheval noir et sa cavalière allaient leur chemin.
Nous nous sommes croisés.
Chacune, nous avons retenu nos chevaux afin qu’ils puissent se saluer dignement à la manière humaine, évitant ainsi les gestes et les expressions vocales propres à nos montures, un peu comme les parents demandent à leurs enfants de « bien se tenir » en présence d’inconnus.
Et nous sommes reparties le long du canal, l’une d’un côté, l’autre à l’opposé.
Je gardais le souvenir de la belle cavalière si différente dans son allure de celles que je côtoyais désormais.

Quelques semaines plus tard, les filles dont les chevaux partagent le même gite que « le mien » se promenaient ensemble lorsqu’elle firent la même rencontre.
Mais à la différence de la solitaire assumée que je suis, elles entrèrent en relation avec la cavalière du cheval noir, échangèrent davantage qu’un simple salut et se firent la promesse de sortir ensemble d’autres fois.

Grâce à ces filles bien plus téméraires que moi (en matière d’invitation à cheminer à cheval) et grâce à un faisceau d’autres faits j’ai pu, à mon tour, faire plus ample connaissance avec la cavalière du cheval noir, avec le cheval noir lui-même et avec un autre cheval noir de la même écurie.
Des trotteurs !
Des trotteurs avec une histoire de trotteurs précédant leur vie de « cheval de balade ».
La vie est espiègle, c’est certain.

Et me voilà, grâce à ces autres, devant un « plus loin » toujours aussi inconnu, riche de nouveaux possibles presque palpables bien que réellement improbables.
J’en viens à tirer des plans sur la comète, c’est dire !

La suite demeure à vivre.
Passionnément
Paisiblement
Joyeusement.

De l’attention (bis)


Aparté
Il y a exactement cinq ans presque jour pour jour, je publiais un billet nommé « De l’attention« .
Voilà pourquoi celui-ci se nomme « bis »!


L’attention.
La tension.

Lundi matin, j’ai posé un commentaire sur un réseau social, en écho à la publication d’une amie. J’ai questionné l’attention et depuis, cette question autant que les autres font la sarabande dans les arcanes de mes réflexions.

L’attention.
La tension.

C’est aussi que je suis à nouveau en contact avec les chevaux depuis plus de cinq mois maintenant et que cette sonorité résonne sans cesse : latɑ̃sjɔ̃ (transcription phonétique semblable pour les deux mots associés à leurs articles définis ci-dessus)

Les humains ont grandement besoin d’attention, c’est un fait. La relation humain/animal s’établit incontestablement sur l’attention, c’est un autre fait.
Mais de quoi est-il question, en fait ?
Quelle est l’attention d’un animal envers un humain ?
Quelle est l’attention d’un humain pour un animal ?
Est-elle une attention purement scientifique, éthologique, rigoureuse, dénuée d’émotions ?
Est-elle une attention complètement anthropomorphique ?
Un peu des deux ?

La semaine dernière, j’ai assuré la garde d’un petit de deux ans chaque matin. Il s’exprime déjà fort précisément à l’aide d’un vocabulaire qui étonnerait ceux qui ne le possèdent pas, donc il serait facile d’affirmer qu’il suffit de l’écouter pour le comprendre. Néanmoins, je n’ai eu de cesse que de guetter les signes non-verbaux, une lèvre qui tremble, un oeil qui s’écarquille ou se plisse, un départ de course, un relâchement soudain, etc…
Grâce à cette attention précise de chaque instant, nous avons passé de très bonnes matinées, changé maintes fois d’activité et aussi nous avons été à l’heure de chaque rendez-vous avec « les autres ».
Pour l’anecdote, j’ai rapidement remarqué qu’il a l’habitude de dire non pour dire non, qu’il dit un petit oui pour dire « cause toujours » et qu’il dit gaillardement mmmouii pour dire « OUI, avec plaisir ». Ce fut l’occasion de scènes cocasses avec ses cousins qui prenaient ses mignons « oui » pour argent comptant et s’offusquaient de son opposition par la suite. En leur faisant part de mon observation, ils ont fini par comprendre qu’il était vain et non avenu de lui arracher un petit « oui ».

Hier, comme la plupart des mardis, je suis allée voir le petit appaloosa. Une fois de plus je fus hyper attentive à chacun de ses gestes, autant qu’aux miens qui se posent en miroir. Je sais qu’ils les note à sa manière de cheval et qu’il prend position en fonction de ces gestes, à sa manière de cheval aussi et suite à ses expériences passées qui sont les siennes, donc indéchiffrables pour l’humaine que je suis.
Après un temps d’exercices en carrière, nous sommes partis dans la campagne. Mon but était avéré : aller jusqu’à un bon spot pour brouter en paix et écouter au loin l’arrivée du printemps.

Et pour répondre à une des cavalières qui me posait un jour la question de savoir si je « travaille toujours » lorsque je suis avec le cheval, je réaffirme OUI (bien que le mot « travail » m’écorche les oreilles au long cours).
J’ai passé un délicieux moment en l’observant brouter, ce petit cheval, en captant chaque mouvement d’oreille, de queue, de tête, chaque frémissement, chaque bougement. Lui faisait de même avec ses sens à lui et personne ne lui posera jamais la question de savoir s’il « travaille toujours », n’est-ce pas ?

En septembre 2022, je questionnais ce retour étonnant vers les chevaux. J’en questionnais le sens. Je poursuis ce questionnement, c’est une quête comme une autre.

Une quête, des milliers de questions.

Et…
Mais…

Ecouter le printemps qui arrive au loin, posée dans l’herbe humide juste à côté d’un cheval qui choisissait ses mets avec attention, fut un moment de paix totale qui vaut son pesant de bonbons à la réglisse!

Les chevaux m’ont appris la patience


Là où le temps s’abolit
L’espace perd ses limites
Là où l’espace est sans limites
Le temps est aboli
J.Y Leloup

Les chevaux m’ont appris la patience.
La mi-temps de ma vie est dépassée depuis longtemps et le paysage resté en arrière repousse l’horizon bien plus loin que celui qui est devant et que je ne connais pas encore.
Je viens d’achever la petite série de billets relatant mes débuts avec les chevaux.
Après les débuts vint la suite, beaucoup d’aventures, un apprentissage sans fin, des chevaux associés à des souvenirs ancrés tout au fond de mes tripes.
Et puis vint aussi le jour où j’ai décidé de laisser les chevaux à leur vie de chevaux.

Maintes fois après ce jour, j’ai refusé toute occasion de monter à nouveau.
Avec véhémence, toujours.
Petit à petit j’ai donné ce que j’avais de plus cher, ma veste de concours, mes bottes cirées, la bride en cuir anglais, etc. Ca me faisait plaisir de faire plaisir à de jeunes cavalières.
Je me tenais obstinément à l’écart des chevaux ne gardant que leur souvenir, leur présence constante qui me soufflait que le temps est relatif, que la montre est une invention humaine, qu’après la patience vient la patience.

Chaque chose vient à point.
C’est factuel.
La vie est espiègle !

Les apprentissages – 2

Ecurie d’Etienne Mazoyer – Bonny-boy avant le canter du matin


Au bout de plus de quatre années, je commençait tout juste à apprendre vraiment les rudiments de l’équitation.
En parallèle, J’apprenais la vie par tous les bouts.

Mes journées étaient denses car il y avait bien plus que « seulement » les chevaux.
Il parait que j’avais des talents dans plein de domaines et je me mettais en demeure de le démontrer coûte que coûte. Ce qui est certain c’est que j’avais désormais une excellente santé, un très petit besoin de sommeil et que j’avais la capacité d’enfiler les coups de collier comme d’autres enfilent les perles.
A l’âge où montaient les hormones qui incitaient à la parade amoureuse, j’étais fermement ancrée dans mes rebellions et déterminée à être un hommes comme les autres dans mes domaines de prédilection.

En équitation, l’obtention du deuxième degré signait la fin de l’Ecole avec ce qu’elle offrait sur le site de la Doua.
Car, une fois acquis, ce diplôme ouvrait la porte des concours, il n’y avait aucun « plus loin » envisageable à l’école, pour les concours, il fallait aller sur un autre site.
Evidemment quelques adultes se faisaient plaisir en « montant » leur reprise du samedi matin, ça faisait partie de leur routine dans leur agenda d’adulte.
J’étais adolescente et la simple idée de routine me rebutait.
Elle me rebute encore!

Les chevaux de club n’étaient pas des chevaux de concours, il fallait posséder son propre cheval, son propre camion pour viser « ça », la démocratisation de l’équitation n’avait pas achevé son cycle.

Mais la chance me souriait.
Avec le second degré, il était possible d’aller monter « des lots » au champ de course, dans l’écurie de l’autre fils du Commandant.
J’y suis allée.
Terriblement timidement et infiniment curieuse à la fois, sur les recommandations de Jeannot, je me suis présentée à Etienne un beau jour sur le coup de cinq heures du matin, à la bonne heure donc.
La traversée de la « cour » et les regards pleins de gouaille des apprentis et des jockeys fut une épreuve mémorable qui parle encore dans le fond de mon ventre.
Et j’y suis allée, c’était plus fort que tout, plus loin était là-bas.
Et j’y suis restée.
Et un jour à l’instar d’une certaine anglaise qui était arrivée là, j’ai demandée une rémunération pour le temps passé chaque matin à faire le boulot des lads et des apprentis. il fallait simplement que j’arrive encore plus tôt et que je participe au curage matinal des boxes.

J’apprenais encore et encore.

Riche d’un salaire régulier, je finançais la demi-pension d’un demi-sang, un F, Furibard gris foncé et bien nommé. Il sortait du débourrage, j’avais tout à lui apprendre et force fut de constater que je n’avais pas encore les compétences nécessaires pour lui apprendre à toute vitesse à devenir une bête à concours.
Je m’accrochais cependant. l’espoir fait vivre dit le proverbe.
En « solex » ou à vélo je parcourais des kilomètres à travers la ville et sa banlieue, mon sac de sport ne désemplissait pas et les livres de cours lui apportait un poids certain.

Au champ de courses, avec l’anglaise, nous faisions partie des trois filles qui montaient quotidiennement, trois filles au milieu de centaines de gars!
Parfois, au petit déjeuner, juste avant de partir pour les canters d’entrainement nous parlions d’autre chose que des chevaux de l’écurie. Un jour elle m’expliqua que sa vie était divisée en deux saisons, une saison au cirque et une saison au champ de courses.
Ce qu’elle racontait au sujet des Knie et de leur science équestre me fascinait.

La chance frappa une fois de plus.
Un certain Giscard décida d’avancer l’âge de la majorité, la porte de la liberté s’ouvrait à moi un peu plus tôt que prévu.
Hilary (l’anglaise en question) fit sans doute auprès de Freddy Knie junior un éloge de mes compétences qui dépassait la réalité, mais peu importait j’avais un contrat. Il ne me restait plus qu’à annoncer à mes parents que je mettais les études en suspens et que je partais en Suisse. Devenue majeure, j’exigeais sans état d’âme. Très très longtemps plus tard, j’ai su qu’ils n’avaient pas vraiment digéré ce départ surprenant.
Mes parents avaient nourri tant d’espérances pour moi, des espérances « de haut niveau » aussi bien sportives qu’universitaires, le cirque c’était pour eux une déchéance, une affaire de bohémiens certainement.

L’année passée au cirque fut une véritable initiation.
Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi la liberté, le suspension des études (signifiant une reprise laborieuse), l’abandon de Furibard à d’autres, la fin de mon implication dans une équipe de sport et tout et tout.

J’étais gourmande, je suis resté gourmande.
Et voilà.
J’ignore si je suis devenue vraiment cavalière.
Est-il possible de marquer d’une pierre blanche un jour précis pour ce fait ?
Je l’ignore.
J’apprends au jour le jour.


PS : L’Ecole d’Equitation de la Doua fut fondée en 1924 par le commandant Jean-Marie Mazoyer à proximité de l’hippodrome de Grand-camp (Hippodrome fonctionnel de 1867 à 1964 date après laquelle le campus universitaire de la Doua fut érigé au même endroit tandis que l’hippodrome était transféré à proximité du parc de Parilly).
A ses début, l’école contribua à l’éducation équestre de la jeunesse dorée de Lyon puis les fils Jean et Etienne lui assurèrent une certaine prospérité dans les années où l’équitation de loisir devint populaire.
L’évolution suivit son cours. Avec les règles imposées par la société de consommation, la situation urbaine de l’école était défavorable. Après le décès prématuré d’Etienne, la deuxième épouse de Jean (1928-2013) fit tourner la boutique doucement jusqu’à la fermeture de 2012.
Désormais, plus aucune trace du passage des chevaux n’est visible sur le site.

Les apprentissages -1

Moon-Town, lors d’un stage de préparation au second degré



Après avoir surmonté les affres de la découverte de la réalité du cavalier débutant, j’ai poursuivi ma quête.
Une quête de quoi, c’était très imprécis.
Une quête de mieux probablement.

Mieux habillée, plus « cavalière » en apparence, j’ai très vite tout fait pour y parvenir.
Ah, les apparences !
Voilà encore un truc très humain, j’ai jamais vu un quelconque animal lécher les vitrines ou les catalogues de mode… à moins qu’ils n’aient été préalablement enduits d’un quelconque produit appétant.

En ville, près de mon lycée (avenue de Saxe pour ceux qui connaissent) il y avait un magasin de sport qui, en plus des raquettes de tennis, vendaient des bombes et des cravaches.
Le choix était très réduit, mais il me faisait quand même rêver.
Je dois avouer que je passais pas mal de temps à me balader en ville en sortant du lycée.
Le top était un magasin de décoration situé Cours Franklin Roosevelt, dans un recoin de ce magasin, il y avait un rayon « équitation », un rayon presque secret que seuls les initiés connaissaient et c’est là que j’ai acheté mon premier pantalon d’équitation (prêt à porter de marque allemande)
Mais avant et en premier je m’étais offert une cravache, en jonc tressé comme ça se faisait à l’époque.
C’était totalement inutile, mais en tenant « ma » cravache, dans le secret de ma chambre, je me sentais un peu plus cavalière et ça valait le coup. Et puis c’était le seul objet accessible à ma tirelire, environ 10 francs, l’équivalent d’une vingtaines de baguettes de pain, un peu moins de trois heures du SMIC d’alors.
En deuxième, à l’occasion d’une « grosse » rentrée d’argent, je me suis offert une paire de bottes. C’étaient les toutes premières bottes, en plastique, moulées sur le modèle des véritables bottes en cuir (lesquelles n’existaient que sur mesure chez les bottiers).
J’étais tellement fière d’avoir enfin des bottes. pour y enfiler mon pantalon de survêtement.
J’ai considéré avoir vraiment « la classe » le jour où j’ai enfin possédé une bombe : gravir les marches qui accédaient au club-house de l’école d’équitation en étant bottée, cravache enfilée dans une botte et bombe sous le bras, c’était définitivement avoir l’air de quelque chose alors même que je n’étais point culottée.

Bon, j’ai toujours été gourmande. Alors de pas grand chose, il fallait passer à quelque chose et à mieux. Toujours mieux, que ce soit en matière de capacité à monter à cheval, en matière de connaissances théoriques ou en matière de mode équestre. En même temps, je restais dans la troupe des « pauvres » cavaliers de loisir à carte rose, sans tailleurs, sans bottiers et sans monture.

Une grosse poignée de cavaliers « carte rose » poursuivit l’aventure en « débutant 2 ».
Les reprises étaient alors assurées par un associé, c’était beaucoup plus fade.
En « Intermédiaire 1 » la poignée devint petite, mais à la fin nous passions le grade du premier degré, un examen où il fallait avoir pantalon ad hoc, bombes, bottes, tapis de selle et cheval bien astiqué. La réussite assurée assurait aussi le passage dans la classe d’au dessus, celle d’où on pouvait enfin regarder les débutants d’un peu plus haut, au moins à travers la vitre du club-house qui surplombait le manège.

Dans ce coin de la ville, l’école était au milieu des petites maisons du quartier qui jouxtaient le récent campus de la Doua. Inutile de rêver à la moindre promenade. Le graal consistait à participer au stage de Pâques, dans la maison de maître que possédaient les fils du Commandant, en pleine campagne de Saône-et-Loire. C’est là-bas, au « château », que j’ai fait mes premières balades, mes premiers parcours d’obstacle, que j’ai nettoyé des boxes pour la première fois et pansé chaque jour le cheval qui m’était attribué pour une semaine. Le stage, obligatoirement en pension complète, était prévu pour faire ces découvertes là.

Au fil des années qui passaient, l’équitation se démocratisait et l’ambiance changeait perceptiblement.
Il y avait de plus en plus de filles, le port de la bombe se généralisait, un apprenti-moniteur renforça l’équipe enseignante. Je restais une inconditionnelle du maître de manège, de ce Jean M. qui devint un jour Jeannot, dont René et Dominique n’étaient que de pâles répliques sans élégance.

L’année du second degré, nous entrions dans la classe « confirmé » et le top, c’était la reprise du samedi matin où nous étions cinq-six cavaliers seulement dont plusieurs adultes. Là, nous montions les chevaux qui débarquaient du champ de course et nous participions à leur formatage afin qu’ils passent de « cheval de course » à « cheval de manège ».
A ce moment, J’étais devenue totalement autonome en matière de transport. Plus besoin de papa, plus besoin de marche à pieds ni d’interminable trajet en bus, juchée sur mon « Solex » j’allais au manège quand j’en avais envie. Mais, je ne montais jamais plus de deux fois par semaine. Le salaire grappillé en travaillant les mois d’été ne me permettait pas davantage d’autant moins que le supplément me coûtait le tarif de la carte blanche!
La nouveauté à ce niveau, c’était que nous avions parfois « le droit » d’entrer dans le manège à côté du maître.
Généralement ça commençait par un message à lui faire passer. Pour ce faire, il fallait monter dans la petite tribune en bois et demander la permission d’entrer. Une fois dans le manège, parfois la possibilité de rester était accordée. Ces jours de grâce, le maître nous partageait son coup d’oeil : « vous voyez, Valentino, là, il s’engage pas » ou « regardez, Bou-bou, il laisse échapper ses hanches ». Non seulement j’avais l’impression d’être privilégiée, mais en plus je « voyais », et ça m’aidait à comprendre les réflexions désagréables qu’il fallait souvent encaisser lors des reprises.
Et un jour, je suis passée au grade supérieur. Alors qu’une reprise allait commencer et que je trainais aux abords, je reçu la proposition d’entrer dans le manège sur l’air de « vous m’aiderez à ramasser les barres ».
Et, plus loin, petit à petit je fus nommée par mon prénom et finalement le « tu » me fut octroyé.

J’apprenais avec avidité, passionnément.

A suivre.