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Le petit pur-sang



Et hop, depuis hier nous entrons dans un nouveau cycle, le solstice d’hiver est passé, désormais les journées vont aller en s’allongeant et je suis super contente d’avoir, une fois de plus survécu à ce passage de l’année où la nuit est trop longue.
Ca fait un bout de temps que je connais mon besoin viscéral de lumière et il est fort probable que mon goût prononcé pour les activités d’extérieur en soit la conséquence.

En parlant de cycle, je me permets de faire le lien avec le billet précédent, car le présent ne saurait être saisi sans avoir pris connaissance de celui qui vient avant, avec tous les liens qu’il contient et certainement davantage.

A peine quelques semaines après avoir mis en ligne un billet dans la section Cheval, ma « routine » avait déjà changé. Je laissais B. et I. sans aucun regret. Après environ neuf mois passés, auprès d’eux et de leur propriétaire, il était grand temps de m’enfuir, j’avais besoin de liberté renouvelée.

S. le petit pur-sang était là.
Il est encore là.
Pour combien de temps ?

Les rêves sont faits pour être vécus et j’en ai vécu des centaines !
Pourtant,
J’ai jamais été bien douée pour dire à quoi je rêvais.
Par contre, j’ai toujours eu et des besoins et des désirs.
Posséder un cheval fut un désir fort.
J’ai assouvi ce désir des années durant.

Alors que le crépuscule de ma vie est bel et bien arrivé (en ce sens lexical de ce qui décline, décroit, doit progressivement disparaître), posséder un cheval correspond à un passé sans plus d’avenir. En conséquence, je « partage » désormais les chevaux et donc le petit pur-sang S.
Je « partage » en étant du côté consommatrice, l’autre côté appartient au propriétaire.
Comme en toutes choses, il y a des avantages et des inconvénients.

Il a fallu que je trouve l’équilibre entre mes paradoxes.
Et pour arriver à un semblant d’équilibre, il faut toujours accepter de tomber.

Et c’est là que la vie fut, une fois de plus très espiègle!

Jamais dans ma vie de cavalière je n’ai été confrontée à des chutes graves, coup de bol sans doute.
En fait, la chute ne fut pas un « truc » fréquent pour moi et pourtant, j’ai passé beaucoup, beaucoup d’heures à cheval.
Alors, en cette année écoulée, me retrouver par trois fois séparée d’une monture est un évènement que j’ai bien noté et même surligné.
Si je peux analyser ces « séparations de corps » et en remettre la faute entière sur mon propre dos (qui se porte tout à fait bien, merci l’air-bag pour les deux dernières), je dois remarquer que la dernière a tutoyé le ridicule au point qu’une adorable cavalière spectatrice, en me tendant les rênes d’un S. tout sage dit innocemment « Tu fais le clown, hein? C’est ça ? »

Je pense sincèrement qu’il fallait que j’en arrive là.

Non seulement il me fallait accepter de tomber (y compris symboliquement) mais surtout, il fallait absolument que je laisse tout tomber.
(Cette année 2023 n’est-elle pas aussi l’année où je suis rentrée dans le groupe des personnes profitant de l’argent « cotisé » par les « actifs » ? Arffff… ce qui signifie que je suis devenue non-active! Pffffff)
– les projets que j’ai plus mais que mon imagination s’acharne à dessiner en filigrane
– l’audace de revendiquer un certain savoir partageable
– toute forme de prétention en tout et rien
– etc

Oui, j’en souris encore.
J’ai fait le clown
Probablement dès le premier jour où j’ai débarqué aux écuries, encore boiteuse, appuyée sur une béquille.
Ai-je jamais été vraiment sérieuse?
J’ai passé l’âge, non?
Seuls les enfants et les plus jeunes ont la certitude de leurs convictions.
Plus tard, chacun joue le jeu, et y croire en fait sûrement partie.

Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.

Ces derniers jours, lorsque S. voit arriver ma silhouette du fond de son pré, il lève la tête et pousse un petit hennissement. C’est nouveau.
Peut-être est-ce sa mode du moment avec toute personne arrivant en sa direction?
Je l’ignore.
Au son de ce hennissement, je sais qu’il ne manifeste ni crainte ni agressivité, mais en déduire quoique ce soit d’autre relèverait de mon interprétation émotionnelle humaine.

Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.
Oui, je répète!

Et certainement qu’en laissant tomber un bon paquet de « trucs » au fil du temps, j’ai laissé tomber aussi pas mal d’attachements vains.

La suite reste à vivre.
Passionnément
Avec gourmandise,
Et des journées qui s’allongent à nouveau!


PS : j’avais écrit « petit » appaloosa comme j’écris aujourd’hui « petit » pur-sang.
Jamais je n’ai mis ce qualificatif accolé avec I ou B, eux que je qualifiais de « couple princier »!
C’est que « petit cheval », à l’image de « petit vieux » est détaché de la taille mesurée.
Petit signifie : origines modestes, vie normale sans coup d’éclats, aptitudes ordinaires.
Qui est « petit » doit coûter à minima et si par hasard un « petit cheval » finit par rapporter un peu plus qu’il ne coûte, il deviendra peut-être un « bon petit cheval »!
Tout est contenu dans le regard que l’humain qui le côtoie lui porte.





Dans le nouveau décor


« La sagesse se trouve exactement où tu es, il suffit de passer de l’autre côté du désespoir ».
De l’autre côté du désespoir, André Comte-Sponville, Edition Acarias-l’Originel, 1997
EAN: 9782863160657 

Une chose est certaine le changement de décor fut celui qu’il me fallait.
Les quelques jours où je m’y suis immergée en accompagnant une de mes petites filles au « stage poney » ont achevé de me convaincre.
Le lieu est paisible.
Les cavaliers qui le rejoignent sont tranquilles, souriants et simples, tous passionnés évidemment.
Autour de l’île qui héberge les chevaux, la Loire s’écoule, imperturbable.
La marée monte.
La marée descend.
Le paysage est à la fois changeant et permanent.
Exactement ce dont j’avais besoin.

Le cheval aux crins lavés par le soleil se révéla très touchant.
Certainement parce que c’est un vieux cheval.
Mais ma propre vieillesse,
Ma propre expérience des limites imposées par l’âge qui avance,
A mon propre corps de vieille athlète,
Me donnent une sensibilité que les « jeunes » ne peuvent pas avoir.
Dans chacun des exercices que je lui demandais, je sentais la subtile difficulté, la non-décontraction réelle. Un peu « warrior » à sa manière de cheval, il donne sans hésiter, certainement parce qu’il est fait pour ça et en plus formaté « pour ça » depuis de nombreuses années. Mais en réalité ça tire, et séance après séance je me sentais devenir une espèce de kiné spécialisée pour l’inviter à se mouvoir le plus souplement possible, à s’étirer, à mouvoir chacun de ses muscles pour les préserver encore un peu du passage du temps qui passe.
Et force fut de constater que dans les années qui me restent pour monter à cheval, je n’ai aucune envie d’être une soignante et encore moins de payer pour ça!
Il fallait donc trouver une autre monture.
Dans le même décor!
Par chance un petit pur-sang est arrivé récemment.
Sans hésiter, j’ai suivie la proposition de l’essayer.
Je fus prévenue : il ne sait rien faire, il est complètement à l’envers.
Et c’était déjà un programme possible qui m’enchantait.
Mais il fallait essayer, « voir » de moi-même.
Et oui,
Jeune, éduqué mais sans aucun bagage « technique », il a tout à apprendre et en premier comment marcher sous la selle avec harmonie.
Lui aussi est super gentil, exécutant approximativement ce qui lui est demandé de fort simple, mais à la manière d’un gamin, à l’arrache, par soumission, sans enthousiasme.

Banco!

J’étais super heureuse hier en quittant la belle île.
Il y a de l’avenir à écrire.
J’ignore lequel.
Mais l’important est là,
Plus loin.

J’avais ce besoin intense d’imaginer encore un « plus loin ».
Il fallait qu’un brin de jeunesse,
Vienne stimuler ma pensée,
Avec toute la non-intention dont un cheval est capable.

Ils sont fait pour ça (bis)


Lorsque j’avais entendu sortir l’expression « Ils sont fait pour ça » dans le contexte d’une conversation simple, je m’étais sentie bien seule et j’avais pondu un petit billet pour en parler.

Evidemment la brave personne qui avait émis cette hypothèse ignorait totalement à quel point « Ils sont fait pour ça » car trop souvent nous passons par dessus le fait que le cheval est domestiqué depuis des milliers d’années, donc qu’il fut patiemment et sans fin génétiquement sélectionné pour « ça ».

D’après les dernières découvertes scientifiques (2021), consécutives à l’amélioration de la puissance de calcul des ordinateurs ( possibilités de séquençage génétique accrues depuis une dizaine d’années) il ressort que tous les chevaux vivant actuellement sur terre ont été domestiqués, c’est à dire sélectionnés par les humains afin d’être utilisés par eux. La première vague de domestication date d’environ 5000 ans et le cheval était alors seulement un animal de rente utilisé pour sa viande et son lait. Une deuxième vague datant d’environ 4200 ans donne naissance à « l’ère du cheval » (laquelle s’achève au début du siècle dernier avec la mécanisation de l’armée, des travaux agricoles et du transport) et les chevaux que nous « utilisons » aujourd’hui pour nos loisir sont les descendants de ces lignées.
Ce qui fut priorisé, en terme de sélection, ce fut la capacité du dos à porter et tirer sans douleurs (gène sur le chromosome 3) et aussi le contrôle de l’anxiété et de la docilité des animaux (gène zfpm1 sur le chromosome 9). Depuis cette « nuit des temps » la sélection n’a jamais cessée pour aboutir où nous en sommes actuellement, avec une incroyable diminution de la biodiversité et un cheval ultra « génétiquement modifié » afin d’être « fait pour ça »!
Plus aucun cheval sauvage n’existe en terme de caractéristiques génétiques bien que des chevaux vivent encore en groupes lâchés dans la nature mais « surveillés » par les humains.
Le cheval d’aujourd’hui, même s’il provient d’un troupeau semblant évoluer en liberté est adapté à l’humain depuis des siècles et il ne s’agit pas de l’apprivoiser comme il faudrait le faire si c’était un animal sauvage attrapé par hasard, mais bien plus de lui expliquer qu’il est « fait pour ça » (course, sauts, exhibitions ou simple esthétisme poussé à l’extrême) et qu’il est temps qu’il se plie à ce pourquoi il est fait.

Remarquablement on voit actuellement sous l’effet de la mode se multiplier les « chevaux de couleurs » (encore « mieux » s’il ont des yeux bleus) qui bien souvent ne feront rien d’autre que de rester au pré sous l’oeil émerveillé de leur propriétaire, un peu à la manière de ces petits bijoux nommés « cheval arabe » qui ne feront rien d’autre que parader au bout d’une longe afin de gonfler l’égo de riches propriétaire prêts à y laisser des sommes colossales.
La sélection se poursuit donc.
Derrière les images faisant gambader notre imagination sur les mots « sauvage », « galop débridé », « grands espaces » se cache l’asservissement du cheval aux besoins actuels de l’humain.
Le cheval est un animal domestique.

Passage…


En vérifiant dans le moteur de recherche du site la présence du mot « passage » j’ai trouvé pas moins d’une trentaine de billets dans lesquels il apparait. Celui-ci arrive en tête
J’apprécie toujours la redécouverte des billets enfouis proposé par cette recherche qui précède chaque plongeon dans la rédaction d’une énième réflexion.

Comme j’ai essayé de le relater en trois articles, je suis en zone de passage.
Vers la suite c’est certain.
Quelle suite ? Je l’ignore.
Quand ?
Encore davantage.

Etrange zone que je tente d’explorer passionnément.
Intensément à l’écoute de mon corps,
… et de plus … et de tant.
Car jamais l’occasion ne s’était ainsi présentée.
Etre incapable de poser sans une intense douleur la jambe droite devant la gauche,
Donc être incapable de marcher avec aisance,
Tout en étant capable de me balader à bicyclette,
Tout en étant capable de nager délicieusement,
Tout en étant capable de m’installer dans mes postures de yoga favorites !

« Monter à cheval, c’est partager sa solitude »
Clément Marty, D’un cheval l’autre, Gallimard 2020

Pour l’instant je suis privée de ces moments de partage, incapable de marcher, comment aurais-je l’audace d’inviter un cheval à marcher sous ma selle ?

C’est là que j’en arrive après ce préambule.
Car c’est autour de ces deux mots « cheval » et « solitude » que s’articulent l’ensemble des réflexions qui passent et re-passent en ce moment, dans ce passage là.

Sans aucun doute, la retraite forcée de ces derniers jours met en exergue ce que j’avais déjà posé dans ce billet là , s’y ajoute l’inexorable quête d’absolu qui est mienne.
Et cette quête m’impose des choix,
Donc des renoncements.

Dès l’incident à l’origine de cette pause forcée, j’ai su que le temps était venu de déclarer à la propriétaire du petit appaloosa la fin de ma contribution.
Je m’étais fixée l’horizon de septembre, mais une fois plus le terme de neufs mois a pointé le bout de son nez sans même que j’ai besoin d’en faire le décompte!
Magie de la Vie !
Ma reconnaissance envers ce petit cheval est gigantesque.
C’est principalement sa non-solitude qui a petit à petit précipité la fin de ma relation à lui.
Il appartient à sa propriétaire.
Il loge chez sa logeuse.
Mon besoin d’absolu fut incapable de s’épanouir dans les « entre-deux » abyssaux qui se créaient.
J’en souffrais en silence, sans oser poser un point final.
Le point s’est imposé,
De lui-même.

J’en suis là.
Gourmande plus que jamais.
Confiante
Inlassablement.








Et un et deux et trois

Trois paires d’oreilles, trois tempéraments, tant à apprendre



En septembre, lorsque j’écrivais au sujet de l’importance du chemin passé, j’étais incapable d’imaginer ce printemps… et pourtant mon imagination est capable de bien des films!

Depuis, les billets se sont accumulés au sujet du cheval, j’ai même ouvert une rubrique dédiée tant les réflexions se sont accumulées au point de déborder. (pas moins d’une quinzaine de billets déjà…)

J’avais besoin de sens pour avancer et je pensais en être arrivée à l’âge où je pouvais me contenter de balades salutaires.

Mais…

Mais j’ai découvert un nouveau monde,
J’ai questionné la relation,
Et aussi la notion de « bien-être » qu’elle soit appliquée aux humains ou aux animaux,
J’ai fait un retour express dans mon passé de cavalière,
J’ai réfléchi, douté, questionné, appris plus loin encore
Et j’en suis revenue à mes convictions profondes,
Celles qui avaient germées auprès de F.Knie senior,
Celles que j’avais entretenues avec la lecture passionnée des grands écuyers,
Des humbles écuyers d’avant l’époque du commerce opportuniste,
Celles qui finalement avaient grandi en même temps que grandissait
Mon goût pour l’éducation des chevaux.
Patiemment laborieuse.

Et force est de constater aujourd’hui que non, les simples balades à cheval ne m’offrent aucun sens.
La chasse aux orchidées sauvages se pratique en marchant, le regard rivé au ras du sol.
Mon exercice physique « de santé » se pratique à bicyclette au quotidien, la tête dans les étoiles.
Mon besoin d’adrénaline diminue avec l’âge qui avance et par ailleurs, j’ai appris à entretenir le flux des hormones qui contribuent à l’état de bonheur au long cours.

Mais…

Mais, il me reste le plaisir intense et toujours renouvelé d’établir une relation.
Il me reste le besoin de sentir la merveilleuse décontraction d’un cheval qui se déplace harmonieusement sous ma selle, sa capacité à jaillir en équilibre à la demande et la confiance à élargir aussi souvent qu’elle vacille.
Un besoin qui nécessite labeur et patience.

Monter à cheval, c’est chaque jour un nouveau passage de vie.

Aucun cheval ne ressemble à un autre, même si chaque cheval appartient à l’espèce « cheval » si différente de l’espèce humaine.
Grâce au petit cheval appaloosa découvert en septembre dernier, la porte s’est grande ouverte sur d’autres possibilités de chevauchées, de rencontres et de relations à établir.
A l’impossible nul n’est tenu,
Je fais confiance au vent pour me pousser en sagesse au fil des jours qui passent.

« Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner »
Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001

Comment oublier le bleu marine si particulier des yeux qui s’ouvrent à la vie terrestre, leur innocence formidable, leur absence de jugement ?

Monter à cheval est chaque jour un passage de vie.

De la patience joyeuse


Histoire d’un jour.

Je m’étais levée bien avant l’aube.
Avant même de réussir à mettre de l’ordre dans mes pensées encore endormies, débarqua le souvenir de la veille. Sur le chemin de l’écurie, une belle jument pangarée m’avait offert une succession de transitions dans une attitude légère quasi parfaite. Rien d’extraordinaire pour qui ne regarde que les parades de cinéma, mais un simple bonheur s’était invité dans l’instant.
Ce petit matin là, j’en gardais la saveur intacte.

Dans l’avion, incapable de m’assoupir, j’avais fini par ouvrir ma tablette sur les derniers enseignements de F.Baucher (recueillis par le General Faverot de Kerbrech si cher à l’écuyer mirobolant que fut E. Beudant)
Pour la énième fois, je relisais l’entrée du chapitre « Progression » :
« On veut toujours aller trop vite. Pour arriver promptement, ne pas se presser mais assurer solidement chacun de ses pas.
Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup. »

J’étais en avion. 
Nous nous déplacions à environ 0,8 Mach et j’avais les fesses bien calées dans un fauteuil.
En même temps, je souriais à l’idée du côté vain de toute négation : la phrase « ne pas se presser » étant lue par toute personne pressée en sautant à pieds joints sur l’adverbe négatif. De fait il pourrait être question de se presser tout en assurant chacun de ses pas ? Pourtant les proverbes sont nombreux à encourager positivement la patience!
Mon père ne disait-il pas que tout vient à point pour qui sait attendre?

Fraichement débarqués sur l’île à explorer, en attendant que notre appartement soit prêt, nous nous sommes attablés devant un copieux « desayuno » local. 
Là, j’ai profité de la pause pour raconter mes dernière aventures équestres, passionnément, comme pour tourner la page des semaines précédentes et entrer de plein-pied dans une nouvelle aventure botanique.

Plus tard, lorsque la fatigue commença à se faire sentir, j’ai refusé l’idée de m’y laisser aller avant le soir en prenant la décision d’aller « là-bas » grimper sur la montagne visible à la droite de la magnifique baie que nous avions sous le regard.
Seule.
C’était une évidence.
Et alors…

L’ascension commença.
Le soleil avait le poids du plomb et mon sac à dos était bien léger en comparaison. J’avançais très lentement sur le chemin aride et caillouteux, par obligation et par prudence aussi, l’absence de sommeil étant un risque avéré de faux-pas.
Mon obsession botanique était bien présente, toutes mes antennes étaient sorties sans que rien, rien ne les interpellât.
Je me laissais porter par les fragrances méditerranéennes, tellement exotiques à mes sens, et par le paysage somptueux alliant le chaos des roches calcaires à la l’infini lisse de la mer.

Je grimpais, je contournais, j’inspectais parfois des oasis plus propices, mais d’orchidées sauvages point.
Un regard à ma montre indiqua qu’il aurait été temps de rebrousser chemin, mais j’avançais encore.
J’avais l’impression imaginaire qu’un rendez-vous m’attendait plus loin.
Où aurait été le « plus loin » ? 
A quelques mètres ?
Demain ?
Un autre jour ? 
Je l’ignorais, j’avais simplement envie d’avancer encore un peu. 

Et voilà que je l’ai vue.
Dans un éclat lumineux, elle m’avait sauté aux yeux avec toute sa perfection, cette Ophrys des Baléares qui ne se trouve que dans l’archipel.
En m’approchant, je pouvais vérifier qu’elle était particulièrement belle et intacte au bord de ce chemin où broutent les chèvres sauvages. Je me suis étirée, en équilibre sur les rochers, pour être encore plus proche, pour en contempler la splendeur.

Puis,

Le cœur en joie, j’ai poursuivi mon chemin un peu plus loin, imaginant trouver d’autres belles.
En vain.
Il était l’heure de faire demi-tour.

C’est alors que s’est invitée une longue méditation au sujet de la patience qui mène à la joie, une patience qui est mienne et qui m’entraine au bout de la patience volontaire, là où il n’y a plus rien que la patience paisible. Et j’allais du cheval aux fleurs sauvages, des fleurs au cheval, et tout en marchant avec attention, je me disais une fois encore que seul le chemin est important, le chemin déjà parcouru !

Car cette fleur là, je l’avais vue parce que je la connais, parce que je cherchais tout en marchant, tout en respirant, tout en m’extasiant du paysage, tout en saluant les passants. 
Qui d’autre l’avait remarquée en ce jour ?
Combien de personnes passantes pressées d’arriver je ne sais où ?
Combien de personnes bavardant au sujet de tout et rien ?
Combien de solitaires rêvassant je ne sais quoi ?
D’autres passionnés étaient-ils passé dans cet endroit si peu propice ?

Alors les histoires de chevaux débarquèrent en écho.
Tellement semblables.
Quel passant sait admirer, avant tout, la simple décontraction d’un palefroi
Combien de cavaliers ont eu l’émotion de diriger leur monture vers la lenteur majestueuse au souffle d’une intention absolument paisible ?
Combien nombreux sont les chercheurs de subtilité et d’harmonie ?
Combien se réjouissent d’un instant fugace, se contentant de savoir qu’il est possible pour pouvoir l’accueillir mieux encore une prochaine fois dans l’émotion d’un simple bonheur ?

Jusqu’à la plage ces questions tournèrent, rebondirent de l’une à l’autre sans que je sois capable de trouver le moindre réponse ni l’ultime recette qui aurait proposé une synthèse faisant éclater une quelconque vérité.

La virée touchait à la fin, sur le bitume retrouvé l’urgence était de capter une image à publier sur les réseaux sociaux, histoire de dire que nous étions bien arrivés, histoire de publier sans vraiment savoir pour qui, en fait.
Ce fut fait.
Alors, pour rejoindre mon véhicule, j’ai choisi de passer en équilibre au ras de l’eau, pour le plaisir.
Et là… au creux d’un rocher…
Se nichaient des belles, serrées les unes contre les autres.
O.speculum et Serapia lingua
Illuminées par le soleil du soir!

Le meilleur est toujours à venir.
Il suffit de le savoir,
Et d’oublier l’impatience.

De l’imagination à la réalisation


Qui se souvient de ses dessins d’enfance ?
Qui se souvient de ses essais consistant à essayer de mettre une pensée en image sur le papier, à l’aide de traits et de couleurs?
Personnellement le souvenir de mon impuissance à mettre au monde ce qui galopait dans mon imagination est tenace.
Les mots des observateurs résonnent encore : « c’est joli », « tu as du talent », « oui, pas mal », « il faudrait ajouter ça », etc.
Dans ma tête le jugement était sans appel, j’étais incapable.
La gentillesse des gentils me blessait autant que les conseils des « enseignants » (diplômés ou auto-proclamés) car les uns ne disaient pas la réalité que je constatais et les autres me proposaient des solutions qui me paraissaient au dessus de mes compétences.
J’ai appris à « garder pour moi ».

Peut-être que mon imagination est définitivement trop débordante?
Trop complexe?
Simplement elle-même?

Avec le temps qui est passé, grâce à l’eau qui a coulé sous les ponts, j’ai fini par réussir à tendre des fils entre mes paradoxes et à trouver une joie bien vivante en les écoutant vibrer sous mes pas.

Et en plus : je me réjouie lorsque l’idée de faire sentir à d’autres un « truc » de l’ordre de la sensation … vibrante vient à m’effleurer.

Il est un fait que je suis bien ancrée dans la réalité, quelle que soit sa complexité, son infini mouvement de vie et aussi son indicible part d’invisible.

En posant ce que vous pourrez lire comme du charabia, un rangement s’opère dans mes pensées, les fils qui semblent en vrac se tissent ensemble et je vois précisément où en venir tout en sachant que le plus attentif des lecteurs est déjà au bord de la céphalée.
Il est temps de révéler la source de l’envie de rédiger ce billet.

Plus je lis des « modes d’emploi » et plus me reviennent les paroles d’un Professeur devenu sage une fois déchargé de sa charge de service.

Nous étions en lien épistolaire, souvent d’accord sur un bon nombre de plans techniques au sujet des muscles et de leur fonctionnement « physiologique » en cas de stimulation médicamenteuse (autrement dit en cas de dopage). Naturellement lors des conférences, nous nous accordions un instant pour refaire le monde selon notre vision.
Un bon matin, alors que j’étais encore sous l’émotion d’un « sauvetage » réalisé sans pouvoir expliquer exactement ce que mes mains avaient réellement fait, je lui en faisais part. J’étais d’autant plus troublée par mon propre questionnement que j’avais longuement répété la manipulation afin de me sentir (presque) prête afin d’aborder (presque) sereinement une aventure à venir. Et voilà que dans l’urgence, j’avais agi comme je pouvais, incapable d’affirmer que mon geste était reproductible avec succès dans une autre situation.
Alors, avec une immense bienveillance, visiblement compatissant devant ma confusion, il posa ces paroles réconfortantes : « Sois bien consciente d’une chose, toutes les personnes qui t’expliquent par A+B avec force a, b, x et y comment te sortir d’une telle situation sont des personnes qui n’ont JAMAIS été confrontées à la situation »
Devant mes yeux qui devaient être ouverts tels des soucoupes, il ajouta : « En réalité, quand « ça » arrive, « on » fait ce qu’on peut et on prie. »

Je suis bien loin de cette époque, mais je suis à nouveau en lien avec les chevaux, avec leur puissance vivante, avec l’urgence constante de mettre au monde le meilleur et l’harmonie à laquelle j’aspire.
Et bien évidemment je doute.
Alors, je me balade au rayon des recettes, histoire de trouver de l’inspiration.
En vain.
Car bien évidemment (et désormais grâce à une certaine expérience) je suis incapable de poser aucune explication par A+B infiniment reproductible pour parvenir à un résultat standard.

Est-il possible d’affirmer que je suis une indécrottable fervente du sur-mesure?

Simplicité volontaire

Photo prise par Renée G. Idjana


Sous ce titre il serait possible de parler du Québec, d’écologie, de sobriété, voire de société, il ne sera question de rien de tout cela et l’image le prouve.

Ces deux mots « simplicité » et « volontaire » sont arrivés dans mes pensées tandis que j’essayais une fois de plus de poser des mots sur cette « rechute », cette passion des chevaux qui semblait s’être effacée mais dont les braises étaient restées bien plus ardentes que je ne pouvais l’imaginer.

Après chaque session à cheval, je repasse le film du temps passé à chevaucher.
Je repasse le film à la recherche de la moindre sensation, mettant en exergue les moments « justes », ceux où l’harmonie existe, où les tensions ont disparu, où l’équilibre est atteint. Avec les chevaux que je monte actuellement, ce sont des instants encore fugaces, mais leur présence est réelle et porte en elle le germe que je souhaite laisser éclore.
C’est extrêmement simple.
De cette simplicité qui dans mes tripes touche autant à l’art qu’à la foi.
En évoquant cette quête de simplicité qui ressemble peut-être à une quête d’absolu (substantif, II), inexorablement l’image d’un galet parfaitement poli apparait dans mon esprit portant en elle-même la longue traversée réalisée par la roche avant de parvenir à cette aspect si lisse.

Etant arrivée à cet âge suffisamment avancé pour n’avoir plus rien à prouver, il est certain que le choix que j’ai fait de monter « aussi » des « chevaux de balade » me pousse plus encore qu’autrefois vers cette recherche d’harmonie.
C’est ce qui reste, ce qui m’importe.
J’ai assouvi tant de rêves que je n’avais même jamais rêvé. Le cheval est venu à moi et je l’ai suivi où le vent m’a poussée et ce fut une chance immense.

L’autre jour D. m’expliquant qu’elle avait envoyé son cheval en pension chez une dresseuse me disait en même temps qu’elle était, elle, une « pilote » mais pas une dresseuse. Ces propos ont fait écho à ce que j’avais lu récemment expliquant que désormais les chevaux étant hyperselectionnés pour ce qu’ils sont commercialement censés accomplir (saut, course, dressage), ils avaient seulement besoin d’un « bon » dresseur puis d’un « bon » pilote pour atteindre le haut niveau dans la discipline pour laquelle ils ont été, en quelque sorte… créés!
Dans les temps si lointains où les chevaux faisaient partie de la vie des armées et des paysans, où ils étaient le moteur des diligences et ne connaissaient en activité de « loisir » que la chasse, les tournois ou la parade pour la frange la plus oisive de la société, tout était fort différent. Les merveilleux Traités d’Equitation des écuyers les plus célèbres sont à lire à travers le filtre du temps qui passe.
C’est aussi parce que je relis ces Traités, ces romans, ces histoires obsolètes en les situant dans leur siècle que j’arrive à en extraire ce qui persiste, cet essentiel, la quête de l’équilibre, de l’élégance, de la simplicité apparente.
Prendre soin du cheval afin qu’il soit en état, afin que sa robe renvoie des éclats de soie, que ses crins flottent en souplesse, puis soigner la tenue du cavalier afin de mettre le cheval en valeur ; enfin monter, c’est à dire former un couple harmonieux, chacun étant parfaitement à l’aise dans chacune de ses positions.
C’est en apparence si simple qu’il semble que ce soit à la portée de tout un chacun.
Et pourtant,
Il suffit de croiser, sur nos chemins de campagne, un cheval aux crins emmêlés, trottant l’encolure à l’envers et la bouche grande ouverte, il suffit de voir ses sabots boueux sous les canons décorés de guêtres, il suffit d’observer sa cavalière en chaussettes à la mode, posée un peu avachie sur sa selle à pommeau, les jambes bringuebalantes et le gilet pare-chutes ajusté pour constater qu’il se joue actuellement, en équitation, quelque chose de très contemporain.
Certes, il est commun d’affirmer que les apparences sont trompeuses.
Certes…

Comme toujours, j’ai tant à dire…
Comme souvent je coupe court à mon discours en cours.
A cheval, il est indispensable de demander peu, très peu à la fois.
Et de répéter souvent, la même chose, exactement la même chose,
Avant de passer à la suite…



Ils étaient là

Il y a quelques semaines G. , poète reconnu, me fit l’amitié de partager un moment de son temps lors d’un passage à Nantes.
Ce fut bref.
Mais comme c’est toujours le cas lorsque la relation est sincère, ce fut intense et délicieux.
Une fois dans le train qui le reconduisait dans son sud-ouest, il m’envoya un message qui contenait ces lignes :
« Lors de notre bref échange, je me suis aperçu que nos mémoires n’ont jamais cessé de dialoguer.
Là réside l’essentiel sur cette terre des vivants »

Est-il utile d’ajouter que je fus immensément touchée ?
Est-il utile d’ajouter que cet ami garde, du fond de son Afrique natale, un puissant et réel lien à ce qui a été presque entièrement radié de notre vivance citadine ?
Est-il utile… ?
Il était vain d’ajouter quoique ce soit.
Il reste vain.
Dans la vibration du présent, l’onde de la réalité s’agrandit,
Simplement.

Ce matin, le soleil illumine mon appartement.
La lumière exacerbe l’ombre et fait scintiller la poussière accumulée.

Dans un élan,
J’ai sorti le chiffon afin de soulever cette poussière,
Afin de la mettre en mouvement,
D’initier une respiration printanière.
Ce faisant, j’ai caressé chacun des chevaux présents,
Tout d’abord machinalement dans un geste assuré de ménagère,
Puis d’un coup,
Les paroles de G. ont fait surface,
J’ai regardé le cheval en bronze que je tenais à pleine main,
Ce cheval que je vois maintes fois dans chaque journée,

Puis,

J’ai pensé aux chevaux que je rencontre à nouveau,
Bien vivants chez les personnes qui les hébergent,

Et,

J’ai soudain réalisé que nous ne nous étions jamais quittés,
Nous n’avons jamais cessé de dialoguer.
Ils étaient là.

Et j’en fus émue.

Les autres (bis)

Irrigation ancestrale creusée à même le sol (Tenerife)



Aparté : en fin d’année 2018, je publiais un billet nommé « Les autres », de fait celui ci porte le même titre agrémenté d’un « bis ». Le propos est différent bien que semblable dans le fond.
J’ajoute que je choisis toujours les images avec soin, qu’elles font toujours partie de ma photothèque et qu’elles sont toujours en lien avec le billet, même s’il faut parfois un peu se creuser pour trouver 😉

Les autres.
Ces autres qui dessinent le sens de nos vies.
Le sens que nous attrapons en passant afin d’aller plus loin.
Toujours plus loin,
Au gré du vent.

Les autres.
Ces autres indispensables à chacun de nos devenirs
Quand bien même c’est absolument seuls
Que nous marchons,
Au gré du vent.

Je traverse un moment de turbulences.
C’est évident.
Inévitable,
Comme lors de tous les vols.
Et merveilleusement fascinant aussi,
La danse des questions qui s’agitent
Est formidablement multicolore.

Les chevaux sont à nouveau entrés dans ma vie.
Innocemment.
Et les chevaux n’ayant plus rien de sauvage,
Ils sont associés aux humains, aux autres,
Ces autres, ceux qui ne sont pas moi
Et cependant de mon espèce,
Donc un peu « moi » aussi.

(j’ai ouvert un nouveau chapitre dans ce blog sous le titre « cheval » afin d’y coller souvenirs et questions d’actualité)

Mon quotidien est à nouveau rythmé par la résonance du pas des chevaux, par l’éclat de leurs regards dénués d’intentions humaines, par leur puissance soumise et leurs exigences exploitées.
Le jardin, la « chasse » aux orchidées sauvages représentaient à mes yeux, ces dernières années, des livres ouverts, des livres de philosophie. Les chevaux ajoutent le leur et je dispose maintenant d’un triptyque à nul autre pareil.

Pour revenir au titre de ce billet parti en digression, voici le résumé d’une récente aventure.

Je me balade généralement seule avec le petit appaloosa.
Un jour, je le sentis frémissant à l’abord d’un pont et en cherchant au loin ce qui pouvait le mettre dans un tel état, j’aperçus un grand cheval noir.
Le cheval noir et sa cavalière allaient leur chemin.
Nous nous sommes croisés.
Chacune, nous avons retenu nos chevaux afin qu’ils puissent se saluer dignement à la manière humaine, évitant ainsi les gestes et les expressions vocales propres à nos montures, un peu comme les parents demandent à leurs enfants de « bien se tenir » en présence d’inconnus.
Et nous sommes reparties le long du canal, l’une d’un côté, l’autre à l’opposé.
Je gardais le souvenir de la belle cavalière si différente dans son allure de celles que je côtoyais désormais.

Quelques semaines plus tard, les filles dont les chevaux partagent le même gite que « le mien » se promenaient ensemble lorsqu’elle firent la même rencontre.
Mais à la différence de la solitaire assumée que je suis, elles entrèrent en relation avec la cavalière du cheval noir, échangèrent davantage qu’un simple salut et se firent la promesse de sortir ensemble d’autres fois.

Grâce à ces filles bien plus téméraires que moi (en matière d’invitation à cheminer à cheval) et grâce à un faisceau d’autres faits j’ai pu, à mon tour, faire plus ample connaissance avec la cavalière du cheval noir, avec le cheval noir lui-même et avec un autre cheval noir de la même écurie.
Des trotteurs !
Des trotteurs avec une histoire de trotteurs précédant leur vie de « cheval de balade ».
La vie est espiègle, c’est certain.

Et me voilà, grâce à ces autres, devant un « plus loin » toujours aussi inconnu, riche de nouveaux possibles presque palpables bien que réellement improbables.
J’en viens à tirer des plans sur la comète, c’est dire !

La suite demeure à vivre.
Passionnément
Paisiblement
Joyeusement.