Après les généralités, voici une tentative de précision.
Car ce fameux bien-être dans l’esprit de la plupart des personnes, ce bien-être ne pourrait exister qu’en supprimant toutes les situations inconfortables et toutes les situations douloureuses.
Partant de cette hypothèse, d’innombrables publications (sur les réseaux sociaux comme dans les universités) s’évertuent à décrire des recettes et des méthodes.
A la lecture de certaines et de leurs sources improbables, je me questionne souvent.
Quoi faire?
Quoi surtout non-faire?
Me voilà fort embarrassée.
Car oui, j’ai la chance d’avoir quelques connaissances mais comment expliquer en deux lignes ce qu’il m’a fallu des années à vraiment comprendre?
Je me lance donc dans une tentative de prose à la fois humble et dénuée d’espoirs au sujet de l’inconfort et de la douleur.
L’un et l’autre sont évalués chez l’humain adulte grâce à la mise en mots. La subjectivité est envahissante, chacun étant celui qu’il est, mais au moins l’expression de l’inconfort, de la souffrance qui en coule, de la douleur qui traverse les corps en fulgurance ou en battements sourds, voir du simple « mal de vivre » peut elle être à minima écoutée, et parfois entendue afin de mettre en oeuvre ce qui est nécessaire à l’apaisement.
Il en va tout autrement pour les animaux, mais aussi les jeunes nourrissons, les porteurs de handicaps psychiatriques et tous les individus sensibles incapables de communiquer avec le langage d’un humain adulte standard. Chez tous ces individus, la notion de douleur, d’inconfort, de mal-être fut niée au long cours. Ce n’est que très récemment, dans notre société gâtée, qu’une attention y est portée.
Au sujet des chevaux, la recherche en éthologie s’active afin de trouver des signes d’expression intangibles de la douleur sans avoir pour l’instant validé une méthode d’évaluation facile à mettre en oeuvre. Notons qu’en médecine humaine, les méthodes d’évaluations sont mise à la disposition des professionnels et des spécialistes parce qu’ils sont chargés de proposer des traitements et des médicaments. Le patient est invité à s’exprimer verbalement, à décrire avec ses mots, comparer en fonction de son expérience et ce qui se nomme « auto-évaluation » est en fait l’interprétation et la mesure que réalise un professionnel suite à la réception de la plainte argumentée par le patient et toujours en vue d’établir une prescription.
Ceci pour tenter d’expliquer à quel point il est difficile, même pour un cavalier attentif de discerner des signes d’inconfort ou de douleur chronique chez son cheval.
Et il faut aussi ajouter cette spécificité du cheval : dès sa naissance l’animal est capable et programmé pour fuir. En conséquence tout est organisé dans son cerveau afin de minimiser les douleurs (pas question de se plaindre, de ralentir, de refuser de suivre le troupeau tant qu’il reste possible d’avancer). Seule une douleur très aigüe peut l’arrêter… et dans la nature, le condamner à mort!
Pour un cavalier qui désire préserver le bien-être de son cheval, lui éviter au maximum l’installation de micro-lésions pouvant occasionner de lourdes conséquences, la tâche s’avère formidablement ardue.
Nous sommes obligés à l’attention, à guetter l’apparition d’un changement de comportement, de signes parfois très fins qui doivent nous interpeller « parce que d’habitude il est pas comme ça ».
Et ceci relève du quotidien, de la proximité réelle.
Et ceci nous impose de connaitre parfaitement ce qui est tout à fait normal.
Connaitre ce qui est normal et être capable de contextualiser car toute « normalité » peut devenir un signe pathologique, je prends pour exemple ce mouvement involontaire qu’est le baillement.
Bailler est normal.
Bailler peut aussi révéler une pathologie sous-jacente.
Bref, ok et alors comment savoir, comment « bien » faire, comment se comporter « au mieux »?
En toute objectivité ?
Et bien aucune recette n’existe sinon l’expérience au long, très long cours.
Je vais donc finir ce petit (beaucoup trop court) exposé par deux anecdotes récemment vécues avec mon jeune padawan, un pur-sang très expressif pour qui y prête attention.
Lorsque je l’ai acheté, fraichement castré, j’ai écouté les commentaires à son sujet : « il n’a pas de bouche, il répond pas aux jambes » en les interprétant à travers mon expérience ce qui donnait « bref, il sort de l’entrainement de course ». Ca m’allait super bien un petit cheval presque tout neuf.
Je me suis occupée de lui tous les jours.
Je lui découvert une très « bonne » bouche et je lui ai petit appris que les jambes peuvent descendre assez bas sur ses flancs et envoyer des codes.
Comme un jeune qu’il est, il ne se gène pas pour raconter son « instant présent » en se déconnectant promptement de ma présence selon ses propres sensations.
Un jour, sa bouche est devenue « bizarre » au bout de mes rênes, j’ai senti un certain agacement.
De retour sur l’aire de pansage, j’ai ouvert sa bouche pour constater qu’il venait de perdre une dent de lait et qu’un des deux crochets pointait sous la gencive.
J’en ai conclu que ses dents « le travaillaient » et depuis j’en tiens compte, j’ajoute de la délicatesse à la délicatesse et nous nous comprenons encore mieux.
Evidemment « tout le monde » raconte ce qu’il veut et en particulier que « ça fait pas mal » et qu’il faut pas se prendre la tête « pour ça ».
Le mois dernier, alors que « tout » roulait super bien, lors de mon inspection quotidienne de sa ligne de dessus, j’ai palpé une sensibilité inhabituelle. Ni une ni deux, j’ai rangé la selle et décidé qu’il était urgent de prévoir quelques séances à pieds.
Nous avons cheminé côte à côte pendant une semaine.
J’ai massé chaque jour la zone sensible et j’ai veillé à ce qu’elle reste au chaud, même pendant les séances.
Au bout d’une semaine, je ne détectais plus rien à la palpation. J’ai donc décidé de remettre la selle.
C’était probablement encore un tantinet sensible car si poser la selle ne l’a pas dérangé, il s’est « gonflé » plus fort que d’habitude lors du sanglage, comme s’il anticipait un inconfort.
Nous avons fait une séance tranquille au pas et dans les jours suivants nous avons repris notre routine sans « nouvelle alerte ».
Le fait est qu’il grandit, le petit, que son garrot (une zone très tardive en ce qui concerne la croissance) est certainement particulièrement sensible, la croissance osseuse occasionnant des tiraillements ligamentaires, voire musculaires aussi.
Ce sont de tout petits maux que je décris là.
« Tout le monde » dira que c’est rien, que franchement, il n’y a pas de quoi se prendre la tête.
Ca me fait penser à ce qui se passe chez les humains, ces « riens » à travers lesquelles les jeunes humains doivent passer, ces douleurs de croissance, ces appareils dentaires, la puberté, etc…
Quel enseignant devrait y prêter attention et adapter ses « séances » en prenant en compte une fois de l’un, une fois de l’autre, jamais ensemble, jamais au même moment?
Quand il faudrait aussi s’occuper à longueur de journée d’une classe entière?
Alors tombe la sentence :
C’est rien, c’est normal.
Et le parents aussi se disent « c’est rien, c’est normal ».
Qui serait à blâmer parmi toutes ces personnes de bonne volonté qui agissent du mieux qu’ils peuvent pour le mieux de ceux dont ils ont la charge?
Personne.
Et doucement j’en arrive au billet qui va suivre, il sera question de l’entrainement, de la préparation physique, de l’attention portée aux efforts demandés à nos chevaux, chacun en fonction de ce qu’il est afin de l’inviter à devenir le meilleur de lui-même.
Toute une aventure.
Et encore beaucoup de considérations… joelliennes!