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De la patience joyeuse


Histoire d’un jour.

Je m’étais levée bien avant l’aube.
Avant même de réussir à mettre de l’ordre dans mes pensées encore endormies, débarqua le souvenir de la veille. Sur le chemin de l’écurie, une belle jument pangarée m’avait offert une succession de transitions dans une attitude légère quasi parfaite. Rien d’extraordinaire pour qui ne regarde que les parades de cinéma, mais un simple bonheur s’était invité dans l’instant.
Ce petit matin là, j’en gardais la saveur intacte.

Dans l’avion, incapable de m’assoupir, j’avais fini par ouvrir ma tablette sur les derniers enseignements de F.Baucher (recueillis par le General Faverot de Kerbrech si cher à l’écuyer mirobolant que fut E. Beudant)
Pour la énième fois, je relisais l’entrée du chapitre « Progression » :
« On veut toujours aller trop vite. Pour arriver promptement, ne pas se presser mais assurer solidement chacun de ses pas.
Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup. »

J’étais en avion. 
Nous nous déplacions à environ 0,8 Mach et j’avais les fesses bien calées dans un fauteuil.
En même temps, je souriais à l’idée du côté vain de toute négation : la phrase « ne pas se presser » étant lue par toute personne pressée en sautant à pieds joints sur l’adverbe négatif. De fait il pourrait être question de se presser tout en assurant chacun de ses pas ? Pourtant les proverbes sont nombreux à encourager positivement la patience!
Mon père ne disait-il pas que tout vient à point pour qui sait attendre?

Fraichement débarqués sur l’île à explorer, en attendant que notre appartement soit prêt, nous nous sommes attablés devant un copieux « desayuno » local. 
Là, j’ai profité de la pause pour raconter mes dernière aventures équestres, passionnément, comme pour tourner la page des semaines précédentes et entrer de plein-pied dans une nouvelle aventure botanique.

Plus tard, lorsque la fatigue commença à se faire sentir, j’ai refusé l’idée de m’y laisser aller avant le soir en prenant la décision d’aller « là-bas » grimper sur la montagne visible à la droite de la magnifique baie que nous avions sous le regard.
Seule.
C’était une évidence.
Et alors…

L’ascension commença.
Le soleil avait le poids du plomb et mon sac à dos était bien léger en comparaison. J’avançais très lentement sur le chemin aride et caillouteux, par obligation et par prudence aussi, l’absence de sommeil étant un risque avéré de faux-pas.
Mon obsession botanique était bien présente, toutes mes antennes étaient sorties sans que rien, rien ne les interpellât.
Je me laissais porter par les fragrances méditerranéennes, tellement exotiques à mes sens, et par le paysage somptueux alliant le chaos des roches calcaires à la l’infini lisse de la mer.

Je grimpais, je contournais, j’inspectais parfois des oasis plus propices, mais d’orchidées sauvages point.
Un regard à ma montre indiqua qu’il aurait été temps de rebrousser chemin, mais j’avançais encore.
J’avais l’impression imaginaire qu’un rendez-vous m’attendait plus loin.
Où aurait été le « plus loin » ? 
A quelques mètres ?
Demain ?
Un autre jour ? 
Je l’ignorais, j’avais simplement envie d’avancer encore un peu. 

Et voilà que je l’ai vue.
Dans un éclat lumineux, elle m’avait sauté aux yeux avec toute sa perfection, cette Ophrys des Baléares qui ne se trouve que dans l’archipel.
En m’approchant, je pouvais vérifier qu’elle était particulièrement belle et intacte au bord de ce chemin où broutent les chèvres sauvages. Je me suis étirée, en équilibre sur les rochers, pour être encore plus proche, pour en contempler la splendeur.

Puis,

Le cœur en joie, j’ai poursuivi mon chemin un peu plus loin, imaginant trouver d’autres belles.
En vain.
Il était l’heure de faire demi-tour.

C’est alors que s’est invitée une longue méditation au sujet de la patience qui mène à la joie, une patience qui est mienne et qui m’entraine au bout de la patience volontaire, là où il n’y a plus rien que la patience paisible. Et j’allais du cheval aux fleurs sauvages, des fleurs au cheval, et tout en marchant avec attention, je me disais une fois encore que seul le chemin est important, le chemin déjà parcouru !

Car cette fleur là, je l’avais vue parce que je la connais, parce que je cherchais tout en marchant, tout en respirant, tout en m’extasiant du paysage, tout en saluant les passants. 
Qui d’autre l’avait remarquée en ce jour ?
Combien de personnes passantes pressées d’arriver je ne sais où ?
Combien de personnes bavardant au sujet de tout et rien ?
Combien de solitaires rêvassant je ne sais quoi ?
D’autres passionnés étaient-ils passé dans cet endroit si peu propice ?

Alors les histoires de chevaux débarquèrent en écho.
Tellement semblables.
Quel passant sait admirer, avant tout, la simple décontraction d’un palefroi
Combien de cavaliers ont eu l’émotion de diriger leur monture vers la lenteur majestueuse au souffle d’une intention absolument paisible ?
Combien nombreux sont les chercheurs de subtilité et d’harmonie ?
Combien se réjouissent d’un instant fugace, se contentant de savoir qu’il est possible pour pouvoir l’accueillir mieux encore une prochaine fois dans l’émotion d’un simple bonheur ?

Jusqu’à la plage ces questions tournèrent, rebondirent de l’une à l’autre sans que je sois capable de trouver le moindre réponse ni l’ultime recette qui aurait proposé une synthèse faisant éclater une quelconque vérité.

La virée touchait à la fin, sur le bitume retrouvé l’urgence était de capter une image à publier sur les réseaux sociaux, histoire de dire que nous étions bien arrivés, histoire de publier sans vraiment savoir pour qui, en fait.
Ce fut fait.
Alors, pour rejoindre mon véhicule, j’ai choisi de passer en équilibre au ras de l’eau, pour le plaisir.
Et là… au creux d’un rocher…
Se nichaient des belles, serrées les unes contre les autres.
O.speculum et Serapia lingua
Illuminées par le soleil du soir!

Le meilleur est toujours à venir.
Il suffit de le savoir,
Et d’oublier l’impatience.

Informations préalables

Balades, voyages sont autant d’occasions pour rencontrer de nouvelles orchidées.

Sauvages?

Les orchidées sauvages sont difficiles à trouver lors des déplacements touristiques ou professionnels.
En effet, arriver dans un pays inconnu pour y passer même un mois entier, c’est inévitablement commencer par essayer de se repérer et ensuite aller voir les « coins touristiques » qui d’ailleurs contribuent au repérage.
Et puis, c’est le plus facile!
Imaginez un peu, accueillant un ami de l’autre bout du monde, vous lui demandez ce qu’il aimerait voir « chez nous ». Il répondra probablement « Paris » voire « la tour Eiffel » et il vous sera peut-être possible de réaliser son rêve. Par contre s’il exprime un désir de voir le célèbre « Cypripedium calceolus« , je parie que vous serez fort dépourvu.
C’est ainsi.
Débarquer dans une région, c’est un peu la même chose, il est commun de commencer par chercher les points remarquables les plus communs.

Chercher les orchidées sauvages exige un temps long.

Pourtant, il m’arrive de « tomber » sur quelques belles au cours d’une balade. Parce que je me balade, passionnément, partout, quelles que soient les circonstances du déplacement.
Et puis, parfois il m’arrive de partir avec la ferme intention d’en rencontrer, ça ne fonctionne pas à tous les coups, il faut surtout de la chance ou partir après un énorme repérage virtuel préalable.

A noter que dans certaines îles, les orchidées sont dans les jardins au même titre que les pélargoniums ou les hortensias chez nous. Ce ne sont pas des orchidées sauvages, mais ce ne sont pas non plus des stars botaniques de grande valeur. Elles sont partout et c’est un véritable plaisir des yeux qu’il serait dommage de dédaigner.

Dans ce chapitre, j’entreprends de présenter principalement les orchidées sauvages rencontrées au hasard ou lors de mes recherches en France et plus loin. Mais, simplement pour le plaisir, je raconterai peut-être, en bonus, quelques histoires de jardins tropicaux.

Ophrys scolopax

Ophrys scolopax est le nom d’un groupe méditerranéen occidental comprenant quatre espèces.

L’espèce Ophrys scolopax fut décrite par Antonio José Cavanilles en 1793.
Cette espèce est parfois décrite sous d’autres noms dans la littérature.

L’Ophrys bécasse fleurit de fin mars à juin jusqu’à 1700 mètres d’altitude. Si sa description est très précise (au point d’être totalement obscure pour la non-spécialiste que je suis tant elle contient de caractères), je dois avouer que j’aurais été bien incapable de donner un qualificatif aux Ophrys que j’ai rencontré dans un fossé à proximité de la Ermita de San Bartolomé de Gavin si personne ne me l’avait signalé comme un spot à « scolopax »!

Reconnaitre un Ophrys est une chose, le classer au sein des 28 groupes qui composent le genre et l’identifier parmi les 354 espèces européennes est un risque que je suis incapable de prendre sans suivre des pistes.

Orchis militaris

Orchis militaris est un groupe de sept espèces européennes.
Si les coloris et la forme du labelle peuvent parfois faire penser a Orchis simia, l’inflorescence s’épanouissant par les fleurs basales fait toute la différence et lève le doute.

L’Orchis militaris fut décrit par Carl von Linné dès 1753.

L’Orchis militaire se plait en terrain calcaire jusqu’à 2200 mètres d’altitude, en pleine lumière et redoute tous les amendements. Il fleurit en plaine entre avril et juin.
Comme beaucoup d’autres orchidées sauvages, l’eutrophisation galopante le repousse toujours plus jusque à le rendre rare en certains endroits pourtant favorables.

Les images présentées sont peu descriptives car je suis arrivée sur leur spot en toute fin de floraison.

Pseudorchis albida

Pseudorchis (faux Orchis) est défini par Jean-François Séguier en1754 et le genre comprend deux espèces, l’une rare et l’autre plus répandue (Pseudorchis albida ici présenté)

Pseudorchis albina fut décrit par Carl Von Linné en 1753 sous le nom Satyrium albidum puis confirmé dans le genre pseudorchis par Askell Löve et Doris Löve en 1969 après de nombreuses discussions et grâce aux analyses génétiques qui l’écartèrent définitivement des genres Gymnadenia, Habenaria ou Platanthera auquels il fut parfois intégré (publications du 18ème et 19ème siècle)

Le faux Orchis blanchâtre fleurit de mai à juillet en pleine lumière jusqu’à 2700 mètres d’altitude. Parfois abondant en montagne il est en régression ailleurs du fait de l’eutrophisation des milieux.

Dactylorhiza sambucina

Dactylorhiza sambucina est aussi un groupe monophylétique de six espèces nommées.

Dactylorhiza sambucina fut décrit en temps qu’espèce par Carl Von Linné sous le nom Orchis sambucina en 1755 puis classé parmi les Dactylorhizae par Karoly Rezsö Soo en 1962

L’Orchis à odeur de sureau fleurit en mai-juin, en pleine lumière sur substrat calcaire et surtout en montagne jusqu’à 2600 mètres d’altitude.

Lorsque j’ai débarqué début juin dans les montagnes pyrénéennes, les individus basés sous 1600 mètres d’altitude étaient partiellement défleuris. C’est en grimpant au delà des 2000 mètres vers le pic d’Anayet que j’ai découvert de grandes populations tandis que sur le plateau tout juste déneigés, de minuscules plantes commençaient à s’étirer.
Comme indiqué dans la littérature, les individus blanc étaient présents en plus grand nombre.

Dactylorhiza elata

Tout d’abord décrit sous le nom Orchis elata par Jean-Louis Marie Poiret en 1789 dans son livre Voyage en Barbarie, il fut à nouveau décrit par Karoly Rezsö Soo en 1962 qui le « rangea » parmi les Dactylorhizae dont il fut un grand spécialiste.

L’orchis élevé peut parfois atteindre 1mètre de haut mais comme il peut pousser jusqu’à 3000m d’altitude, il peut aussi se présenter comme une plante grêle et petite.
D’après le guide des orchidées d’Europe de Pierre Delforge, sa taille peut varier entre 25 et 125 centimètres!
Il se plait en pleine lumière sur substrat alcalin frais à détrempé et fleurit, suivant l’endroit, entre avril et juillet.

L’espèce n’ayant pas fait l’objet d’études génétique générales est, comme de nombreux Dactylorhizae, la source de bien des questions et controverses.

Dactylorhiza majalis

Le groupe des Dactylorhiza majalis est essentiellement européen avec six espèces, toutes d’origine hybride entre Dactylorhiza incarnata et Dactylorhiza maculata.
Les six espèces se remplacent géographiquement, elles sont toutes hygrophiles.

Début juin 2022, dans les prairies d’altitude de la vallée de Tena, le long des ruisseaux, souvent les pieds dans l’eau, j’ai rencontré de nombreuses colonies de Dactylorhiza majalis subsp.alpestris

L’espèce D.majalis subsp alpestris fut décrite en 1935 par Herbert William Pugsley dans un article du Journal de la Linnean Society ( J.Linn.Soc.)
Comme d’habitude lorsqu’il est question de Dactylorhiza, les discussions vont bon train. Précisément au sujet de D.majalis subsp. alpestris, décider si c’est une espèce à part entière, une simple variation de D.majalis ou un encore écotype d’altitude reste une discussion largement ouverte!

Orchis pallens

Décrit par Carl Von Linné en 1771

Belle rencontre que celle de l’Orchis pâle, en juin 2022 au col du Pourtalet : un peu à l’écart de la foule stationnée à la frontière, face au sublime paysage montagnard, quelques rares plantes offraient leur blancheur quasi veloutée aux promeneurs qui l’ignoraient.

Dépourvu de nectar l’Orchis pollens est pollinisé par les insectes qui sont attirés par sa légère fragrance mais surtout en raison de sa ressemblance visuelle avec d’autres fleurs nectarifères, on parle dans cette circonstance de mimétisme floral.

Corallorhiza trifida

Décrit par Jean-Jacques Châtelain en 1760 tandis que le genre Corallorhiza le fut par Abraham Gagnebin en 1755. C’est un genre qui contient seulement onze espèces, toutes exclusivement nord américaines à l’exclusion du seul C.trifida.

Communément nommé Racine de corail, Coralline ou Corallorhize trifide, cette minuscule orchidée à la tige hyper fragile vit sur substrats humides et fleurit de mai à juillet (suivant l’altitude). Son cycle de vie est principalement souterrain, particulièrement dépendant des mycorhizes car elle possède très peu de chlorophylle efficiente.
Dans le sous bois sombre où je l’ai rencontrée, elle était assez facile à voir sur l’épaisse couches de feuilles mortes en court de dégradation. Juste après une averse, les rayons de soleil qui réussissaient à percer illuminait les frêles silhouettes pour attirer mon regard.