Nous, nous mesurons le temps en fonction du mouvement d’innombrables soleils;
Quant à eux, ils le mesurent à l’aide de petites machines cachées dans leurs petites poches.
Alors dites-moi, comment pourrons-nous nous rencontrer au même endroit, au même moment?
Khalil Gibran, Le sable et l’écume, traduit de l’anglais par J-P; Dahdah et M. Schurman, Editions Albin Michel, 1990, ISBN 2-226-04921-5
Chaque matin, je préparais un de ces délicieux ananas cultivé à Maui.
Dix fois plus onéreux que les ananas venant du Costa Rica vendus dans les supermarchés français, c’était la-bas, avec les bananes locales le fruit le moins cher et le moins réfrigéré.
Commencer la journée en dégustant ces petits carrés dorés, juteux, gouteux était sans aucun doute la meilleure manière d’y entrer d’un bon pied.
Puis, je montais dans la voiture à la place du passager et je me gavais en ne perdant rien du paysage qui défilait.
Ce jour, la route s’éleva rapidement en interminables lacets.
Moi qui aime beaucoup conduire, et qui regarde souvent le paysage en pointillé sur ces routes où il vaut mieux regarder la route, je n’avais pas d’autre choix que d’admirer au long cours les abîmes, et les vertigineuses dégringolades de la montagne dans le Pacifique.
Comme la veille, je me laissais porter par le courant.
C’était une expérience et je commençais à m’en amuser.
Je demeurais incapable de m’orienter par rapport à la géographie de l’île.
J’avais beau regarder la carte me dire « nous sommes ici », voir le nom du lieu sans l’imprimer, ça n’avait tellement pas d’importance que ma mémoire refusait d’en prendre note. C’est ce que je croyais, en tout cas. En fait, il faudra attendre la semaine suivante pour que je comprenne le fonctionnement que j’avais, en réalité, mis en oeuvre.
Dès que je pouvais, quand nous nous arrêtions, lorsqu’il était question d’aller regarder ce qu’il fallait regarder selon les meilleures recommandations , je m’éclipsais, je sortais du sentier recommandé, à la recherche de ce que la plupart des gens n’avaient même pas l’idée de regarder ou à la découverte d’un coin désert pour élever un des ces tas de cailloux que j’avais recommencé à édifier depuis la semaine précédente.
Puis, je rentrais dans le droit chemin, sans la moindre difficulté d’orientation, ravie et heureuse.
Et le courant m’emportait
Et arrivait la plage
Et l’heure d’aller nager à la rencontre des tortues.
Nous passions au moins une heure à nager.
C’est la sensation de froid qui me faisait sortir.
Moi qui n’est pas une fan des balades le nez collée dans le masque et la respiration contrainte par le tuba, je ne rechignais pas.
J’aime nager et nager dans l’eau chaude était une grâce.
Evoluer entre les massifs coralliens comme je me balade sur terre, en errance à la recherche de merveilles, en était une autre.
Et puis, nous sortions.
En nous séchant, nous comparions nos visions sous-marines, le nombre de tortues rencontrées et c’était l’heure du retour.
S’il y a un truc notable parmi tous ceux qui nous mettaient sur la même longueur d’onde, c’est bien notre détestation d’une pause « inutile » sur les plages. Pour chacun de nous, la plage aussi belle soit-elle n’est rien d’autre qu’un point de passage pour aller sur l’eau ou dans l’eau!