Jeudi 14 septembre, étape 15

« Où regardes-tu? où comptes-tu parvenir? Tout ce qui est à venir est dans le champ de l’incertain : sans attendre, vis »
Sénèque, La brièveté de la vie, traduit et commenté par Emmanuel Naya, Editions Ellipses, 2006,
ISBN 2-7298-2503-7

A mi chemin du temps de vacances que je m’étais accordé, en regardant la carte, plus de la moitié de la traversée semblait accomplie.
Pour autant, aucune certitude ne venait supplanter le doute qui m’habitait.

Ouvrant les yeux dans la nuit noire, j’ai attrapé ma montre, allumé la frontale suspendue au plafond et regardé l’heure.
Il était beaucoup trop tôt.
Force était de constater que j’avais repris mon rythme de sommeil « normal », que les heures de marche quotidienne n’affectaient en rien la marche physiologique de mes fonctions de base.
Dormant peu dans la vie « normale », je dormais peu pendant ces vacances.

Je suis restée bien éveillée.
Le film des jours passés s’affichait en boucles, avec ses alternances, ses merveilles et ses réalités.

J’ai entre-baillé la tente pour regarder la nuit et ce fut l’occasion de constater que la toile était bien sèche, sans la moindre rosée.
De fait, l’envie de « plier sec » stimula mes sens au point de m’éviter toute possibilité de somnolence. J’ai patienté en passant d’autres films.

Une heure plus tard, j’étais affairée. A 6:30 sonnantes, j’étais prête à partir.
La journée pouvait être longue.

La pluie était annoncée à partir de 8h ou 9h.
Après l’étape marathon de la veille, mes exigences étaient modestes.
Aucun but n’était envisagé ce matin là.
Mes pas pouvaient me mener à leur guise.

Comme d’habitude, j’ai cherché les marques du GR.
Je les ai cherché dans la « mauvaise direction » : la décision de passer « par en bas » avait tellement effacé la possibilité de passer à proximité de Laruns, qu’il était absolument non imaginable de prendre « la route de Laruns » ou de suivre la direction « Laruns ».
J’ai cherché en vain sur une grande distance avant de me résoudre à comprendre que le chemin partait par « la route de Laruns ».
Il fallait revenir sur mes pas.

Le temps de marche « au sec » s’était terriblement rétréci sans la moindre progression dans le bon sens géographique du terme.
Un carrefour avec la route se dessinait au devant lorsque le ciel déjà fort chargé devint apocalyptique.
La nuit semblait de retour.
Il était évident que « le ciel allait me tomber sur la tête » dans les minutes qui venaient, à l’heure dite par les « prévisions ».

Et la pluie dégringola.

La route était là.
L’évidence était raisonnable : tenter un pouce levé pour essayer d’arrêter une voiture et aller je sais pas où mais résolument dans un endroit sec.
La première voiture entendue puis vue, s’arrêta.
« Où allez vous?  » demanda l’homme.
« Au plus proche endroit sec!
– Ahhh, je vais voir ma mère à Oloron, je peux vous poser à Arudy, il y a un bistrot, chez Pompon!
– Ok, c’est parfait »
Et voilà comment j’ai parcouru une dizaine de kilomètres en voiture avant de débarquer chez Pompon.

Là, j’ai bu un café, j’ai couvert une dizaines de pages d’écriture, ouvrant un paquet de dissertations au sujet de l’ennui, de la liberté, du temps qui stagne ou court, etc, etc.
Quand je fus lassée, j’ai demandé au patron (un grand noir, « connu comme le loup blanc dans toute la région » à ce qu’il affirme lui-même avec un sourire éclatant) où laisser mon sac afin d’aller visiter le village, lui promettant de revenir pour le déjeuner.
Je suis sortie sous la pluie battante.

Je suis allée jusqu’au camping qui n’en était pas un, j’ai visité le lavoir qui était vide, je suis passée devant le musée qui était fermé, j’ai déambulé dans les rues désertées puis je suis entrée dans l’église toute sombre.
Un seul cierge brulait encore devant je ne sais plus quelle statue.
J’ai cherché dans mon porte-monnaie et trouvant assez de pièces pour arriver à 98cts exactement, je les ai glissées une à une dans la tirelire en échange d’un cierge neuf proposé à 1 euro.
J’ai allumé « mon » cierge, tellement grand à côté de ce qu’il restait de l’autre et j’ai regardé la flamme vaciller puis grandir puis s’affirmer joyeusement.
Il était l’heure d’aller déjeuner.

La journée était loin d’être terminée.

Les gouttes commençaient à s’espacer, je suis partie avec tout mon barda.

A Bescat, le soleil se montrait.

Ayant goutté au plaisir de marcher plus légère, sans sac sur le dos, l’envie me prenait de recommencer.
Passant devant une fromagerie, je suis rentrée acheter du fromage de brebis et j’ai demandé à poser mon sac jusqu’au soir.
Puis, je suis allée par les chemins gorgés d’eau, je suis allée au bord du gave d’Ossau, j’ai fait des tas de cailloux, j’ai écouté chanter l’eau, j’ai observé la danse de toute la nature qui étincelait grâce aux milliers de gouttelettes déposées par le ciel.

« On pourrait dire que le fait d’avoir pu plier le matos sec était un bon présage.
Partir tôt, se perdre, se retrouver, regarder tomber la pluie, passer au soleil, acheter du fromage et gagner quelques piments, tremper les pieds dans le gave et terminer la journée en découvrant de nouvelles fleurs… C’est comme un roman qui se termine super bien »

Quand j’écrivais ces lignes, il y avait, face à moi, le Pic du Midi D’Ossau dégagé, offrant toute sa splendeur.

A suivre…

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