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Les sens de l’être (2021 – 1)


Combien de temps faut-il attendre pour que tombe le fruit mûr?

Souvent j’ai relaté cette expérience unique et merveilleuse vécue un simple matin dans le jardin : les poires étaient dorées à point et ma gourmandise en était émoustillée, je me suis dirigée vers l’arbre, j’ai tendu la main et à l’instant précis où elle était sous le fruit choisi, prête à l’empaumer, le fruit est tombé.
Il s’est posé dans le creux de ma main, exactement où il était attendu.

Je garde jusque dans mon ventre le délicieux frémissement de ce matin là.

C’est le réveil de ce même frémissement qui me ramène aux sens de l’être.
C’est là, sur cette île à nulle autre pareille, aussi déserte qu’intensément vivante, qu’il vient me chatouiller au plus profond.
C’est perchée sur un rocher, immobile au dessus de l’océan turbulent, tendue entre terre et ciel, que je comprends l’essentiel.

Et s’il était temps de mettre en pages images et réflexions?
En premier afin de clarifier à nouveau ce qui me semble vraiment important.
Puis, peut-être pour partager un peu plus loin mon point de vue au sujet de mots aussi vagues que « méditer », par exemple.
C’est encore flou, mais il y a un germe de quelque chose qui s’impose et mon clavier s’affole.

Plus loin est encore plus loin.

PS : Début juin est arrivé. Plus loin est ailleurs.
Le clavier crépite, certes.
Sans autre objectif que celui qui consiste à écrire encore
Pour rien.
Sans aucun objectif.
Partager un point de vue est seulement un concept.
J’avais failli l’oublier, emportée par un grain d’égo encore en vie!

Les sens de l’être (12)

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En forme de dialogue, avec un bon nombre d’allusions aux précédents billets ….

«  C’est étonnant, cette lecture rapide me renvoie à un mot : mouvement.  »

Un ami m’avait interpellé au sujet de la mobilité/immobilité et notre conclusion provisoire fut la suivante  : «  Je pense en effet qu’on parle de la même chose. On est d’accord pour dire qu’un mouvement s’exprime grâce à l’appui d’un point fixe, stable.  »

Et oui, de mon point de vue, il ne s’agit que de passages : d’un état vers l’autre, d’une posture vers une autre, d’une échelle vers l’autre, d’un instant vers un autre, d’une expérimentation vers une autre, d’un lieu vers un autre, d’un battement cardiaque vers le suivant, d’un système vers l’autre, d’un battement de cils vers le battement de cils suivant… Donc, il ne s’agit « que » de mouvements, en effet.

«  J’ai vu beaucoup de gens reproduire des postures spéciales, mais, … Rien ne les habitait à part cette volonté de faire, de faire la même chose qu’ils avaient vu et qui semblait être la voie. Le début de l’histoire c’est peut être un mouvement fou, un mouvement incroyablement spectaculaire qui permet “La Posture”, celle qui est figée et qui plonge celui qui la vit dans un tourbillon incessant du vide et du bonheur qu’il provoque.  »

Oui, la simple reproduction de postures peut devenir le chemin, elle peut n’être qu’une route à traverser, elle peut aussi inciter à tourner en rond dans une impasse.

Dans le livre de la première image (édité en 1928), j’aime lire : « Il serait difficile de trouver ailleurs un système d’institutions qui tende aussi résolument à exclure l’étranger ». J’aime lire ceci, parce que la Yoga vient de l’Inde, parait-il, et qu’il demeure une aventure de là-bas, née d’une histoire, d’une évolution. Tout ce que nous pouvons interpréter et lier à notre sauce occidentale du 21ème siècle n’est qu’une posture supplémentaire, suspendue dans le vide d’une mondialisation plus actuelle que jamais.

Dans l’art indien, « on » retrouve ce genre de posture :

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Et « hâtivement », « on » en arrive à la conclusion que le « hatha yoga » serait ancestral

J’ai vu des centaines de personnes assises dans cette « posture », particulièrement dans les pays où il est commun d’être assis au sol pour travailler : c’est un moyen commode pour ne pas être gêné à cause des jambes.

Par contre, alors même que Shiva est souvent associé à la pratique du yoga, la danse de « Shiva nataraja » n’est jamais proposée lors des séances, « on » lui préfère des répétitions de « salutation au soleil » dont il n’existe aucune trace en Inde ancestrale…

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Clairement, j’ose avancer (et je ne suis pas la seule) que c’est la curiosité des occidentaux,  leur attirance grandissante pour la spiritualité indienne et leur recherche de rites exotiques qui encouragea, jusqu’au coeur de l’Inde, la floraison d’un certain « yoga » avec d’infinies adaptations et autant de variantes que les occidentaux pouvaient en espérer.
Le billet « Les sens de l’être (9) » , longtemps resté en suspens, est une tentative d’explication hâtive.
Les sources du Yoga sont celles que j’ai abordées dans le billet (6), il n’y est pas plus question de posture qu’il n’est question de posture dans la Bible ou le Coran, alors même que les messes sont maintenant parfaitement ritualisées (debout, assis, à genoux selon le moment) et que la prière musulmane « salâh » fut codifiée en interprétant les « hadîth » (voir ici par exemple)

«  La photo nous permet juste de voir une infime partie de la forme.  »

Oui. Et ce n’est pas un hasard si la photographie est aujourd’hui largement utilisée, voire détournée, dans le but de stimuler nos émotions les plus primaires en excitant uniquement le sens de la vue.

En proposant des photographies/images de postures dans la nature, dans des endroits choisis, dans un environnement géologiquement parlant, chaque image étant une histoire en elle-même, j’aurais espéré élargir les points de vue. Je concède que les « histoires » ne sont que le fruit de mon imagination galopante.

«  Quelle serait la forme mouvementée qui précède la forme fixe du yoga ?  »

Il existe une multitude de réponses possibles parce qu’il existe de nombreux univers tissés ensemble, chacun selon sa propre échelle de référence.
Une fois de plus, je me réfère aux écrits déjà posés, ceux de Mircéa Eliade interprétant les aphorisme de Patanjali, par exemple.

«  Dans l’Inde, (…) Ainsi, seul est appréciée et recherchée la connaissance métaphysique (vidyà, jňana, prajňâ), c’est à dire la connaissance des réalités ultimes  ; car elle seule procure la délivrance. C’est, en effet, par la «  connaissance  » que, se dégageant des illusions du monde des phénomènes, l’homme se «  réveille  ». «  Par la connaissance  », cela veut dire  : par la pratique de la retraite – ce qui aura pour effet de lui faire retrouver son propre centre, de le faire coïncider avec son «  esprit véritable  » (purusha, âtman). (…) L’importance considérable que toutes les métaphysiques indiennes, et jusqu’à cette technique de l’ascèse et cette méthode de contemplation qu’est le Yoga, accordent à la «  connaissance  », s’explique facilement si l’on tien compte des causes de la souffrance humaine. La misère de la vie humaine n’est pas due à une punition divine, ni à un péché originel, mais à l’ignorance. Non pas n’importe quelle ignorance, mais seulement l’ignorance de la vraie nature de l’esprit, l’ignorance qui nous fait confondre l’esprit avec l’expérience psycho-mentale, qui nous fait attribuer des «  qualités  » et des prédicats à ce principe éternel et autonome qu’est l’esprit  ; bref, une ignorance d’ordre métaphysique. Il est donc naturel que ce soit une connaissance métaphysique qui vienne supprimer cette ignorance. (…)

La cause et l’origine de cette association de l’esprit et de l’expérience, ce sont là deux aspects d’un problème que le Sâmkya et le Yoga tiennent pour insoluble, parce que dépassant la capacité actuelle de compréhension humaine. (…) La cause ainsi que l’origine de cette association paradoxale du Soi et de la Vie (c’est à dire de la «  matière  »), seul un instrument de connaissance autre que le buddhi* et n’impliquant aucunement la matière, pourrait parvenir à les comprendre. Or, une telle connaissance est impossible dans l’actuelle condition humaine. Elle ne se «  révèle  » qu’à celui qui a dépassé la condition humaine  ; l’intellect n’a aucune part à cette révélation, qui est plutôt la connaissance de soi-même, du Soi lui-même.

* buddhi  :  terme de philosophie indienne désignant la capacité d’intelligence liée à la réflexion et la discrimination.

Pour conclure ce billet sans acrobatie, voici une nouvelle image, celle d’une posture entièrement inventée pour le « hatha yoga » de chez nous. En « posant » devant un tunnel de lave datant de plus de 5000 ans, j’ai senti un long poème qui chantait au rythme des pulsations du sang dans mes veines, celui de la terre.

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Les sens de l’être (2)

Dès qu’un nouveau-né voit le jour, il se retrouve allongé.
Après des mois passés lové dans l’utérus maternel, après s’être déroulé pour atteindre la  lumière, il est manipulé, puis allongé.
Il était protégé, à l’abri, en totale symbiose avec sa mère, il est soudain exposé à tout un monde de sensations tandis qu’une injonction est posée : « dort ».
Immanquablement, abandonnant son corps, le nouveau-né finit par s’endormir. Posé à plat, le dos allongé, sa tête se tourne à droite ou à gauche, ses bras prennent la posture de l’archer (un bras allongé le long du corps, un bras replié du coté de la tête tournée) et ses jambes s’ouvrent.

Pour ceux qui pratiquent ce qu’il est convenu d’appeler « le yoga »,  une forme moderne d’exercice physique inspiré d’un ancestral Hatha Yoga, rester allonger est d’une simplicité non-acrobatique.
Pourtant c’est de loin, l’une des positions les plus difficiles à maintenir en conscience.

Tout d’abord, tandis que l’apprentissage de ces exercices est conduit sur l’air de « ici et maintenant », il est commun de parler de « cadavre » au sujet de cette position, comme si un cadavre pouvait avoir conscience de « l’ici et maintenant »!
A ce paradoxe, il faut en ajouter un autre : s’il était question de redevenir aussi « offert », aussi abandonné qu’un nouveau-né, il serait question de laisser aller le corps, de tourner la tête, d’ouvrir les jambes, de laisser les bras s’orienter selon leurs réflexes archaïques.

Or, il est conseillé de garder la tête « droite », les bras le long du corps, les jambes tendues.  Une situation parfaitement non naturelle qui nous renvoie, bien des années en arrière vers cette autre position parfaitement non naturelle qui nous fut imposée le jour où nous sommes venus au monde.

Cette mise en situation du corps est d’une puissance formidable.
Non spectaculaire, apparemment terriblement accessible, elle en est presque méprisable.

J’invite chacun, dès lors qu’il souhaite commencer à visiter les arcanes de son mental à travers l’exercice physique, à commencer par s’allonger, tranquillement, avec attention.

Aligner.
Scrupuleusement s’aligner.
Consciencieusement s’allier avec le soubassement, en accepter les moindres creux, les pires dépassements.
Respirer patiemment.
Vivre intensément.
Devenir le roc, obtenir la fluidité de l’air, aller dans la musique du ciel.
Enfin, au bout de plus loin, s’étirer, re-être humain.

Simplement.

Au fait…
Les passeurs de traditions oublient souvent un « détail » dans leur application à faire appliquer des recettes : si personne ne sait exactement ce que pouvait être l’enseignement du hatha-yoga à l’époque de l’hypothétique Patanjali, je m’avance sans peur en affirmant que le béton n’existait pas plus que les dérivés du pétrole, les fenêtres à triple vitrages et l’air conditionné.

A suivre