Toutes les personnes qui possèdent un animal domestique savent que les animaux passent beaucoup de temps à dormir ou à somnoler, bref… à ne rien « faire », à ne rien produire.
Les chevaux, s’il passent très peu de temps à dormir couché, passent beaucoup de temps à somnoler debout.
C’est peut-être parce que les animaux ne savent pas lire l’heure qu’ils sont de merveilleux compagnons ?
Les animaux nous apprennent à prendre le temps et à rester immobile.
Car temps et mobilité sont liés.
Le temps s’est accéléré avec les progrès technologiques.
Les horloges ont éclaboussé leur précision de machine lorsque des gares ont été construites pour accueillir les trains. Et les trains avaient changé les repères en dépassant largement les vitesses de voyage en vigueur avant eux. Du pas de l’homme, du galop des lourds chevaux postiers, l’humanité passait soudain à la vitesse de la machine, démesurée. La mobilité qu’elle apportait rangeait la mobilité humaine au grade de quasi immobilité en quelque sorte.
Et tout s’est accéléré au fil du 20 ème siècle, puis encore plus par la suite avec des informations capables de parcourir le monde en quelques minutes seulement!
Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne était visionnaire et il est largement dépassé aujourd’hui.
Sociologues et philosophes se sont emparés de ce sujet contemporain à l’instar de l’allemand Hartmut Rosa dans son livre : Accélération. Une critique sociale du temps » (Beschleunigung. Die Veränderung des Zeitstrukturen in der Moderne)Traduit de l’allemand par Didier Renault, La Découverte, 2010
Nos animaux ne savent pas lire l’heure.
En leur compagnie, nous apprenons leur monde.
Qui n’a jamais passé un long moment à seulement caresser son chien, à rêvasser avec un chat ronronnant sur les genoux, à faire briller la robe d’un cheval patient ignore cet enseignement.
Avons nous conscience de ce qui nous est offert là?
Cette clé d’un temps très relatif?
Je n’en suis pas certaine.
Trop souvent,
Ces instants pausés,
Sont autant de simples bulles qui nous mènent vers la bousculade sur l’air de « Oups, j’ai pas vu le temps passer, j’ai tant à faire, viiiiiiiiite…. »
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Prodigalité
J’avais en tête le mot générosité pour ce billet tout en me disant que c’est quand même très « humain » la notion de générosité.
En cherchant parmi mes billets, un seul utilise le mot « générosité » et c’est tout à la fin du billet qu’il débarque, et c’est un extraordinaire souvenir qui remonta en le lisant.
Il date de 2019 et je n’avais pas encore renoué avec les chevaux.
En parcourant la lexicographie à la recherche d’un mot mieux ajusté à mon propos, j’ai trouvé « prodigalité » et comme, tout à fait par hasard, le p’tit pur sang à l’origine de ma réflexion s’appelle Prodi. (abrégé de Prodigal Son) j’ai validé le titre bien qu’il soit un peu imparfait à mon goût.
En ce mois de juillet très humide, je vais parfois cueillir des chanterelles après ma session à cheval. Grâce aux pluies printanières et désormais estivales, la forêt a retrouvé un état de fraicheur qu’elle avait perdu les années précédentes et les plantes en profitent avec exubérance parfois, les chanterelles aussi.
Je vais donc « sur mon spot » et je ramasse uniquement ce dont j’ai besoin pour ma poêlée du diner. Inutile de faire des stocks ; je suis heureuse de prendre une toute petite part en reconnaissant qu’elle sera bien suffisante pour me régaler.
J’ai l’impression de « respecter la nature » en agissant ainsi.
Mais quel est le rapport entre mes cueillettes, les chevaux, l’équitation et le p’tit Prodi ?
J’y viens.
Il y a un peu plus d’une semaine, un dimanche comme un autre, j’étais en fin de session équestre et je tentais pour la première fois une transition trot-trot plus lent-trot (nous sommes encore très loin des termes pompeux, le p’tit n’a que 4 ans). Et là, il y eu un instant suspendu. Dans la demande de ralentissement, Prodi a trouvé le moyen de me sortir trois foulées merveilleuses, en parfait équilibre, relevées, souples, gracieuses. J’ai aussitôt ouvert les doigts afin qu’il aille de l’avant, je savais l’effort physique qu’il donnait pour réaliser « ça » et il n’est pas encore prêt pour « tenir » longtemps.
J’avais cependant des étoiles plein le ventre : « wahoooo, il sait faire ça, wahooo ».
Après un tour du manège, au même endroit, je lui ai redemandé et, banco, il me redonna !
Magique.
Nous sommes restés là-dessus, et je lui ai indiqué la direction du fond de la propriété, là où l’herbe est bien grasse, là où il aime brouter.
Le reste de la semaine, j’ai suivi mon programme, celui qui prévoit des exercices simples, à la portée du jeune cheval. Mais à partir du mardi, il devint un peu bizarre, moins allant, un peu rechignant à l’ouvrage.
C’est à cause du temps maussade me dit l’une sous la pluie
C’est à cause de la chaleur m’a proposé une autre le lendemain sous le soleil.
Cette année, les chevaux sont « mal » avec cette météo bizarre finit par conclure une troisième qui passait par là.
Mouais… Je connais l’influence des conditions météorologiques sur mon énergie, mais là il se passait autre chose, j’en était certaine.
Et c’est grâce à ma cueillette de chanterelles que j’ai compris.
Parce qu’il m’avait donné, sans intention, simplement donné/offert comme seul sait le faire un animal dénué de la moindre intention humaine, j’ai pensé que je pouvais prendre un peu plus.
Prendre un peu plus, c’est à dire le considérer d’un coup plus grand qu’il était.
C’est amusant d’écrire « ça » moi qui fut considérée pour « plus grande » que mon âge simplement à cause de ma taille élevée de petite fille ! Certes je me suis adaptée coûte que coûte mais je me souviens encore des « interdictions » qui en découlaient sur l’air de « tu es grande » alors que dans ma tête j’avais seulement l’âge de mes artères. J’en ai souffert et j’ai fait avec, fièrement.
Mais fi d’antropomorphisme !
J’ai la chance d’avoir trouvé un cheval « tout neuf » qui s’exprime sans arrières pensées.
Et j’ai la chance d’avoir tellement de temps, tellement pas d’objectifs, tellement de plaisir à l’accompagner comme il est, que je l’écoute attentivement.
Après cette « révélation » de ma « lourdeur » à son égard, j’ai redonné des rênes dès le lendemain et « mon Prodi » est redevenu le p’tit cheval plein d’entrain et de générosité que je connais.
Pas plus tard qu’hier, il est venu de lui-même se « placer » pour me dire une nouvelle fois qu’il saura faire, un jour, quand il sera plus grand.
L’amour n’est rien d’autre qu’une joie concomitante à l’idée d’une cause extérieure
Baruch Spinoza, Éthique, III, 13
Equilibre
Avant de titrer un article, je fais systématiquement un tour des archives du site. Ainsi j’ai le plaisir de relire des vieux billets, de sourire souvent et toujours de constater à quel point mon cap reste le même malgré le temps qui passe.
J’ai trouvé pas moins de 60 billets contenant le mot « équilibre » et pas un seul ne porte ce mot en titre.
Je peux donc tranquillement l’afficher aujourd’hui.
Si je m’apprête à examiner ce sacré mot à travers le regard des chevaux et de l’équitation, je ne résiste pas à partager ce lien qui raconte une bribe de mon chemin de vie, de l’équilibre que je cherche et que je trouve parfois, funambule sur un fil tendu entre mes paradoxes.
Ce mot « équilibre » sonne, résonne, questionne, interroge le monde de l’équitation, infiniment!
Il suffit d’aller faire un tour du côté de la lexicographie pour réaliser à quel point chacun peut raisonner selon la définition qu’il choisit et se trouver facilement en désaccord avec l’interlocuteur qui pense selon une définition voisine.
Ce serait finalement une situation assez commune, ne méritant pas de s’y attarder, si ce mot là ne constituait pas une des bases de l’enseignement équestre et une des préoccupations majeures de tout cavalier souhaitant progresser.
Equilibre du cheval,
Dans son corps, dans sa tête, dans son environnement.
Equilibre du cavalier,
Dans son corps, dans sa tête, dans son environnement.
Equilibre du couple, c’est à dire équilibre du cheval monté par son cavalier,
Cheval et cavalier ensemble, corps et mentaux conjugués, dans l’environnement x, à l’instant t !
Les manèges résonnent souvent d’une litanie de sentences :
« T’es pas en équilibre »
« Ton cheval n’est pas en équilibre »
« Cherche l’équilibre »
etc
Et au milieu des injonctions diverses et variées le cavalier se perd, cherche en vain, espère un compliment tandis que ni lui, ni sont cheval ne tombent, ce qui laisse imaginer qu’il existe un certain équilibre quelque part !
Avec le développement des hautes technologies, des ingénieurs s’affairent et publient des données afin d’essayer de définir un équilibre scientifique.
Dans le même temps, de manière tout à fait empirique, des cavaliers s’affairent avec leurs chevaux afin d’atteindre « leur équilibre avec leur cheval » dans la discipline convoitée, poussant parfois l’audace jusqu’à souhaiter le meilleur dans des disciplines aussi différentes que le dressage et le cross, courant après un « équilibre en général » qui n’existe qu’en particulier.
Dans ce microcosme parfois uniquement équin, parfois aussi équestre, comme dans tous les autres, les spécialistes sont désormais aussi nombreux que les pages offertes par les réseaux sociaux. Et tous s’affirment spécialistes très compétents en recherche.
Dans un autre microcosme qui fut mien, j’avais pu constater, vivre, expérimenter, le formidable effet de l’accès à la toile pour la « démocratisation » de l’information… et de la désinformation associée.
« L’outil électronique Internet offre l’opportunité de surmonter ces obstacles pour une communication libre. Il signifie la chance historique pour faire progresser de la liberté de la presse à la liberté de communication et de ce fait démocratiser l’information (bien que cela implique aussi la démocratisation de la désinformation): Tout citoyen a le droit de publier information dans tout le monde, et tout autre citoyen a le droit de recevoir, de juger, et de l’utiliser lui-même, sous sa propre responsabilité. »
PhD E.Winkler 2003
Et voilà donc que je poursuis l’aventure de la recherche assidue de l’équilibre, au sujet de l’équilibre !
Curieuse et gourmande, je me plais à lire tout ce qui passe, et à le situer, et à y porter une grande attention sous tous les angles pour finalement à revenir à mes classiques, et surtout au juste milieu qui m’est si cher.
C’est formidable.
C’est passionnant.
Effrayant aussi.
C’est une porte grande ouverte sur une immense solitude.
Car si je peux passer d’un raisonnement individuel à un raisonnement général en étant au fait des biais cognitifs à franchir, je suis absolument incapable de passer d’un raisonnement manichéen à une recette convenant à tous.
De l’imprévisible (bis)
Il s’appelle Prodigal Son.
Son père est un étalon de renom.
Sa mère, Pearls of Wisdom (perles de sagesse) est anglaise.
Si les chevaux avaient la moindre conscience de ce qu’ils sont devenus dans l’actuelle industrie des loisirs, celui-ci pourrait aller faire un tour chez le psy afin de chercher à comprendre l’imprévisible qui lui est tombé dessus : Comment, lui, fils de star, porteur des plus grands rêves, a-t-il pu se retrouver si près de la fin avant même ses quatre printemps ? En quoi avait-il « fauté » pour en arriver là ? Et est-ce vraiment une chance d’avoir été récupéré dans le couloir de la mort pour atterrir en bord de Loire, désormais dépourvu de ces attributs mâles qui faisaient une partie de sa valeur ?
Voilà deux semaines et trois jours que j’ai fait la connaissance de ce cheval. Le lendemain je devenais officiellement sa propriétaire, c’est à dire que le numéro du transpondeur électronique qu’il porte sous la peau depuis son plus jeune âge est passé du nom de son propriétaire « naisseur/éleveur/entraineur » au mien.
Un cheval est davantage un objet qu’un sujet.
Et, c’est un véritable sujet de réflexion.
Tout autant que cet imprévisible qui reste tellement présent dans mes pensées et survient inévitablement sans… prévenir!
Lorsque j’ai vendu « mon dernier » cheval, abandonnant l’idée de compétition et du « travail » des chevaux en ce sens, je n’imaginais pas un jour replonger.
Je me suis contentée de collectionner les chevaux « objets » de décoration et évertuée à refuser toute proposition consistant à m’approcher du moindre cheval.
C’était en fait une tentative folle destinée à oublier qu’il existe un virus qui touche l’âme elle-même et dont il est impossible de guérir, un virus que je ne saurais décrire avec des mots, un virus qui s’exprime très différemment d’une personne à une autre… mais un sacré virus!
J’entends parfois que l’avancée en âge facilite l’accès à la sagesse.
Autrefois j’aurais pu parler de folle sagesse, mais aujourd’hui, le terme est malmené par les gurus commerçants.
Alexandre Jollien, lui, joue avec la locution « Sagesse espiègle » entremêlant sage folie et folle sagesse dans une prose tournée vers une « spiritualité » contemporaine de type « fast-food » que je ne peux pas comprendre.
Exit donc et la sagesse et la folie.
Mais…
… Que m’arrive t-il dans ce passage vers l’adolescence de l’autre extrémité de la vie ?
Difficile d’en parler sans risque.
L’autre jour tandis que j’annonçais au propriétaire de l’écurie (dans laquelle j’ai débarqué il y a environ neufs mois) que j’allais finalement acheter un cheval, il me renvoya quelques mots tout en me regardant du fond de son coeur : « je vois bien que tu aimes ça » et à ces mots, mon coeur est remonté au fond de ma gorge, formant cette « boule » un peu spéciale qui fait monter les larmes aux yeux. « Oui, tu peux dire ça comme ça » ai-je répondu en baissant la tête pour masquer l’émotion qui m’envahissait.
Et L’imprévisible alors ?
Et bien, c’est certainement cette urgence de vivre encore plus loin, urgence qui m’a poussée à devenir une fois encore propriétaire d’un cheval.
Je ne l’ai pas du tout vue venir.
Une urgence sans objectifs.
Et avec beaucoup de temps pour demander peu, demander souvent comme les anciens maîtres l’exigeaient.
Et avec une force physique déclinante, obligée d’exiger délicatement, avec une précision d’orfèvre.
Et avec au fond de mon âme une immense reconnaissance.
« Monter à cheval, c’est partager sa solitude »
Bartabas, D’un cheval l’autre, Gallimard 2020
Histoire d’adolescence
Le temps qui passe apporte son lot de questions, sans questions il serait terne.
En 2023, j’ai accepté l’idée d’abandonner l’état « actif » ce qui signifie que sur les listes proposées à la fin des interrogatoires statistiques, je dois cocher l’ultime case, celle dans laquelle il est « normal » de mettre toutes les personnes qui vivent au crochet des « actifs », ceux qui cochent les cases d’au dessus. Dans ces bas-fonds, plus question de titres ni de diplômes, plus question de qualification, c’est l’antichambre vers l’oubli.
Les « boomers », ces « vieux schnocks » d’aujourd’hui disparaissent petit à petit, les plus célèbres offrant un espace aux spécialistes en nécrologie d’autant plus qu’ils se sont désespérément accroché à leur célébrité. Car certains sont incapables de laisser leur place aux jeunes, que ce soit en politique, dans le showbizz, partout où l’existence est intimement liée à l’exposition médiatique.
Enfant, je regardais les films western sur l’unique chaine de la télévision qu’il me fallait aller regarder chez ma grand-mère les jours sans école. Aucun salon ni aucun canapé à l’époque, c’est assise sur une chaise en paille devant la table de « salle à manger » que nous regardions la boite magique en sirotant du « pschitt » et en mangeant une tartine « beurre-chocolat ».
J’étais toujours « pour » les indiens.
J’étais fascinée par ces « sauvages ».
Un jour, je fus marquée par l’histoire d’une vieille femme qui s’éloignait de la tribu. Devenue inutile, elle partait finir ses jours au loin, seule afin d’éviter de devenir un poids pour les siens.
Je fus marquée.
Marquée au point de me dire que j’en ferai autant, un jour, lorsque le moment viendra.
Las, le temps des « indiens » est terminé.
Ni l’environnement sociétal ni l’environnement tout court ne se prête plus à ce genre de « disparition ».
Aujourd’hui, de mon point de vue, la personne vieillissante, vit une espèce d’adolescence à l’envers, un temps entre l’âge adulte (époque de productivité et de cotisations sociales) et l’ultime vieillesse croupissante qui parfois s’étiole infiniment dans les établissements spécialisés parce qu’il est interdit d’achever les humains, quand bien même ils ne sont devenus que charges et soucis incapables de communiquer.
Donc, me voilà vaillamment et joyeusement entrée dans cette drôle d’adolescence !
2024 marque mon retour en adolescence.
Une preuve s’il en était besoin : je monte à nouveau à cheval quasiment chaque jour.
Car le mot « adolescence » est une affaire de bavardage, de signifiant donc comme l’écrit le psychanalyste B.Nominé :
Et, je remarque que la première partie de l’article telle qu’elle apparait sur l’image ci-dessus pourrait tout à fait être plausible en remplaçant « jeune » par « vieux » ainsi il serait possible d’écrire :
« Je propose donc de situer l’adolescence entre la réalité biologique de la « ménopause/andropause » qui est un évènement du corps qui s’étiole, et le bavardage. »
Et plus loin :
« Ce qui va donner un statut à la vieillesse, et c’est la qu’on va trouver l’adolescence, c’est le fait de séparer les vieux des adultes au moyen de la retraite. »
Ca me fait rire.
Ce genre d’humour me comble sans jamais me désoler.
Le petit pur-sang
Et hop, depuis hier nous entrons dans un nouveau cycle, le solstice d’hiver est passé, désormais les journées vont aller en s’allongeant et je suis super contente d’avoir, une fois de plus survécu à ce passage de l’année où la nuit est trop longue.
Ca fait un bout de temps que je connais mon besoin viscéral de lumière et il est fort probable que mon goût prononcé pour les activités d’extérieur en soit la conséquence.
En parlant de cycle, je me permets de faire le lien avec le billet précédent, car le présent ne saurait être saisi sans avoir pris connaissance de celui qui vient avant, avec tous les liens qu’il contient et certainement davantage.
A peine quelques semaines après avoir mis en ligne un billet dans la section Cheval, ma « routine » avait déjà changé. Je laissais B. et I. sans aucun regret. Après environ neuf mois passés, auprès d’eux et de leur propriétaire, il était grand temps de m’enfuir, j’avais besoin de liberté renouvelée.
S. le petit pur-sang était là.
Il est encore là.
Pour combien de temps ?
Les rêves sont faits pour être vécus et j’en ai vécu des centaines !
Pourtant,
J’ai jamais été bien douée pour dire à quoi je rêvais.
Par contre, j’ai toujours eu et des besoins et des désirs.
Posséder un cheval fut un désir fort.
J’ai assouvi ce désir des années durant.
Alors que le crépuscule de ma vie est bel et bien arrivé (en ce sens lexical de ce qui décline, décroit, doit progressivement disparaître), posséder un cheval correspond à un passé sans plus d’avenir. En conséquence, je « partage » désormais les chevaux et donc le petit pur-sang S.
Je « partage » en étant du côté consommatrice, l’autre côté appartient au propriétaire.
Comme en toutes choses, il y a des avantages et des inconvénients.
Il a fallu que je trouve l’équilibre entre mes paradoxes.
Et pour arriver à un semblant d’équilibre, il faut toujours accepter de tomber.
Et c’est là que la vie fut, une fois de plus très espiègle!
Jamais dans ma vie de cavalière je n’ai été confrontée à des chutes graves, coup de bol sans doute.
En fait, la chute ne fut pas un « truc » fréquent pour moi et pourtant, j’ai passé beaucoup, beaucoup d’heures à cheval.
Alors, en cette année écoulée, me retrouver par trois fois séparée d’une monture est un évènement que j’ai bien noté et même surligné.
Si je peux analyser ces « séparations de corps » et en remettre la faute entière sur mon propre dos (qui se porte tout à fait bien, merci l’air-bag pour les deux dernières), je dois remarquer que la dernière a tutoyé le ridicule au point qu’une adorable cavalière spectatrice, en me tendant les rênes d’un S. tout sage dit innocemment « Tu fais le clown, hein? C’est ça ? »
Je pense sincèrement qu’il fallait que j’en arrive là.
Non seulement il me fallait accepter de tomber (y compris symboliquement) mais surtout, il fallait absolument que je laisse tout tomber.
(Cette année 2023 n’est-elle pas aussi l’année où je suis rentrée dans le groupe des personnes profitant de l’argent « cotisé » par les « actifs » ? Arffff… ce qui signifie que je suis devenue non-active! Pffffff)
– les projets que j’ai plus mais que mon imagination s’acharne à dessiner en filigrane
– l’audace de revendiquer un certain savoir partageable
– toute forme de prétention en tout et rien
– etc
Oui, j’en souris encore.
J’ai fait le clown
Probablement dès le premier jour où j’ai débarqué aux écuries, encore boiteuse, appuyée sur une béquille.
Ai-je jamais été vraiment sérieuse?
J’ai passé l’âge, non?
Seuls les enfants et les plus jeunes ont la certitude de leurs convictions.
Plus tard, chacun joue le jeu, et y croire en fait sûrement partie.
Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.
Ces derniers jours, lorsque S. voit arriver ma silhouette du fond de son pré, il lève la tête et pousse un petit hennissement. C’est nouveau.
Peut-être est-ce sa mode du moment avec toute personne arrivant en sa direction?
Je l’ignore.
Au son de ce hennissement, je sais qu’il ne manifeste ni crainte ni agressivité, mais en déduire quoique ce soit d’autre relèverait de mon interprétation émotionnelle humaine.
Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.
Oui, je répète!
Et certainement qu’en laissant tomber un bon paquet de « trucs » au fil du temps, j’ai laissé tomber aussi pas mal d’attachements vains.
La suite reste à vivre.
Passionnément
Avec gourmandise,
Et des journées qui s’allongent à nouveau!
PS : j’avais écrit « petit » appaloosa comme j’écris aujourd’hui « petit » pur-sang.
Jamais je n’ai mis ce qualificatif accolé avec I ou B, eux que je qualifiais de « couple princier »!
C’est que « petit cheval », à l’image de « petit vieux » est détaché de la taille mesurée.
Petit signifie : origines modestes, vie normale sans coup d’éclats, aptitudes ordinaires.
Qui est « petit » doit coûter à minima et si par hasard un « petit cheval » finit par rapporter un peu plus qu’il ne coûte, il deviendra peut-être un « bon petit cheval »!
Tout est contenu dans le regard que l’humain qui le côtoie lui porte.
La norme
En faisant le tri dont il est question ici, j’ai retrouvé cette image de terminale avec la « chemise » paraphée par les quelques unes qui avaient accepté de le faire.
Quelle courageuse la « Elizabeth » qui écrivit « C’est ça joelle, une folle bien gentille »!
Elle faisait partie des « blouses bien boutonnées » à l’opposée des richissimes bourgeoises qui osaient défier la direction en refusant la blouse.
J’étais timidement entre les deux, portant ma blouse sale et jamais boutonnée sans passer le cap de l’abandonner… C’est difficile l’adolescence, j’essayais en vain de ressembler aux autres sans avoir d’exemple précis, je savais pas vraiment ce qu’était « la norme » dans ce lycée public mais huppé des années soixante-dix. La terminale était un microcosme bizarre où se côtoyaient les filles du quartier (le quartier le plus riche de Lyon) et les meilleures élèves d’ailleurs, de banlieue même comme ma pomme, les meilleures élèves qui étaient aussi les plus jeunes, les moins aguerries.
Ma vie était en dehors et encore, je cherchais.
J’avais plusieurs vies, déjà… chacune dans un microcosme bien précis que j’habitais en équilibre toujours précaire.
J’ignorais, pendant cette traversée là, j’ignorais que je tentais désespérément de me couler dans une norme que j’ai toujours été incapable de simuler totalement.
Il a fallu de nombreuses années pour que j’accepte ma solitude et que je prenne à bras le corps la joie de cheminer en sa compagnie.
Il a fallu que j’étudie avec acharnement pour découvrir la relativité, les injonctions paradoxales qui mènent à la folie pour de vrai et l’absence de limites, donc de normes.
J’ai alors passé un peu de temps à déconstruire cette histoire de norme, moquant la fameuse courbe de Gauss, cette courbe mathématique qui s’appelle aussi « courbe de la loi normale », une courbe mouvante en fonction de ce qu’on lui fournit. Une courbe ni vrai ni fausse, un exercice statistique sans plus.
Et désormais, alors que je suis entrée de plein pied dans le rayon des vieux, je peux me permettre de questionner cette obligation faite à cette grosse partie de la population française née pendant les trente glorieuses de « rester normale » autant que possible, d’appareiller ses oreilles, ses yeux, d’opérer ce qui peut l’être pour garder la peau ferme, les poils doux, les cheveux colorés, de se doper un peu afin de garder des réflexes au taquet.
Comme j’en ai parlé (ici) les enfants sont souvent considérés comme des adultes miniatures, de l’autre côté les vieux sont considérés comme des adultes un peu abimés. La norme c’est l’âge adulte, la force de l’âge. Où commence t-elle la, où s’achève t-elle cette norme ? Là est la question!
Dans le nouveau décor
« La sagesse se trouve exactement où tu es, il suffit de passer de l’autre côté du désespoir ».
De l’autre côté du désespoir, André Comte-Sponville, Edition Acarias-l’Originel, 1997
EAN: 9782863160657
Une chose est certaine le changement de décor fut celui qu’il me fallait.
Les quelques jours où je m’y suis immergée en accompagnant une de mes petites filles au « stage poney » ont achevé de me convaincre.
Le lieu est paisible.
Les cavaliers qui le rejoignent sont tranquilles, souriants et simples, tous passionnés évidemment.
Autour de l’île qui héberge les chevaux, la Loire s’écoule, imperturbable.
La marée monte.
La marée descend.
Le paysage est à la fois changeant et permanent.
Exactement ce dont j’avais besoin.
Le cheval aux crins lavés par le soleil se révéla très touchant.
Certainement parce que c’est un vieux cheval.
Mais ma propre vieillesse,
Ma propre expérience des limites imposées par l’âge qui avance,
A mon propre corps de vieille athlète,
Me donnent une sensibilité que les « jeunes » ne peuvent pas avoir.
Dans chacun des exercices que je lui demandais, je sentais la subtile difficulté, la non-décontraction réelle. Un peu « warrior » à sa manière de cheval, il donne sans hésiter, certainement parce qu’il est fait pour ça et en plus formaté « pour ça » depuis de nombreuses années. Mais en réalité ça tire, et séance après séance je me sentais devenir une espèce de kiné spécialisée pour l’inviter à se mouvoir le plus souplement possible, à s’étirer, à mouvoir chacun de ses muscles pour les préserver encore un peu du passage du temps qui passe.
Et force fut de constater que dans les années qui me restent pour monter à cheval, je n’ai aucune envie d’être une soignante et encore moins de payer pour ça!
Il fallait donc trouver une autre monture.
Dans le même décor!
Par chance un petit pur-sang est arrivé récemment.
Sans hésiter, j’ai suivie la proposition de l’essayer.
Je fus prévenue : il ne sait rien faire, il est complètement à l’envers.
Et c’était déjà un programme possible qui m’enchantait.
Mais il fallait essayer, « voir » de moi-même.
Et oui,
Jeune, éduqué mais sans aucun bagage « technique », il a tout à apprendre et en premier comment marcher sous la selle avec harmonie.
Lui aussi est super gentil, exécutant approximativement ce qui lui est demandé de fort simple, mais à la manière d’un gamin, à l’arrache, par soumission, sans enthousiasme.
Banco!
J’étais super heureuse hier en quittant la belle île.
Il y a de l’avenir à écrire.
J’ignore lequel.
Mais l’important est là,
Plus loin.
J’avais ce besoin intense d’imaginer encore un « plus loin ».
Il fallait qu’un brin de jeunesse,
Vienne stimuler ma pensée,
Avec toute la non-intention dont un cheval est capable.
Warrior
Après ma dernière aventure qui fut l’occasion d’annuler tout projet de randonnée estival et de revoir aussi le sens de l’équitation que je désire, j’ai repris quelques activités. Puis, naturellement de plus en plus au fur et à mesure qu’un mieux-être se dessinait.
J’ai sans doute trop vite accéléré, de nouvelles douleurs sont sorties de nulle part, des tensions, des contractures d’autant plus difficiles à supporter que j’avais l’impression d’avoir déjà bien encaissé.
J’aurais vraiment apprécié approcher de la fin du passage.
Sauf que la vie est espiègle et imprévisible.
Et puis, il y avait quand même un planning à respecter : l’obligation d’être la grand-mère de service pendant une semaine.
Il fallait donc tout mettre en place pour réussir le challenge.
Certains peuvent se hâter d’affirmer que le « stress » précédent conjugué au désir d’être à la hauteur pouvait lui-même être la source de la recrudescence des tensions.
Ce serait aller vite en besogne.
Je me savais encore physiquement fragile et je connais les besoins des jeunes enfants, leurs demandes brouillonnes comme leur présence bien ancrée dans leur propre monde, tous incapables de « comprendre » ce qu’un adulte vieillissant peut ressentir.
J’avais accepté le challenge des mois plus tôt et j’étais en état de le relever avec quelques aménagements : pas question de courir la campagne, de sauter les marches dans les musées ni de courir après les papillons ; il restait tant à faire !
J’ai entamé la semaine comme une course d’endurance (j’ai un joli passé, donc une bonne expérience en la matière). J’étais encore vivante à mi-parcours et j’ai relevé le défi jusqu’au bout.
Ce faisant, très peu de temps restait libre pour prendre soin de mes douleurs, pour aller à la piscine, pour étirer chaque tendon trop tendu.
Le week-end est passé, il restait seulement un lundi de « garde » à assurer.
Je suis de nouveau partie en mode warrior pour assurer le service qui m’était demandé.
Auparavant, j’avais longuement réfléchi à la situation qui est la mienne aujourd’hui.
.
A l’époque où je faisais du sport en compétition, je regardais avec interrogation les « vieux » qui cherchaient à se faire valoir en courant après leur jeunesse.
Bien que j’ai cessé assez tôt de challenger corps et mental dans des défis sportifs insensés, j’ai continué à repousser mes capacités d’endurance dans mon activité professionnelle.
Combien de nuits blanches successives m’obligèrent-elles à survivre coûte que coûte?
Combien de temps passé à courir d’une vie à l’autre, des exigences maternelles aux exigences professionnelles, toujours sans faillir ?
C’était important que je le fasse.
Qu’avais-je donc à prouver ?
Quelles reconnaissances avais-je donc à quêter ?
Dans quel but ?
Aujourd’hui, je sens qu’il est plus que temps d’abandonner le terrain.
Que pourrais-je encore prouver ?
Vis à vis de qui ?
Et pourquoi ? Car je sais désormais que l’autosatisfaction est l’unique véritable récompense.
Vieillir, c’est disparaitre à petit feu.
Disparaitre de la vie professionnelle,
Disparaitre des compétitions sportives,
C’est chercher désespérément du sens,
« A quoi ça sert de se décarcasser » questionnait une publicité en 1978.
Qui s’en souvient ?
Vieillir, c’est certainement accepter le début de la fin,
Baisser les armes,
Cesser toute compétition
Et cependant poursuivre les échanges.
Parce que les échanges sont la base de ce qui fait société.
Coûte que coûte, donc.
Car jamais il ne sont gratuits.
Oui, selon la définition je suis une warrior, en ce sens que je suis vieille.
Et j’aspire à la tranquillité,
A la non compétition
A prendre soin de mes vieux os avec plus d’attention que jamais,
Afin de pouvoir,
A l’occasion, prendre encore soin des autres avec plaisir,
Pour le simple plaisir d’avoir l’impression d’exister encore.
Changement de décor
Un passage s’achève, je suis à nouveau à cheval.
Demain, je vais retrouver avec joie le « couple princier » qui parait-il m’attend avec impatience. (photo de la princesse)
En attendant les retrouvailles, aujourd’hui j’ai « essayé » un cheval afin d’avoir l’occasion de monter en semaine comme je le faisais avec le petit appaloosa.
Ce matin donc, je suis allée observer puis monter un cheval dont la propriétaire cherche un(e) volontaire pour partager les frais de pension. Et les frais sont conséquents puisque le cheval loge dans un centre de « bien-être » offrant de nombreuses installations.
Trois couples cheval/cavalière s’offrent à mon attention en ce moment et il va falloir choisir sur lequel je jette mon dévolu.
Deux couples utilisent les installations d’un centre situé au nord de Nantes, un autre utilise les installations d’un club de propriétaires un peu au sud.
Me voilà donc partie pour une nouvelle aventure dans de nouveaux environnements.
Cool et sympa, les environnements, j’ai fait le tri, bien évidemment!
Donc, après avoir fait la découverte et l’exploration de « c’est mieux au pré » mâtiné de « je déteste l’équitation classique », je suis en train de rentrer au coeur du business « équitation classique ». Ici les labels sont rois, dont l’indispensable « bien-être animal » sans lequel les animalistes sur canapé ruent beaucoup trop dans les brancards.
Et bien, c’est pas triste.
Bon… C’est du business
Et ce sont des humains très humains de chaque côté.
De bons commerçants d’un bord, de bons consommateurs de l’autre.
Une fois de plus mon exigence d’absolu se trouve bien bousculée
Et ainsi va la vraie vie,
A la recherche d’un certain équilibre sur le fil tendu entre mes paradoxes.
Funambule plus que jamais,
J’observe,
Je constate.
Par exemple, dans le club du nord, j’interroge le « c’est tellement mieux au pré » en notant que les chevaux les plus chers, les mieux bichonnés et les plus importants, vivent en boxe.
Une petite armée de petite mains est à leur disposition pour maintenir leur matelas/litière impeccable, pour leur permettre de se dégourdir un peu les jambes dans un paddock chaque jour et pour veiller sur leur accoutrement afin qu’il soit adapté à la saison. Nourris avec attention grâce à des aliments appropriés pour chaque régime, je les vois ces chevaux « stars », la tête à la « fenêtre » guettant leur voisin de palier. Attentifs aux humains qui déambulent, ils sont prompts à tendre le cou pour attraper ce qui passe, pour jouer les espiègles ou taper dans la porte afin de se faire remarquer. Souvent aussi, ils font la sieste.
Bien tranquilles à l’ombre, dans le calme de leurs boxes bien propres, j’ignore à quoi ils rêvent.
Ces chevaux là vivent comme au siècle dernier…
Et puis, il y a les autres, le vulgum pecus, ceux qui vivent en troupeau… mais en club.
Il parait que « c’est bien » de vivre en troupeau, les propriétaires en sont certains, et c’est sûrement pas parce que c’est plus économique, non.
C’est seulement plus « étho- logique » selon les préceptes à la mode !
Ces chevaux là vivent sur une plaine terreuse.
Aucune paillasse n’accueille leur repos, ils sont hébergés « à la dure ».
En cherchant bien, au loin de l’entrée, quelques brins d’herbe persistent et « c’est cool » car pour grignoter ils faut qu’ils marchent ces braves chevaux, voire qu’ils fassent la preuve de leur détermination pour grappiller à la place d’un moins entreprenant.
Ils ont l’obligation de s’affirmer, de lutter.
Du foin est déposé dans d’immenses mangeoires, l’eau stagne dans des bacs et dans un coin il y a un distributeur de grains.
Dans cette « écurie » d’un nouveau genre, chaque cheval est muni d’un collier électronique et reçoit sa ration lorsqu’il se présente devant « la machine, c’est à dire que deux à trois fois par jour (selon son régime) le passage du collier électronique devant le badge délivre une dose de granulés.
De fait les chevaux font la queue devant le distributeur.
Certains passent et repassent, espérant sans aucun doute qu’un miracle se produise. En vain.
Et puis, il y a les plus rusés qui campent pas trop loin et rappliquent quand ils entendent le grain couler, poussant celui à qui la ration était destinée pour s’en emparer.
C’est un monde merveilleux où les chevaux sont certainement très heureux comme le sont les chevaux sauvages qui n’existent plus.
Elle est quand même super bien trouvée cette hypothèse selon laquelle la vie sauvage rend heureux.
Impossible de m’empêcher de penser aux humains qui imaginent toujours que l’herbe est plus verte ailleurs !
Quel couple vais-je choisir ?
Sur quels critères ?
J’ai déjà une petite idée.
Mais comment pourrais-je déjà vendre la peau de l’ours alors que je n’ai posé mon derrière que sur un seul des trois chevaux en lice?
Certes, je les ai tous vus.
Certes j’ai déjà bien discuté avec les propriétaires que j’ai aussi vu en selle dans une carrière.
Mais,
C’est un couple que je dois choisir,
Donc,
La patience est de mise.
(à suivre)