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Le temps est la clé

« Ils peuvent tout faire entrer dans leurs calculs sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains »
C.Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001

Sans être vraiment capable de donner une définition précise à la grâce, j’ai recopié des centaines de fois cette phrase en illustration de propos très variés. Le livre qui la contient est marqué à la page sur laquelle elle trône en tête.
Une fois de plus je la note ici, elle résume un flot de pensées débarquant après une session en compagnie du p’tit pur-sang.

J’ai l’immense chance de ne plus avoir d’autre objectif que le plaisir.

Autrefois bien que la patience ait toujours fait partie de mes outils, autrefois j’avais des objectifs sportifs.
Je mesure aujourd’hui à quel point ces objectifs étaient aussi ceux d’un passage de vie, à quel point je reprenais les arguments qui m’allaient bien pour les mettre en oeuvre, parfois dans la souffrance.

C’est vraiment toute une aventure que celle qui consiste à traverser la Vie en se nourrissant au jour le jour de façon très éclectique tout en gardant le cap afin de rester qui nous sommes en réalité.

Désormais dans l’éducation de ce nouveau cheval, j’avance avec une patience plus grande que jamais. Chaque jour est un cadeau.

Il n’a rien demandé ce petit cheval.
Personne, aucun être vivant ne demande rien le jour où il vient au monde, sinon de pouvoir se nourrir, grandir s’élever, en paix. C’est un fait.
Pourtant, dans l’environnement, dans chaque société, il faut faire ses preuves pour exister et il existe mille voies pour y parvenir.
Pour ce qui concerne les animaux domestiqués, à l’instar du cheval, il s’agit de rentrer dans le cadre pour lequel il a été conçu et de montrer au plus vite s’il convient ou pas.
Il parait que le temps c’est de l’argent!
Le p’tit Prodi a faillit. Il fut nul sur la piste de galop.
Réformé.
Son avenir tenait à un fil et il suffit de lire les petites annonces pour constater comment les marchands de chevaux valorisent « les tas de viande » : ils les bousculent, exigent d’eux la réalisation de consignes inconnues, les obligent à franchir des barres, l’objectif étant de les faire rentrer dans un nouveau cadre au plus vite.
Le plaisir est étranger.
Du côté du marchand comme de celui du cheval.
Quoiqu’en dise… le marchand!

Le temps est la clé.
Une clé en or pur.

Les animaux ne savent pas lire l’heure !

Là est peut-être la grâce.



De la patience joyeuse


Histoire d’un jour.

Je m’étais levée bien avant l’aube.
Avant même de réussir à mettre de l’ordre dans mes pensées encore endormies, débarqua le souvenir de la veille. Sur le chemin de l’écurie, une belle jument pangarée m’avait offert une succession de transitions dans une attitude légère quasi parfaite. Rien d’extraordinaire pour qui ne regarde que les parades de cinéma, mais un simple bonheur s’était invité dans l’instant.
Ce petit matin là, j’en gardais la saveur intacte.

Dans l’avion, incapable de m’assoupir, j’avais fini par ouvrir ma tablette sur les derniers enseignements de F.Baucher (recueillis par le General Faverot de Kerbrech si cher à l’écuyer mirobolant que fut E. Beudant)
Pour la énième fois, je relisais l’entrée du chapitre « Progression » :
« On veut toujours aller trop vite. Pour arriver promptement, ne pas se presser mais assurer solidement chacun de ses pas.
Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup. »

J’étais en avion. 
Nous nous déplacions à environ 0,8 Mach et j’avais les fesses bien calées dans un fauteuil.
En même temps, je souriais à l’idée du côté vain de toute négation : la phrase « ne pas se presser » étant lue par toute personne pressée en sautant à pieds joints sur l’adverbe négatif. De fait il pourrait être question de se presser tout en assurant chacun de ses pas ? Pourtant les proverbes sont nombreux à encourager positivement la patience!
Mon père ne disait-il pas que tout vient à point pour qui sait attendre?

Fraichement débarqués sur l’île à explorer, en attendant que notre appartement soit prêt, nous nous sommes attablés devant un copieux « desayuno » local. 
Là, j’ai profité de la pause pour raconter mes dernière aventures équestres, passionnément, comme pour tourner la page des semaines précédentes et entrer de plein-pied dans une nouvelle aventure botanique.

Plus tard, lorsque la fatigue commença à se faire sentir, j’ai refusé l’idée de m’y laisser aller avant le soir en prenant la décision d’aller « là-bas » grimper sur la montagne visible à la droite de la magnifique baie que nous avions sous le regard.
Seule.
C’était une évidence.
Et alors…

L’ascension commença.
Le soleil avait le poids du plomb et mon sac à dos était bien léger en comparaison. J’avançais très lentement sur le chemin aride et caillouteux, par obligation et par prudence aussi, l’absence de sommeil étant un risque avéré de faux-pas.
Mon obsession botanique était bien présente, toutes mes antennes étaient sorties sans que rien, rien ne les interpellât.
Je me laissais porter par les fragrances méditerranéennes, tellement exotiques à mes sens, et par le paysage somptueux alliant le chaos des roches calcaires à la l’infini lisse de la mer.

Je grimpais, je contournais, j’inspectais parfois des oasis plus propices, mais d’orchidées sauvages point.
Un regard à ma montre indiqua qu’il aurait été temps de rebrousser chemin, mais j’avançais encore.
J’avais l’impression imaginaire qu’un rendez-vous m’attendait plus loin.
Où aurait été le « plus loin » ? 
A quelques mètres ?
Demain ?
Un autre jour ? 
Je l’ignorais, j’avais simplement envie d’avancer encore un peu. 

Et voilà que je l’ai vue.
Dans un éclat lumineux, elle m’avait sauté aux yeux avec toute sa perfection, cette Ophrys des Baléares qui ne se trouve que dans l’archipel.
En m’approchant, je pouvais vérifier qu’elle était particulièrement belle et intacte au bord de ce chemin où broutent les chèvres sauvages. Je me suis étirée, en équilibre sur les rochers, pour être encore plus proche, pour en contempler la splendeur.

Puis,

Le cœur en joie, j’ai poursuivi mon chemin un peu plus loin, imaginant trouver d’autres belles.
En vain.
Il était l’heure de faire demi-tour.

C’est alors que s’est invitée une longue méditation au sujet de la patience qui mène à la joie, une patience qui est mienne et qui m’entraine au bout de la patience volontaire, là où il n’y a plus rien que la patience paisible. Et j’allais du cheval aux fleurs sauvages, des fleurs au cheval, et tout en marchant avec attention, je me disais une fois encore que seul le chemin est important, le chemin déjà parcouru !

Car cette fleur là, je l’avais vue parce que je la connais, parce que je cherchais tout en marchant, tout en respirant, tout en m’extasiant du paysage, tout en saluant les passants. 
Qui d’autre l’avait remarquée en ce jour ?
Combien de personnes passantes pressées d’arriver je ne sais où ?
Combien de personnes bavardant au sujet de tout et rien ?
Combien de solitaires rêvassant je ne sais quoi ?
D’autres passionnés étaient-ils passé dans cet endroit si peu propice ?

Alors les histoires de chevaux débarquèrent en écho.
Tellement semblables.
Quel passant sait admirer, avant tout, la simple décontraction d’un palefroi
Combien de cavaliers ont eu l’émotion de diriger leur monture vers la lenteur majestueuse au souffle d’une intention absolument paisible ?
Combien nombreux sont les chercheurs de subtilité et d’harmonie ?
Combien se réjouissent d’un instant fugace, se contentant de savoir qu’il est possible pour pouvoir l’accueillir mieux encore une prochaine fois dans l’émotion d’un simple bonheur ?

Jusqu’à la plage ces questions tournèrent, rebondirent de l’une à l’autre sans que je sois capable de trouver le moindre réponse ni l’ultime recette qui aurait proposé une synthèse faisant éclater une quelconque vérité.

La virée touchait à la fin, sur le bitume retrouvé l’urgence était de capter une image à publier sur les réseaux sociaux, histoire de dire que nous étions bien arrivés, histoire de publier sans vraiment savoir pour qui, en fait.
Ce fut fait.
Alors, pour rejoindre mon véhicule, j’ai choisi de passer en équilibre au ras de l’eau, pour le plaisir.
Et là… au creux d’un rocher…
Se nichaient des belles, serrées les unes contre les autres.
O.speculum et Serapia lingua
Illuminées par le soleil du soir!

Le meilleur est toujours à venir.
Il suffit de le savoir,
Et d’oublier l’impatience.

Les chevaux m’ont appris la patience


Là où le temps s’abolit
L’espace perd ses limites
Là où l’espace est sans limites
Le temps est aboli
J.Y Leloup

Les chevaux m’ont appris la patience.
La mi-temps de ma vie est dépassée depuis longtemps et le paysage resté en arrière repousse l’horizon bien plus loin que celui qui est devant et que je ne connais pas encore.
Je viens d’achever la petite série de billets relatant mes débuts avec les chevaux.
Après les débuts vint la suite, beaucoup d’aventures, un apprentissage sans fin, des chevaux associés à des souvenirs ancrés tout au fond de mes tripes.
Et puis vint aussi le jour où j’ai décidé de laisser les chevaux à leur vie de chevaux.

Maintes fois après ce jour, j’ai refusé toute occasion de monter à nouveau.
Avec véhémence, toujours.
Petit à petit j’ai donné ce que j’avais de plus cher, ma veste de concours, mes bottes cirées, la bride en cuir anglais, etc. Ca me faisait plaisir de faire plaisir à de jeunes cavalières.
Je me tenais obstinément à l’écart des chevaux ne gardant que leur souvenir, leur présence constante qui me soufflait que le temps est relatif, que la montre est une invention humaine, qu’après la patience vient la patience.

Chaque chose vient à point.
C’est factuel.
La vie est espiègle !

Little Bird vit sa vie (5)

11 mai 2020, sur les ondes il n’est question que d’un seul mot « déconfinement ».

Avec l’oiseau, alors que nous avions été « confinés », nous nous sommes envolés dès que possible.
Sagement, sans transgresser la moindre règle, le moindre décret, la moindre loi, nous avons profité de l’éloignement des limites.
Comme prévu, la liberté reste très conditionnelle. Les limites sont encore là et si un néologisme vient d’être créé pour faire écho à la décision prise, au plus haut de l’Etat, un beau soir de mars, nous rions ensemble devant ce mot qui n’a pas de sens : déconfinement!
Non seulement les limites restent encore sérieusement changées, réduisant, transformant une liberté que nous ne retrouverons peut-être jamais, mais en plus s’il est désormais possible de sortir, il est exigé de rester près et loin à la fois.

Au delà de nos conversations sans fin, au delà de nos questionnements sans réponses, hier nous avons pu regarder l’horizon.

Emotion
Museau au vent
Frémissant

Les rafales étaient glaciales
Sous le ciel chargé
L’océan dansait
Au loin, très au loin, encore plus loin
Il y avait l’horizon,
L’inconnu,
L’aventure.
Au loin, très loin, toujours plus loin,
Il y a !

12 mai 2020, jour 1 après la mise en « liberté conditionnelle » : il est possible d’aller et venir plus loin que le kilomètre imposé depuis trop longtemps.

Little Bird vit sa vie (4)

Et de cinquante!

Little Bird ne comprend plus rien, lui qui ne comprenait déjà pas grand chose à la folie humaine.

Il avait pourtant attentivement écouté, il avait entendu quatorzaine pour 14 jours, et il en avait déduit que quarantaine correspondait à 40 jours.
En plus, lors de nos longues conversations, je lui avait parlé des traversées du désert et de toutes ces quarantaines de jour qui scandent les récits religieux entre démons et défis:
Le déluge qui dure 40 jours (genèse 6 et 7)
Moïse au Mont Sinaï pendant 40 jours et 40 nuits (Exode 34 – verset 51 sourate 2)
Traversée du pays de Canaan en 40 jours (Nombres 13.25)
Goliath défie Israël pendant 40 jours (1 Samule17-16)
Elie marche 40 jours et 40 nuits dans le désert (1 Rois 19.8)
Jésus est resté 40 jours et 40 nuits dans le désert (Matthieu 4.2)
Et il fallu attendre 40 jours entre la résurrection et l’ascension de Jésus (Actes 1.3)

Il avait bien écouté l’oiseau.
A ses hochements de tête, j’avais même pu remarquer qu’il pouvait envisager les bienfaits d’une quarantaine de jour de retraite.

Mais voilà que nous en sommes à cinquante jours de privation de liberté d’aller et venir.
Et voilà que l’horizon reste gris foncé,
Que nos sens doivent oublier leur réalité,
Que certains se sentent obligés de se masquer, annihilant de fait autant le goût que l’odorat.
Privés de contact physique, les humains serviles n’ont plus que les yeux pour trouver leur voie.
« Et, que voient-ils quand ils ont de la buée sur leurs lunettes? » me murmure l’oiseau du haut de son merveilleux à propos.
Il a raison l’oiseau.

Dans notre monde qui veut vivre à très grande vitesse dans tous les sens,
Est-il question de dégager la mort à toute vitesse, au risque de la récolter par effet boomerang?
Est-il question de faire croire qu’il suffit d’oublier de vivre pour ne pas risquer de mourir?
Est-il question de définitivement considérer les humains comme des produits manufacturés, stupides et sans âme, seulement capables de consommer jusqu’à ce que destruction s’ensuive?

Little Bird n’en sait pas plus que moi à ce sujet.
L’unique certitude que nous partageons, c’est que les mots n’ont plus aucun sens puisque « une quarantaine » dépasse la cinquantaine et que même en plus, si nous ne sommes pas sages, papa-maman nation peut décider de nous punir en lui faisant dépasser la soixantaine!
Nous vivons une époque formidable!

Lundi 4 mai 2020 : 50 jours de privation de liberté d’aller et venir. Libération conditionnelle dans 7 jours et c’est pas sûr, il faut rester « sages comme des images ».
Sept jours!
Dans les livres, dieu a créé le monde en six jours et le septième, il s’est reposé !

Des rives

Sept ans après 2012, à l’occasion du VAN, la place Royale a quitté son déguisement du Mont Gerbier des joncs et s’est laissée envahir par une armée des statues.

Dans le VAN 2019, pour imaginer la Loire, il faut aller dans la petite salle du LU où se tient une exposition de photographies.

Sans hésiter, je suis montée à la rencontre des images.

Comme souvent, habituée que je suis à ressentir les émotions grâce au « direct live » de la vie et donc en cent dimensions, les images superbes et lisses me parurent presque fades.
Une bande son enrichissait le décor avec la « réalité » de l’environnement sonore capté dans l’estuaire.
Etrangement, cette installation contribuait à produire dans mes pensées des situations bizarres lorsque le décalage entre l’image qui passait sous mes yeux et le bruit qui entrait simultanément dans mes oreilles faisait exploser ma propre expérimentation en éclats absurdes.
C’était pourtant une histoire de Loire.
J’y étais allée à la rencontre d’une inspiration, d’une respiration et de l’inconnu aussi.

Je suis ressortie en emportant le livre tout juste publié par les auteurs de l’exposition.
Des rives, Voyage dans l’estuaire de la Loire, Guy-Pierre Chomette et Franck Tombs, Editions 303, 2009, ISBN 979-10-93572-42-0

Et le bouquin m’a entrainée délicieusement.
Je suis partie dans l’histoire, sur les berges, retrouvant ce que je connais déjà et découvrant, sans surprise, toute en reconnaissance, l’immensité de ce que j’ignorais.
Je notais en particulier que mes partances se font régulièrement soit au fil du courant, soit sur la rive sud. De la rive nord je ne connais pas grand chose.

Me voilà donc partie, pour quelques temps, à la découverte de mes propres points de vue sur cette rive là.
Aujourd’hui, sous le soleil dégoulinant comme du plomb fondu, je suis allée jusqu’à Couéron.
La Loire était bruyante, le courant descendant affrontait allègrement le vent montant et une multitudes de petites crêtes d’écumes éclaboussaient le flot couleur de vase claire.
Cette Loire là est celle qui m’inspire le plus.
En chemin, il y avait, en plus, la chaleur torride de l’été.
Des souvenirs sont remontés de fort loin, de l’Atar ou des environs de Dakar, de ces jours où comme aujourd’hui la sueur dégoulinait dans mon dos aussi consciencieusement qu’elle perlait sur mon front. Sur mes lèvres, je pouvais goûter le sel accumulé comme je le fais quand je navigue dans les embruns et j’étais à la fois ici et loin, la source et l’estuaire, le fleuve et l’océan, le monde et la solitude. Quelle aventure!

Avant de rebrousser chemin, je n’ai pas tenté de résister à l’appel : il fallait que je m’approche au plus près de ce flot formidable.
Le soleil avait fait le job : en chauffant à blanc les enrochements, il avait asséché quelques parcelles et telle une funambule débutante, bras écartés afin de garder l’équilibre, je pouvais passer d’un bloc à l’autre, sans grâce et sans salir mes sandales.

Une fois au ras de l’eau, j’étais dans un spectacle son et lumières à nul autre pareil.
Un spectacle incapable de me lasser.
Souvent, je renonce aux feux d’artifices et autres « gourmandises » consommables, trop éphémères à mes yeux.
Au bord de l’eau, chaque instant qui me ravit est un instant qui me rapproche de l’inéluctable fin, c’est pareil.
C’est pareil à une différence près : j’ai l’impression d’avoir le choix et de pouvoir décider sans compter qu’il y a encore un peu de rab à déguster!

Tous les chemins mènent à Rome (2)

Mercredi 4 septembre 2013 : La Seyne-sur-Mer (plage du jonquet) – Bormes les Mimosas (Ilot de Léoube)

Comme d’habitude lorsque je dors dehors, c’est la caresse de la nuit blanchissante qui me réveilla. Le premier réflexe fut de tester chacun des muscles utilisés la veille, et émerveillée je ne trouvais qu’une machine bien huilée, sans la moindre douleur, déjà impatiente de recommencer!  
Seule, une petite cloque sur la lèvre me rappelait que j’étais dans le sud, que le soleil était encore brûlant et qu’il était indispensable de s’en protéger  

Le rituel du matin pouvait commencer. Le long de la Loire, pour mon premier « SUP trip », je comptais une heure entre le réveil et mon départ sur l’eau, il en fut de même tout au long de ce périple jusqu’à Rome. Un seul matin j’ai souhaité « faire vite » et je n’ai pas « gagné » plus de 10mn sur cette heure d’avant départ.

Première phase du rituel : manger, bien au chaud dans le duvet. Allongée, comme une princesse, je pioche dans le sac à provisions selon mon bon plaisir, au choix et avec ou sans mélange selon le jour : pain, amandes, noisettes, pomme, miel, fromage. En même temps (un peu comme à la maison où je petit-déjeune devant l’ordi  ), je feuillette le programme du jour dans le guide, imaginant les trajectoires possibles et l’objectif envisageable.
(En aparté : sur ce trajet, petite concession à l’autonomie totale, sans possibilité de recharge électrique, je ne souhaitais pas « user » mon téléphone portable. Ajoutons qu’en 2013, il était beaucoup plus difficile qu’aujourd’hui de se connecter à internet, d’ailleurs je n’avais pas encore de smartphone. Il avait été convenu que Michel me ferait chaque jour un point météo afin que je ne parte pas au loin un jour de tempête annoncée. Je consultais donc les cartes en tenant compte du sms reçu dans la nuit)

Puis, viens ensuite le moment « fille » où je prends soin de « moi », tartinage de la peau avec la crème qui va bien, lavage des dents, démêlage des cheveux.

Ensuite et TOUJOURS dans cet ordre (oui, des fois je suis psycho-rigide  ) : ouverture du bouchon de dégonflage du tapis de sol, habillage, bourrage du duvet dans son sac, pliage de l’oreiller dans son sac, roulage du tapis de sol, enfournage des sacs dans les sacs étanches que je balance alors dehors, etc… Quand il ne reste que « moi-je » sous la tente, il y a une petite chanson qui chante « comme on fait son lit on se couche » et alors, je « balaie » consciencieusement l’intérieur de la tente, histoire de la re-trouver impeccable (en tout cas sans miettes et sans sable) le soir prochain  

Bon… Ca c’est dit!  

J’avais plié la tente et j’étais en train de fermer les sacs quand arriva le premier « habitant » de la plage naturiste que j’avais squatté pour la nuit. C’était un trèèèèèèèèèèèèès vieil homme, il avait visiblement ses rites, lui aussi  
Tandis que je finissais de « m’habiller » (camel-back, casquette, leash) il se déshabillait en bavardant aimablement. Quand je suis montée sur la planche, il m’a salué me souhaitant le meilleur tout en me conseillant de ne jamais enlever mes lunettes solaire pour éviter la brulure de la rétine  … Tient, tient, il allait se baigner avec ses lunettes solaires, lui… Etait-ce un ophtalmo retraité? Avait-il subit une brûlure de la rétine lui-même? Il y a des matins comme celui-ci où j’ai pris le départ avec des questions sans réponse!

La visite de Toulon ne me paraissant pas nécessaire, j’avais décidé de tirer « tout droit » en direction de la Pointe des Oursinières, ce que je fis sans me soucier de la distance. Après avoir dépassé Saint-Mandrier, un étrange paysage s’offrit à mes yeux avec d’énormes plots flottants parsemés dans la baie, je n’avais jamais vu pareille installation. Un kayakiste étant à la pêche (donc à l’arrêt), j’en ai profité pour le questionner et découvrir que c’était un balisage pour les bateaux militaires et autres gros navires. Je lui ai aussi demandé si la navigation de nos frêles engins était parfois sanctionnée dans le coin, ce à quoi il répondit que jamais personne ne lui avait fait la moindre réflexion… So… go, go, go et avec bonne conscience, en plus!  

Je me suis arrêtée au Port des Oursinières pour acheter un sandwich. Il était tôt et rien n’était préparé pour un éventuel repas. Alors, dans un bristot, je me suis offert un café etj’ai acheté de l’eau tout en affichant un air tellement dépité de ne rien trouver à manger, que le gars m’a vendu le pain-bagnat qu’il avait acheté pour son propre casse-croute… et « à prix coutant » m’a t-il précisé!  

De la pointe des Oursinières, j’ai tiré « tout droit » en direction de la pointe de la presqu’ile de Giens. C’est beau ce coin là, mais ça circule un max une fois sur la pointe et le ressac est vraiment pénible, et ensuite il faut aller vers la côte, donc vers le nord. Et moi, je n’avais de cesse que d’aller vers l’est, vers l’Italie. Les sentiments se mélangeaient, la fatigue montait quand j’atteignis enfin de l’eau plus calme.

La fatigue n’était que mentale, car après avoir grignoté, après m’être délicieusement baignée, j’étais complètement remise en forme  et hop, je repartais en direction de Miramar et plus loin encore, le Lavandou était à l’horizon.

C’est en arrivant à L’ilôt de Léoube que j’ai trouvé le mini-espace parfait pour un bivouac tranquille et lumineux.

Après cette longue deuxième journée, je ne me lassais ni du calme, ni de la beauté de la nuit qui prenait possession du temps…

Jeudi 5 septembre 2013 : Bormes-les-Mimosas (Ilot de Léoube) – La Croix Valmer (Cap Lardier)

Après une nuit « moyenne », le troisième jour se profilait.
Le « troisième jour », dans mes expériences de trip, c’est comme le cinquième kilomètre en marathon, le dixième kilomètre sur les ultra-longues distances, le 500m sur le 5000m ou la première bouée sur une course technique en SUP, c’est un passage difficile.
C’est « le » moment où je me demande ce que je suis allée faire dans la galère. Je sais qu’il faut passer de l’autre côté pour que tout rentre dans l’ordre  
Il est évident que le changement des habitudes se fait sentir seulement à partir du troisième jour.
La nuit avait donc été moyenne avec des fourmillements dans les mains et des épaules un peu meurtries par le passage dans le ressac de la veille. Il fallait trouver « la » bonne position et avant de sombrer dans un profond sommeil récupérateur, j’ai passé pas mal de temps à me tourner et me re-tourner.

Le matin fut lumineux.

Avant mon départ un pote de SUP, résidant à Sainte Maxime, m’avait fait promettre de lui faire signe lorsque je me pointerai à l’horizon. C’est le genre de promesse contraignante qui ne va pas vraiment avec la liberté que j’ai envie de m’offrir à travers les trips, mais bon, je gardais l’idée sous le coude, d’autant plus que la traversée du golfe de Saint-Tropez me tracassait. Ce matin là, j’avais pour objectif d’arriver « par là-bas » dès le soir.

La matinée était tranquille. De crique en crique, je passais devant certains « hauts-lieux » de l’estivage huppé. Au fur et à mesure que le soleil s’élevait, la brise s’affirmait. Elle s’affirmait d’est, donc de face, levant un clapot qui ne pouvait glisser sur ma planche puisque le sac de devant le stoppait, rendant ma progression un peu plus heurtée à chaque coup de pagaie.
Un véritable « troisième jour », donc, celui-là même qui contribue à perpétuer mon ressenti négatif de ce foutu « troisième jour »  

Sur une des plages du Canadel, j’ai fait la pause déjeuner.

Du coup, j’en profitais pour avertir le pote de mon arrivée dans le coin, et lui demander si on pouvait inventer un « truc » pour sauter le passage du golfe. Par bonheur, il n’y avait pas de solutions, il fallait simplement que je passe de l’autre côté, et toute seule comme une grande!

C’était à la fois enrageant et parfait!  

Tranquillement, en ronchonnant souvent, en suivant comme autant de points de suspension les villages connus accrochés aux collines, je suis arrivée à Cavalaire, je me suis reposée à La Croix-Valmer. Là, j’ai appris que la commune faisait partie des communes « du golfe de Saint-Tropez ».
J’avais donc atteint mon objectif du jour et ce n’était pas si mal  Après un copieux sandwich, après une belle conversation avec un passant, j’ai repris la pagaie à la recherche d’un bivouac.

C’est dans les plis du Cap Lardier que j’ai découvert un abri paisible, loin du sentier de randonnée et du passage des promeneur

J’ai installé la tente sur un épais matelas de posidonies et j’ai posé la planche côté montagne, sur les éboulis…
… M’endormant rapidement et profondément…
… C’est alors qu’un grognement caractéristique me réveilla.
Sans avoir besoin de regarder, je voyais l’image d’une hure s’approchant !
Avant d’avoir pu l’illuminer, j’ai entendu le demi-tour et le frottement (tout aussi caractéristique) de l’animal qui déguerpit à toute hâte dans les broussailles. Comme il ronchonnait, le pauvre! Poussant à fond l’anthropomorphisme, je dessinais rapidement et mentalement un mini-court métrage : tandis qu’il venait comme tout les soirs sur « sa » plage, voilà qu’il y trouvait un touriste : plus moyen d’être tranquille, ma p’tite dame !  Je pense que la planche a dû le surprendre, à moins que mon odeur de fauve douchée à la lingette bio ne l’ait repoussé  
… Et j’ai replongé dans le sommeil.

Ces rêves qui se laissent attraper

Sans rêves, jamais ma vie n’aurait été ce qu’elle est
Je suis une infatigable rêveuse en ce sens que je cours sans cesse à la poursuite de rêves fous.

Rêver est non-suffisant, il faut de la constance, de la tranquillité, une infinie persévérance car les rêves sont comme les papillons, ils ne se laissent pas facilement attraper intacts et bien vivants.

Sur cette île de désert et d’océan dont je connais mille recoins, une chose me manquait dont je rêvais depuis plusieurs années : la possibilité d’aller sur l’eau, chaque jour, seule, à ma guise, la possibilité de m’évader à volonté … en quelque sorte.
Dix ans que j’attendais ce moment.
Dix ans.

Voilà qui est fait.

J’ai attrapé ce rêve le jour même de mon arrivée.
Je l’ai attrapé comme je fais toujours, en lui courant après.
Je regardais l’océan quand j’ai vu deux pirogues entrer dans la rade.
Deux pirogues!
Jamais je n’en avais vu autant à la fois par ici!
Elles se dirigeaient vers une plage centrale, au pied des restaurants.
Je les ai suivies du regard, j’ai hâté le pas espérant les voir de plus près, sans vraiment savoir ce que je cherchais sinon rêver je ne savais pas vraiment quoi.
Tout allait très vite et malgré mon pas empressé, lorsque je suis arrivée près de la plage, ce fut pour voir deux gars en sortir leur pirogue sur l’épaule.
Ni une ni deux, comme je le faisais gamine, comme je l’ai toujours fait, j’ai suivi mon rêve, j’ai suivi les gars dans la rue, puis dans le parking souterrain où ils s’engouffrèrent.
L’avantage quand on est gamine depuis plus longtemps que les autres, c’est que la timidité est moindre. J’ai commencé par observer, mais il n’a pas fallut plus d’une minute pour que je demande : « Ces pirogues sont-elles à louer? »
Elles ne l’étaient pas, mais il y avait une piste, un nom à taper sur le clavier sans plus de précisions.
Et hop!
Le lendemain j’avais rendez-vous au bistrot du coin.
Et hop, le soir même j’avais la clé du local et une pirogue à disposition pour quelques euros symboliques.
Et hop, le lendemain je partais vers ce que j’aime le plus, une session seule sur l’océan, dans cet entre-deux à nul autre pareil où la houle est grande et le rivage lointain, où l’eau perd ses nuances turquoise pour passer à l’outremer, où je deviens moins qu’un point à l’horizon pour qui aurait la folie de s’user les yeux à me chercher.
Seule contre le vent, seule avec lui.
Seule à fleur l’eau.
La houle est belle au milieu du channel,
Ce matin, dans les creux, les montagnes disparaissaient.

Le rêve.
Si longtemps non-attendu.
Le rêve s’est réalisé.
Ce rêve là, comme tant d’autres déjà.

Mais tout ceci serait de moindre intérêt si d’un coup, je n’avais compris un mystère qui me questionnait.
Le mystère était le suivant :
En écoutant les gens exprimer leurs souhaits, leurs rêves et leurs désirs les plus fous dans le cadre par exemple où il seraient susceptibles de gagner beaucoup d’argent « pour réaliser leurs rêves », je me suis infiniment souvent posée la question de savoir ce que je répondrais à leur place. Et chaque fois, j’ai fait chou blanc.
Rien.
Pas une seule idée de « rêve à réaliser »!
Moi qui passe mon temps à rêver plus loin!

C’est que rêver est une épreuve d’endurance,
Une aventure qui ne se vend ni ne s’achète.
Rêver, c’est courir après les papillons,
Patiemment, tranquillement, avec beaucoup d’assiduité,
Et quand parfois l’un d’eux vient se poser,
Juste là, à portée de main,
C’est retenir son souffle et avancer et oser
Sans y croire, sans douter
Et l’attraper tout entier, bien vivant
Le rêve.

Jeudi 7 septembre, étape 8

« Si tu savais ce qu’il y a
Au bout de la patience
Il n’y a pas de bout à
La patience
Au bout de la patience
Il y a la patience. »
Jean Yves Leloup, Déserts, Editions Le Fennec, 1994, ISBN 2-910297-00-4

Après sept jours de marche, le doute persistait.
Rien ne pouvait me prouver que l’Atlantique serait en vue trois semaines plus tard.
Rien.

Avoir couvert plus que les douze étapes du sentier cathare en une semaine ne me semblait pas un gage de réussite, il restait tant à parcourir !

A Foix, lorsque l’hôtesse de l’Office du tourisme m’avait parlé d’une voie verte qui filait droit vers l’ouest sur plus de 40 km, j’avais immédiatement vu tout l’intérêt de m’y aventurer.
40 km!
C’est un marathon, une distance que les meilleurs coureurs avalent en un peu plus de trois heures… A mon niveau, c’était abordable en une journée sans même être héroïque.
Il suffisait de la trouver cette voie verte !

Le début du chemin qui devait la rejoindre à son commencement fut facile à trouver.
Mais, je me suis rapidement égarée en suivant un marquage fantaisiste.
La balade était tout à fait magnifique avec un passage à flanc des crêtes rocheuses comme j’aime tant,  et par chance le cap était globalement correct.
Effectivement, je suis « tombée » sur la fameuse voie recherchée au bout d’un certains nombre de kilomètres et de questions.

Après, il suffisait de marcher.
Marcher et marcher encore.
J’ai vidé ma gourde.
J’ai entamé ma réserve d’eau.
Et j’ai marché.
A la fin, j’étais vraiment fatiguée de tant de platitude.
Et il fallait trouver où dormir !
Marcher encore un peu…

Entrer à pieds dans une ville sans avoir suivi les marques prévues pour les marcheurs, c’est prendre le risque de s’y perdre, de traverser la vraies vie avec les véritables habitants, d’occulter « les beaux endroits » réservés à l’oeil averti des touristes.
C’est ce que je fis.
Après avoir remis l’eau à niveau sous l’unique robinet encore en service de l’aire réservée aux « gens du voyage », je suis entrée dans un quartier pavillonnaire populaire.
Aucune chance de trouver où crécher dans ce coin.
J’ai marché.
J’ai demandé à droite, à gauche, sans succès.
Les gens ont vraiment d’autres chats à fouetter et répondent comme pour se débarrasser au plus vite.

Le GR 78 est aussi appelé « Voie du Piémont », son trajet étant souvent superposé avec un ancien trajet jacquaire. Qui dit trajet jacquaire, dit églises, monastères, couvents, chapelles.
Avec l’heure qui tournait inexorablement vers la nuit, je ne voyais pas d’autre solution que de rentrer résolument au coeur de la ville dans l’espoir de trouver le sempiternel marquage rouge blanc à proximité d’un édifice religieux.

C’est précisément à cet instant que j’ai aperçu, sur le trottoir d’en face un homme qui marchait d’une grand pas alerte. Chaussé de sandales, il portait joyeusement une belle bedaine sous une longue robe noire.
Posant là ma dignité et mon orgueil, je me suis propulsée devant lui, histoire de le stopper dans son élan.
« Bonsoir, monsieur, je cherche un endroit pour planter ma tente, auriez vous une idée à me proposer? »
Dans idée, il y avait pour moi : terrain de jeu, terrain vague, terrain de foot, etc…
« Mais… Il y a toujours une chambre pour les pèlerins chez moi. Là, j’ai un truc urgent à régler, allez au n°x de la rue machin et je vous retrouve dans vingt minutes »
Et hop, il me donna la direction à suivre et hop il fila.
J’avais parcouru quelques centaines de mètres lorsqu’une voiture me klaxonna, le brave homme criait par la fenêtre ouverte : « N° x! Vous vous souvenez? »
J’acquiesçais en souriant.
Une fois sur place, j’ai attendu en griffonnant un résumé de la journée.
Puis j’ai attendu.

Un crissement de pneus me sortit de la torpeur qui commençait à gagner du terrain : la journée de marche faisant son effet.
Une porte claqua et j’entendis : « Ah, excusez-moi, pour l’attente! Venez »
Le temps de prendre mon sac et il avait déjà disparu au coin de la rue.
Par chance, il y avait un portail ouvert et une plaque qui disait que c’était le bon portail, je rentrais résolument.
La maison était sur la droite, un joli perron cintré lui donnait un charme certain.
L’homme était planté dans l’encadrure de la porte, bras dénudés et en board-short, m’accueillant jovialement « Oui, vous comprenez, chez moi, je me mets à l’aise! »

J’ai négocié le droit de planter ma tente sur le beau carré de gazon qui était au centre de la cours. Après avoir essayé de me convaincre du confort de la maison en me faisant visiter cuisines, sanitaires, chambres et débarras, il accepta mon idée.

La soirée fut mémorable, tant par les passionnantes conversations que par la variété des mets que je n’eus pas d’autres choix que de goûter.

Il faisait nuit noire lorsque j’ai enfin monté « mon hôtel » au centre du « patio ».

Passant, à proximité, mon hôte s’exclama : « Une tente cercueil! Elle est super, j’ai la même! Elle est super! »

Le sourire aux lèvres, je me demandais comment sa grande carcasse pouvait se loger dans un si petit espace!

Quelle extra-ordinaire journée!

A suivre…