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Timidité

Enfant, j’étais timide.
Oh, certes, je n’étais pas du genre rougissante au moindre contact.
Non, simplement je refusais toute ouverture, restant sur mes gardes.
Très très méfiante, je préférais me taire.
Et se taire sans baisser les yeux,
Se taire calmement et avec attention,
Se taire avec des yeux sombres,
A tout les coups,
Ca menait à recevoir un coup de bambou : « Et ben, elle n’est pas aimable cette petite fille là! »
Sous le choc, il était inévitable de baisser la tête,
Et quand une personne compréhensive était dans le coin,
Quand elle venait à la rescousse.
La sentence tombait : « Elle est timide, c’est normal. »

Donc, j’étais timide.
J’étais timide partout : à l’école comme dans la rue ou en famille.

C’était pas le truc qui me plaisait vraiment, cette histoire de timidité.
J’admirais toutes les personnes capables de s’exprimer instantanément, toutes celles qui donnaient des réponses même fausses sans ciller, celles qui étaient capables d’aller au devant, de « demander », de questionner sans la moindre hésitation.
Moi, ça me prenait des plombes et je finissais toujours par renoncer.

Un jour, j’étais déjà adolescente, une personne de bon conseil m’expliqua que la timidité, c’est de l’orgueil, argumentant que c’est parce qu’on refuse l’échec qu’on hésite à se mouiller. Ca me paraissait crédible et je tenais là un fil et à partir de ce jour, j’ai travaillé (oui travaillé!) pour effacer tout orgueil dans le but de perdre ma timidité.
Petit à petit, laborieusement, très laborieusement j’ai appris à enfiler une carapace et à foncer dans le tas.
Le fait est qu’aux environs de la quarantaine, j’ai considéré que toute trace de timidité était effacée et que c’était principalement un effet de la « maturité » survenue.
Il est certain que dans la vie d’adulte, il est souvent nécessaire d’avancer seul, sans compter sur l’assistance de quiconque… A moins d’accepter la soumission… tomber de Charybde en Scylla ne fut jamais dans mes objectifs!

En cueillant les reflets éclaboussés par mes fils, en avançant un peu plus loin sur mon chemin, force fut de constater que l’histoire était ailleurs.

Aujourd’hui, n’ayant plus aucun besoin de travailler ( travailler pour donner le change d’une apparence jugée aimable, cf le début de l’article) puisque j’ai laissé filer toutes les activités qui « rapportent » de l’argent, je vois bien que, globalement, tout est plus simple.

Mais pas toujours.

Hier, j’avais RV avec une charmante personne. Nous avons passé un excellent moment et c’était vraiment super doux de la revoir, de parler d’utopies, de réalités, de vie et de passages.
Ce qui fut remarquable, c’est le moment où j’ai reçu, comme une bombe à retardement, la question : « Tu seras là »?
 » Ben, non, qu’irais-je faire là-bas, je n’ai plus rien à faire dans ces endroits! » Ai-je répondu très spontanément.
 » C’est drôle, j’ai toujours imaginé que tu serais là » est arrivé façon boomerang.

Alors, un déluge s’est abattu, une tempête s’est levée sous mon crâne.

Résultat des courses, une fois rentrée à la maison, j’ai validé un billet de train.
C’est un AR dans la journée.
J’ai pas du tout envie de voir les gens qui seront là-bas, je n’ai rien à faire dans ce navire, d’ailleurs, je n’ai pas de ticket d’entrée et je n’en demanderai pas.
J’y vais pour elle, il y a un sens  et j’y vois un sens.
Je prendrai le train, j’arriverai à l’heure devant l’entrée.
Je suis prête à montrer mes yeux sombres, à me taire, à fuir s’il le faut.
La suite est à vivre.

J’étais timide.
C’était un faux diagnostic.

 

Enseignement collectif


Deux fois par semaine je vais à l’école.

Enfin… Je rentre dans ces lieux qu’on nomme « école », dans ces endroits où  coexistent  cour de récréation et salles de classe.

L’école.

Ce mot là me balade à travers mille émotions et autant de souvenirs.
Dans mon enfance, les livres parlaient encore de ceux qui osaient « faire l’école buissonnière ». J’en admirais les protagonistes, toujours des garçons : garnements en culotte courte et rapiécée, espiègles et iconoclastes.
Ils partaient dans les bois ou dans les rues et passaient leur temps à jouer, acceptant le risque de se retrouver « au coin » et sous un « bonnet d’âne », trouvant alors mille moyens pour faire rires les « bons élèves » qui eux, redoutaient les punitions toujours très rudes.
Grâce à ces récits, emportée par mon imagination, je supportais ma place de fille sage, sagement assise en classe.

Aujourd’hui « l’absentéisme scolaire » a remplacé l’école buissonnière, regroupant « mal-élevés », phobiques (victimisés, forcément bien élevés, eux puisque les parents s’inquiètent à leur sujet…) et marginaux à la marge.
L’école est une histoire de grands, d’adultes, de parents, de responsabilité, de lois, etc… C’est un fait certain.

Une fois mère de famille, après une tentative avortée du côté des « enseignants », je me suis trouvée du côté de la barrière réservée aux parents. Je suis restée de ce côté pendant des années qui me semblèrent interminables.
Tout m’ennuyait à la fin, tout ce qui avait pu m’amuser lors de la découverte de cet environnement, tout m’agaçait.
Il est vrai que je suis allergique à la routine et l’école est une routine au long cours avec ses répétitions coûte que coûte, ses acceptations, ses obligations et ses fantaisies bien organisées.

La loi du nombre est la loi du nombre, vivre en société, c’est s’y soumettre, c’est apprendre que la liberté des uns commence où s’arrête celle des autres, qu’elle diminue quand la population augmente et que pourtant la société est indispensable à l’épanouissement des individus.
Nous sommes des animaux grégaires, dois-je encore le répéter?

Deux fois par semaine, je vais à l’école.
A l’école, dans deux endroits différents, à la rencontre des enfants en face à face, sans barrière, puisque je ne suis ni d’un côté ni de l’autre, juste là, sans programme ni parti pris.
C’est une aventure.
Chaque fois une aventure…
Car « sans parti pris » oblige à la souplesse, au mouvement, à la fluidité, à une qualité de présence très particulière.
Ce qui me passionne, me fascine, c’est encore et toujours l’exploration.
J’observe d’un côté les enseignants et leurs utopies (oui, oui : utopies… quel autre mot pourrait mieux définir ce qui guide leurs objectifs?)
J’observe de l’autre côté les enfants et leur réalité, leur vécu sans fard de l’instant présent.

Ces passages sont désespérément nourrissants.

De l’attention

Ce matin, après avoir écrit le mot « attention » dans un commentaire ici même, je suis entrée dans ma journée ordinaire.
J’ai en réserve quelques billet au sujet de l’extra-ordinaire de la semaine dernière, mais comment pourrait exister « extraordinaire » sans la présence acharnée et quasi constante de « ordinaire » ?
C’est une question et pas le propos de ce billet.

Dans la voiture, sur les chemins de la philosophie, j’entendis une rediffusion et j’écoutai :

J’avais été attentive en découvrant H.D.Thoreau en avril 2017, ce matin ma curiosité vivifiée par le grand air, le désert récemment traversé et les bouquins avalés, révélait une multitude de nouveaux points de réflexion.
Et ces points convergeaient ou tournaient autour de ce simple mot abandonné au fil d’un commentaire : attention

Attention, il s’agit d’attention.
Soyons clairs, je n’ai pas dit : attention!
J’ai parlé d’attention…

De cette attention qui fait tellement défaut dans notre société.
De cette attention à tout, à rien, au grand, au petit, à la relativité, à l’impalpable, à l’ensemble jamais seul, toujours situé ici et maintenant.
Parce que trop de gens sont naturellement focalisés sur « un truc », au point de ne voir que « ce truc », au point d’en devenir obnubilés, au point d’en être malades, au point de souhaiter convaincre le monde entier que seul « ce truc » est important. Parce que ces gens là sont, de fait dénués d’attention alors même qu’ils ne cessent de faire attention!

Vous n’y comprenez rien à cette prose!
Quoi de plus normal?
Si vous étiez ici, là, à mes côtés, je me ferais un plaisir de vous faire toucher une ou deux expériences pour que vous puissiez peut-être saisir quelque chose, mais vous êtes de l’autre côté de votre écran…

L’anecdote du jour va nous ramener à quelque chose de plus facile à comprendre.

Ce matin, pressée par le temps, je me suis habillée à toute vitesse, enfilant le pantalon de la veille qui me tendait les bras.
Je ne l’ai pas regardé.
J’ai fait ce que j’avais à faire, enchainant les actions à enchainer pour rester dans le timing.
Je suis sortie, j’ai croisé du monde, plein de monde.
je suis rentrée.
J’ai avalé un en-cas en tapant sur mon clavier et hop, il fallait déjà repartir.
je suis partie à pieds, comme chaque mardi ordinaire à la même heure.
Alors, marchant à grand pas, j’ai retrouvé toute ma capacité d’attention et …
J’ai vu « la » tache sur mon pantalon!
Une tache… Deux taches…
Que j’ai immédiatement mis sur le compte de ma gourmandise de la veille, rouge de piment rouge…
Arghhhhh…
Il fallait faire avec.
Arrivée à l’école, les enfants m’ont accueillie en m’expliquant l’absence de leur institutrice. Pour moi, il y avait donc un peu de « gestion de groupe » à prévoir.
Ce fut simple et nous sommes rentrés en classe :
« On a reçu ta carte, tu sais? » Puis : « Oh, tu as une tache sur ton pantalon » dit l’une… « Non deux taches » ajouta l’autre… « Et même trois » répliqua un troisième!!!
J’étais ravie, ils avaient immédiatement remarqué les taches plutôt que mon merveilleux bronzage!
« Et oui, j’ai vu ça, moi aussi » ai-je répondu en toute sincérité, ajoutant que c’était le résultat de ma gourmandise de la veille associé à mon empressement matinal. J’ai en plus ajouté que je n’avais pas d’autre solution que de me promener « comme ça » jusqu’en fin d’après-midi.
Les enfants n’eurent de cesse que de me trouver une solution.
Il fallait trouver ça avant de passer à l’activité pour laquelle j’étais venue.
Il eut été vain de balayer le problème, les jeunes enfants sont super attentifs aux détails.
Il y eut maintes propositions, raisonnables ou farfelues.
Puis, nous sommes tombés d’accord sur le fait que s’il est assez tendance de se promener avec un pantalon déchiré, je pouvais sans soucis affirmer que me promener avec pantalon taché était « style »!
Et hop : affaire conclue.

Plus tard, déambulant en ville, entrant dans de chics boutiques du centre, j’avais la tête haute de celle qui sait qu’elle a du style!

 

Les étrennes


Pavé de fin d’année

Il est bien probable que toutes les personnes de ma génération ont gardé en mémoire un poème proposé en deux strophes qui commençait ainsi :

« – Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux,
Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s’éveillait matin, on se levait joyeux,
(…) »

Peut-être que parmi ces personnes, certaines ont, comme je l’ai fait, assidument fréquenté les poètes.
Ainsi au gré d’une navigation auprès du bateau ivre, ces personnes ont sûrement découvert que la gaîté des étrennes vendue par l’éducation nationale était factice.
Car, le très long récit en vers proposé par Arthur Rimbaud était en fait nommé « Les étrennes des orphelins », une histoire triste.
Une triste histoire avec laquelle les médias d’aujourd’hui seraient ravis d’ouvrir le JT, juste avant d’embrayer et d’accélérer sur les histoires de gueule de bois, d’indigestion et de régime minceur.

Un peu d’histoire historique raconte qu’avant le débarquement de Santa Klaus fin décembre (Entre Saint Nicolas (début décembre) et le passage des rois (début janvier))  qui a progressivement transformé la distribution de friandises enfantines en avalanche de paquets cadeaux pour tous, c’était à l’occasion du changement d’année calendaire que s’échangeaient « joujoux, bonbons habillés d’or, étincelants bijoux ».
A la fin du 19ème siècle, le « truc » à la mode c’était le livre d’étrennes, les éditeurs ne manquaient pas d’idées pour profiter de l’aubaine.
Les « beaux livres » ont doucement supplanté les « livres d’étrenne », ils furent largement distribués sous les sapins naissants du 20ème siècle.
A l’aube du 21ème siècle, la mondialisation galopante autant que l’évolution des techniques d’impression ont banalisé les livres au point qu’ils ne constituent  plus un cadeau de prix, mais parfois un cadeau par défaut de « mieux ».

Je reviens à ce jour des étrennes, ce jour de l’an neuf, et plus précisément à la nuit qui précède.
Dans notre actuelle vie d’occidentaux dans le vent, il est « normal » de prévoir et préparer un réveillon.
« Normal » étant une donnée statistique plantée au sommet d’une courbe de Gauss, de chaque côté du sommet tout est possible, bien que ce soit considéré comme un écart à la norme.
Bien entendu plus l’écart est visible sur la courbe, plus le risque de tomber dans « l’anormalité » grandit.
Pourtant je considère que se situer à la marge n’engage en rien l’appartenance de quiconque à la vie de la société.

Tout est tellement relatif.

Je m’aperçois en écrivant ce billet dans le contexte écologique que j’habite, que le fait d’être cette année en France, loin du soleil et des grandes randonnées en terre sauvage exacerbe mon sentiment « d’anormalité » relative.

Me voici donc en train de chercher « un truc » pour meubler ce passage qui semble incontournable.
Pour l’instant tout ce que je vois alentours ressemble à des sorties de secours ouvertes sur des microcosmes fermés.
Il faut avouer que ma vision de la débâcle obligée de fin d’année est dénuée d’objectivité.
J’ai été marquée par ma déambulation dans les rues parisiennes fin 1975. J’assurai alors une partie équestre du spectacle « Ben-Hur » .  Tandis que les gens venaient au spectacle pour ouvrir leur réveillon, nous finissions « le boulot »  (c’est à dire les soins aux chevaux et notre démaquillage) sur les coups de minuit. De fait,  je me suis retrouvée dans la rue « après » et c’était pour voir à travers les vitres des restaurants des dizaines de personnes  comateuses au milieu des serpentins et cotillons qui jonchaient le sol.
Pas de quoi rêver… Pas pour moi, en tout cas.

Et là, maintenant, tandis que mon hyper-connexion fait miroiter de tous les côtés des passages rêvés entre amis, me reviennent ces souvenirs qui disent que je suis, en quelque sorte, étrangère à ces festivités.

Pas pour moi les soirées gastronomiques à exploser la panse
Pas pour moi les soirées soufis à psalmodier le Mathnawi
Pas pour moi les soirées shootées sous les tables
Pas pour moi les soirées Bollywood à chanter Hare krschna
Pas pour moi les soirées Djeun’s entre retraités
Pas pour moi les soirées « paix sur terre » à réciter les Psaumes
Pas pour moi
Pas pour moi…

Il est un fait que je suis à la marge sur bien des points!
Et pourtant, je garde espoir de voir le changement d’année calendaire se faire même si je ne « fais rien » de notable.