Mon cheval loge dans une petite écurie où tous les cavaliers se connaissent, où il est facile de se parler et de s’entraider.
Hier, alors que j’avais aidé une cavalière en disposant (à sa demande) les barres qui allaient bien au couple qu’elle forme avec son cheval, j’ai conclu leur belle séance par ces mots : « Désormais, pour aller plus loin, il va falloir que vous établissiez un dialogue entre vous deux »
Bien sûr, avec les chevaux existe une forme de communication à travers les « aides », c’est ce qui nous est enseigné dès le début de l’apprentissage. Mais c’est un peu à sens obligatoire, car l’observation et l’écoute de la réponse du cheval à nos « ordres » sont mises au second plan sur l’air très tôt chanté de « c’est moi qui commande, taka obéir ».
Et si « on » se parlait vraiment ?
Et si un véritable dialogue pouvait s’engager ?
Et si nous prenions le temps d’écouter, de regarder, de sentir ce que nous raconte notre cheval à travers son langage de cheval ?
Ce qui est compliqué dans l’histoire, c’est que les chevaux avec leur sensibilité à fleur de peau sont exclusivement dans le présent, dans la réalité véritable, incapables de fomenter, de se morfondre ou de se réjouir à l’avance alors, que nous, humains avons constamment des idées toutes faites dans la tête.
Un exemple:
Le jeudi est le seul jour de la semaine où je ne demande rien à mon cheval. Jeudi dernier je suis juste passée le voir, pensant faire quelques images destinées à illustrer mes propos d’un jour ou de l’autre. En lui apportant son « goûter » j’avançais avec le téléphone braqué sur lui en mode vidéo afin d’enregistrer le hennissement qu’il ne manque jamais de produire à l’approche du seau de nourriture.
j’arrivais à sa rencontre, à moins d’un mettre du fil de clôture lorsqu’il fit un ultra-rapide demi-tour de fuite.
En humaine, je me suis dit que la vue de mon écran braqué sur lui l’avait effrayé, j’ai baissé mon téléphone (qui filmait encore)
Il est revenu illico en hennissant de plus belle et la suite fut comme d’habitude.
Je demeurais interrogative.
Ce petit cheval est vraiment zen et je trouvais étrange que la vue de l’écran ai pu le faire fuire.
C’était pourtant la seule explication que je voyais.
Le soir en visionnant la vidéo, j’ai changé de point de vue.
J’ai pu voir que son pied gauche avait très légèrement glissé dans la boue, apportant un « imprévu » à son habitude de freinage à l’approche du fil électrique et que les vibrisses de ses lèvres avaient de fait été en contact avec le fil, lui occasionnant la petite « châtaigne » à l’origine de son réflexe de fuite.
Pourquoi n’y avais-je pas pensé avant?
Mais vraiment pas pensé?
Parce que je suis humaine !
Simplement humaine et que si parfois je touche un fil électrique, je ne bondis pas mais que par contre voir un téléphone braqué sur moi sans mon autorisation pourrait me faire sortir de mes gonds!
Et donc, si « on » se parlait ?
J’y reviens.
Il est un fait que j’ai vu, dans ma lointaine enfance, de braves paysans guider très précisémment leur énorme cheval de trait seulement à la voix.
Puis, en 1975, grâce à une année passée en Suisse chez un écuyer de renom, j’ai expérimenté la toute puissance de la parole sur les chevaux.
Pour l’anecdote, à mon retour en France, alors que je mettais cette expérience acquise au service d’un nouveau cheval, je me suis fait remonter les bretelles à l’issue d’une reprise de dressage lors d’un CCE : d’un air sévère et pas aimable, la juge m’assena ces mots lors du salut final » Madame, il est interdit de parler à son cheval! « . Moi qui avait pourtant seulement murmuré, j’étais poussée sans ménagement à revenir « dans le cadre »! Le souvenir est encore cuisant.
Quiconque me connait en vrai, sait que j’ai continué.
Ce qui est important à mes yeux reste important en toute circonstances.
Et puis, mon cheval était en progression constante, de fait mes aides (la voix comprise) pouvaient se faire de plus en plus subtiles, évitant par la même occasion toute remontrance « jugesque ».
La voix reste une aide que les grangurus abordent rarement. Si parfois un « good boy » s’échappe à travers le micro-cravate, c’est toujours le geste du cavalier, la position d’un stick, d’une chambrière ou des mains qui sont expliqués.
Peut-être est-il nécessaire de distinguer le bavardage de la parole ?
Car, il faut bien l’avouer, la majorité des personnes qui tournent autour des chevaux sont désormais du genre féminin et il faut bien avouer que le bavardage fait partie de leurs atouts.
Pour se faire comprendre par les chevaux, le bavardage est vain.
Je souris souvent lorsque l’aire de pansage se transforme en « salon où l’on cause » car je sais que mon cheval considère ce « bruit de fond » pour ce qu’il est : un bavardage d’humains qui bruisse sans le toucher.
Pour que la voix devienne un aide à la hauteur des autres, il est indispensable qu’elle soit précise et qu’elle disparaisse dès que le cheval a répondu.
Aparté : J’accorde cependant une place au bavardage dans la relation avec nos chevaux, dans la mesure où une personne qui parle, même de n’importe quoi, est une personne qui respire, qui relâche sa gorge et en conséquence son corps en entier. Et plus le corps est souple, plus le cheval prend confiance dans ce sens que, lisant l’attitude corporelle de l’humain, il ne détecte chez lui aucun signe inquiétant lui indiquant qu’il faut se préparer à fuir. Cette place d’un « bavardage quasi thérapeutique » est néanmoins différente de celle que serait l’échange, entre cavalières, de recettes de tarte aux pommes au milieu d’une reprise d’équitation !
Donc je reviens à mes moutons, oups, chevaux… pour que le dialogue puisse s’établir vraiment, il faut impérativement que nous devenions capables de scruter ce que le cheval raconte. Son langage est riche, varié et d’une très grande précision. Hélas, il n’est guère enseigné, pas plus que l’art de communication est enseignée dans les écoles, d’ailleurs.
Car, oui un dialogue équilibré permet une communication de qualité : je m’adresse à mon cheval et je l’écoute, je lui laisse le temps de recevoir mon attente, je lui laisse le temps de réaliser ce qu’il a compris tout en observant le moindre de ses mouvements afin de saisir ce qui pourrait l’empêcher de me l’offrir facilement. Je lui laisse aussi une part de prise de décision, il en a besoin et il sait faire.
Petit à petit, jour après jour, dans ce dialogue fin, dans cette écoute attentive et réciproque (1) la confiance s’élargit l’un dans l’autre et c’est de plus en plus fascinant à vivre.
Le seul bémol, c’est que je dois assumer un certain côté « sauvage » : quand je suis « avec » mon petit cheval, je deviens incapable de bavarder avec les autres cavalières!
(1) : oui, réciproque vraiment, car le cheval lui, nous scanne sans arrêt, rien ne lui échappe, ni nos demandes approximatives ni les ordres parfois contradictoires que nous envoyons à notre insu.
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Hurler avec les loups
(Comme toujours, il y a un lien entre l’image et mon propos)
Et je me suis vue hurler avec les loups!
L’instinct grégaire est vraiment fort, constitutif de notre humanité, et donc de mon être.
C’est qu’en début de cette deuxième période de limitation de « libertés » il y a dans l’air un souffle de rouspétance.
La soumission de l’ensemble de la population aux ordres « venus d’en haut » est indissociable de son goût actuellement porté au paroxysme pour ce genre de question/réponse : « Pourquoi lui et pas moi? Je veux que « toi-la haut » tu fasses quelque chose pour « moi-je » parce que je le vaux bien »
Donc, que certains commerces soient ouverts et immédiatement d’autres devraient l’être.
Certaines activités sont permises et/où limitées et d’autres devraient s’en inspirer.
Ainsi il suffit d’ouvrir une page sur les réseaux sociaux pour voir qui s’insurger de la fermeture de la « culture », qui de la trop faible ouverture des « sports de plein air », qui du manque de possibilité d’acheter des fleurs alors qu’il est par ailleurs possible de se gaver de chocolats ou de tout un tas de nourritures absolument non indispensables.
Bref.
J’ai bien failli hurler avec les loups!
Particulièrement parce que je suis actuellement obligée de laisser ma pirogue sur son étagère!
Post hoc, ergo propter hoc.
Ouf, je me suis reprise à temps.
Car, sérieusement, qui parle de culture? Les personnes qui disposent d’une bibliothèque digne de ce nom peuvent avec joie relire l’intégrale de Spinoza, se plonger dans la noirceur de Zola, s’enivrer avec la Provence de Giono ou s’endormir en essayant de déchiffrer un roman en langue étrangère non suffisamment pratiquée.
Car sérieusement, de quoi est-il question en terme d’activité physique? Les personnes qui ont l’habitude de s’agiter physiquement peuvent aller faire leurs courses essentielles (et parfois très loin) à pieds ou en vélo.
Car sérieusement, des végétaux poussent partout dans la ville, il suffit de se baisser à peine pour faire un bouquet! OUI me direz vous, mais j’aurais voulu offrir des roses!!!! Oui, vais-je vous répondre et à quand date la dernière fois où tu as acheté des roses chez le fleuriste du coin de la rue ? Honnêtement ?
Et puis, plus loin, alors que le web nous offre la plus grande bibliothèque du monde (même que plus grand monde n’achète des livres papier à ce qu’il était dit les années d’avant 2020), alors qu’en un clic il est possible de visiter plein de musées, alors que sur canapé il est possible de parler avec une amie à l’autre bout de la planète, c’est quoi ce délire de tout d’un coup ronchonner parce que « ils » nous enlève ce que nous n’utilisons pas vraiment… en fait ?
Sincèrement ?
Et puis, plus loin aussi, qui peut imaginer que le mec qui a passé sa journée à courir sur une structure métallique, en plein air, pour construire un immeuble dans lequel son salaire de m…de ne lui permet pas de rêver, que ce mec est forcément impatient de pratiquer « un sport de plein air » après son travail de forçat ?
N’est-ce pas un tantinet élitiste que d’hurler avec les loups sur ces sujets là ?
Je rêve à l’idée de voir des gens dits « cultivés » capables d’adaptation, d’imagination, de non démagogie comme je rêve à l’idée de voir atterrir tous les soi disant sportifs qui dépensent autant d’argent dans leur matos que certains travailleurs en dépensent en sueur véritable sans en tirer de quoi vivre dignement.
Et au delà des rêves, j’organise au quotidien ma vie de nantie avec ce qui m’est offert.
Je me déplace en vélo, le nez au vent, le sourire aux lèvres.
Je marche autant que je le souhaite.
Je respecte les consignes en remplissant autant de bons de sorties que nécessaire.
Je garde mes distances et même je me lave les mains avant de préparer à manger.
Je fais tout bien
Et je le fais seule, sans demander de « dérogation » pour « moi-je » même si le soleil me manque, même si le sel va me manquer bientôt.
Je vais chercher des piments où j’en trouve.
Je vais décrocher des étoiles où il y en a.
Un jour de mon enfance lointaine, j’avais décrété que je devais vivre comme si j’allais mourir le lendemain, donc avec gourmandise, curiosité, passion et hâte.
J’ai largement dépassé la mi-temps de ce qui m’est accordé de vie et moins que jamais je ne vais gaspiller ce qui est offert. Pas question de cracher dans la soupe, pas question de me mêler à la meute, il n’y a pas de temps à perdre, il me reste tant à apprendre avant demain.
Mardi 3 novembre 2020, plus de cinq mois après la sortie du grand confinement, lendemain du jour des morts, cinq jours après l’entrée dans un carême contemporain décrété au nom du SRAS-Cov-2.
Dans ma ville comme ailleurs en France, la population est assez soumise à cette nouvelle religion et chacun fait dans son coin ce qu’il croit « bon » de faire et de ne pas faire.
La suite est encore plus loin.
De l’utilité (3)
Une bruine fine a envahi la ville.
L’heure d’hiver a sonné le glas de la lumière solaire à l’heure du thé
Le plus célèbre des minuscules tas d’ARN poursuit son chemin de terroriste mondial.
La roue avant du vélo fait jaillir de la route une trainée de gouttelettes, j’ai déjà les pieds trempés, les cheveux mouillés et le visage juste bien brumisé, je suis ravie.
Les rares personnes qui pédalent et me croisent ont le sourire aux lèvres. Dois-je déduire que seuls les gens heureux sont de sortie ce matin?
Tout au long de la semaine, j’ai tourné et retourné ce mot « utile » qui m’invite pour la troisième fois à proser au sujet de l’utilité.
Dans différents environnements, j’ai procédé à sa dissection.
A travers ce que j’imagine d’époques révolues dans lesquelles je n’ai point habité, je l’ai fait voyager.
J’ai écrit « ça » et bien plus hier.
Ce matin, ce dimanche j’ai effacé presque tout.
A quoi bon écrire ici ?
Il faudrait croire en l’utilité pour réussir à convaincre,
Ou croire à la non-utilité pour tenter de démollir la croyance en l’utilité.
Et définitivement, je suis brouillée avec les croyances, avec la dualité, la dichotomie, la prise de position qui me poserait dans un camp contre l’autre ou dans un camp avec ceux du même camp.
L’impression de solitude me tombe parfois sur la tête.
Du fait de ces incroyances.
Je suis tout à fait non capable d’affirmer que la solitude est utile
Ou non utile.
Elle est
Et en même temps existe notre humanité
Et le monde que nous habitons.
Seuls et ensemble,
En même temps
Indissociables
Non opposables.
Dimanche 25 octobre 2020, cinq mois et deux semaines après la sortie du grand confinement.
La peur est à nouveau palpable tout autour, consécutive au niveau d’alerte lancé à travers les médias. Chacun en fait ce qu’il a besoin d’en faire, en fonction de la manière dont il qualifie cette peur.
Dans ma ville, les bars fermeront dorénavant à 22:00 et pour ma part, ça ne changera rien.
La suite est encore plus loin.
Au bout de la patience, il n’y a rien d’autre que la patience. Je l’ai appris par expérience.
De l’utilité (2)
Une semaine plus loin que la semaine dernière.
Donc à nouveau dimanche.
Le ciel est d’azur, l’air est limpide, légèrement piquant, de cette texture particulière que lui donne une température proche de 5°C.
La rue est déserte, il est relativement tôt.
Je suis en vélo, stoppée par un feu qui tient le rouge pendant de longues minutes.
Après une légère montée, me voici un peu haletante
Calmant mon impatience.
Le nez à l’air (Masquage non obligatoire en vélo)
J’attends.
Est-ce bien utile de rester plantée devant ce feu rouge m’obligeant à l’arrêt alors que pas un chat ne circule ce dimanche matin sous le soleil froid de l’automne?
Utile?
Individuellement non.
Indispensable.
Collectivement oui.
D’aucun peuvent trouver « cette conduite » stupide!
Les mêmes revendiquent pourtant « leur » sécurité.
Utile
A la fin de n’importe quelle FAQ, deux cases à cocher : « Ces explications vous ont-elles été utiles? OUI – NON »
Utile
A longueur de journée, sur les chaines d’info en continu, des personnages sont invités afin de polémiquer au sujet de l’utilité d’une décision ou d’une autre.
Utile
A longueur d’ouverture de pages WEB, des encarts vantent l’utilité de gadgets d’ici ou d’ailleurs.
Utile?
Voilà un questionnement qui nécessite un temps de réflexion.
Dans cette circonstance précise,
J’ai besoin de temps.
Le temps qui passe peut-il être qualifié d’utile?
Dimanche 18 octobre 2020, cinq mois et une semaine après la sortie du grand confinement.
L’actualité de fin de semaine a un peu gommé la prééminence du plus formidable feuilleton de télé-réalité inventé par les chaines d’information en continue. Les vacances scolaires vont légèrement le détourner aussi… mais il continue à trainer en longueur à défaut d’une fin satisfaisante.
La suite est encore plus loin.
De l’utilité (1)
Le temps poursuit inexorablement son cours.
A l’été resplendissant succède l’explosion des couleurs d’automne.
Désormais et pour de longs mois, les journées commencent comme elles se terminent : sous la lumière artificielle.
Pourtant j’ai toujours autant besoin de lumière solaire.
Les jours gris
Mes pensées défilent
Au galops
De chevaux gris, lourds
Et pesants
De leurs crinières
S’échappent des étoiles
Impalpables traits de lumières
Illuminant
Le chemin vers plus loin.
Se posent à chaque détour, à chaque changement de brise ou de vent, une multitude de questions au sujet de l’utilité.
Dimanche 11 octobre 2020, cinq mois exactement après la sortie du grand confinement.
A ce jour, le plus formidable feuilleton de télé-réalité du monde nanti n’arrive toujours pas à trouver une fin satisfaisante, il traine en longueurs de désespérances globales. Celles des uns n’étant pas celles des autres.
La suite est encore plus loin.
Comprendre
Un des premiers bouquins récupérés chez le libraire après que la liberté nous ait été rendue *, fut un bouquin de Mickaël Launay. C’est une fois de plus la « faute » de ma station radio préférée!
Je l’ai dévoré!
Passionnément.
Je me suis revue élève de lycée,
Puis étudiante.
Et j’ai découvert un peu plus loin,
Le mode de fonctionnement qui est le mien,
Si loin de l’application des recettes,
Même réputées immanquables!
C’est que j’ai viscéralement besoin de comprendre, c’est à dire de capter, d’expérimenter à travers mes propres sens, d’intégrer dans les arcanes de mes pensées sans la moindre concession à la crédulité.
Depuis aussi loin que je peux regarder dans mes souvenirs.
Comprendre.
Et… lors de mon parcours scolaire, puis universitaire, j’ai souvent été confrontée à l’incompréhension. Dans ce qui m’était proposé, il y avait beaucoup de recettes.
J’étais capable de touiller, de ratatouiller, de recracher si besoin.
Sans aucune satisfaction.
Donc sans enthousiasme.
Sans plaisir.
D’autant moins que de plaisir il n’en était jamais question.
Je me suis vite lassée
J’ai décroché
Retenté
Raccroché les wagons
Pour passer.
J’ai capté l’importance de la rigueur,
Cultivé la réserve,
Et enregistré mes ignorances.
J’ai beaucoup appris.
De ce qui ne fut jamais inscrit dans les programmes.
J’ai obtenu un certains nombre de « certificats d’apprentissage »!
Ceci parce qu’un jour, j’ai fini par comprendre que le système impose de ne pas chercher à comprendre, il impose de se contenter d’exécuter : l’explication est simple, il serait question pour tous et chacun d’atteindre un certain confort.
C’est un objectif productiviste.
J’ai fini par comprendre un certain nombre de fonctionnements de notre société.
Alors, j’ai enfin pu commencer à apprendre, à comprendre vraiment, à ma manière, avec enthousiasme, passion, émerveillement, boulimie parfois et toujours avec gourmandise.
Et j’ai aussi compris que ça ne sert absolument à rien.
C’est seulement pour mon plaisir
Définitivement à la marge
Rebelle
Avec deux ailes.
* en raison d’un minuscule paquet d’ARN, la vie de l’ensemble du pays a été suspendue à partir du 17 mars 2020 à 12h jusqu’au 11 mai 2020 23h59.
A ce jour, 8 juillet 2020, pas un jour ne passe sans qu’il soit rappelé qu’une ombre plane sur l’humanité sous forme d’un petit amas d’ARN nommé SRAS-Cov-2…
A ce jour, c’est un truc qui reste impossible à comprendre pour moi.
Comprendre…
Avec deux ailes!
Passionnément la vie
Comprendre signifie « prendre avec soi ».
Impossible de prendre avec soi ce qui nous échappe.
Il est pourtant possible de se laisser toucher.
Patience, passion, pathos ces trois fleurs ont une racine commune dans le grand livre de l’étymologie : dans notre monde contemporain, elles ont des parfums si différents qu’il est facile de l’oublier.
Ces dernières semaines j’étais prête pour faire un peu de rangement.
Ranger, c’est trier et classer et inévitablement jeter ce qui doit l’être.
Cinquante ans en arrière, quand j’affirmais vivre comme si je devais mourir le lendemain, c’était pour chanter que j’étais favorablement disposée en vue de goûter à toutes les gourmandises offertes par la vie. Je n’avais à l’époque qu’un maigre bagage, une minuscule boite à trésors et tant à expérimenter, à apprendre, à vivre passionnément.
J’ai gardé ce cap.
La vie est un risque qui m’est tombé dessus le jour de ma naissance, et dont j’explore encore chaque saveur … à ma manière, sans la moindre bataille, toujours émerveillée et consciente de la multiplicité fascinante de ses formes autant que de l’imprévisible qui rôde.
Mais avec le temps mon bagage s’est enrichi et alourdi aussi.
Les passages de vie se sont succédé, les uns par dessus les autres, se complétant parfois sans jamais s’annuler l’un l’autre.
Je me suis trouvée encombrée par mille questions, par des centaines d’obligations qui semblent incontournables et des dizaines de résolutions qui sont autant de « points fixes » dont je ne souhaite pas me débarrasser.
Aujourd’hui, quand j’affirme vivre comme si je devais mourir demain, c’est plus que jamais croquer dans la vie mais c’est aussi ranger, trier, jeter, c’est agrandir mon espace afin que je puisse y trouver la multitudes des possibles encore à ma portée. C’est aussi penser à l’empreinte qu’inexorablement ma disparition laissera.
Ce faisant, emportant sans le moindre regret mon passé dans les décharges sélectionnées pour leur capacité de tri anonyme, je pense à ce monde qui nous englue dans son confort, dans sa pseudo sécurité et nous pousse à plonger dans les grandes vagues d’émotions concoctées par les médias afin que nous nous sentions « humains » par écran interposé, tellement virtuellement, en fait!
Ce monde qui nous encombre avec ses accumulations insensées nées sur le vide abyssal de nos oublis et non-espérances assemblées.
J’ai gardé quelques objets comme autant de métaphores dont j’ai encore besoin :
Un sac vide que je m’étais offert comme d’autres s’offrent une plaque dorée.
Une boite à outils du passé, infiniment utilisable, tellement différente du « consommable » actuel, ces « trucs jetables » que nul écologiste ne remet encore en question.
Les outils sont le prolongement de la réflexion et donc le prolongement des mains qui se mettent au service de la réflexion. Merleau Ponti disait « toucher, c’est se toucher » : j’en suis persuadée, quelles que soient les circonstances, l’environnement et les faits.
J’ai jeté des quantités de papier et autant d’images.
J’ai gardé les étoiles, elles sont des parts de mon âme, inséparables de mon être, légères, impalpables, non consumables.
Marcher
« Tout grand paysage est une invitation à le posséder par la marche ; le genre d’enthousiasme qu’il communique est une ivresse du parcours. Cette brume ensoleillée comme une gloire est indissolublement à la fois le point de fuite du paysage, l’étape proposée de notre journée, et comme la perspective obscurément prophétisée de notre vie. »
Julien Gracq, En lisant en écrivant, Editions José Corti, 1980, ISBN 978271430303-5
Marcher, verbe transitif ou intransitif… La marche, le marcheur… Sens propre ou sens figuré ?
Poser un pied devant l’autre en réalité ou de manière métaphorique?
Marcher, pratiquer la marche, posséder par la marche, le marcheur…
Des mots.
Des mots comme tant d’autres qui n’ont de signifiance que pour la personne qui les utilise, dans un environnement défini, à un moment précis.
Du jour où l’enfant se lève et avance droit devant, vacillant, chancelant avant de trébucher sous la joie de ses proches : « ça y est, il marche ! » jusqu’à la dernière minute de vie dont il est impossible de se relever, la marche est, comme la respiration, une fonction formidablement banale.
Qu’est-ce qu’un marcheur, une marcheuse ?
Je ne sais pas.
Chacun se définit à sa manière, selon ses propres critères.
Tout est vérité.
Il est vain de se fier aux apparences, aux chaussures, à l’accoutrement, à l’environnement ou à quoi que ce soit.
Chaque personne sait plus ou moins qui elle est, d’où elle vient, où elle va.
Peut-être ?
Quiconque la croise ne peut que se contenter d’imaginer ce qui lui convient d’imaginer.
Je m’apprêtais pour une petite pause, devant un bistrot, à Saint-Jean-Le-Vieux, le temps d’avaler un sandwich et de boire un thé chaud.
Un couple d’âge mûr me cédait sa place, sous l’unique parasol troué qui pouvait servir de parapluie en cas d’averse.
Lui, un peu lourd, la lèvre épaisse, le ventre bien rond, paquet de cigarettes dans une main, smartphone dans l’autre, sac déjà sur le dos, Lui attendait pour la suivre, Elle.
Elle était parfaitement coiffée et parfumée, ses jambes décharnées mais superbement bronzées s’étiraient entre l’extrémité d’un micro-short pinky et la bande blanche immaculée des soquettes qui surplombaient de lourdes chaussures de montagne .
Bâtons de marche hi-tech en vrac dans une main, Elle tentait de s’extirper du coin où elle s’était coincée à côté de son sac à dos.
Un poème de Baudelaire me vint à la mémoire en la voyant s’empêtrer entre les chaises, la table et les bâtons dépliés ; c’était tellement incongru dans la circonstance, qu’un large sourire illumina mes pensées.
Après les salutations basiques, je tentais aimablement un « Vous allez où comme ça ? » tout à fait neutre, histoire de dire quelque chose, un peu curieuse, néanmoins.
Impossible d’oublier le regard outragé lancé par la dame.
Un regard accompagné par des mots, balancés à la hauteur de l’offense bien innocente que je venais de proférer : « Nous allons à Compostelle, bien sûr. Ca ne se voit pas ? »
Je me suis entendue bredouiller : « Non… Oups… Désolée… Vous auriez tout aussi bien pu aller vous balader dans la montagne, non ? »
Ce couple était donc « sur le chemin » et je n’avais rien vu.
Elle devant, sans plus de mots, Lui derrière, débonnaire ils s’en furent en marchant.
Marcher.
Qu’est-ce donc ?
Qu’est-ce donc pour qu’il s’écrive autant de livres, de billets, de blogues, de poèmes sur le sujet?
Sur un sujet finalement vague, à propos d’expériences indéfinies, chacun reste libre d’interpréter à sa sauce.
Cette année, pour mes vacances, j’avais choisi de me déplacer à pieds.
Délaissant la planche de SUP, j’avais choisi de porter sur mon dos tout le nécessaire indispensable à mon confort.
Fidèle à moi-même, je savais d’où je partais, j’avais fixé un sens, une direction et donc une arrivée probable.
Entre les deux, j’avais prévu autant que possible ce que je pouvais prévoir d’imprévisible.
Comme d’habitude, j’avais fixé le temps imparti pour ma balade et je disposais d’un mois plein, à utiliser au gré du vent.
Sans aucune réservation en poche, sans GPS actif, sans smartphone sous le nez, je me suis engagée dans l’aventure avec le minimum : une boussole pour garder le nord, une carte routière pour me positionner, une tente pour m’abriter et rien en trop, histoire de marcher légère.
Je suis monté dans le train, à Nantes, le mercredi 29 août au matin, en vêtements de ville. J’emportais un stock de bouquins pour passer le temps, un sac à dos sur le dos et à la main une grosse boite postale destinée à envoyer bouquins et vêtements de ville du « départ de la marche » vers une maison proche du point d’arrivée espéré.
Je suis descendue du train, à Nantes, le mardi 26 septembre en fin d’après-midi. Dans mon sac à dos, j’avais rangé avec attention plusieurs gâteaux basques pour régaler quelques personnes gourmandes.
(à suivre)