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Et si « on » se parlait ?



Mon cheval loge dans une petite écurie où tous les cavaliers se connaissent, où il est facile de se parler et de s’entraider.
Hier, alors que j’avais aidé une cavalière en disposant (à sa demande) les barres qui allaient bien au couple qu’elle forme avec son cheval, j’ai conclu leur belle séance par ces mots : « Désormais, pour aller plus loin, il va falloir que vous établissiez un dialogue entre vous deux »

Bien sûr, avec les chevaux existe une forme de communication à travers les « aides », c’est ce qui nous est enseigné dès le début de l’apprentissage. Mais c’est un peu à sens obligatoire, car l’observation et l’écoute de la réponse du cheval à nos « ordres » sont mises au second plan sur l’air très tôt chanté de « c’est moi qui commande, taka obéir ».

Et si « on » se parlait vraiment ?
Et si un véritable dialogue pouvait s’engager ?
Et si nous prenions le temps d’écouter, de regarder, de sentir ce que nous raconte notre cheval à travers son langage de cheval ?

Ce qui est compliqué dans l’histoire, c’est que les chevaux avec leur sensibilité à fleur de peau sont exclusivement dans le présent, dans la réalité véritable, incapables de fomenter, de se morfondre ou de se réjouir à l’avance alors, que nous, humains avons constamment des idées toutes faites dans la tête.

Un exemple:
Le jeudi est le seul jour de la semaine où je ne demande rien à mon cheval. Jeudi dernier je suis juste passée le voir, pensant faire quelques images destinées à illustrer mes propos d’un jour ou de l’autre. En lui apportant son « goûter » j’avançais avec le téléphone braqué sur lui en mode vidéo afin d’enregistrer le hennissement qu’il ne manque jamais de produire à l’approche du seau de nourriture.
j’arrivais à sa rencontre, à moins d’un mettre du fil de clôture lorsqu’il fit un ultra-rapide demi-tour de fuite.
En humaine, je me suis dit que la vue de mon écran braqué sur lui l’avait effrayé, j’ai baissé mon téléphone (qui filmait encore)
Il est revenu illico en hennissant de plus belle et la suite fut comme d’habitude.
Je demeurais interrogative.
Ce petit cheval est vraiment zen et je trouvais étrange que la vue de l’écran ai pu le faire fuire.
C’était pourtant la seule explication que je voyais.
Le soir en visionnant la vidéo, j’ai changé de point de vue.
J’ai pu voir que son pied gauche avait très légèrement glissé dans la boue, apportant un « imprévu » à son habitude de freinage à l’approche du fil électrique et que les vibrisses de ses lèvres avaient de fait été en contact avec le fil, lui occasionnant la petite « châtaigne » à l’origine de son réflexe de fuite.
Pourquoi n’y avais-je pas pensé avant?
Mais vraiment pas pensé?
Parce que je suis humaine !
Simplement humaine et que si parfois je touche un fil électrique, je ne bondis pas mais que par contre voir un téléphone braqué sur moi sans mon autorisation pourrait me faire sortir de mes gonds!

Et donc, si « on » se parlait ?
J’y reviens.

Il est un fait que j’ai vu, dans ma lointaine enfance, de braves paysans guider très précisémment leur énorme cheval de trait seulement à la voix.
Puis, en 1975, grâce à une année passée en Suisse chez un écuyer de renom, j’ai expérimenté la toute puissance de la parole sur les chevaux.
Pour l’anecdote, à mon retour en France, alors que je mettais cette expérience acquise au service d’un nouveau cheval, je me suis fait remonter les bretelles à l’issue d’une reprise de dressage lors d’un CCE : d’un air sévère et pas aimable, la juge m’assena ces mots lors du salut final  » Madame, il est interdit de parler à son cheval! « . Moi qui avait pourtant seulement murmuré, j’étais poussée sans ménagement à revenir « dans le cadre »! Le souvenir est encore cuisant.
Quiconque me connait en vrai, sait que j’ai continué.
Ce qui est important à mes yeux reste important en toute circonstances.
Et puis, mon cheval était en progression constante, de fait mes aides (la voix comprise) pouvaient se faire de plus en plus subtiles, évitant par la même occasion toute remontrance « jugesque ».

La voix reste une aide que les grangurus abordent rarement. Si parfois un « good boy » s’échappe à travers le micro-cravate, c’est toujours le geste du cavalier, la position d’un stick, d’une chambrière ou des mains qui sont expliqués.
Peut-être est-il nécessaire de distinguer le bavardage de la parole ?
Car, il faut bien l’avouer, la majorité des personnes qui tournent autour des chevaux sont désormais du genre féminin et il faut bien avouer que le bavardage fait partie de leurs atouts.

Pour se faire comprendre par les chevaux, le bavardage est vain.
Je souris souvent lorsque l’aire de pansage se transforme en « salon où l’on cause » car je sais que mon cheval considère ce « bruit de fond » pour ce qu’il est : un bavardage d’humains qui bruisse sans le toucher.
Pour que la voix devienne un aide à la hauteur des autres, il est indispensable qu’elle soit précise et qu’elle disparaisse dès que le cheval a répondu.

Aparté : J’accorde cependant une place au bavardage dans la relation avec nos chevaux, dans la mesure où une personne qui parle, même de n’importe quoi, est une personne qui respire, qui relâche sa gorge et en conséquence son corps en entier. Et plus le corps est souple, plus le cheval prend confiance dans ce sens que, lisant l’attitude corporelle de l’humain, il ne détecte chez lui aucun signe inquiétant lui indiquant qu’il faut se préparer à fuir. Cette place d’un « bavardage quasi thérapeutique » est néanmoins différente de celle que serait l’échange, entre cavalières, de recettes de tarte aux pommes au milieu d’une reprise d’équitation !

Donc je reviens à mes moutons, oups, chevaux… pour que le dialogue puisse s’établir vraiment, il faut impérativement que nous devenions capables de scruter ce que le cheval raconte. Son langage est riche, varié et d’une très grande précision. Hélas, il n’est guère enseigné, pas plus que l’art de communication est enseignée dans les écoles, d’ailleurs.
Car, oui un dialogue équilibré permet une communication de qualité : je m’adresse à mon cheval et je l’écoute, je lui laisse le temps de recevoir mon attente, je lui laisse le temps de réaliser ce qu’il a compris tout en observant le moindre de ses mouvements afin de saisir ce qui pourrait l’empêcher de me l’offrir facilement. Je lui laisse aussi une part de prise de décision, il en a besoin et il sait faire.

Petit à petit, jour après jour, dans ce dialogue fin, dans cette écoute attentive et réciproque (1) la confiance s’élargit l’un dans l’autre et c’est de plus en plus fascinant à vivre.

Le seul bémol, c’est que je dois assumer un certain côté « sauvage » : quand je suis « avec » mon petit cheval, je deviens incapable de bavarder avec les autres cavalières!



(1) : oui, réciproque vraiment, car le cheval lui, nous scanne sans arrêt, rien ne lui échappe, ni nos demandes approximatives ni les ordres parfois contradictoires que nous envoyons à notre insu.

Les animaux ne savent pas lire l’heure


Toutes les personnes qui possèdent un animal domestique savent que les animaux passent beaucoup de temps à dormir ou à somnoler, bref… à ne rien « faire », à ne rien produire.

Les chevaux, s’il passent très peu de temps à dormir couché, passent beaucoup de temps à somnoler debout.

C’est peut-être parce que les animaux ne savent pas lire l’heure qu’ils sont de merveilleux compagnons ?
Les animaux nous apprennent à prendre le temps et à rester immobile.
Car temps et mobilité sont liés.

Le temps s’est accéléré avec les progrès technologiques.
Les horloges ont éclaboussé leur précision de machine lorsque des gares ont été construites pour accueillir les trains. Et les trains avaient changé les repères en dépassant largement les vitesses de voyage en vigueur avant eux. Du pas de l’homme, du galop des lourds chevaux postiers, l’humanité passait soudain à la vitesse de la machine, démesurée. La mobilité qu’elle apportait rangeait la mobilité humaine au grade de quasi immobilité en quelque sorte.
Et tout s’est accéléré au fil du 20 ème siècle, puis encore plus par la suite avec des informations capables de parcourir le monde en quelques minutes seulement!
Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne était visionnaire et il est largement dépassé aujourd’hui.

Sociologues et philosophes se sont emparés de ce sujet contemporain à l’instar de l’allemand Hartmut Rosa dans son livre : Accélération. Une critique sociale du temps » (Beschleunigung. Die Veränderung des Zeitstrukturen in der Moderne)Traduit de l’allemand par Didier Renault, La Découverte, 2010

Nos animaux ne savent pas lire l’heure.
En leur compagnie, nous apprenons leur monde.

Qui n’a jamais passé un long moment à seulement caresser son chien, à rêvasser avec un chat ronronnant sur les genoux, à faire briller la robe d’un cheval patient ignore cet enseignement.

Avons nous conscience de ce qui nous est offert là?
Cette clé d’un temps très relatif?
Je n’en suis pas certaine.
Trop souvent,
Ces instants pausés,
Sont autant de simples bulles qui nous mènent vers la bousculade sur l’air de « Oups, j’ai pas vu le temps passer, j’ai tant à faire, viiiiiiiiite…. »

Un peu de respect


Le respect.
Il faut respecter son cheval, respecter les vieux, respecter les lois, respecter la nature, respecter les horaires, la vie privée des gens et tant et tant.

Mon cheval, lui ne respecte rien!
S’il reste sagement derrière le minuscule fil électrique, c’est qu’il craint de recevoir une décharge. S’il lève les pieds sur un obstacle, c’est qu’il déteste se faire mal, s’il ne me marche jamais dessus, c’est que je suis super attentive et que je veille à lui éviter les surprises et les peurs, etc.

Un cheval pas plus qu’un jeune enfant ne connait le respect, car le respect est principalement de nature éthique.

Respect.
Voilà encore un mot fourre-tout utilisé à tort et à travers sans vraiment prendre le temps de le définir. Nous avons tellement tendance à limiter notre vocabulaire que parfois il devient impossible de se comprendre à travers le langage parlé ou écrit!
Je renonce à entrer ici dans une grande dissertation philosophico-politique et je vais seulement parler au sujet du respect tel que je le conçois en équitation.
Et comme souvent, c’est une petite histoire que je vais raconter.

L’idée du respect a germée ce matin, après la session en compagnie de mon p’tit pur-sang.
Elle m’est venue parce que ce matin précisément, je lui ai demandé de galoper.
Je lui ai demandé quatre fois, deux fois de chaque côté, à main droite puis à main gauche.

Ceux qui suivent savent que ça fait déjà quatre mois que j’ai acheté ce cheval, quatre mois que je m’occupe de lui à raison de six jours sur sept chaque semaine.
– Quoi ??? En quatre mois et tout ce temps passé avec lui tu n’avais jamais galopé ?
– Ben non…
– Pourquoi, t’avais peur ?
– Je dirais plutôt que c’est par respect pour lui que je n’ai pas eu envie de lui demander le galop lorsque je suis dessus.
– Tu m’expliques ?

En premier, ce cheval étant un galopeur né qui est passé par un centre d’entrainement dès avant ses deux ans, je n’ai jamais eu aucun doute quant à ses compétences en matière de galop.
En deuxième, je sais qu’il fut sorti d’entrainement à la fin de décembre dernier, il a ensuite trainé dans l’antichambre de la boucherie sans la moindre activité physique, s’est finalement retrouvé en transit chez un marchand, puis castré donc « mis au repos » (c’est toujours amusant de parler du repos d’un individu sans activité…) et hop, je l’ai récupéré. Il était physiquement en état, mais totalement démusclé.

Quel cavalier sensible aurait donc pu le faire galoper sans attendre ? Et pourquoi faire ?

J’ajoute que le p’tit cheval s’est visiblement retrouvé très tôt poussé à galoper sous un poids démesuré. (cf la capture de vidéo posée en illustration)
Comment oublier que dans la très bonne écurie de course où je fus un temps cavalière, les « deux ans » étaient réservés aux apprentis qui pesaient moins de 40kg tout mouillés ? Jamais le « patron » n’aurait imaginé surcharger ces petits chevaux « pas encore finis ». Quand je pense que certaines personnes se plaisent à raconter que c’était pire « avant »! C’est un autre sujet.

Toujours est-il que j’ai cultivé la patience par respect envers ce p’tit pur sang et aussi, très égoïstement pour agrandir tout ce qu’il m’apporte déjà sans le savoir lui-même.

Il me fallait attendre qu’il se retape après le bouleversement hormonal subit (nécessité de considérer, d’un côté la récupération post-chirurgicale rapide, et de l’autre la récupération d’un équilibre hormonal, beaucoup plus lente).
Il me fallait attendre qu’il retrouve une masse musculaire suffisante pour me trimbaler au galop sans souffrir.
il me fallait attendre qu’il accorde assez de confiance afin de galoper sereinement, sans que ce soit associé à un quelconque réflexe de fuite.

Il me fallait attendre, c’était une question de respect.

Aujourd’hui était « le » jour.
L’air était clair et calme.
Je commence à bien le cerner, à comprendre ses réactions, ses impatiences et son goût pour la nouveauté. Ce matin, au milieu de la gamme d’exercices prévus, un « je ne sais quoi » m’a poussée à tenter la demande.
C’est aussi « ça » l’équitation, ces « je ne sais quoi » que certains pourraient nommer… le feeling?

Aujourd’hui, nous avons galopé.
Galopé juste et un peu, pas plus d’une ligne droite, juste pour le plaisir de savoir que nous pouvons le faire ensemble, tranquillement, en douceur.
C’est fragile une relation.

Et ça se respecte !
😉

De la crédulité


Mon cheval ne me croit pas du tout.
Certes, il est plutôt obéissant mais c’est à la fois le résultat d’une âpre sélection génétique menée en faveur de sa domestication – cf (1) ) – et d’un patient conditionnement à la soumission opéré dès son sevrage par les éleveurs, les éducateurs puis les cavaliers.

Mon cheval vit l’instant présent et l’interprète selon son propre mode de raisonnement.
Il peut être sensible à l’attitude de ses congénères, mais de nature zen, il est capable de considérer très rapidement la situation afin d’adapter son comportement. Loin de lui l’idée de crier au feu s’il ne sent pas le feu, loin de lui l’idée de fuir devant des fantômes imaginaires.

Mon cheval vit à l’écart des réseaux sociaux et s’il est capable d’anticiper une routine bien connue, il est pour autant dénué de la moindre imagination, incapable de fomenter la moindre théorie.
En sa compagnie, je respire et je vis minute après minute, suivant son exemple.

Pourtant,
Pourtant, le plus grand nombre des propriétaires de chevaux de loisir que je croise, eux, sont extrêmement crédules.
Ils sont parfois prêts à croire n’importe quoi et n’importe qui.
Ils sont prêt à avaler des couleuvres, ils sont attirés par des miroirs aux alouettes de toutes sortes et c’est généralement dans l’unique but de pouvoir atteindre (plus vite si possible) des objectifs tout à fait humains et de fait contradictoires. Parce que, par exemple, favoriser le bien-être de leur animal préféré et viser des objectifs compétitifs – cf (2) – pour leur plaisir à eux est évidemment quasi incompatible stricto sensu.

En temps qu’humains, nous sommes ainsi, cherchant l’équilibre entre nos paradoxes. Animaux pensants, nous sommes soumis à des instincts du fond des âges et nous avons besoin de les légitimer puis d’imposer nos lois, de créer nos chapelles pour caresser notre égo humain. (L’égo humain étant une construction psychologique complexe, influencée par la culture, qui émerge des caractéristiques uniques du cerveau humain et de son architecture cognitive particulière)

Les chevaux cherchent surtout a être en paix, respirer, boire, manger et se mouvoir librement suffit à leur bonheur.

Et la crédulité, et les croyances alors?

Pour éviter de partir dans tous les sens, je vais prendre pour exemple celles qui sont associées à l’injonction « bien-être ».
La notion de « bien-être » est politique en premier. Avec les acquis sociaux et l’évolution de nos sociétés nanties, elle s’élargit actuellement jusqu’à atteindre le monde animal en entier (animaux domestiques et animaux sauvages, animaux d’élevage, animaux de rente, animaux des villes et des champs dans le même sac tant qu’ils sont « mignons » et qu’ils ne nous piquent ni ne nous mordent auquel cas, ils deviennent « nuisibles »)
Ce bien-être politique, de part l’injonction qui lui est liée, peut être perçu comme un syndrome à part entière avec de sacrés effets délétères, certaines personnes se sentant coupables (quand elles ne sont pas culpabilisées par des « bien-pensants ») de se « sentir mal ».

Comme c’est le cas chaque fois que l’affaire est tellement complexe qu’elle en devient inconfortable à penser pour un bon nombre de personnes, des « grangurus » – cf (3) – sont là pour tout simplifier, donc devenir « rassurants » et emballer vite fait bien fait leurs « clients » crédules.

Je reviens à nos chers chevaux.

Je suis effarée lorsque je lis les annonces destinées à vendre des chevaux communs et que je lis « ostéo OK » et parfois « shiatsu OK » et bientôt « horoscope favorable » pourquoi pas?
Qu’est-ce que ça signifie ?
Ces chevaux n’ont pas subit d’examen vétérinaire assurant qu’ils sont exempts de tares et de maladies, mais des « professionnels » les ont examiné et ont affirmé « tout va bien ». C’est à dire que par la seule imposition des mains, ils auraient les mêmes pouvoirs que toute l’imagerie médicale réunie avec toutes les analyses biologiques scientifiquement connues ! C’est à se demander pour quelle raisons des humains se sont cassé la tête à inventer ces techniques, à les mettre au point et à les « métanalyser » afin de les étayer statistiquement. Franchement ce que les « anciens  » nous ont appris au sujet de la lecture dans le marc de café, dans les tripes de poulet et autres « techniques » de prédiction antiques, moyen-âgeuses et pré-pasteuriennes seraient largement suffisant, il suffirait d’y croire.

Je suis stupéfiée en ouvrant chaque matin les réseaux sociaux quand je vois défiler les « experts » qui vendent leurs méthodes infaillibles pour réussir avec nos chevaux en 10 leçons… ou beaucoup plus mais c’est beaucoup plus cher.
J’ai souvent ouvert la discussion avec certains et j’ai toujours reçu en retour des réflexions remarquables. Remarquables par la similitude de leurs constructions : elles partent d’une affirmation scientifiquement connue pour aboutir à un cloaque où se mélangent les concepts copiés/collés sans autre source que les réseaux sociaux. Des concepts, des représentations, des abstractions souvent basées sur un fort anthropomorphisme et il suffit de croire pour se retrouver piégé. Car les réseaux sociaux sont ainsi faits qu’il suffit de cliquer sur un lien pour en recevoir des dizaines de semblables, pour se retrouver envahi par « tout le monde » qui parle de la mème chose, avec le même langage, ce qui prouve « évidemment » que c’est la « vérité » à quiconque est un tantinet crédule. Et au premier abord il n’y aurait rien à vendre, ce serait juste de l’information bénévole, c’est doublement piégeux pour les personnes qui lisent plus vite que leur ombre en s’empressant de partager « la bonne nouvelle », contaminant de fait ceux qui leur font confiance.

Curieuse de nature et disposant d’un temps libre suffisant, je m’amuse à lire ces « experts » en tous genres afin de mieux comprendre le monde qui vibre autour du mien. Leurs certitudes sont incroyables ! Clairement je suis pas croyante, mes besoins sont autres.
Pour ma part, l’unique « truc » super important à faire de manière urgente consiste à demander au réseau social de masquer définitivement la publication une fois lue. Pendant quelques jours je n’ai plus que des vendeurs de clémentines bio ou de shampooing sec qui émergent et puis, parce que j’ai cliqué chez « googlemonami » un mot clé ou un autre autour de « cheval » les propositions reviennent au galop!


A suivre…





(1) :  « ZFPM1 is essential for the development of dorsal raphe serotonergic neurons involved in mood regulation31 and aggressive behaviour32ZFPM1 inactivation in mice causes anxiety disorders and contextual fear memory31. » in The origins and spread of domestic horses from the Western Eurasian steppes.
(2) Compétitif : la compétition est partout. Souhaiter faire un long galop sur la plage peut être compétitif pour un cheval qui passe 14 jours/15 jours au pré, tourner à la manière western autour des tonneaux est compétitif, imposer une course d’endurance est compétitif, proposer un spectacle meilleur que celui du concurrent est compétitif, etc… En ce moment seules les disciplines olympiques font le buzz, c’est dire combien nombreuses sont les personnes qui portent des oeillères sans en avoir conscience.
(3) Si le « guru » est à l’origine un maitre indien, il se décline désormais de « granguru » à p’titguru ».
Le « granguru » peut venir d’Australie comme son nom l’indique mais il est plus largement anglo-saxon et adore organiser des grand-messes pour rassembler les membres de sa secte.
Le p’titguru » contrairement à ce qu’on pourrait penser n’est pas le fils du « granguru » mais un dérivé plus européen. Grâces aux réseaux sociaux, il aspire a devenir célèbre, convaincu qu’il est de détenir la vérité vraie et de devoir la propager, porté par le bien connu « complexe du sauveur« .
Ces personnes sont à distinguer des véritables enseignants qui proposent leur services tant sur le terrain qu’en ligne avec humilité et passion.

Evolution du vocabulaire et des comportements

Il faut vivre avec son temps disait ma grand-mère.

Et elle appliquait sa maxime, cette phrase qu’elle avait laissé tomber un jour en revenant du marché, en déclarant qu’il était devenu inutile de tricoter puisque de beaux pulls en laine était vendus pour moins cher que leur valeur en nombre de pelotes achetées.
Pour moi ce fut un grand ouf de soulagement, j’en pouvais plus des pulls tricotés par Mémé, détricotés et re-détricotés à l’envie. Toujours la même histoire d’apparence.
Dans mon lycée huppé de centre ville, les filles étaient sapées « mieux », certaines avaient même des chaussures venues d’Amériques, ça s’appelait des « clarks » et ça ne ressemblait en rien à ce qui se vendait chez le marchand de chaussure de mon quartier de banlieue.

Rien à voir avec les chevaux.
Non.

Et oui, il faut vivre avec son temps, OUI.

Logiquement, nous vivons dans le siècle où nous habitons, nous sommes les sportifs de ce monde, les cavaliers de ce monde et nous nous agitons situés dans ce monde là précisément.
Un monde où jamais l’offre de consommation n’a été si large et jamais l’offre de services, n’a été aussi pléthorique.
Désormais, il est même possible d’apprendre le yoga, la course à pied ou l’équitation en restant dans son canapé devant un écran!
De fait, le nombre de spécialistes, d’experts et de « savants » est plutôt conséquent.

La concurrence est partout, elle est rude car elle oblige à une certaine « guerre », c’est à dire que pour survivre, de nombreuses personnes doivent défendre leur chapelle, coûte que coûte, en particulier en oubliant toute forme de nuances.
Il y a le « bien », celui qui est prêché par l’un et il y a le « mal » celui de l’autre chapelle.
Et cette observation est possible sous tous les angles.
C’est factuel et actuel.
Et ce, quand bien même, chacun s’empresse de parler de sa propre modération.

Il y a plus d’un demi-siècle, quand j’étais rentrée dans le monde des chevaux, c’était la fin d’une ère. Les tracteurs avait remplacé les chevaux de trait, le triporteur avait remplacé la bourrique du laitier ; il restait les chevaux de course avec la joie populaire autour des nombreux hippodromes et les grands concours hippiques commentés par Léon Zitrone pour lesquels je pouvais rester scotchée devant le petit écran gris de la télévision de ma grand mère (décidément très moderne!)

En 1975, lorsque j’ai suivi mon inspiration, lâchant « tout » en échange d’un contrat pour une saison au cirque, j’ai découvert un monde que je n’avais pas imaginé, celui du dressage des animaux.

J’ai surtout découvert des chevaux présentés au public en « liberté ».
C’était du cirque!
DU CIRQUE.
C’était tellement loin de tout ce que j’avais pu connaitre jusque là.

Là-bas, j’ai vu.
J’ai eu la chance incroyable de côtoyer chaque jour un homme de cheval en la personne de F.Knie senior. J’ai su bien plus tard tout le bien que pensait de lui N.Oliveira et ce que certains grands cavaliers de dressage lui devaient.
Il présentait cette année là un numéro de haute école, tout en légèreté, avec un superbe lipizzan que l’école de Vienne avait cassé et dont il avait patiemment recollé les bouts prouvant toute la hauteur de son art.
Il m’avait signé un contrat, tout comme à l’anglaise qui m’accompagnait, tout comme à une jeune allemande de ses amies : précurseur, il cherchait des filles pour bosser avec ses chevaux car il détestait toute forme de dressage par la force et la violence.
Des années plus tard, les plus grands cavaliers optaient en masse pour des « grooms » au féminin.

J’ai tellement appris lors de ce passage en Suisse.
J’ai appris ce qui était pour moi une évidence, les chevaux écoutent mieux quand on leur parle avec douceur, même lorsqu’il est nécessaire de faire preuve de rigueur et de fermeté.

Lorsque je suis rentrée en France, j’ai repris la routine.
Etudiante, cavalière classique et cavalière de course à la fois, je restais imprégnée par ce que je venais de vivre et, droit dans mes bottes ou relax dans mes chaps, je m’efforçais afin d’appliquer ce que j’avais appris tout en me gardant bien d’évoquer le cirque.
En concours, après le succès de l’équipe nationale aux JO, c’était à fond la mode de la méthode d’Orgeix et au moins la position me convenait-elle parfaitement en adéquation avec l’équilibre que je connaissais au champ de course.

Et le temps est passé.

Les boudhistes affirment justement que seule l’impermanence est permanente.
Mon père aimait dire que la roue tourne.

Aujourd’hui, nombreux sont les spectacles équestres où apparaissent des chevaux plus ou moins nus répondant à des « dresseurs » plus ou moins charismatiques et ce n’est pas du tout du cirque!
Le cirque, n’est-ce pas de la clownerie et de l’acrobatie?
Non, ce n’est pas du cirque, c’est du dressage et aussi une nouvelle forme d’équitation (lorsqu’il s’agit de chevaux montés) voire une nouvelle discipline qui se pratique à pieds, à côté d’un cheval de compagnie, allant du TAP plus ou moins fantaisiste aux compétitions d’Equifeel!

Nous sommes tous très doués pour jongler avec les mots en fonction de la mode.

Aujourd’hui, dans les prairies, dans les manèges, rôdent les messages paradoxaux, de ces messages qui rendent fous.
Car l’exploitation des chevaux devrait aller de pair avec leur bien-être un peu comme si « se tirer dessus physiquement » (en pratiquant du sport intensif) pouvait rimer avec « être mieux dans ses baskets ».
A l’heure où les médias font l’éloge de l’activité physique douce nécessaire au bien vivre des humains, la question se pose en parallèle pour les équidés alors même que perdure pour eux comme pour les humains le sport spectacle de haut niveau.

Entre messages paradoxaux et complexité du vivant, le plus simple consiste souvent à choisir une chapelle, à y croire et à suivre scrupuleusement son évangile.
Et pour éviter toute déconvenue, je conseille fortement de le faire au fond d’un canapé, devant un bel écran.

Finalement, j’en reviens à ma grand-mère.
En arrêtant de tricoter, détricoter et retricoter, « on » en est un peu au même point.
« On » détricote, « on » retricote avec ce qui nous passe sous le nez!
Et « on » reste tout à fait humain, chacun faisant la tambouille qui est a sa portée.
Et… comme tout un chacun, je fais la mienne.


PS : Pour écrire rapidement et sans nuances aucune sur les réseaux sociaux (par exemple) l’usage des « ils » et des « on » qui désignent personne et tout le monde à la fois est très répandu.

Equilibre



Avant de titrer un article, je fais systématiquement un tour des archives du site. Ainsi j’ai le plaisir de relire des vieux billets, de sourire souvent et toujours de constater à quel point mon cap reste le même malgré le temps qui passe.
J’ai trouvé pas moins de 60 billets contenant le mot « équilibre » et pas un seul ne porte ce mot en titre.
Je peux donc tranquillement l’afficher aujourd’hui.
Si je m’apprête à examiner ce sacré mot à travers le regard des chevaux et de l’équitation, je ne résiste pas à partager ce lien qui raconte une bribe de mon chemin de vie, de l’équilibre que je cherche et que je trouve parfois, funambule sur un fil tendu entre mes paradoxes.

Ce mot « équilibre » sonne, résonne, questionne, interroge le monde de l’équitation, infiniment!
Il suffit d’aller faire un tour du côté de la lexicographie pour réaliser à quel point chacun peut raisonner selon la définition qu’il choisit et se trouver facilement en désaccord avec l’interlocuteur qui pense selon une définition voisine.
Ce serait finalement une situation assez commune, ne méritant pas de s’y attarder, si ce mot là ne constituait pas une des bases de l’enseignement équestre et une des préoccupations majeures de tout cavalier souhaitant progresser.

Equilibre du cheval,
Dans son corps, dans sa tête, dans son environnement.
Equilibre du cavalier,
Dans son corps, dans sa tête, dans son environnement.
Equilibre du couple, c’est à dire équilibre du cheval monté par son cavalier,
Cheval et cavalier ensemble, corps et mentaux conjugués, dans l’environnement x, à l’instant t !

Les manèges résonnent souvent d’une litanie de sentences :
« T’es pas en équilibre »
« Ton cheval n’est pas en équilibre »
« Cherche l’équilibre »
etc
Et au milieu des injonctions diverses et variées le cavalier se perd, cherche en vain, espère un compliment tandis que ni lui, ni sont cheval ne tombent, ce qui laisse imaginer qu’il existe un certain équilibre quelque part !

Avec le développement des hautes technologies, des ingénieurs s’affairent et publient des données afin d’essayer de définir un équilibre scientifique.
Dans le même temps, de manière tout à fait empirique, des cavaliers s’affairent avec leurs chevaux afin d’atteindre « leur équilibre avec leur cheval » dans la discipline convoitée, poussant parfois l’audace jusqu’à souhaiter le meilleur dans des disciplines aussi différentes que le dressage et le cross, courant après un « équilibre en général » qui n’existe qu’en particulier.

Dans ce microcosme parfois uniquement équin, parfois aussi équestre, comme dans tous les autres, les spécialistes sont désormais aussi nombreux que les pages offertes par les réseaux sociaux. Et tous s’affirment spécialistes très compétents en recherche.
Dans un autre microcosme qui fut mien, j’avais pu constater, vivre, expérimenter, le formidable effet de l’accès à la toile pour la « démocratisation » de l’information… et de la désinformation associée.

« L’outil électronique Internet offre l’opportunité de surmonter ces obstacles pour une communication libre. Il signifie la chance historique pour faire progresser de la liberté de la presse à la liberté de communication et de ce fait démocratiser l’information (bien que cela implique aussi la démocratisation de la désinformation): Tout citoyen a le droit de publier information dans tout le monde, et tout autre citoyen a le droit de recevoir, de juger, et de l’utiliser lui-même, sous sa propre responsabilité. »
PhD E.Winkler 2003

Et voilà donc que je poursuis l’aventure de la recherche assidue de l’équilibre, au sujet de l’équilibre !
Curieuse et gourmande, je me plais à lire tout ce qui passe, et à le situer, et à y porter une grande attention sous tous les angles pour finalement à revenir à mes classiques, et surtout au juste milieu qui m’est si cher.
C’est formidable.
C’est passionnant.
Effrayant aussi.

C’est une porte grande ouverte sur une immense solitude.
Car si je peux passer d’un raisonnement individuel à un raisonnement général en étant au fait des biais cognitifs à franchir, je suis absolument incapable de passer d’un raisonnement manichéen à une recette convenant à tous.


La maison du champ de courses

Cachée derrière la végétation elle est toujours debout, la maison du champ de course. (image Google map)

Mes grands-parents maternels habitaient cette maison à ma naissance et j’y fus gardée en semaine jusqu’à la naissance de mon frère.

La maison du champ de course, j’en ai toujours entendu parler ainsi, bien davantage que par son adresse rue Léon Blum.
Il est vrai que l’hippodrome est vraiment juste à côté et son activité faisait écho jusque dans le jardin.

Dans mon enfance, il suffisait de passer devant les deux bistrots toujours remplis d’ouvriers, de lads et de palefreniers pour se retrouver sous l’arche du grand portail marquant l’entrée « dans » l’hippodrome de Villeurbanne (Aujourd’hui renommé hippodrome de Lyon-Carré de la soie).
Le portail était une ligne que je n’ai jamais franchie dans mes jeunes années, ce qui se passait de l’autre côté n’était probablement pas « pour moi » aux yeux de mes parents et grands-parents : parier ne faisait pas partie de leurs loisirs.
Parfois, après un repas du dimanche, nous empruntions à pied le chemin de terre partant juste après le deuxième bistrot afin de rattraper le chemin du canal et d’arriver à proximité des pistes visibles à travers la barrière.
Là, avec un peu de patience, il était parfois possible de voir passer les galopeurs.
Accrochée au grillage, le nez passé à travers un des carreaux pour essayer d’être encore plus près, je pouvais sentir le sol trembler sous leur passage, je pouvais entendre leur souffle à nul autre pareil, c’était terriblement fugace, quelques points de suspension pendant lesquels je retenais mon souffle avant de demander « encore » et de sentir une main me tirer en direction du retour.

C’est seulement ces derniers mois, alors qu’en devenant à nouveau propriétaire d’un pur-sang je fais remonter pleins de souvenirs, que je constate combien mes émois au contact des chevaux sont anciens. Quand, dans ce billet là, j’évoque une graine semée après mon entrée au lycée, il serait davantage question d’une graine en train de lever, la semaison avait eu lieu bien avant, probablement grâce à mon passage dans la maison du champ de courses.

Bien plus tard, j’ai eu la chance de monter ma première course sur ce terrain là et ce jour là, gonflée par la joie de « débuter » autant que shootée à l’adrénaline, je n’avais pas eu la moindre pensée pour la maison d’à côté que j’avais pourtant habitée presque à plein temps pendant deux ans.
Cette première course est un souvenir aussi grand que consternant.
Grand parce qu’une première course se préparait longtemps à l’avance : au delà du parrainage indispensable, de la validation médicale drastique, il fallait passer chez le bottier afin de se faire faire des bottes hyper légères, il faillait aller acheter un casque spécial (nous montions encore tête nue, même à l’entrainement de course), il fallait longtemps espérer afin qu’un propriétaire nous fasse confiance au point de nous confier son cheval. Et alors, il fallait surveiller la balance!
Grand aussi par tout le rituel que je découvrais enfin d’un autre côté : le vestiaire où on laisse les habits de ville pour le pantalon de nylon et la casaque de soie, le pesage où l’on passe le coeur battant puis le rond où tournent les chevaux rutilants et impatients, trottinant souvent, et enfin le geste précis du lad de service qui nous « envoie » d’une poigne ferme sur le dos d’un animal qui passe sans s’arrêter. Il reste alors à chausser les mini-étriers de course et à tenir en équilibre précaire sur la mini-selle de course sous les regards attentifs d’un microcosme où se mêlent des gens tellement différents, ceci jusqu’à l’heure de l’entrée en piste où enfin le cheval prend un petit galop presque décontracté pour se rendre au départ.

Le départ.
Un truc de ouf.
« Garde bien ta corde » était l’unique conseil que m’avait donné l’entraineur pour cette première course.
Garde bien ta corde…
Je me souviens parfaitement de l’entrée dans la boite, je l’avais déjà vécue lors d’entrainement, c’était acquis. Je me souviens parfaitement du décompte… et puis plus rien… et puis un blanc total!
Je me suis « réveillée » après avoir été catapultée complètement à l’extérieur.
Mon cheval était en pilotage automatique, c’était ma première course…
Le départ en vrai, le départ d’une course en vrai, c’est un truc hyper puissant auquel je n’étais pas du tout préparée.
Je me suis réveillée avec ces mots surnageant dans mon cerveau en dérive, « garde bien ta corde, garde bien ta corde », et j’ai récupéré la corde avant le premier virage mais j’étais à la queue. Notre couple a réussi à rentrer dans le paquet (certainement grâce à l’expérience de ma monture, il faut l’avouer), le temps de sentir la force de folie qui se dégage là au milieu et puis c’était déjà l’arrivée avec le sprint final. C’est tellement étrange de parler de final après avoir eu l’impression d’être déjà à fond depuis le début!
J’avais bien « mangé » comme on dit, c’est à dire que j’avais pris dans la tête les mottes de terre soulevées par les chevaux qui me précédaient, mes lunettes de protection en étaient quasi recouvertes, la belle casaque aussi. Je suis rentrée aux balances piteuse et consternée, presque effrayée à l’idée de devoir croiser le regard de l’entraineur et du propriétaire.
Et je revoie leurs sourires même pas moqueurs.
Simplement bienveillants.
Et j’entends encore l’espoir qui re-commença à vivre à l’écoute des mots d’E. : « Et ben voilà, c’était ta première course, maintenant tu es prête pour une véritable première course. »
Ainsi l’histoire s’est poursuivie.

Et de très loin, de mon âge d’aujourd’hui, je me demande avec un peu d’espièglerie si inconsciemment, ce jour de la première course, si sans le savoir je n’étais pas partie complètement à l’extérieur afin d’aller tutoyer une gamine collée au grillage, à ce grillage qui sépare le champ de course du chemin du canal ? Le seul fait est que le départ avait été lancé précisément sur cette ligne droite et qu’aucun virage n’avait pu me déporter par « force centrifuge ». Bon, c’était surtout une première course, n’est-ce pas?

A propos du bien-être, un cas.


23 février 2024

Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner.
Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard, 2001, page 87.

Le bien-être…
Un truc à la mode !
C’est quoi ?
Comme tous les trucs à la mode, « ça » se vend à toutes les sauces.
Mais c’est quoi alors ?
Ben… Après avoir cherché une définition, j’en ai trouvé à la pelle.
Mais j’ai été incapable d’en trouver une seule bien précise.
Et comme s’il fallait compliquer « la chose » le bien-être humain étant à l’origine de bien des guerres, des révolutions, des grèves, des revendications mettant souvent à mal … le bien-être d’autres humains, voilà que les histoires de bien-être animal sont entrées dans la danse, bousculant des millénaires d’histoire de la domestication et du sens même de cette histoire.

Inévitablement la question du bien-être des chevaux est posée sur la table, d’autant plus vivement que de nos jours si les chevaux sont des outils de travail pour un petit nombre de professions, c’est parce qu’ils sont destinés quasiment exclusivement aux loisirs d’un très grand nombre de personnes.
Souvent, je lis qu’il faut éviter toute forme d’anthropomorphisme, que les chevaux sont des chevaux et qu’ils doivent être vus en temps que tels. Sauf qu’il suffit de se promener dans n’importe quelle grande surface dédiée au « bien-être » du cavalier et de sa monture pour constater (si besoin en était) que le détenteur de la carte bancaire étant humain, c’est à ses besoins à lui qu’il faut plaire. Pour vendre une couverture, par exemple, c’est bien à « la sensation de bien-être » du propriétaire d’un cheval qu’il faut parler, c’est bien l’humain qu’il faut convaincre et c’est en vérité le bien-être de l’humain qui va diriger la notion de « bien-être animal ».

Hier, j’ai vécu un moment que je n’avais jamais eu l’occasion de vivre dans toute ma (longue) vie de côtoyeuse de chevaux.
Les conditions météorologiques étaient tempétueuses.
Je suis arrivée aux écuries entre deux fortes averses, le vent violent agitant seulement quelques gouttes résiduelles, mais après avoir salué les personnes présentes, le ciel recommençait à nous tomber sur la tête.
Ayant d’autres activités prévues dans l’après-midi, mon temps sur place étant compté, j’ai décidé d’aller chercher le petit pur-sang sans plus attendre et malgré la pluie battante.
En arrivant, longeant son paddock en voiture, j’avais remarqué qu’il avait le nez dans son foin, face au vent. Les chevaux ayant naturellement le réflexe de se mettre dos au vent pour s’en protéger, je m’étais dit que l’animal restait placide, préférant la gourmandise à l’abri.
J’étais donc sur le chemin pour aller à sa rencontre, mes bottes de pluie se moquant des flaques, mon bonnet enfoncé jusqu’aux yeux et le ciré fermé jusqu’au menton lorsqu’à travers les rafales j’entendis le son vibrant du hennissement qui me salue habituellement. Vibrant… plus que d’habitude en vérité, mais étant encore loin je n’attachais que peu d’importance à ce fait.
A l’approche, je constatais que le petit pur-sang restait figé sans venir à ma rencontre.
La pluie redoublait.
Il était à quelques mètres de son abri, dos au vent, queue plaquée, pattes arrières sous lui, comme pour mieux résister à la poussée de l’air mauvais, tête basse.
Figé.
J’avançais à sa rencontre, il était tremblant.
Tremblant de tout ses membres.
Tremblant de tout son corps.
Jamais je n’avais vu un cheval tremblant ainsi, à l’image d’un gamin qui sort de l’océan après y avoir un peu trop trempé.
Il fit un pas vers moi.
C’était émouvant car ce faisant, il prenait le vent de travers.
Visiblement, il avait envie de me suivre mais il était impossible de le toucher, donc de lui mettre son licol. C’était comme si sa peau trempée était devenue hyper-hyper sensible, refusant le moindre contact.
J’ai songé un instant à aller dans son abri… afin qu’il s’abrite… mais il avançait à pas piteux vers l’entrée du paddock, donc vers la sortie. Là il accepta le licol.
Il me suivit sur le chemin, d’un pas que je n’avais jamais vu aussi actif.
Je restais super attentive, je le sentais si tendu que tout pouvais arriver.
Son compagnon du paddock d’à côté souffla à notre passage, comme effrayé par je ne sais quoi.
Les rafales redoublèrent d’un coup, ronflant autour des bâtiments.
Il fallait avancer quelques pas encore pour être à l’abri.
Ce fut fait sans hésitation.
Là, sous le hangar, le petit pur-sang dégoulinant et archi-trempé s’arrêta, refusant de faire un pas de plus. Il tremblait encore. Jamais je n’avais vu un si grand animal trembler ainsi.
Impossible de le toucher, donc de le sécher.
Je lui ai approché un peu de foin qu’il accepta de manger et j’ai attendu.
Je l’observais, il n’y avais rien d’autre à faire que ne rien faire.

Il cessa de trembler.
Les rafales perdirent de leur intensité.
la pluie tambourina moins fort.

Après un coup de brosse pour la forme, j’ai conduit le petit pur-sang jusqu’au manège, tout nu, sans autre intention que d’aller passer un bout de temps à l’observer.
Dès le seuil, je l’ai libéré de l’attache qui nous liait.
Il s’est éloigné immédiatement, en trottinant, la queue en panache, le nez en l’air.
A l’autre bout du manège, il s’est couché pour se rouler. Dans la sciure du manège, il a frotté son dos avec délectation d’un côté, de l’autre, puis il s’est relevé, a lancé une gracieuse cabriole, s’est secoué et est venu vers moi, au pas, décontracté.
Je ne lui ai rien demandé de plus.

Nous sommes repassés par l’abri du hangar, pour la forme, et parce que je considère que « le cadre » est super important pour la sécurité affective du cheval.
Tant qu’il n’est pas tout à fait serein, chaque séance rentre dans un cadre strict, toujours le même, un cadre dessiné à minima entre pansage d’avant la séance et pansage d’après la séance.
La sciure est donc restée agglutinée dans épais pelage, formant une espèce de carapace qui le rendait tout à fait non-présentable.
Il était temps de le « rentrer » au pré.

Là-bas, il s’est tranquillement dirigé vers son foin.
Il a plongé son nez dedans.
… comme si rien ne s’était passé!

Comme si rien ne s’était passé,
Comme si je ne l’avais jamais vu tremblant de toutes ses cellules,
Comme si aucune tempête n’avait traversé les écuries,
La vie a continué dans les jours suivants,
Paisiblement,
Sans le moindre accro de santé,
Ni pour lui, ni pour moi.

Le bien-être c’est ça!


Le petit pur-sang



Et hop, depuis hier nous entrons dans un nouveau cycle, le solstice d’hiver est passé, désormais les journées vont aller en s’allongeant et je suis super contente d’avoir, une fois de plus survécu à ce passage de l’année où la nuit est trop longue.
Ca fait un bout de temps que je connais mon besoin viscéral de lumière et il est fort probable que mon goût prononcé pour les activités d’extérieur en soit la conséquence.

En parlant de cycle, je me permets de faire le lien avec le billet précédent, car le présent ne saurait être saisi sans avoir pris connaissance de celui qui vient avant, avec tous les liens qu’il contient et certainement davantage.

A peine quelques semaines après avoir mis en ligne un billet dans la section Cheval, ma « routine » avait déjà changé. Je laissais B. et I. sans aucun regret. Après environ neuf mois passés, auprès d’eux et de leur propriétaire, il était grand temps de m’enfuir, j’avais besoin de liberté renouvelée.

S. le petit pur-sang était là.
Il est encore là.
Pour combien de temps ?

Les rêves sont faits pour être vécus et j’en ai vécu des centaines !
Pourtant,
J’ai jamais été bien douée pour dire à quoi je rêvais.
Par contre, j’ai toujours eu et des besoins et des désirs.
Posséder un cheval fut un désir fort.
J’ai assouvi ce désir des années durant.

Alors que le crépuscule de ma vie est bel et bien arrivé (en ce sens lexical de ce qui décline, décroit, doit progressivement disparaître), posséder un cheval correspond à un passé sans plus d’avenir. En conséquence, je « partage » désormais les chevaux et donc le petit pur-sang S.
Je « partage » en étant du côté consommatrice, l’autre côté appartient au propriétaire.
Comme en toutes choses, il y a des avantages et des inconvénients.

Il a fallu que je trouve l’équilibre entre mes paradoxes.
Et pour arriver à un semblant d’équilibre, il faut toujours accepter de tomber.

Et c’est là que la vie fut, une fois de plus très espiègle!

Jamais dans ma vie de cavalière je n’ai été confrontée à des chutes graves, coup de bol sans doute.
En fait, la chute ne fut pas un « truc » fréquent pour moi et pourtant, j’ai passé beaucoup, beaucoup d’heures à cheval.
Alors, en cette année écoulée, me retrouver par trois fois séparée d’une monture est un évènement que j’ai bien noté et même surligné.
Si je peux analyser ces « séparations de corps » et en remettre la faute entière sur mon propre dos (qui se porte tout à fait bien, merci l’air-bag pour les deux dernières), je dois remarquer que la dernière a tutoyé le ridicule au point qu’une adorable cavalière spectatrice, en me tendant les rênes d’un S. tout sage dit innocemment « Tu fais le clown, hein? C’est ça ? »

Je pense sincèrement qu’il fallait que j’en arrive là.

Non seulement il me fallait accepter de tomber (y compris symboliquement) mais surtout, il fallait absolument que je laisse tout tomber.
(Cette année 2023 n’est-elle pas aussi l’année où je suis rentrée dans le groupe des personnes profitant de l’argent « cotisé » par les « actifs » ? Arffff… ce qui signifie que je suis devenue non-active! Pffffff)
– les projets que j’ai plus mais que mon imagination s’acharne à dessiner en filigrane
– l’audace de revendiquer un certain savoir partageable
– toute forme de prétention en tout et rien
– etc

Oui, j’en souris encore.
J’ai fait le clown
Probablement dès le premier jour où j’ai débarqué aux écuries, encore boiteuse, appuyée sur une béquille.
Ai-je jamais été vraiment sérieuse?
J’ai passé l’âge, non?
Seuls les enfants et les plus jeunes ont la certitude de leurs convictions.
Plus tard, chacun joue le jeu, et y croire en fait sûrement partie.

Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.

Ces derniers jours, lorsque S. voit arriver ma silhouette du fond de son pré, il lève la tête et pousse un petit hennissement. C’est nouveau.
Peut-être est-ce sa mode du moment avec toute personne arrivant en sa direction?
Je l’ignore.
Au son de ce hennissement, je sais qu’il ne manifeste ni crainte ni agressivité, mais en déduire quoique ce soit d’autre relèverait de mon interprétation émotionnelle humaine.

Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.
Oui, je répète!

Et certainement qu’en laissant tomber un bon paquet de « trucs » au fil du temps, j’ai laissé tomber aussi pas mal d’attachements vains.

La suite reste à vivre.
Passionnément
Avec gourmandise,
Et des journées qui s’allongent à nouveau!


PS : j’avais écrit « petit » appaloosa comme j’écris aujourd’hui « petit » pur-sang.
Jamais je n’ai mis ce qualificatif accolé avec I ou B, eux que je qualifiais de « couple princier »!
C’est que « petit cheval », à l’image de « petit vieux » est détaché de la taille mesurée.
Petit signifie : origines modestes, vie normale sans coup d’éclats, aptitudes ordinaires.
Qui est « petit » doit coûter à minima et si par hasard un « petit cheval » finit par rapporter un peu plus qu’il ne coûte, il deviendra peut-être un « bon petit cheval »!
Tout est contenu dans le regard que l’humain qui le côtoie lui porte.





Zone de passage (2)

Ce deuxième épisode élargit le premier.

Nous passons de passages en passages, c’est un fait.
Ce constat est vertigineux.
C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que…
C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…

Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir.
Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.

Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse.
Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette.
Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.

J’en suis là.
Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.

L’automne arrive.
En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ».
En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte.
Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux.
Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.

J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.

Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?