Nous passons de passages en passages, c’est un fait. Ce constat est vertigineux. C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que… C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…
Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir. Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.
Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse. Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette. Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.
J’en suis là. Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.
L’automne arrive. En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ». En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte. Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux. Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.
J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.
Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?
Pour entrer dans le vif du sujet j’ai vraiment changé de décor en passant des alentours du canal de Nantes à Brest aux bords de Loire.
Et puis, après le cheval d’indien, me voici en relation avec un cheval beaucoup plus classique. Si le soleil réalise un charmant balayage dans le doré de sa crinière d’alezan, sont look n’a rien d’exceptionnel et je suis assez contente de me retrouver en selle sur un cheval éduqué comme je l’entends.
Comment ai-je donc choisi ? Peut-être me suis-je laissée happer par la Loire ? A moins qu’un cheval ne m’ait choisie ? Ca c’est dans les rêves, non ? Mais pour l’anecdote, disons que j’ai saisi un clin d’oeil.
La semaine dernière lors de mon premier passage en bord de Loire, j’étais entrée dans le paddock du possible élu, sur l’invitation de la propriétaire : « Tu peux aller le voir et le caresser, il est là-bas ». Ma béquille dans une main et l’autre vide, je suis entrée et je me suis plantée au milieu de l’espace en me disant que j’allais pas le déranger, juste m’approcher et le regarder. Il a levé la tête. Il a baissé la tête. Il s’est mis en marche dans ma direction. Il fut bientôt si proche que j’ai posé ma main sur son front en murmurant des mots doux anodins. Nous étions ainsi en « conversation » lorsqu’un petit gars est arrivé à la barrière en me demandant qui m’avait autorisée à entrer. Comme je lui expliquais et l’encourageais à bavarder, il m’a rejoint au point où j’étais posée. Et le cheval s’est éloigné, il est allé se frotter le derrière contre un bel arbre. Au milieu du paddock, lui posé sur sa fourche et moi sur ma béquille, nous avons passé un instant. Puis, il s’en est retourné à son boulot avec mes félicitations pour son attention. Je pensais sortir à mon tour, mais ma lenteur fut telle que déjà le cheval était déjà revenu juste à mes côtés. Nous avons repris notre conversation où nous l’avions laissé. Bref, c’était un pur hasard, mais je pourrais dire que la balance avait un penché en sa faveur avant même d’avoir posé mon derrière sur son dos.
Depuis, j’ai poursuivi les essais. Ce qu’il faut souligner à nouveau c’est que partager la pension d’un cheval avec une autre personne, c’est s’engager vis à vis d’un couple et ma solitude naturelle doit absolument considérer les obligations qui en découlent.
Il me fallait donc utiliser la minuscule balance virtuelle qui est posée sur le même rayonnage que mes pensées en goguette. Il me fallait y déposer des étoiles scintillantes d’un côté et de l’autres des cailloux noirs en sachant que les étoiles peuvent s’éteindre et que les cailloux noirs peuvent s’illuminer. Et revenir à l’évidence : choisir c’est renoncer, c’est avancer et aller où le vent me poussera. J’ai choisi les bords de Loire.
Maintenant, il me reste à annoncer mon choix, aux personnes qui espéraient qu’il soit en leur faveur et ceci sans les blesser.
J7 après l’évènement. Aujourd’hui, j’ai besoin d’aller m’asseoir sur la plage et de me laisser caresser par les vagues. Je vais y aller. Evidemment.
J7. J’ai besoin de la chaleur du soleil piquant ma peau. J’ai besoin d’horizon. J’ai besoin d’infini.
J7.
Samedi, sous les mains inspirées de mon amie j’ai imaginé que ce qui s’était passé, quelques jours auparavant, avait bousculé des couches très profondes de mon être. J’imaginais (en dessin animé comme d’habitude) qu’une croûte bien sèche, bien collée au profond de l’intérieur s’était décollée sous l’effet du choc puis brisée, lâchant dans le vide une foultitude de questions que j’avais laissées se stratifier faute d’avoir eu le temps de m’en occuper.
Sous les mains soignantes, ou plus exactement sous « l’entre-deux » subtil jouant son propre jeu entre ma peau et la sienne, milles questions se réveillaient, se bousculaient, fusaient, s’emballait dans toutes les directions sans que je ne puisse ni les saisir ni les formuler donc les questionner vraiment. J’étais intensément présente face à chaque tentative et parfois je constatais mon opposition involontaire. J’étais soumise à une force tranquille et douce qui essayait, partait, revenait, réfléchissait, tentait à nouveau sous un autre angle, avec patience, en douceur. J’ignorais tout de son intention et c’était bien comme ça. N’étais-je pas depuis le début sans attente, sans espoir, sans autre intention que l’acceptation?
L’unique pensée qui allait et venait assez clairement pour s’imposer était que ce qui était en train de s’accomplir avait tout à voir avec ce que je cherche à réaliser à cheval : obtenir la décontraction autant que possible et goûter à l’harmonie fugace qui en découle. C’est mon intention lorsque je suis à cheval tandis que le cheval, lui, n’a aucune intention. (La gourmandise est une aptitude, peut-être un défaut à moins que ce ne soit un péché capital… C’est très différent d’une intention, n’est-ce pas ?) Le cheval vit le moment présent et se laisse « manipuler » en cherchant à chaque instant et sans le vouloir comment restaurer un plus grand confort dans ces déplacements qui l’écartent de ses préférences innées. Il peut s’opposer à une force qui l’incommode, et il peut le faire à sa manière de cheval mais sans jamais la moindre intention de nuire. C’est au cavalier, à celui qui choisit intentionnellement d’encombrer le cheval et de le mettre « à sa main » qu’il convient de changer, d’essayer, de tenter, de réfléchir sans s’appesantir.
Les chevaux m’ont appris la patience et j’ai exercé ma patience professionnellement. Au fil du temps qui passe, j’ai expérimenté la force de la relation à travers toutes les tentatives de communications établies et j’en parle encore à propos des chevaux. Je sais désormais sur le bout des doigts tout ce qui me définit en temps qu’individu à la fois terriblement semblable aux autres et formidablement unique, plutôt non conforme bien que dépourvue de toute étiquette « anticonformiste ». C’est faible de ce « savoir » que j’écris chaque mot comme une interrogation.
Après le départ de l’amie, alors qu’un certain mouvement s’était rétabli à la rencontre d’une multitude de microémotions, j’ai commencé à sérieusement porter mon attention en direction des questions libérées.
Par curiosité je suis allée clavarder du côté du symbolisme, fascinée comme toujours par le pouvoir de conviction de certains auteurs en appui sur… rien! Puis, j’ai regardé encore et encore les descriptions anatomiques, les insertions musculaires, les trajets des faisceaux musculaires pour tenter d’expliquer mes propres défenses provoquant des douleurs fulgurantes. En vain. Je peux accomplir des mouvements étonnants sans douleurs et parfois un tout petit mouvement parasite encourage un tendon tendu à crier fort. C’est étrange.
Hier je constatais un véritable « mieux » avec beaucoup moins de rappels douloureux et curieusement je me suis dit que la douleur me manquait. C’est complètement fou, non? Alors je suis allée marcher, sans doute un peu trop loin, bien appliquée pourtant à poser mes pieds bien droits entre les cannes et tellement lentement à la fois.
J’étais plutôt algique à l’heure du repos vespéral.
Mais j’ai super bien dormi, exactement comme je le fais habituellement, jusqu’à l’heure sacrée ; ce sacré moment du milieu de la nuit où je me réveille « normalement » avant de replonger jusqu’à l’aube.
Et aujourd’hui est un nouveau jour, Un passage vers demain, Vers l’inconnu.
Il est certain que je tire une leçon de chaque expérience, C’est ma façon d’avancer vers plus loin.
La semaine dernière je partais monter à cheval. Aujourd’hui je pars à la plage avec mes questions nouvelles.
Comme dans le billet précédent, aucune illustration ne vient en préambule.
Après m’être blessée, Après m’être recroquevillée sur la douleur, J’expérimente avec bonheur le retour vers la décontraction.
Quelques instant après l’évènement traumatisant, j’ai marché. Il n’y avait pas d’autre choix. Marcher, avancer, atteindre ma voiture… C’était la priorité avant de réfléchir à quoi que ce soit d’autre. Plus j’avançais et plus mes pas vacillaient mais je restais debout. Parfois j’arrêtais afin de reprendre mon souffle, de stopper les étoiles qui s’allumaient comme des clignotants inquiétants et je repartais. J’ai atteint la voiture et le bonheur d’une douleur provisoirement en évasion. Alors j’ai pu réfléchir un peu. Et je suis rentrée. Et je fus incapable de marcher un mètre de plus.
Mon corps avait encaissé, il usait déjà de tous ses stratagèmes pour passer l’obstacle. Douleur intense à la moindre stimulation de la partie blessée (pour forcer au repos) Inflammation (pour lancer la cicatrisation) Sommeil (pour relâcher)
J’ai bien respecté ces lois basiques qui ne s’écrivent nulle part alors qu’elles sont essentielles. J’ai farfouillé sur la toile, comme il se doit désormais. Comme d’habitude, j’ai trouvé le pire et le moins pire, Et comme d’habitude, j’ai agi à ma sauce!
En premier, puisque le temps avait déjà largement coulé, j’ai eu besoin de chaleur sur la zone douloureuse. Et j’en ai mis. Quelques jours plus tard, j’ai eu besoin des mains d’une amie thérapeute, et je lui ai demandé de venir les apporter jusque chez moi. C’est en sa compagnie que la décontraction a pu refaire surface. Et ce fut possible parce qu’il était juste temps. Avant eût été trop tôt.
J’avais préparé une belle boisson d’été à base d’hibiscus. Une boisson qui exhibait sa robe chaude dans la théière transparente et nous savions l’une comme l’autre qu’il était possible d’y épuiser notre soif. Puis, sur le parquet de chêne blond, devant la fenêtre illuminée par le soleil, entre la blancheur paisible des grands murs, nous nous sommes installées. Moi allongée immobile, sans attente, sans espoir, disposée à recevoir ce qui était possible sans savoir ce qui serait possible. Elle pouvait bouger tout autour, glisser sur la parquet, utiliser tous les coussins nécessaires. Alors, il n’y avait plus rien à dire. Nous avons l’une et l’autre fermé les yeux. Et le ballet fut. Silencieux. Il se dansa mobile et immobile, Il se joua dans l’interface où tout se joue. Et après bien plus d’une heure, Il prit fin.
Alors nous avons partagé nos actualités, bavardé de choses et d’autres, vidé la théière et elle a pris congé.
Dans mon corps, je sentais circuler la vie jusque dans les moindre recoins. Je savais que j’entrais dans la phase laborieuse où il est à la fois nécessaire de cultiver la patience et à la fois important de s’émerveiller de chaque petit progrès.
Dans le billet suivant, sur ce sujet de la décontraction, je vais passer de l’autre côté des faits palpables et entrer dans le monde merveilleux des questions faisant écho aux questions, ce monde qui fait agréablement vibrer mon quotidien au long cours.
Depuis, les billets se sont accumulés au sujet du cheval, j’ai même ouvert une rubrique dédiée tant les réflexions se sont accumulées au point de déborder. (pas moins d’une quinzaine de billets déjà…)
J’avais besoin de sens pour avancer et je pensais en être arrivée à l’âge où je pouvais me contenter de balades salutaires.
Mais…
Mais j’ai découvert un nouveau monde, J’ai questionné la relation, Et aussi la notion de « bien-être » qu’elle soit appliquée aux humains ou aux animaux, J’ai fait un retour express dans mon passé de cavalière, J’ai réfléchi, douté, questionné, appris plus loin encore Et j’en suis revenue à mes convictions profondes, Celles qui avaient germées auprès de F.Knie senior, Celles que j’avais entretenues avec la lecture passionnée des grands écuyers, Des humbles écuyers d’avant l’époque du commerce opportuniste, Celles qui finalement avaient grandi en même temps que grandissait Mon goût pour l’éducation des chevaux. Patiemment laborieuse.
Et force est de constater aujourd’hui que non, les simples balades à cheval ne m’offrent aucun sens. La chasse aux orchidées sauvages se pratique en marchant, le regard rivé au ras du sol. Mon exercice physique « de santé » se pratique à bicyclette au quotidien, la tête dans les étoiles. Mon besoin d’adrénaline diminue avec l’âge qui avance et par ailleurs, j’ai appris à entretenir le flux des hormones qui contribuent à l’état de bonheur au long cours.
Mais…
Mais, il me reste le plaisir intense et toujours renouvelé d’établir une relation. Il me reste le besoin de sentir la merveilleuse décontraction d’un cheval qui se déplace harmonieusement sous ma selle, sa capacité à jaillir en équilibre à la demande et la confiance à élargir aussi souvent qu’elle vacille. Un besoin qui nécessite labeur et patience.
Monter à cheval, c’est chaque jour un nouveau passage de vie.
Aucun cheval ne ressemble à un autre, même si chaque cheval appartient à l’espèce « cheval » si différente de l’espèce humaine. Grâce au petit cheval appaloosa découvert en septembre dernier, la porte s’est grande ouverte sur d’autres possibilités de chevauchées, de rencontres et de relations à établir. A l’impossible nul n’est tenu, Je fais confiance au vent pour me pousser en sagesse au fil des jours qui passent.
« Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner » Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001
Comment oublier le bleu marine si particulier des yeux qui s’ouvrent à la vie terrestre, leur innocence formidable, leur absence de jugement ?
Monter à cheval est chaque jour un passage de vie.
Qui se souvient de ses dessins d’enfance ? Qui se souvient de ses essais consistant à essayer de mettre une pensée en image sur le papier, à l’aide de traits et de couleurs? Personnellement le souvenir de mon impuissance à mettre au monde ce qui galopait dans mon imagination est tenace. Les mots des observateurs résonnent encore : « c’est joli », « tu as du talent », « oui, pas mal », « il faudrait ajouter ça », etc. Dans ma tête le jugement était sans appel, j’étais incapable. La gentillesse des gentils me blessait autant que les conseils des « enseignants » (diplômés ou auto-proclamés) car les uns ne disaient pas la réalité que je constatais et les autres me proposaient des solutions qui me paraissaient au dessus de mes compétences. J’ai appris à « garder pour moi ».
Peut-être que mon imagination est définitivement trop débordante? Trop complexe? Simplement elle-même?
Avec le temps qui est passé, grâce à l’eau qui a coulé sous les ponts, j’ai fini par réussir à tendre des fils entre mes paradoxes et à trouver une joie bien vivante en les écoutant vibrer sous mes pas.
Et en plus : je me réjouie lorsque l’idée de faire sentir à d’autres un « truc » de l’ordre de la sensation … vibrante vient à m’effleurer.
Il est un fait que je suis bien ancrée dans la réalité, quelle que soit sa complexité, son infini mouvement de vie et aussi son indicible part d’invisible.
En posant ce que vous pourrez lire comme du charabia, un rangement s’opère dans mes pensées, les fils qui semblent en vrac se tissent ensemble et je vois précisément où en venir tout en sachant que le plus attentif des lecteurs est déjà au bord de la céphalée. Il est temps de révéler la source de l’envie de rédiger ce billet.
Plus je lis des « modes d’emploi » et plus me reviennent les paroles d’un Professeur devenu sage une fois déchargé de sa charge de service.
Nous étions en lien épistolaire, souvent d’accord sur un bon nombre de plans techniques au sujet des muscles et de leur fonctionnement « physiologique » en cas de stimulation médicamenteuse (autrement dit en cas de dopage). Naturellement lors des conférences, nous nous accordions un instant pour refaire le monde selon notre vision. Un bon matin, alors que j’étais encore sous l’émotion d’un « sauvetage » réalisé sans pouvoir expliquer exactement ce que mes mains avaient réellement fait, je lui en faisais part. J’étais d’autant plus troublée par mon propre questionnement que j’avais longuement répété la manipulation afin de me sentir (presque) prête afin d’aborder (presque) sereinement une aventure à venir. Et voilà que dans l’urgence, j’avais agi comme je pouvais, incapable d’affirmer que mon geste était reproductible avec succès dans une autre situation. Alors, avec une immense bienveillance, visiblement compatissant devant ma confusion, il posa ces paroles réconfortantes : « Sois bien consciente d’une chose, toutes les personnes qui t’expliquent par A+B avec force a, b, x et y comment te sortir d’une telle situation sont des personnes qui n’ont JAMAIS été confrontées à la situation » Devant mes yeux qui devaient être ouverts tels des soucoupes, il ajouta : « En réalité, quand « ça » arrive, « on » fait ce qu’on peut et on prie. »
Je suis bien loin de cette époque, mais je suis à nouveau en lien avec les chevaux, avec leur puissance vivante, avec l’urgence constante de mettre au monde le meilleur et l’harmonie à laquelle j’aspire. Et bien évidemment je doute. Alors, je me balade au rayon des recettes, histoire de trouver de l’inspiration. En vain. Car bien évidemment (et désormais grâce à une certaine expérience) je suis incapable de poser aucune explication par A+B infiniment reproductible pour parvenir à un résultat standard.
Est-il possible d’affirmer que je suis une indécrottable fervente du sur-mesure?
Il est commun d’affirmer que trop d’info tue l’info. Voilà que ce matin cette phrase a pris une tout autre dimension à mes yeux.
En effet, en citant mes sources, en essayant d’expliquer le cheminement de ma pensée afin de permettre aux personnes à qui je parle de « toucher » les conclusions auxquelles je parviens, je n’avais jamais imaginé avant ce matin à quel point les mots trop nombreux constituent parfois un « trop d’info » qui tue « l’info » en question.
La veille j’avais expliqué, suite à une vidéo, qu’il nous est difficile de saisir le langage non verbal des animaux. Puis j’avais ajouté que la difficulté est d’autant plus grande que nous essayons de « comprendre » des animaux qui ont très peu de choses en commun avec nous les humains. Par exemple, lorsque nous traitons un cheval de nounours (donc ourson? ours? jouet en peluche?), nous faisons une confusion et nous induisons une grave erreur relationnelle en confondant NOS besoins d’animal de nichée avec ceux des animaux qui voient le jour loin d’un nid et se retrouvent indépendants dès ce passage de vie. C’est seulement ce matin que j’ai pris conscience d’un fait : la réponse qui vint à la suite, suscitant mon étonnement, cette réponse s’adressait aux premiers mots de mon explication. La suite, ce qu’il m’importait d’expliquer était passé à la trappe car… trop d’information tue l’information! Et oui, c’est ça.
ET oui, je l’ai compris. 1) Grâce à ces mots, venant à la suite d’une nouvelle tentative d’explication : « C’est bien de partager ses connaissances c’est vraiment intéressant ! Mais à force d’en avoir beaucoup j’en prends et j’en laisse aussi. J’assimile mieux ce que j’apprends quand c’est pas trop d’infos en même temps » 2) Puis, grâce à ceux-ci venant juste après avoir re-formulé la conclusion le plus simplement possible en quelques mots. : « Ahah oui là je comprends mieux »
Et alors mille pensées se sont mise à tourbillonner, à danser une folle sarabande, à me rappeler que les recettes font recettes, que les slogans doivent comporter trois mots au maximum, que Tocqueville avait déjà écrit « ça » : « Il n’y a, en général, que les conceptions simples qui s’emparent de l’esprit du peuple. Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie mais complexe. »
Et alors, à quoi bon ? Me suis-je questionnée.
Il importe de dire peu. Il importe de dire simple.
Oui, c’est vrai quand il s’agit d’éduquer un cheval. Oui. Parce qu’un cheval, un chien ou un autre animal dispose d’une « pensée » différente de la nôtre. Mais les humains ? Les humains doivent-ils être privés d’explications un peu complexes ? Sont-ils destinés à seulement appliquer des « protocoles », des « recettes » sans rien comprendre, sans questions ? Doivent-il se contenter d’ingurgiter des idées toutes faites, à la mode un jour et démodées le suivant?
Je me pose mille questions à ce sujet.
Aujourd’hui, jour de la lecture…
Aujourd’hui où des « biens-pensants » imaginent ré-écrire des œuvres classiques afin de les rendre « accessibles au plus grand nombre »! J’essaye d’imaginer les prolifiques auteurs du 19ème ré-écrits en cent mots maximum afin que « tout le monde » puisse « tout » comprendre !
Et une immense lassitude s’empare de moi.
Alors, me souvenant d’une phrase que j’avais citée dans l’avant-propos d’une publication, je suis allée chercher le bouquin dont je l’avais tirée et je m’y suis plongée.
Aujourd’hui, jour de la lecture, j’ai lu! Un auteur classique, un poète que j’apprécie depuis l’enfance : Charles Baudelaire
Aparté Il y a exactement cinq ans presque jour pour jour, je publiais un billet nommé « De l’attention« . Voilà pourquoi celui-ci se nomme « bis »!
L’attention. La tension.
Lundi matin, j’ai posé un commentaire sur un réseau social, en écho à la publication d’une amie. J’ai questionné l’attention et depuis, cette question autant que les autres font la sarabande dans les arcanes de mes réflexions.
L’attention. La tension.
C’est aussi que je suis à nouveau en contact avec les chevaux depuis plus de cinq mois maintenant et que cette sonorité résonne sans cesse : latɑ̃sjɔ̃ (transcription phonétique semblable pour les deux mots associés à leurs articles définis ci-dessus)
Les humains ont grandement besoin d’attention, c’est un fait. La relation humain/animal s’établit incontestablement sur l’attention, c’est un autre fait. Mais de quoi est-il question, en fait ? Quelle est l’attention d’un animal envers un humain ? Quelle est l’attention d’un humain pour un animal ? Est-elle une attention purement scientifique, éthologique, rigoureuse, dénuée d’émotions ? Est-elle une attention complètement anthropomorphique ? Un peu des deux ?
La semaine dernière, j’ai assuré la garde d’un petit de deux ans chaque matin. Il s’exprime déjà fort précisément à l’aide d’un vocabulaire qui étonnerait ceux qui ne le possèdent pas, donc il serait facile d’affirmer qu’il suffit de l’écouter pour le comprendre. Néanmoins, je n’ai eu de cesse que de guetter les signes non-verbaux, une lèvre qui tremble, un oeil qui s’écarquille ou se plisse, un départ de course, un relâchement soudain, etc… Grâce à cette attention précise de chaque instant, nous avons passé de très bonnes matinées, changé maintes fois d’activité et aussi nous avons été à l’heure de chaque rendez-vous avec « les autres ». Pour l’anecdote, j’ai rapidement remarqué qu’il a l’habitude de dire non pour dire non, qu’il dit un petit oui pour dire « cause toujours » et qu’il dit gaillardement mmmouii pour dire « OUI, avec plaisir ». Ce fut l’occasion de scènes cocasses avec ses cousins qui prenaient ses mignons « oui » pour argent comptant et s’offusquaient de son opposition par la suite. En leur faisant part de mon observation, ils ont fini par comprendre qu’il était vain et non avenu de lui arracher un petit « oui ».
Hier, comme la plupart des mardis, je suis allée voir le petit appaloosa. Une fois de plus je fus hyper attentive à chacun de ses gestes, autant qu’aux miens qui se posent en miroir. Je sais qu’ils les note à sa manière de cheval et qu’il prend position en fonction de ces gestes, à sa manière de cheval aussi et suite à ses expériences passées qui sont les siennes, donc indéchiffrables pour l’humaine que je suis. Après un temps d’exercices en carrière, nous sommes partis dans la campagne. Mon but était avéré : aller jusqu’à un bon spot pour brouter en paix et écouter au loin l’arrivée du printemps.
Et pour répondre à une des cavalières qui me posait un jour la question de savoir si je « travaille toujours » lorsque je suis avec le cheval, je réaffirme OUI (bien que le mot « travail » m’écorche les oreilles au long cours). J’ai passé un délicieux moment en l’observant brouter, ce petit cheval, en captant chaque mouvement d’oreille, de queue, de tête, chaque frémissement, chaque bougement. Lui faisait de même avec ses sens à lui et personne ne lui posera jamais la question de savoir s’il « travaille toujours », n’est-ce pas ?
Ecouter le printemps qui arrive au loin, posée dans l’herbe humide juste à côté d’un cheval qui choisissait ses mets avec attention, fut un moment de paix totale qui vaut son pesant de bonbons à la réglisse!
Là où le temps s’abolit L’espace perd ses limites Là où l’espace est sans limites Le temps est aboli J.Y Leloup
Les chevaux m’ont appris la patience. La mi-temps de ma vie est dépassée depuis longtemps et le paysage resté en arrière repousse l’horizon bien plus loin que celui qui est devant et que je ne connais pas encore. Je viens d’achever la petite série de billets relatant mes débuts avec les chevaux. Après les débuts vint la suite, beaucoup d’aventures, un apprentissage sans fin, des chevaux associés à des souvenirs ancrés tout au fond de mes tripes. Et puis vint aussi le jour où j’ai décidé de laisser les chevaux à leur vie de chevaux.
Maintes fois après ce jour, j’ai refusé toute occasion de monter à nouveau. Avec véhémence, toujours. Petit à petit j’ai donné ce que j’avais de plus cher, ma veste de concours, mes bottes cirées, la bride en cuir anglais, etc. Ca me faisait plaisir de faire plaisir à de jeunes cavalières. Je me tenais obstinément à l’écart des chevaux ne gardant que leur souvenir, leur présence constante qui me soufflait que le temps est relatif, que la montre est une invention humaine, qu’après la patience vient la patience.
Chaque chose vient à point. C’est factuel. La vie est espiègle !
Moon-Town, lors d’un stage de préparation au second degré
Après avoir surmonté les affres de la découverte de la réalité du cavalier débutant, j’ai poursuivi ma quête. Une quête de quoi, c’était très imprécis. Une quête de mieux probablement.
Mieux habillée, plus « cavalière » en apparence, j’ai très vite tout fait pour y parvenir. Ah, les apparences ! Voilà encore un truc très humain, j’ai jamais vu un quelconque animal lécher les vitrines ou les catalogues de mode… à moins qu’ils n’aient été préalablement enduits d’un quelconque produit appétant.
En ville, près de mon lycée (avenue de Saxe pour ceux qui connaissent) il y avait un magasin de sport qui, en plus des raquettes de tennis, vendaient des bombes et des cravaches. Le choix était très réduit, mais il me faisait quand même rêver. Je dois avouer que je passais pas mal de temps à me balader en ville en sortant du lycée. Le top était un magasin de décoration situé Cours Franklin Roosevelt, dans un recoin de ce magasin, il y avait un rayon « équitation », un rayon presque secret que seuls les initiés connaissaient et c’est là que j’ai acheté mon premier pantalon d’équitation (prêt à porter de marque allemande) Mais avant et en premier je m’étais offert une cravache, en jonc tressé comme ça se faisait à l’époque. C’était totalement inutile, mais en tenant « ma » cravache, dans le secret de ma chambre, je me sentais un peu plus cavalière et ça valait le coup. Et puis c’était le seul objet accessible à ma tirelire, environ 10 francs, l’équivalent d’une vingtaines de baguettes de pain, un peu moins de trois heures du SMIC d’alors. En deuxième, à l’occasion d’une « grosse » rentrée d’argent, je me suis offert une paire de bottes. C’étaient les toutes premières bottes, en plastique, moulées sur le modèle des véritables bottes en cuir (lesquelles n’existaient que sur mesure chez les bottiers). J’étais tellement fière d’avoir enfin des bottes. pour y enfiler mon pantalon de survêtement. J’ai considéré avoir vraiment « la classe » le jour où j’ai enfin possédé une bombe : gravir les marches qui accédaient au club-house de l’école d’équitation en étant bottée, cravache enfilée dans une botte et bombe sous le bras, c’était définitivement avoir l’air de quelque chose alors même que je n’étais point culottée.
Bon, j’ai toujours été gourmande. Alors de pas grand chose, il fallait passer à quelque chose et à mieux. Toujours mieux, que ce soit en matière de capacité à monter à cheval, en matière de connaissances théoriques ou en matière de mode équestre. En même temps, je restais dans la troupe des « pauvres » cavaliers de loisir à carte rose, sans tailleurs, sans bottiers et sans monture.
Une grosse poignée de cavaliers « carte rose » poursuivit l’aventure en « débutant 2 ». Les reprises étaient alors assurées par un associé, c’était beaucoup plus fade. En « Intermédiaire 1 » la poignée devint petite, mais à la fin nous passions le grade du premier degré, un examen où il fallait avoir pantalon ad hoc, bombes, bottes, tapis de selle et cheval bien astiqué. La réussite assurée assurait aussi le passage dans la classe d’au dessus, celle d’où on pouvait enfin regarder les débutants d’un peu plus haut, au moins à travers la vitre du club-house qui surplombait le manège.
Dans ce coin de la ville, l’école était au milieu des petites maisons du quartier qui jouxtaient le récent campus de la Doua. Inutile de rêver à la moindre promenade. Le graal consistait à participer au stage de Pâques, dans la maison de maître que possédaient les fils du Commandant, en pleine campagne de Saône-et-Loire. C’est là-bas, au « château », que j’ai fait mes premières balades, mes premiers parcours d’obstacle, que j’ai nettoyé des boxes pour la première fois et pansé chaque jour le cheval qui m’était attribué pour une semaine. Le stage, obligatoirement en pension complète, était prévu pour faire ces découvertes là.
Au fil des années qui passaient, l’équitation se démocratisait et l’ambiance changeait perceptiblement. Il y avait de plus en plus de filles, le port de la bombe se généralisait, un apprenti-moniteur renforça l’équipe enseignante. Je restais une inconditionnelle du maître de manège, de ce Jean M. qui devint un jour Jeannot, dont René et Dominique n’étaient que de pâles répliques sans élégance.
L’année du second degré, nous entrions dans la classe « confirmé » et le top, c’était la reprise du samedi matin où nous étions cinq-six cavaliers seulement dont plusieurs adultes. Là, nous montions les chevaux qui débarquaient du champ de course et nous participions à leur formatage afin qu’ils passent de « cheval de course » à « cheval de manège ». A ce moment, J’étais devenue totalement autonome en matière de transport. Plus besoin de papa, plus besoin de marche à pieds ni d’interminable trajet en bus, juchée sur mon « Solex » j’allais au manège quand j’en avais envie. Mais, je ne montais jamais plus de deux fois par semaine. Le salaire grappillé en travaillant les mois d’été ne me permettait pas davantage d’autant moins que le supplément me coûtait le tarif de la carte blanche! La nouveauté à ce niveau, c’était que nous avions parfois « le droit » d’entrer dans le manège à côté du maître. Généralement ça commençait par un message à lui faire passer. Pour ce faire, il fallait monter dans la petite tribune en bois et demander la permission d’entrer. Une fois dans le manège, parfois la possibilité de rester était accordée. Ces jours de grâce, le maître nous partageait son coup d’oeil : « vous voyez, Valentino, là, il s’engage pas » ou « regardez, Bou-bou, il laisse échapper ses hanches ». Non seulement j’avais l’impression d’être privilégiée, mais en plus je « voyais », et ça m’aidait à comprendre les réflexions désagréables qu’il fallait souvent encaisser lors des reprises. Et un jour, je suis passée au grade supérieur. Alors qu’une reprise allait commencer et que je trainais aux abords, je reçu la proposition d’entrer dans le manège sur l’air de « vous m’aiderez à ramasser les barres ». Et, plus loin, petit à petit je fus nommée par mon prénom et finalement le « tu » me fut octroyé.