Me voilà lancée dans une tentative loin d’être simple! Inviter à toucher du bout des mots ce que je nomme souvent « simple bonheur ».
Car si la simplicité est souvent évoquée face à la formidable complexité du monde, c’est beaucoup plus souvent par des individus portés par un besoin d’explication simplifiée, voir simpliste… donc fausse !
Me voici donc propulsée en plein milieu d’une inextricable jungle lexicographique alors que j’avais à coeur de raconter… un simple bonheur. Ainsi va ma vie, infiniment vivante, portée par une quête d’absolu chevillée à mon individu tout entier. Et si souvent j’ai conscience de fatiguer les personnes qui passent à mes côtés, je suis infatigable dans cette quête, poussant parfois à bout mes interlocuteurs qui me rappellent que la sagesse est au juste milieu. Oui. Le juste milieu, ok. Le milieu de qui, de quoi ? Où se trouve le milieu entre l’infini et l’infini ? Existe t-il un « juste » milieu entre l’ombre et la lumière?
J’écris avec une balance minuscule comme celles qu’utilisent les bijoutiers. Sur un plateau je dépose l’ombre et sur l’autre la lumière. Un gramme de lumière fait contrepoids à plusieurs kilos d’ombre. Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard, 2001
C’est la foire aux questions et j’entends déjà les mots des personnes qui ont besoin de « parler simple », en noir ou en blanc, pour ou contre, sur une ligne allant de B (bon) à M (mauvais) où il est facile de définir un « juste » milieu géométrique.
Mon bonheur, ce sacré simple bonheur, est ailleurs.
Marcher seule. Seule dans l’assourdissant silence de la symphonie de la nature, Seule et tranquille, embarquée quasi immobile dans la danse-transe orchestrée par les odeurs, les couleurs, les sons, à fleur de peau et paisible pourtant.
Avec le printemps, l’invitation est constante. Et puis ma « chasse aux orchidées sauvages » est ouverte, me poussant à marcher, marcher encore, parce que l’inattendu est devant, parce que le changement est constant, parce que l’impermanence est l’unique réalité. je suis heureuse dans la complexité de tout parce que marcher seule est ce qu’il y a de plus simple à faire pour avancer encore.
Hier encore, j’ai suivi mes pas dans la lande jusqu’à entendre et sentir le ressac de l’océan et aller plus loin. Dans le sous-bois où les jacinthes sauvages blanches laissaient s’envoler leur subtile fragrance, je me laissais simultanément ravir par les trilles des oiseaux ou l’envol d’un papillon. Je posais mes pas sur l’herbe afin de minimiser le son de mon déplacement, soudain la vue d’un papier abandonné résonnait comme un coup de tonnerre et j’avançais encore, et l’odeur de la terre humide de la nuit me traversait de calme, et le calme agrandissait chacun de mes sens plus loin encore.
Simple bonheur. A la portée de chacun. Sans artifice. Simplement présent. Absolument là.
Ce jour là, je n’ai pas réussi à tenir mon équilibre!
En équitation, la notion d’équilibre est constamment abordée. Que ce soit par les accro d’une vision mécaniste, par les puristes de l’analyse sur image (et sur canapé), par les spécialistes du développement personnel (cheval mon miroir) ou par nous tous qui avons toujours entendu parler de cette histoire d’équilibre sans vraiment la disséquer.
Jusqu’au déferlement des experts de salon sur les réseaux sociaux qui vivent de la publicité, je n’avais pas vraiment réfléchis à la question. A partir du moment où j’ai réussi à bien tenir à cheval, à partir du moment où je fus moi-même « en équilibre » liant avec ma monture sans jamais avoir besoin de m’accrocher aux rênes, j’ai considéré que mon cheval était en équilibre lorsqu’il ne tombait pas en avant. De mon point de vue, quelle que soit la nature du terrain, quelle que soit la position de son encolure, mon cheval est en équilibre lorsqu’il maintient son allure sans jamais butter ou trébucher. Il semble qu’aujourd’hui plus que jamais il existe plein de « théories » sur le sujet et je suis assez triste en pensant à toutes les personnes qui souhaitent « bien faire » et qui se noient au beau milieu de toutes ces théories parfois paradoxales tant elles sont élaborées avec des sauces étranges et lointaines.
Bref. Ce jour là, j’ai pas réussi à tenir un équilibre très imparfait plus de quelques secondes. Pourtant chaque jour, je termine mes assouplissements quotidiens avec lui, pour le fun, par plaisir. Toujours pieds nus, dans la neige, dans le désert ou sur le parquet ciré, Toujours seule. Sans chercher le moindre record, je reste ainsi entre 2mn et 2mn30 de chaque côté, après j’ai ma journée à vivre et pas plus de temps à y consacrer! C’est parfois sur un rocher pas très lisse, parfois sur du gravillon, parfois dans le vent ou devant les vagues qui éclaboussent et dont les embruns viennent m’humidifier et je reste en équilibre… tant que je suis seule.
J’avais déjà noté la nécessité de pouvoir disposer d’un point fixe : un point sur lequel je fixe mon regard disposant ainsi de trois points de contact : un pied par terre, le bout des doigts vers le ciel et un fil invisible me reliant du regard à ce point fixe.
L’autre jour (celui du montage qui illustre ce propos) mon homme était assez proche (souvent il fait des images en étant vraiment au loin) et j’ai pas réussi. J’ai donc pris note et analysé.
La vie est espiègle. Hier matin, dans la calme de mon appart sans vent, sans vagues, sur la parquet sans la moindre aspérité, l’équilibre est demeuré « tendu », inconfortable, d’une stabilité relative précaire. Pourquoi? Parce que j’avais laissé la radio parler. Et ce son là était suffisant pour « faire un vent » plus violent et déstabilisant que le véritable vent!
Wahoooooo.
Alors, comment imaginer qu’un cheval puisse être absolument imperturbablement comme nous le souhaitons quand j’en suis moi-même non-capable?
Certes, ils sont capables d’acrobaties remarquables lorsqu’ils sont en liberté. Certes après des années d’étude, ils deviennent capables de « danser », de sauter, de nous trimballer avec grâce. Mais ce sont des animaux sensibles, que dis-je? Hypersensibles ils sont. Et comme nous, parce qu’ils sont parcourus par les mêmes dégoulinades hormonales (même si les « réponses » physiologiques sont adaptées à leurs particularité de quadrupède nidifuge), ils ont des « saisons », des passages de vie plus ou moins « en équilibre » dans leur tête, des frayeurs bien ancrées, des tensions à propos et parfois chroniques.
L’équitation est une affaire de couple. Dans le couple, la bienveillance est de mise pour chacun des protagonistes. Le cheval nous écoute autant qu’il peut et il n’a pas vraiment la possibilité de s’opposer et il est en quelque sorte « programmé » pour aller de l’avant sans se plaindre. Autrefois, dans sa vie sauvage, en l’absence de nid protecteur, se plaindre, s’arrêter ou même simplement trainer la patte le mettait en état de grand danger avec la peine de mort au bout. Nous humains, nous sommes capables de « trouver refuge » dans un « nid », auprès des « autres » et d’être soigné avec hospitalité depuis très, très, très longtemps. Mais nous avons un travers que les chevaux n’ont pas, nous comparons sans cesse. Et cette obsession pour les comparaison nous fait souvent davantage perdre la raison que cultiver la bienveillance.
Toutes les personnes qui possèdent un animal domestique savent que les animaux passent beaucoup de temps à dormir ou à somnoler, bref… à ne rien « faire », à ne rien produire.
Les chevaux, s’il passent très peu de temps à dormir couché, passent beaucoup de temps à somnoler debout.
C’est peut-être parce que les animaux ne savent pas lire l’heure qu’ils sont de merveilleux compagnons ? Les animaux nous apprennent à prendre le temps et à rester immobile. Car temps et mobilité sont liés.
Le temps s’est accéléré avec les progrès technologiques. Les horloges ont éclaboussé leur précision de machine lorsque des gares ont été construites pour accueillir les trains. Et les trains avaient changé les repères en dépassant largement les vitesses de voyage en vigueur avant eux. Du pas de l’homme, du galop des lourds chevaux postiers, l’humanité passait soudain à la vitesse de la machine, démesurée. La mobilité qu’elle apportait rangeait la mobilité humaine au grade de quasi immobilité en quelque sorte. Et tout s’est accéléré au fil du 20 ème siècle, puis encore plus par la suite avec des informations capables de parcourir le monde en quelques minutes seulement! Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne était visionnaire et il est largement dépassé aujourd’hui.
Nos animaux ne savent pas lire l’heure. En leur compagnie, nous apprenons leur monde.
Qui n’a jamais passé un long moment à seulement caresser son chien, à rêvasser avec un chat ronronnant sur les genoux, à faire briller la robe d’un cheval patient ignore cet enseignement.
Avons nous conscience de ce qui nous est offert là? Cette clé d’un temps très relatif? Je n’en suis pas certaine. Trop souvent, Ces instants pausés, Sont autant de simples bulles qui nous mènent vers la bousculade sur l’air de « Oups, j’ai pas vu le temps passer, j’ai tant à faire, viiiiiiiiite…. »
Toujours! Choisir c’est renoncer. J’étais en train de trier mes photos ce matin, lorsque s’est imposée cette locution.
Ce matin, premier jour d’une campagne électorale express où pleins d’individus préfèrent penser qu’il est possible de choisir sans renoncer. Plein d’individus… des grands et des petits, des connus et des inconnus, plein…
J’étais en train de trier mes photos. Mes pensées vagabondaient allant de souvenir lointains à souvenirs récents. Je pensais à très longtemps « avant » lorsque les images étaient rares et je touchais du bout de mes sens la saveur des souvenirs sans images. Et je voyais défiler les centaines d’images capturées lors de la dernière balade et je supprimais allègrement des lignes entières, de ces lignes qui apparaissent sur l’écran selon le choix fait du nombre d’images qu’elles doivent contenir. Sur mon écran, il est possible de choisir entre 3 et 39 et j’ai choisi 15 parce que ça va bien avec mon acuité visuelle présente, renonçant à la possibilité de voir en détail mais acceptant celle de pouvoir supprimer assez rapidement par multiple de 15.
Choisir. Choisir de garder, choisir d’abandonner. Prendre le risque d’oublier, Comme si chaque image était si importante qu’il fallait absolument ne jamais les supprimer.
L’abondance nous enserre, L’abondance nous étouffe, nous aveugle, nous dépasse et nous perd dans une consommation infernale dont nous oublions les sources et repoussons au très loin les poubelles. Nous habitons en France au 21ème siècle. C’est un fait avec lequel nous vivons. C’est un fait avec lequel nous vivons souvent sans en avoir conscience. Combien de comparaisons avec un avant disparu ? Combien de comparaison avec un « ensuite » dont nous ignorons absolument tout?
C’est amusant de trier les photos et de me retrouver en train de poser quelques mots sur un billet que pas grand monde ne lira. En cherchant d’autres billets sur le même sujet, je me suis relue, je me suis reliée à l’essentiel, à ce qu’aucune photographie ne montre vraiment, à ces moments « en équilibre » que j’ai l’immense chance de pouvoir vivre consciemment et qui jamais ne s’effacent dans ma tête et qui pourtant disparaitrons, à l’heure où je m’effacerai définitivement.
Le temps qui passe apporte son lot de questions, sans questions il serait terne.
En 2023, j’ai accepté l’idée d’abandonner l’état « actif » ce qui signifie que sur les listes proposées à la fin des interrogatoires statistiques, je dois cocher l’ultime case, celle dans laquelle il est « normal » de mettre toutes les personnes qui vivent au crochet des « actifs », ceux qui cochent les cases d’au dessus. Dans ces bas-fonds, plus question de titres ni de diplômes, plus question de qualification, c’est l’antichambre vers l’oubli.
Les « boomers », ces « vieux schnocks » d’aujourd’hui disparaissent petit à petit, les plus célèbres offrant un espace aux spécialistes en nécrologie d’autant plus qu’ils se sont désespérément accroché à leur célébrité. Car certains sont incapables de laisser leur place aux jeunes, que ce soit en politique, dans le showbizz, partout où l’existence est intimement liée à l’exposition médiatique.
Enfant, je regardais les films western sur l’unique chaine de la télévision qu’il me fallait aller regarder chez ma grand-mère les jours sans école. Aucun salon ni aucun canapé à l’époque, c’est assise sur une chaise en paille devant la table de « salle à manger » que nous regardions la boite magique en sirotant du « pschitt » et en mangeant une tartine « beurre-chocolat ». J’étais toujours « pour » les indiens. J’étais fascinée par ces « sauvages ». Un jour, je fus marquée par l’histoire d’une vieille femme qui s’éloignait de la tribu. Devenue inutile, elle partait finir ses jours au loin, seule afin d’éviter de devenir un poids pour les siens. Je fus marquée. Marquée au point de me dire que j’en ferai autant, un jour, lorsque le moment viendra. Las, le temps des « indiens » est terminé. Ni l’environnement sociétal ni l’environnement tout court ne se prête plus à ce genre de « disparition ».
Aujourd’hui, de mon point de vue, la personne vieillissante, vit une espèce d’adolescence à l’envers, un temps entre l’âge adulte (époque de productivité et de cotisations sociales) et l’ultime vieillesse croupissante qui parfois s’étiole infiniment dans les établissements spécialisés parce qu’il est interdit d’achever les humains, quand bien même ils ne sont devenus que charges et soucis incapables de communiquer.
Donc, me voilà vaillamment et joyeusement entrée dans cette drôle d’adolescence ! 2024 marque mon retour en adolescence. Une preuve s’il en était besoin : je monte à nouveau à cheval quasiment chaque jour.
Car le mot « adolescence » est une affaire de bavardage, de signifiant donc comme l’écrit le psychanalyste B.Nominé :
Et, je remarque que la première partie de l’article telle qu’elle apparait sur l’image ci-dessus pourrait tout à fait être plausible en remplaçant « jeune » par « vieux » ainsi il serait possible d’écrire : « Je propose donc de situer l’adolescence entre la réalité biologique de la « ménopause/andropause » qui est un évènement du corps qui s’étiole, et le bavardage. » Et plus loin : « Ce qui va donner un statut à la vieillesse, et c’est la qu’on va trouver l’adolescence, c’est le fait de séparer les vieux des adultes au moyen de la retraite. »
Ca me fait rire. Ce genre d’humour me comble sans jamais me désoler.
Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner. Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard, 2001, page 87.
Le bien-être… Un truc à la mode ! C’est quoi ? Comme tous les trucs à la mode, « ça » se vend à toutes les sauces. Mais c’est quoi alors ? Ben… Après avoir cherché une définition, j’en ai trouvé à la pelle. Mais j’ai été incapable d’en trouver une seule bien précise. Et comme s’il fallait compliquer « la chose » le bien-être humain étant à l’origine de bien des guerres, des révolutions, des grèves, des revendications mettant souvent à mal … le bien-être d’autres humains, voilà que les histoires de bien-être animal sont entrées dans la danse, bousculant des millénaires d’histoire de la domestication et du sens même de cette histoire.
Inévitablement la question du bien-être des chevaux est posée sur la table, d’autant plus vivement que de nos jours si les chevaux sont des outils de travail pour un petit nombre de professions, c’est parce qu’ils sont destinés quasiment exclusivement aux loisirs d’un très grand nombre de personnes. Souvent, je lis qu’il faut éviter toute forme d’anthropomorphisme, que les chevaux sont des chevaux et qu’ils doivent être vus en temps que tels. Sauf qu’il suffit de se promener dans n’importe quelle grande surface dédiée au « bien-être » du cavalier et de sa monture pour constater (si besoin en était) que le détenteur de la carte bancaire étant humain, c’est à ses besoins à lui qu’il faut plaire. Pour vendre une couverture, par exemple, c’est bien à « la sensation de bien-être » du propriétaire d’un cheval qu’il faut parler, c’est bien l’humain qu’il faut convaincre et c’est en vérité le bien-être de l’humain qui va diriger la notion de « bien-être animal ».
Hier, j’ai vécu un moment que je n’avais jamais eu l’occasion de vivre dans toute ma (longue) vie de côtoyeuse de chevaux. Les conditions météorologiques étaient tempétueuses. Je suis arrivée aux écuries entre deux fortes averses, le vent violent agitant seulement quelques gouttes résiduelles, mais après avoir salué les personnes présentes, le ciel recommençait à nous tomber sur la tête. Ayant d’autres activités prévues dans l’après-midi, mon temps sur place étant compté, j’ai décidé d’aller chercher le petit pur-sang sans plus attendre et malgré la pluie battante. En arrivant, longeant son paddock en voiture, j’avais remarqué qu’il avait le nez dans son foin, face au vent. Les chevaux ayant naturellement le réflexe de se mettre dos au vent pour s’en protéger, je m’étais dit que l’animal restait placide, préférant la gourmandise à l’abri. J’étais donc sur le chemin pour aller à sa rencontre, mes bottes de pluie se moquant des flaques, mon bonnet enfoncé jusqu’aux yeux et le ciré fermé jusqu’au menton lorsqu’à travers les rafales j’entendis le son vibrant du hennissement qui me salue habituellement. Vibrant… plus que d’habitude en vérité, mais étant encore loin je n’attachais que peu d’importance à ce fait. A l’approche, je constatais que le petit pur-sang restait figé sans venir à ma rencontre. La pluie redoublait. Il était à quelques mètres de son abri, dos au vent, queue plaquée, pattes arrières sous lui, comme pour mieux résister à la poussée de l’air mauvais, tête basse. Figé. J’avançais à sa rencontre, il était tremblant. Tremblant de tout ses membres. Tremblant de tout son corps. Jamais je n’avais vu un cheval tremblant ainsi, à l’image d’un gamin qui sort de l’océan après y avoir un peu trop trempé. Il fit un pas vers moi. C’était émouvant car ce faisant, il prenait le vent de travers. Visiblement, il avait envie de me suivre mais il était impossible de le toucher, donc de lui mettre son licol. C’était comme si sa peau trempée était devenue hyper-hyper sensible, refusant le moindre contact. J’ai songé un instant à aller dans son abri… afin qu’il s’abrite… mais il avançait à pas piteux vers l’entrée du paddock, donc vers la sortie. Là il accepta le licol. Il me suivit sur le chemin, d’un pas que je n’avais jamais vu aussi actif. Je restais super attentive, je le sentais si tendu que tout pouvais arriver. Son compagnon du paddock d’à côté souffla à notre passage, comme effrayé par je ne sais quoi. Les rafales redoublèrent d’un coup, ronflant autour des bâtiments. Il fallait avancer quelques pas encore pour être à l’abri. Ce fut fait sans hésitation. Là, sous le hangar, le petit pur-sang dégoulinant et archi-trempé s’arrêta, refusant de faire un pas de plus. Il tremblait encore. Jamais je n’avais vu un si grand animal trembler ainsi. Impossible de le toucher, donc de le sécher. Je lui ai approché un peu de foin qu’il accepta de manger et j’ai attendu. Je l’observais, il n’y avais rien d’autre à faire que ne rien faire.
Il cessa de trembler. Les rafales perdirent de leur intensité. la pluie tambourina moins fort.
Après un coup de brosse pour la forme, j’ai conduit le petit pur-sang jusqu’au manège, tout nu, sans autre intention que d’aller passer un bout de temps à l’observer. Dès le seuil, je l’ai libéré de l’attache qui nous liait. Il s’est éloigné immédiatement, en trottinant, la queue en panache, le nez en l’air. A l’autre bout du manège, il s’est couché pour se rouler. Dans la sciure du manège, il a frotté son dos avec délectation d’un côté, de l’autre, puis il s’est relevé, a lancé une gracieuse cabriole, s’est secoué et est venu vers moi, au pas, décontracté. Je ne lui ai rien demandé de plus.
Nous sommes repassés par l’abri du hangar, pour la forme, et parce que je considère que « le cadre » est super important pour la sécurité affective du cheval. Tant qu’il n’est pas tout à fait serein, chaque séance rentre dans un cadre strict, toujours le même, un cadre dessiné à minima entre pansage d’avant la séance et pansage d’après la séance. La sciure est donc restée agglutinée dans épais pelage, formant une espèce de carapace qui le rendait tout à fait non-présentable. Il était temps de le « rentrer » au pré.
Là-bas, il s’est tranquillement dirigé vers son foin. Il a plongé son nez dedans. … comme si rien ne s’était passé!
Comme si rien ne s’était passé, Comme si je ne l’avais jamais vu tremblant de toutes ses cellules, Comme si aucune tempête n’avait traversé les écuries, La vie a continué dans les jours suivants, Paisiblement, Sans le moindre accro de santé, Ni pour lui, ni pour moi.
Le premier janvier fut longtemps le jour des étrennes dans notre civilisation. Les étrennes. J’ai vécu dans mes tripes ce mot. Je l’ai vécu avec la tournée familiale du jour de l’an où nous visitions la famille afin de les récolter, ces tout petits cadeaux, en échange de nos bons voeux. Pour moi, c’était très lourd. Comme tout ce qui relève de l’obligation obligée. Embrasser des gens quasi inconnus, grimper sur les genoux des vieilles tantes, attendre dans leurs appartements trop chargés en odeurs étranges, remplis d’objets surannés, dans la grisaille des jours d’hiver était presque un supplice. Et attendre la pièce promise en restant sagement assise pendant que les hommes buvaient leur « petite » eau-de-vie était un triste moment. Parfois, il y avait une bouteille merveilleuse dans laquelle trempait soit un fruit soit un pantin animé, soit une cathédrale… c’était cool, je pouvais m’y perdre pendant que le temps s’écoulait. C’était autrefois, un temps disparu. L’idée des étrennes, c’est aussi et toujours et chaque année le souvenir de ce poème d’Arthur Rimbaud, celui qui arrive en entrée des « Oeuvres complètes » publiées par La Pléiade : Les étrennes des orphelins.
1er janvier 2024
Les voeux s’échangent virtuellement. Regardez vos mails, il est probable que les entreprises commerciales les plus incisives vous ont envoyé leurs « bon voeux ». A quoi rime cette histoire ? Quel en est le moteur ? Je suis tellement mal à l’aise depuis toujours avec tout ce « genre de truc ».
En préambule, ce petit billet de 2008 où il était question de macaron tout rond.
Car passer d’une potentielle routine (le billet précédent) à tourner rond sans tourner en rond reste une histoire orbitale, histoire de cercles, de bulles, de tourbillons… de roue qui tourne.
Un jour, j’ai tourné en rond pour de vrai. Et l’aventure aurait pu mal tourner. C’était dans le désert de Mauritanie, quelque part, pas loin de Ouadane, à quelques kilomètres du Guelb er Richât qui a tant fait marcher Théodore Monot. J’étais seule. Comme j’Aime. Quelle folie m’avait donc invitée à sortir de la piste à peine tracée ? Le fait est que j’en étais sortie, certaine d’avoir les ressources nécessaires pour m’orienter dans cet univers où pas un caillou ne ressemble à un autre caillou. Je marchais depuis le matin et le soleil avait commencé son déclin. Je savais pas trop où j’étais mais j’avais pas jugé nécessaire de faire le point, donc de sortir la boussole. Et voilà que je vis une trace de pas. Génial me suis-je dis, si quelqu’un est passé par là, c’est que j’approche des humains. Et un regain d’énergie s’empara de moi. Et voilà que la trace unique se multiplia, clairement pas moins de deux personnes étaient passées par là. J’allongeais encore le pas. Un peu plus loin, il y avait davantage de traces. J’étais pas loin d’arriver, c’était certain. Le soleil devenait de plus en plus rasant, mais l’espoir d’arriver quelque part était plus fort que jamais, les traces dans le sable n’étaient-elles pas de plus en plus nombreuses?
Soudain, le vrombissement d’un camion me fit lever l’oreille. Il arrivait droit sur moi, me confortait une dernière fois sur la « justesse » de la direction que je suivais.
Dans un nuage de poussière, il arriva à mon niveau et le chauffeur me demanda ce que je faisais là. Quand je lui expliquais mon cheminement et ma certitude d’arriver bientôt pour me recharger en eau, il partit d’un grand rire en me répondant que j’étais bien loin de toutes pistes, au milieu de nulle part, que j’avais une sacrée chance puisqu’il m’avait vue et que son camion avait pu tracer jusqu’à moi. Il me fit monter dans la benne (c’est là que montent les passagers) pour me ramener sur la piste.
Bien calée contre la tôle mais néanmoins secouée dans tous les sens, j’ai fini par comprendre que j’avais suivi consciencieusement mes propres traces, que j’avais tourné en rond avec insistance, encouragée par mon imagination, déraisonnée par mon manque d’expérience et désormais riche Ô combien de cette nouvelle expérience. J’étais en pleine quarantaine rugissante, mère de quatre fils, épouse tranquille, universitaire sachante, prudente transgressive… bref j’avais déjà passé l’adolescence et l’âge des bêtises… mais voilà, la vie est remarquablement enseignante!
J’ai plus de vingt ans de plus. Et d’autres aventures se sont ajoutées les unes aux autres, toujours pleines de nouveaux enseignements. Vive les vacances!
Avec l’âge qui avance, je modère mes élans. Par exemple, il y a deux ans, marchant à flanc de falaise sur un sentier créé par les chèvres (la largeur de mes deux pieds joints), j’observais le jacuzzi menaçant vingt mètres plus bas, puis je levais le nez sur les amas rocheux et force fut de constater que j’étais devenue trop incapable d’escalader avec le poids d’un sac à dos pour imaginer une sortie « par le haut ». Sagement j’ai décidé à ce moment précis que si je survivais à ce passage très risqué, ce serait le dernière fois que je m’engageais dans ce genre de « folie »! J’ai serré les dents pour rester concentrée aussi longtemps que nécessaire, pour écarter la peur et avancer en équilibre aussi loin que ce fut nécessaire. … Et j’ai tenu promesse !
Voilà des récits d’expériences vécues à travers mon corps. Et je tiens à souligner une réalité : l’esprit est une partie de chaque individu. Aucune frontière ne sépare le corps de l’esprit quoiqu’en disent ceux qui ont besoin de tout scinder pour tenter d’appréhender et surtout de « gérer » la complexité du vivant. Pour ma part, j’ai toujours besoin de comprendre physiquement, c’est à dire de prendre à bras le corps chaque parcelle de vie pour en tirer un enseignement. Les explications seulement « intellectuelles » ou livresques m’enchantent ou m’indisposent, me guident parfois, sans jamais s’avérer suffisantes.
Quand j’ai découvert Matthew B. Crawford, il y a dix ans déjà, ses publications m’ont confortée dans ma non-solitude au sujet de ce morcellement corps/esprit qui nuit à notre épanouissement ; cette dissociation portée haut par une certaine mode et qui participe largement à nos prises de tête, à nous empêcher de tourner rond, aussi bien individuellement que collectivement. Je me re-plonge souvent dans ses bouquins (un peu ardus) afin de chasser les contre-sens interprétatifs : j’ai terriblement besoin de bon sens et balayer chaque jour les croyances qui pourraient s’installer sur mon paillasson est un sacré boulot! Bon… Je reste d’accord avec moi-même. Et puis… le temps désormais passé en vie active me permet de regarder en arrière au point de pouvoir valider la réalité d’un cap qui me ressemble, un cap dont je ne me suis guère écartée quel que soit le sens des vents et des courants.
Quelle conclusion puis-je écrire à l’issu de cette prose ?
Aujourd’hui, en toutes choses, les sollicitations publicitaires permanentes, les algorithmes propres à l’exploitation commerciale des réseaux sociaux, que nous fréquentons tous, nous forcent constamment à tourner en rond (virtuellement) en mettant à l’honneur nos biais cognitifs les plus ancrés afin de pervertir nos raisonnements, exactement à l’image de ma vision de mes propres traces dans le désert qui m’avait convaincue d’avancer sur une faute piste. Parfois un camion bruyant, d’un autre âge, puant le diesel sale arrive à temps pour nous sortir de la boucle infernale, encore est-il sage de lui accorder de l’attention.
Sinon, tourner en rond peut très mal tourner et au moins pire nous empêcher de tourner rond.
Depuis que je monte à cheval, beaucoup de mes réflexions tournent autour des chevaux et de l’équitation parce que j’y vois plusieurs sociétés en taille réduite, donc autant d’interrogations qui me situent moi-même sur un certain chemin, sur certaines recherches, certaines attentes tranquilles ou plaisirs immédiats.
La « routine » de ces dernières semaines avec cinq jours passés auprès des chevaux chaque semaine représente un point fixe placé sur les turbulences des passages.
Trois chevaux, toujours les mêmes B. , I. et S. Je les observe, je les monte chacun leur tour, je les observe. Attentive à ma relation à eux, donc attentive à mon attitude en leur présence, à ce que change le moindre geste dans leur regard de cheval si différent de notre regard humain, à ce que change la moindre contraction « parasite » de mon corps posé à leurs sens de chevaux tellement à fleur de peau. Car les chevaux ne pensent pas. En tout cas, ils ne regardent pas les chaines d’information en continue, pas plus que les réseaux sociaux qui parfois déblatèrent en leur nom. Les chevaux sont dans l’instant présent.
C’est certainement cet instant présent super présent qui constitue le point fixe qui m’est utile en ce moment. (A noter pour les personnes qui suivent et s’y perdent que j’ai remplacé C. par S. preuve s’il en était que chaque cheval est tout sauf un point fixe! )
Parce que la vie des humains est remplie par l’actualité galopante, par ce que nous oblige la société de consommation, mes pensées sont alternativement hyper denses et absolument creuses. Lorsque je descends de vélo pour m’asseoir dans la voiture et me diriger en direction de l’une ou l’autre écurie, je laisse s’égrener ce que raconte la radio sans avoir besoin de mettre la moindre pause musicale. Ma petite musique interne fait le job. Je suis dans un entre-deux et j’ai toujours apprécié ces moments.
Et 20 à 30 minutes plus tard, je mets pied à terre et je suis dans l’univers des chevaux. Et là, je suis là. Encore plus intensément dès le moment où j’arrive à côté du cheval du jour. Et davantage encore au moment où je l’enfourche. Je suis en sa compagnie, je lui propose d’établir une relation, toujours la même, paisible, sans état d’âme, dénuée de la notion binaire bien/mal. Ce qu’il me fait sentir m’oblige à essayer de ressentir ce qu’il a ressenti pour en arriver à réagir. La moindre tension de son côté interroge la tension que je lui impose. C’est une partition absolument passionnante, toujours renouvelée, impossible à rejouer exactement pareil, tout comme en mer il est impossible de retourner sur sa trace, bien qu’il soit possible de reprendre un cap.
J’ai tellement conscience de la qualité de ces moments.
Je suis pleinement reconnaissante à tout le chemin déjà parcouru depuis ma venue au monde car c’est ce chemin à nul autre pareil qui nourrit aujourd’hui ma routine.
Dans cet espace, si je suis parfois conseillère, si je suis parfois scrutée, si je suis parfois radoteuse, jugée « réac » même, je sais que c’est uniquement avec et par les humains qui passent. Les animaux ignorent les jugements et c’est pour nous, humains, une grâce qui nous permet de regarder ce que nous souhaitons dans le miroir de leurs yeux.
A mes yeux, la grâce, c’est le bonheur et le confort d’un point fixe, d’une routine, de nombreux « entre-deux » toujours différents bien que renouvelés cinq fois par semaine.
Nous passons de passages en passages, c’est un fait. Ce constat est vertigineux. C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que… C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…
Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir. Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.
Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse. Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette. Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.
J’en suis là. Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.
L’automne arrive. En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ». En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte. Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux. Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.
J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.
Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?