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Pensées et réflexions en goguette

Une certaine routine

Je parlais de point fixe aujourd’hui même, ici.
Et j’avais aussi conjugué les points fixes avec les points de suspension par ici.

Depuis que je monte à cheval, beaucoup de mes réflexions tournent autour des chevaux et de l’équitation parce que j’y vois plusieurs sociétés en taille réduite, donc autant d’interrogations qui me situent moi-même sur un certain chemin, sur certaines recherches, certaines attentes tranquilles ou plaisirs immédiats.

La « routine » de ces dernières semaines avec cinq jours passés auprès des chevaux chaque semaine représente un point fixe placé sur les turbulences des passages.

Trois chevaux, toujours les mêmes B. , I. et S.
Je les observe, je les monte chacun leur tour, je les observe.
Attentive à ma relation à eux, donc attentive à mon attitude en leur présence, à ce que change le moindre geste dans leur regard de cheval si différent de notre regard humain, à ce que change la moindre contraction « parasite » de mon corps posé à leurs sens de chevaux tellement à fleur de peau.
Car les chevaux ne pensent pas.
En tout cas, ils ne regardent pas les chaines d’information en continue, pas plus que les réseaux sociaux qui parfois déblatèrent en leur nom.
Les chevaux sont dans l’instant présent.

C’est certainement cet instant présent super présent qui constitue le point fixe qui m’est utile en ce moment. (A noter pour les personnes qui suivent et s’y perdent que j’ai remplacé C. par S. preuve s’il en était que chaque cheval est tout sauf un point fixe! )

Parce que la vie des humains est remplie par l’actualité galopante, par ce que nous oblige la société de consommation, mes pensées sont alternativement hyper denses et absolument creuses.
Lorsque je descends de vélo pour m’asseoir dans la voiture et me diriger en direction de l’une ou l’autre écurie, je laisse s’égrener ce que raconte la radio sans avoir besoin de mettre la moindre pause musicale. Ma petite musique interne fait le job. Je suis dans un entre-deux et j’ai toujours apprécié ces moments.

Et 20 à 30 minutes plus tard, je mets pied à terre et je suis dans l’univers des chevaux.
Et là, je suis là.
Encore plus intensément dès le moment où j’arrive à côté du cheval du jour.
Et davantage encore au moment où je l’enfourche.
Je suis en sa compagnie, je lui propose d’établir une relation, toujours la même, paisible, sans état d’âme, dénuée de la notion binaire bien/mal.
Ce qu’il me fait sentir m’oblige à essayer de ressentir ce qu’il a ressenti pour en arriver à réagir. La moindre tension de son côté interroge la tension que je lui impose.
C’est une partition absolument passionnante, toujours renouvelée, impossible à rejouer exactement pareil, tout comme en mer il est impossible de retourner sur sa trace, bien qu’il soit possible de reprendre un cap.

J’ai tellement conscience de la qualité de ces moments.

Je suis pleinement reconnaissante à tout le chemin déjà parcouru depuis ma venue au monde car c’est ce chemin à nul autre pareil qui nourrit aujourd’hui ma routine.

Dans cet espace, si je suis parfois conseillère, si je suis parfois scrutée, si je suis parfois radoteuse, jugée « réac » même, je sais que c’est uniquement avec et par les humains qui passent. Les animaux ignorent les jugements et c’est pour nous, humains, une grâce qui nous permet de regarder ce que nous souhaitons dans le miroir de leurs yeux.

A mes yeux, la grâce, c’est le bonheur et le confort d’un point fixe, d’une routine, de nombreux « entre-deux » toujours différents bien que renouvelés cinq fois par semaine.

Zone de passage (2)

Ce deuxième épisode élargit le premier.

Nous passons de passages en passages, c’est un fait.
Ce constat est vertigineux.
C’est comme regarder un ciel étoilé et imaginer que derrière les étoiles il y a d’autres étoiles et que derrière les autres il y en a encore d’autres et que…
C’est comme regarder l’océan et imaginer que c’est de l’eau et que l’eau est un assemblage de molécules et que les molécules sont des assemblages d’atomes et que…

Inévitablement un certain inconfort survient à un moment ou à l’autre et nous force à regarder un peu plus près, à envisager un point fixe et à s’y tenir.
Ainsi, il est facile de considérer un chemin plus ou moins bucolique, plus ou moins accidenté et d’oublier que chaque pas posé nous fait passer un pas plus loin.

Plus d’une fois j’ai parlé de ce caillou qu’on lance dans l’eau pour le plaisir d’entendre le « splash », puis pour peut-être regarder se dessiner les ondes troublant la surface de l’eau auparavant tout à fait lisse.
Un passage est généralement marqué par une « entrée » qui fait « splash » d’une façon ou d’une autre. La « sortie » du passage est moins nette.
Chaque fois que j’ai raconté cette histoire de caillou lancé, j’ai aussi expliqué que, pour qui avait un peu de patience, le plus passionnant arrive après que plus rien de visible ne persiste, lorsque l’onde se propage sur la berge et qu’en posant la main on peut avoir la chance de la percevoir subtilement.

J’en suis là.
Je suis en train de ressentir des ondes qui se propagent bien loin du point d’impact et s’estompent tout à la fois, et restent perceptibles pourtant.

L’automne arrive.
En ce début d’année, j’avais enfin demandé mon « droit » à percevoir l’aumône destinée aux vieux, ce « truc » que les jeunes financent et qui s’appelle communément « la retraite ». Bien que j’ai pointé la date du 1er avril pour en souligner la blague, le symbole était fort, soulignant mon acceptation d’un réel retrait de la « production », le commencement de la pente inexorable vers « plus rien ».
En mai, je me suis soudainement trouvée immobilisée comme jamais, bien qu’en apparence tout à fait intacte.
Mille réflexions ont suivi, puis quelques décisions et enfin un salutaire recadrage de mon retour au milieu des chevaux.
Après une longue patience d’environ deux mois, je suis revenue à mon rythme de croisière, à la routine, mais je suis tout à fait différente du « moi » qui avait commencé l’année.

J’ai un peu développé en digression à travers d’autres billets comme celui-ci ou celui-là.

Trois billets indissociables, est-ce une trilogie?

Souvenirs


Avant de laisser mes mots se tricoter dans un deuxième épisode sous le titre « Zone de passage », il me faut parler un peu de souvenirs.

Depuis mon débarquement au monde dans le milieu du siècle dernier, le sens de la vue, la vision, est devenu central et prépondérant. A un tel point que Les boutiques des opticiens ont naturellement envahi les centres des villes, les meilleurs coins de rue, repoussant au loin les autres commerces.
Dans mon enfance, porter des lunettes à l’école était chose rare, les écoliers qui « voyaient mal » étaient placés au premier rang afin de « voir mieux le tableau » ou, rendant d’emblée les armes, ils étaient près du radiateur au fond de la classe.
Petit à petit la « mode » s’est répandue, « soignant » même la physiologie, c’est à dire l’évolution normale de l’oeil enfantin, afin de procurer à chaque jeune humain une vision correspondant à celle d’un adulte.
– Remarquablement, et je pose cette réflexion en aparté, les jeunes humains sont de plus en plus considérés comme des adultes tout simplement parce que les adultes les regardent comme des individus achevés à leur image, capables de comprendre la vie comme s’il en avaient l’expérience innée. ( Cf La norme) –

Je fais partie des personnes âgées qui refusent de porter des lunettes au long cours. Non par difficultés financières, non, simplement par goût pour la liberté de sentir le vent sur mon visage jusque dans mes yeux, pour le plaisir de froncer ou écarquiller les yeux au besoin, pour la joie de laisser s’échapper les détails et de sonder l’alentours avec tous mes sens, peut-être aussi avec le coeur. Je me moque du 10 dixièmes moyen, alors même que je fus longtemps dotée d’une acuité bien supérieure, je vois comme je vois c’est finalement une question de point de vue, n’est-ce pas ?

Tout ça pour en arriver aux souvenirs que je suis en train de classer!

Car la suite logique de la traversée de ces derniers mois, c’est un nouvel épisode de rangement, de tri et d’élimination, le dernier datait de six mois avant l’an zéro de C. Nous sommes aujourd’hui à l’an 3!
(Oui, je constate souvent que les gens comptent désormais les années avant C(ovid) et après!!!!)
Et il y a du boulot, j’avais gardé un paquet de papiers « sentimentaux » dont je peux désormais me débarrasser.
Et puis, il y a les centaines de photos accumulées dans la photothèque virtuelle, dans les disques de sauvegarde et dans divers dossiers virtuels.

Les stocks sont dans les nuages, à ce qu’il parait.
Impalpables donc.

Je questionne souvent le rapport commun à l’image.
Observer des personnes vivre un feu d’artifice, un spectacle ou un fait divers à travers leur écran qui enregistre des images m’interpèle. Au delà du regard, d’autres sens sont-ils sollicités ?
Comment la mémoire, notre mémoire physiologique, notre mémoire bassement humaine, enregistre t-elle ces expériences là ? Cette mise à distance ?
Quand chaque acte est mis en boite afin d’aller ensuite dans les nuages ?
Quand chaque acte est « enregistré » comme un souvenir « véritable » ?
Un souvenir « preuve infalsifiable » que n’importe quelle application de smartphone peut pourtant s’amuser à modifier ?

Les souvenirs construisent le socle de notre présent, j’en suis certaine.
Quels qu’ils soient, ces souvenirs, même ceux d’aujourd’hui genre « Ah oui, je me souviens j’avais filmé la scène, attends je vais te montrer » et de scroller à toute vitesse.
Les souvenirs sont situés.
Comme le reste.

Pendant des millénaires, les humains se contentaient de se les passer par la parole, sans se soucier des transformations qui jouaient leur rôle à chaque passage.
Pour quelques personnes, puis pour un nombre de plus en plus grands d’individus, l’écriture est venue apporter l’impression d’une certaine précision. Certes, interpréter les gravures rupestres voire les écritures logographiques exige un grande interprétation, bien plus que les écriture alphabétiques actuelles, surtout celles qui comme la nôtre contient des voyelles écrites. Mais il est probable que les humains qui « gravaient dans le marbre » avaient l’impression de laisser des empreintes pour l’éternité.
Nous en sommes à l’époque où nous avons l’impression de laisser des empreintes dans les nuages!

J’ai besoin de choses palpables pour ma part.
Alors vider ma photothèque numérique, c’est m’amuser à construire des albums à thème, c’est balancer à la corbeille des centaines d’images pour n’en garder que quelques unes.
Ces quelques unes qui me parlent vraiment au plus profond de ma mémoire, qui viennent titiller le fond de mes tripes, qui me racontent des histoires et me font des films… à moi, à moi seulement.
Peut-être que dans quelques années, sentant s’approcher la fin de manière encore plus certaine, peut-être que dans quelques années je ferai un nouveau tri, me débarrassent aussi de ces souvenirs là ?
A moins que je n’ai tout au fond des arcanes de mes réflexions l’idée folle de les laisser à ceux qui restent afin qu’ils les jettent eux même… ou pas ?

C’est vraiment un « truc » particulier les souvenirs.
Avez vous remarqué que les vieux parlent volontiers de leurs exploits passés, de leur ville/village « d’avant », d’un autrefois revisité à leur guise ?
Je me souviens combien j’étais agacée, enfant, par ces radotages des vieux.
Et aujourd’hui, je radote!
Je me souviens.
Je catalogue, je classe les souvenirs.
La vie est cruellement espiègle.

La norme


En faisant le tri dont il est question ici, j’ai retrouvé cette image de terminale avec la « chemise » paraphée par les quelques unes qui avaient accepté de le faire.
Quelle courageuse la « Elizabeth » qui écrivit « C’est ça joelle, une folle bien gentille »!
Elle faisait partie des « blouses bien boutonnées » à l’opposée des richissimes bourgeoises qui osaient défier la direction en refusant la blouse.

J’étais timidement entre les deux, portant ma blouse sale et jamais boutonnée sans passer le cap de l’abandonner… C’est difficile l’adolescence, j’essayais en vain de ressembler aux autres sans avoir d’exemple précis, je savais pas vraiment ce qu’était « la norme » dans ce lycée public mais huppé des années soixante-dix. La terminale était un microcosme bizarre où se côtoyaient les filles du quartier (le quartier le plus riche de Lyon) et les meilleures élèves d’ailleurs, de banlieue même comme ma pomme, les meilleures élèves qui étaient aussi les plus jeunes, les moins aguerries.
Ma vie était en dehors et encore, je cherchais.
J’avais plusieurs vies, déjà… chacune dans un microcosme bien précis que j’habitais en équilibre toujours précaire.

J’ignorais, pendant cette traversée là, j’ignorais que je tentais désespérément de me couler dans une norme que j’ai toujours été incapable de simuler totalement.
Il a fallu de nombreuses années pour que j’accepte ma solitude et que je prenne à bras le corps la joie de cheminer en sa compagnie.
Il a fallu que j’étudie avec acharnement pour découvrir la relativité, les injonctions paradoxales qui mènent à la folie pour de vrai et l’absence de limites, donc de normes.

J’ai alors passé un peu de temps à déconstruire cette histoire de norme, moquant la fameuse courbe de Gauss, cette courbe mathématique qui s’appelle aussi « courbe de la loi normale », une courbe mouvante en fonction de ce qu’on lui fournit. Une courbe ni vrai ni fausse, un exercice statistique sans plus.

Et désormais, alors que je suis entrée de plein pied dans le rayon des vieux, je peux me permettre de questionner cette obligation faite à cette grosse partie de la population française née pendant les trente glorieuses de « rester normale » autant que possible, d’appareiller ses oreilles, ses yeux, d’opérer ce qui peut l’être pour garder la peau ferme, les poils doux, les cheveux colorés, de se doper un peu afin de garder des réflexes au taquet.
Comme j’en ai parlé (ici) les enfants sont souvent considérés comme des adultes miniatures, de l’autre côté les vieux sont considérés comme des adultes un peu abimés. La norme c’est l’âge adulte, la force de l’âge. Où commence t-elle la, où s’achève t-elle cette norme ? Là est la question!

Zone de passage (1)

Voilà deux mois qui viennent de courir.
Je fus en zone de passage pendant ce temps.

Ainsi le rapport des choses et de mon corps est décidément singulier : c’est lui qui fait que, quelquefois, je reste dans l’apparence et lui qui fait encore que quelquefois, je vais aux choses mêmes ; c’est lui qui fait le bourdonnement des apparences, lui encore qui le fait taire et me jette en plein monde. Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes n’allaient pas l’un sans l’autre. Davantage : comme si l’accès au monde n’était que l’autre face d’un retrait, et ce retrait en marge du monde une servitude et une autre expression de mon pouvoir naturel d’y entrer. Le monde est cela que je perçois, mais sa proximité absolue, dès qu’on l’examine et l’exprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrémédiable.
M.Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964 (puis 1979, puis 2016 ISBN 978-2-07-028625-6)

Le visible et l’invisible!
Voilà de nombreuses années que je danse passionnément, funambule entre ces deux mots antonymes, et que l’ouvrage de Merleau-Ponti reste en bonne place sous mes yeux, interrogeant quotidiennement mes questions sous l’immensité des spectres contenus entre l’un et l’autre.

Les zones de passage se succèdent dans chacune de nos vies et cependant nous en remarquons certaines plus que d’autres, probablement du fait de la force plus ou moins grande des sensations qu’elles imposent.

Et force est de constater qu’un arrêt brutal a marqué sans coup férir l’entrée dans une zone de passage le mardi 30 mai dernier.
En premier c’est mon corps qui s’est exprimé intensément, accaparant l’ensemble de mes questions et de mes actes.
Puis, très vite je suis partie en exploration… de plus loin… de l’horizon et de l’invisible.

J’ai posé beaucoup de question.
J’ai remis beaucoup de questions en question.

Insuffisamment sans doute, au point qu’un « rappel » (un peu plus doux, comme tout rappel) survint fort opportunément le 8 juin passé.
C’est assez remarquable car au cours de ma vie, jusqu’ici, j’ai presque toujours considéré chaque évènement avec toute l’importance qui lui était dû : l’enseignement qu’il transportait était immédiatement intégré et l’expérience suffisante pour impacter notablement mes actes à venir.

Ce coup ci, un rappel fut nécessaire.
Certainement parce qu’il y avait plus d’une décision à prendre.
Possiblement parce que j’étais embarquée sur plusieurs navires à la fois.

Je sors lentement de cette zone de passage, mon corps me rappelle (presqu’en douceur désormais) la puissance de l’invisible, du non-visible avec les yeux, du présent et de la mélancolie aussi indispensable à la joie que l’ombre l’est à la lumière.

Warrior

Après ma dernière aventure qui fut l’occasion d’annuler tout projet de randonnée estival et de revoir aussi le sens de l’équitation que je désire, j’ai repris quelques activités. Puis, naturellement de plus en plus au fur et à mesure qu’un mieux-être se dessinait.
J’ai sans doute trop vite accéléré, de nouvelles douleurs sont sorties de nulle part, des tensions, des contractures d’autant plus difficiles à supporter que j’avais l’impression d’avoir déjà bien encaissé.
J’aurais vraiment apprécié approcher de la fin du passage.
Sauf que la vie est espiègle et imprévisible.

Et puis, il y avait quand même un planning à respecter : l’obligation d’être la grand-mère de service pendant une semaine.
Il fallait donc tout mettre en place pour réussir le challenge.
Certains peuvent se hâter d’affirmer que le « stress » précédent conjugué au désir d’être à la hauteur pouvait lui-même être la source de la recrudescence des tensions.
Ce serait aller vite en besogne.
Je me savais encore physiquement fragile et je connais les besoins des jeunes enfants, leurs demandes brouillonnes comme leur présence bien ancrée dans leur propre monde, tous incapables de « comprendre » ce qu’un adulte vieillissant peut ressentir.
J’avais accepté le challenge des mois plus tôt et j’étais en état de le relever avec quelques aménagements : pas question de courir la campagne, de sauter les marches dans les musées ni de courir après les papillons ; il restait tant à faire !

J’ai entamé la semaine comme une course d’endurance (j’ai un joli passé, donc une bonne expérience en la matière). J’étais encore vivante à mi-parcours et j’ai relevé le défi jusqu’au bout.
Ce faisant, très peu de temps restait libre pour prendre soin de mes douleurs, pour aller à la piscine, pour étirer chaque tendon trop tendu.
Le week-end est passé, il restait seulement un lundi de « garde » à assurer.

Je suis de nouveau partie en mode warrior pour assurer le service qui m’était demandé.

Auparavant, j’avais longuement réfléchi à la situation qui est la mienne aujourd’hui.
.
A l’époque où je faisais du sport en compétition, je regardais avec interrogation les « vieux » qui cherchaient à se faire valoir en courant après leur jeunesse.
Bien que j’ai cessé assez tôt de challenger corps et mental dans des défis sportifs insensés, j’ai continué à repousser mes capacités d’endurance dans mon activité professionnelle.
Combien de nuits blanches successives m’obligèrent-elles à survivre coûte que coûte?
Combien de temps passé à courir d’une vie à l’autre, des exigences maternelles aux exigences professionnelles, toujours sans faillir ?
C’était important que je le fasse.
Qu’avais-je donc à prouver ?
Quelles reconnaissances avais-je donc à quêter ?
Dans quel but ?

Aujourd’hui, je sens qu’il est plus que temps d’abandonner le terrain.
Que pourrais-je encore prouver ?
Vis à vis de qui ?
Et pourquoi ? Car je sais désormais que l’autosatisfaction est l’unique véritable récompense.

Vieillir, c’est disparaitre à petit feu.
Disparaitre de la vie professionnelle,
Disparaitre des compétitions sportives,
C’est chercher désespérément du sens,
« A quoi ça sert de se décarcasser » questionnait une publicité en 1978.
Qui s’en souvient ?
Vieillir, c’est certainement accepter le début de la fin,
Baisser les armes,
Cesser toute compétition
Et cependant poursuivre les échanges.

Parce que les échanges sont la base de ce qui fait société.
Coûte que coûte, donc.
Car jamais il ne sont gratuits.

Oui, selon la définition je suis une warrior, en ce sens que je suis vieille.
Et j’aspire à la tranquillité,
A la non compétition
A prendre soin de mes vieux os avec plus d’attention que jamais,
Afin de pouvoir,
A l’occasion, prendre encore soin des autres avec plaisir,

Pour le simple plaisir d’avoir l’impression d’exister encore.

Passage…


En vérifiant dans le moteur de recherche du site la présence du mot « passage » j’ai trouvé pas moins d’une trentaine de billets dans lesquels il apparait. Celui-ci arrive en tête
J’apprécie toujours la redécouverte des billets enfouis proposé par cette recherche qui précède chaque plongeon dans la rédaction d’une énième réflexion.

Comme j’ai essayé de le relater en trois articles, je suis en zone de passage.
Vers la suite c’est certain.
Quelle suite ? Je l’ignore.
Quand ?
Encore davantage.

Etrange zone que je tente d’explorer passionnément.
Intensément à l’écoute de mon corps,
… et de plus … et de tant.
Car jamais l’occasion ne s’était ainsi présentée.
Etre incapable de poser sans une intense douleur la jambe droite devant la gauche,
Donc être incapable de marcher avec aisance,
Tout en étant capable de me balader à bicyclette,
Tout en étant capable de nager délicieusement,
Tout en étant capable de m’installer dans mes postures de yoga favorites !

« Monter à cheval, c’est partager sa solitude »
Clément Marty, D’un cheval l’autre, Gallimard 2020

Pour l’instant je suis privée de ces moments de partage, incapable de marcher, comment aurais-je l’audace d’inviter un cheval à marcher sous ma selle ?

C’est là que j’en arrive après ce préambule.
Car c’est autour de ces deux mots « cheval » et « solitude » que s’articulent l’ensemble des réflexions qui passent et re-passent en ce moment, dans ce passage là.

Sans aucun doute, la retraite forcée de ces derniers jours met en exergue ce que j’avais déjà posé dans ce billet là , s’y ajoute l’inexorable quête d’absolu qui est mienne.
Et cette quête m’impose des choix,
Donc des renoncements.

Dès l’incident à l’origine de cette pause forcée, j’ai su que le temps était venu de déclarer à la propriétaire du petit appaloosa la fin de ma contribution.
Je m’étais fixée l’horizon de septembre, mais une fois plus le terme de neufs mois a pointé le bout de son nez sans même que j’ai besoin d’en faire le décompte!
Magie de la Vie !
Ma reconnaissance envers ce petit cheval est gigantesque.
C’est principalement sa non-solitude qui a petit à petit précipité la fin de ma relation à lui.
Il appartient à sa propriétaire.
Il loge chez sa logeuse.
Mon besoin d’absolu fut incapable de s’épanouir dans les « entre-deux » abyssaux qui se créaient.
J’en souffrais en silence, sans oser poser un point final.
Le point s’est imposé,
De lui-même.

J’en suis là.
Gourmande plus que jamais.
Confiante
Inlassablement.








Ubérisation

Conséquence des faits précédemment exposés, c’est la deuxième fois que je me fais livrer de quoi préparer à manger.
C’est cool d’habiter en ville, mon garde-manger peut se remplir plus vite en cliquant sur un écran qu’en allant au magasin!

Je déteste ce principe.
Et pourtant, ces jours-ci, je suis bien contente d’en « profiter ».

Dans le temps, il était possible de solliciter le petit voisin, une petite pièce et hop il était tout heureux de rendre service et puis, la famille était souvent juste à côté, bien obligée de se soumettre « aux obligations familliales ».
C’était « dans le temps », ou plus loin, ou ailleurs.
J’en suis à aujourd’hui, dans les conditions de vie que j’ai moi-même choisi pour mon plus grand bonheur.
De fait,
Ma grand-mère qui affirmait « il faut vivre avec son temps » aurait-elle apprécié cette formidable ubérisation ?
Aurait-elle apprécié le bruit du scooter qui arrive à fond sur les pavés?
Qu’aurait-elle pensé du petit black casqué de noir, habillé de noir, articulant difficilement trois mots de français pour exiger un numéro de code avant d’ouvrir son sac et de délivrer les courses commandées ?
Je l’ignore.

Moi, je déteste.

Mais nous en sommes là. Beaucoup de personnes voyant ma limitation actuelle me disent « N’hésite pas si tu as besoin de quelque chose » ce qui signifie en fait :
« Surtout, hésite bien à me demander quoique ce soit, j’ai autre chose à faire »

Et puis, c’est vrai, j’ai les moyens de payer!
Mais que personne ne vienne me parler d’attention, de bien-être animal, de la fin de l’esclavage parce que j’aurais de quoi argumenter…

D’ailleurs si j’affirme volontiers que les gens sont naturellement serviables, je modère mon propos en rajoutant qu’il faut un peu leur forcer la main.
Parce que l’individualisme est une présence ordinaire.
Mardi dernier, lorsque j’ai sollicité un comprimé d’anti-douleur avant de prendre sereinement la route, j’ai bien senti que la personne sollicitée préférait me raconter sa vie et lorsque j’ai insisté après l’avoir patiemment écoutée, elle sembla tellement exténuée à l’idée d’aller chercher « le truc » dans sa maison (à 5mètres) que je l’ai libérée sur l’air de « Laisse tomber, ça va le faire sans ».
Et quand trois jours plus tard, je lui ai fait un bilan de l’aventure, histoire de lui signifier que je la reverrai pas de sitôt, après m’avoir sollicitée pour l’aider dès que possible, elle ajouta : « C’est bête, tu aurais pu me demander des béquilles, j’en avais à la maison. »

Heureusement que l’échange fut réalisé par message électronique sans nécessiter de réponse, car en direct live, j’aurais difficilement pu retenir un « scud joellien » de derrière les fagots!

Bon, d’accord, en certaines choses, l’absence de choix est flagrante et, oui… il faut vivre avec son temps!

De la décontraction (3)

Ultime billet de la trilogie qui débuta ici.

J7 après l’évènement.
Aujourd’hui, j’ai besoin d’aller m’asseoir sur la plage et de me laisser caresser par les vagues. Je vais y aller.
Evidemment.

J7.
J’ai besoin de la chaleur du soleil piquant ma peau.
J’ai besoin d’horizon.
J’ai besoin d’infini.

J7.

Samedi, sous les mains inspirées de mon amie j’ai imaginé que ce qui s’était passé, quelques jours auparavant, avait bousculé des couches très profondes de mon être. J’imaginais (en dessin animé comme d’habitude) qu’une croûte bien sèche, bien collée au profond de l’intérieur s’était décollée sous l’effet du choc puis brisée, lâchant dans le vide une foultitude de questions que j’avais laissées se stratifier faute d’avoir eu le temps de m’en occuper.

Sous les mains soignantes, ou plus exactement sous « l’entre-deux » subtil jouant son propre jeu entre ma peau et la sienne, milles questions se réveillaient, se bousculaient, fusaient, s’emballait dans toutes les directions sans que je ne puisse ni les saisir ni les formuler donc les questionner vraiment.
J’étais intensément présente face à chaque tentative et parfois je constatais mon opposition involontaire.
J’étais soumise à une force tranquille et douce qui essayait, partait, revenait, réfléchissait, tentait à nouveau sous un autre angle, avec patience, en douceur. J’ignorais tout de son intention et c’était bien comme ça. N’étais-je pas depuis le début sans attente, sans espoir, sans autre intention que l’acceptation?

L’unique pensée qui allait et venait assez clairement pour s’imposer était que ce qui était en train de s’accomplir avait tout à voir avec ce que je cherche à réaliser à cheval : obtenir la décontraction autant que possible et goûter à l’harmonie fugace qui en découle.
C’est mon intention lorsque je suis à cheval tandis que le cheval, lui, n’a aucune intention.
(La gourmandise est une aptitude, peut-être un défaut à moins que ce ne soit un péché capital… C’est très différent d’une intention, n’est-ce pas ?)
Le cheval vit le moment présent et se laisse « manipuler » en cherchant à chaque instant et sans le vouloir comment restaurer un plus grand confort dans ces déplacements qui l’écartent de ses préférences innées. Il peut s’opposer à une force qui l’incommode, et il peut le faire à sa manière de cheval mais sans jamais la moindre intention de nuire.
C’est au cavalier, à celui qui choisit intentionnellement d’encombrer le cheval et de le mettre « à sa main » qu’il convient de changer, d’essayer, de tenter, de réfléchir sans s’appesantir.

Les chevaux m’ont appris la patience et j’ai exercé ma patience professionnellement. Au fil du temps qui passe, j’ai expérimenté la force de la relation à travers toutes les tentatives de communications établies et j’en parle encore à propos des chevaux.
Je sais désormais sur le bout des doigts tout ce qui me définit en temps qu’individu à la fois terriblement semblable aux autres et formidablement unique, plutôt non conforme bien que dépourvue de toute étiquette « anticonformiste ».
C’est faible de ce « savoir » que j’écris chaque mot comme une interrogation.

Après le départ de l’amie, alors qu’un certain mouvement s’était rétabli à la rencontre d’une multitude de microémotions, j’ai commencé à sérieusement porter mon attention en direction des questions libérées.

Par curiosité je suis allée clavarder du côté du symbolisme, fascinée comme toujours par le pouvoir de conviction de certains auteurs en appui sur… rien!
Puis, j’ai regardé encore et encore les descriptions anatomiques, les insertions musculaires, les trajets des faisceaux musculaires pour tenter d’expliquer mes propres défenses provoquant des douleurs fulgurantes.
En vain.
Je peux accomplir des mouvements étonnants sans douleurs et parfois un tout petit mouvement parasite encourage un tendon tendu à crier fort.
C’est étrange.

Hier je constatais un véritable « mieux » avec beaucoup moins de rappels douloureux et curieusement je me suis dit que la douleur me manquait.
C’est complètement fou, non?
Alors je suis allée marcher, sans doute un peu trop loin, bien appliquée pourtant à poser mes pieds bien droits entre les cannes et tellement lentement à la fois.

J’étais plutôt algique à l’heure du repos vespéral.

Mais j’ai super bien dormi, exactement comme je le fais habituellement, jusqu’à l’heure sacrée ; ce sacré moment du milieu de la nuit où je me réveille « normalement » avant de replonger jusqu’à l’aube.

Et aujourd’hui est un nouveau jour,
Un passage vers demain,
Vers l’inconnu.

Il est certain que je tire une leçon de chaque expérience,
C’est ma façon d’avancer vers plus loin.

La semaine dernière je partais monter à cheval.
Aujourd’hui je pars à la plage avec mes questions nouvelles.



De la décontraction (2)

Comme dans le billet précédent, aucune illustration ne vient en préambule.

Après m’être blessée,
Après m’être recroquevillée sur la douleur,
J’expérimente avec bonheur le retour vers la décontraction.

Quelques instant après l’évènement traumatisant, j’ai marché.
Il n’y avait pas d’autre choix.
Marcher, avancer, atteindre ma voiture…
C’était la priorité avant de réfléchir à quoi que ce soit d’autre.
Plus j’avançais et plus mes pas vacillaient mais je restais debout.
Parfois j’arrêtais afin de reprendre mon souffle, de stopper les étoiles qui s’allumaient comme des clignotants inquiétants et je repartais.
J’ai atteint la voiture et le bonheur d’une douleur provisoirement en évasion.
Alors j’ai pu réfléchir un peu.
Et je suis rentrée.
Et je fus incapable de marcher un mètre de plus.

Mon corps avait encaissé, il usait déjà de tous ses stratagèmes pour passer l’obstacle.
Douleur intense à la moindre stimulation de la partie blessée (pour forcer au repos)
Inflammation (pour lancer la cicatrisation)
Sommeil (pour relâcher)

J’ai bien respecté ces lois basiques qui ne s’écrivent nulle part alors qu’elles sont essentielles.
J’ai farfouillé sur la toile, comme il se doit désormais.
Comme d’habitude, j’ai trouvé le pire et le moins pire,
Et comme d’habitude, j’ai agi à ma sauce!

En premier, puisque le temps avait déjà largement coulé, j’ai eu besoin de chaleur sur la zone douloureuse. Et j’en ai mis.
Quelques jours plus tard, j’ai eu besoin des mains d’une amie thérapeute, et je lui ai demandé de venir les apporter jusque chez moi.
C’est en sa compagnie que la décontraction a pu refaire surface.
Et ce fut possible parce qu’il était juste temps.
Avant eût été trop tôt.

J’avais préparé une belle boisson d’été à base d’hibiscus. Une boisson qui exhibait sa robe chaude dans la théière transparente et nous savions l’une comme l’autre qu’il était possible d’y épuiser notre soif.
Puis, sur le parquet de chêne blond, devant la fenêtre illuminée par le soleil, entre la blancheur paisible des grands murs, nous nous sommes installées.
Moi allongée immobile, sans attente, sans espoir, disposée à recevoir ce qui était possible sans savoir ce qui serait possible.
Elle pouvait bouger tout autour, glisser sur la parquet, utiliser tous les coussins nécessaires.
Alors, il n’y avait plus rien à dire.
Nous avons l’une et l’autre fermé les yeux.
Et le ballet fut.
Silencieux.
Il se dansa mobile et immobile,
Il se joua dans l’interface où tout se joue.
Et après bien plus d’une heure,
Il prit fin.

Alors nous avons partagé nos actualités, bavardé de choses et d’autres, vidé la théière et elle a pris congé.

Dans mon corps, je sentais circuler la vie jusque dans les moindre recoins.
Je savais que j’entrais dans la phase laborieuse où il est à la fois nécessaire de cultiver la patience et à la fois important de s’émerveiller de chaque petit progrès.

Dans le billet suivant, sur ce sujet de la décontraction, je vais passer de l’autre côté des faits palpables et entrer dans le monde merveilleux des questions faisant écho aux questions, ce monde qui fait agréablement vibrer mon quotidien au long cours.

(A suivre)