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La balade de l’année 2018 à offert des visages fort différents qui m’ont conduit dans les arcanes de qui je suis.

21 juillet 2018


De toute « aventure », il est commun de retenir des souvenirs, de les polir, les enjoliver, les épaissir ou les amoindrir avant de les ranger dans un coin de mémoire et de les ressortir en cas de besoin « pour se rendre intéressant » ou plus pragmatiquement parce que chaque expérience est une source d’inspiration qui permet de résoudre les imprévisibles rebonds de la vie quotidienne.

Cette année, point de balade solitaire, ou du moins en apparence point.
Le 22 juillet 2018, nous étions trois à l’aéroport de Nantes.
Trois, nos valises à chacun, une planche, deux pagaies et un foil en plus pour ET.

Le 21 juillet était la veille du 22 juillet.
Il était temps pour nous de boucler les bagages.

De mon côté, l’histoire avait commencé le 5 mai 2018 à 22:10 très précisément. J’avais reçu à cet instant précis un message d’ET, lequel me faisait part de son inscription à un mythique challenge hawaïen.
Du temps où sa principale activité consistait à vendre du rêve, il avait déjà participé par trois fois au challenge, traversant le redouté Ka’iwi channel à la rame, comme l’exige la tradition.
J’avais rêvé l’accompagner dans ces entreprises, mais ce n’était pas le temps de le faire.

Et puis, de nouvelles activités l’ont appelé, le rangeant dans les strates universitaires, tarissant du même coup mon rêve de vivre une traversée dans son sillage.
Et voilà que ce 5 mai 2018 vers 22:00 en acquittant les frais d’inscription pour participer en SUP foil (1) à la traversée M2O (2), il avait gagné le droit de s’entrainer pour cet objectif complètement fou.
Dans les minutes qui suivirent, en acceptant que je l’accompagne, il m’entrainait dans une aventure exceptionnelle.
Jamais de ma vie je n’avais fait un aussi long voyage.
Rapidement, j’ai donc décidé de le déclarer en temps que  « balade annuelle » et de prolonger le séjour hawaïen au delà de l’unique semaine dédiée au challenge d’ET.

Le 21 juillet, tout mes bagages étaient étalés sur mon lit.
Comme avant toute aventure « joellienne », ils avaient été consciencieusement choisis et attendaient la dernière minute pour s’engouffrer dans leur contenant.
A 22h, ce fut fait.
La sonnerie du portable avait été validée pour 4h le lendemain.
Il était plus que temps de filer sous la couette.

(1) SUP foil : SUP comme Stand Up Paddle, opposé à Prone Paddle (ramer en position allongée), signifie « ramer debout ». Le SUP foil consiste à ramer debout sur une planche munie d’un foil afin d’obtenir un « décollage » et d’évoluer en utilisant au maximum l’énergie du vent et des vagues.
(2) M20 : acronyme pour « Molokaï To Oahu »

22 juillet 2018


Lever 4h comme prévu.

Le premier avion devait décoller de Nantes à 6h.
Ensuite, il fallait compter une heure de vol en direction de Paris, neuf en direction de Seattle, six en direction d’Honolulu et ajouter les temps de transit.
Ce qui est remarquable, c’est la relativité du temps : en sortant à 4 heures de notre lit, il était prévu que nous puissions plonger dans de nouveaux draps vers 22h le même jour du calendrier… environ trente heures plus tard!
Et c’est ce qui fut le cas.

L’aventure ne faisait que commencer et je me laissais porter d’un vol à l’autre sans plus d’intention que d’arriver.
A dix ans près, mon âge était égal à la somme de l’âge des deux gars qui voyageait « avec » moi vers le même objectif : la M2O
Nous nous connaissons plutôt bien et nous avons quelques travers en commun : une autonomie certaine, la certitude qu’il vaut mieux vivre comptant qu’à crédit, une évidente tendance à la solitude assumée, un mode de pensée foisonnant qui ne laisse aucune place à l’ennui, une écoute suffisamment empathique pour communiquer à minima.
Et donc, nous étions dans les mêmes avions, chacun à la place que nous avions réservé de notre côté. Notre petit groupe se reformait à chaque sortie, et dans la file des infinis contrôles de police et/ou de sécurité.
Dans ma tête, je nous observais sous tous les angles, souriant parfois de ce que les gens pouvaient imaginer en voyant une petite vieille avec ces deux jeunes sportifs. Et puis, j’étais en même temps une gamine qui partait à l’aventure et je regardais tout à travers mes yeux de gamine.
Dans la réalité, j’étais « mamoune » pour E.T et « joelle » pour S. et je suis bien incapable de savoir ce qu’ils pensaient eux sinon que nous étions tous les trois, ensemble et chacun dans les mêmes avions, aux mêmes contrôles, aux mêmes horaires dans cet « entre-deux » qui se nomme voyage et où personne n’habite plus nulle part!

A Seattle, je flottais entre le Groenland que nous venions de survoler et les îles du Pacifique vers lesquelles nous avions prévu de débarquer.
Je méditais depuis un bon moment sur ce chemin qui passe par dessus les étendues glacées pour nous emmener vers les tropiques.
Perdue dans mes pensées, j’avais oublié de mettre mon passeport dans un des contenants prévu pour passer au scanner du contrôle de police.
Poussée par le flot des voyageur, je me suis retrouvée dans la cabine de détection. Là, j’ai bien posé mes pieds tels que les empreintes au sol l’indiquaient, j’ai bien levé les mains « comme il faut » mais j’avais mon passeport en main et ça, « c’est interdit ».
Et aux USA ce qui est interdit est interdit.
Une forte « agent de sécurité » me réceptionna pour me le faire remarquer et le fit avec une telle rage que je n’ai rien compris à ce qu’elle racontait précisément.
J’ai donc répondu que je n’avais rien compris.
Agacée, elle me parla avec des gestes comme si j’étais sourde et je ne comprenais toujours pas.

Il est un fait que la compréhension entre humains nécessite l’usage d’une longueur d’onde commune. De fait, j’étais sur la mienne, flottante entre Alaska et Pacifique et pas du tout sur la sienne à la recherche d’un terroriste.

J’ai finalement réussi à saisir que du fait de ma non-collaboration évidente, du fait que j’avais « embrouillé » la machine en gardant mon passeport en main, il ne restait que la fouille détaillée pour avoir une chance d’être admise de l’autre côté de la zone de contrôle.
Une cabine me fut indiquée, un peu à l’écart.
Pas de soucis.
Les gars étaient passés depuis un moment et je savais qu’il n’étaient pas du tout inquiets à mon sujet.
Et donc, en présence de deux fortes femmes, je me suis retrouvées dans la place prévue pour la fouille détaillée.
Comme je retirai illico mon pull afin de ne pas mourir de chaud, j’ai retenu un départ de fou rire en voyant les deux nanas se tourner et mettre les mains devant les yeux : s’imaginaient-elles que j’allais me déshabiller?
J’ai fait un effort pour rester sérieuse.
J’ai entendu celle qui avait été rappelée en renfort murmurer qu’elle était en train de perdre son temps, mais c’était parti et je fus palpée en bonne et du forme recto-verso de haut en bas et de bas en haut. Puis, celle qui avait  été appelée en renfort, par acquis de conscience, a vérifié que je n’avais pas de trace d’explosif sur les mains, et hop, c’était terminé!
J’ai remballé mon ordi, ajusté ma ceinture, remis mon pull et mes sandales et j’ai rejoins les gars.
Il restait quatre heures d’attente avant l’avion pour Honolulu.

A 20h 45, nous avons posé pied sur le sol hawaïen.
J’ai fait « gardienne de bagage » pendant que les gars allaient chercher la voiture réservée par E.T.
Ce fut vite fait.
En suivant le GPS dont les jeunes ne peuvent plus se passer, nous sommes arrivés sans encombre devant la maison particulière que j’avais réservé sur un site connu. Les propriétaires étaient en vacances et nous avions tous les codes nécessaires pour entrer.

Ca commençait super bien : la maison était non seulement à la hauteur du descriptif mais réellement plutôt beaucoup mieux.

A 22 heures, nous étions chacun dans notre lit : il fallait réussir le plus rapidement possible à surmonter le jetlag.

23 juillet 2018


Nous avons chacun attendu les premières lueurs du jour pour sauter du lit.
Chacun avait eu un sommeil laborieux et en pointillé, nos apparences étaient cependant « normales ».
Le programme de la journée était assez dense, peuplé de ces « il faut » tout à fait incontournables et nécessaires dans l’organisation d’un challenge.

Et en premier il fallait envisager le « breakfast ».
E.T déclara qu’il avait rêvé de pancakes, nous étions prêts à lui permettre de réaliser son rêve et même à l’accompagner.
Lui savait parfaitement où il souhaitait aller. Il nous a donc conduit tout en nous faisant du même coup visiter en voiture les rues d’Honolulu et de Waikik. Puis, il se gara devant l’US Postal du coin en nous montrant la boutique typique d’en face.

Et là, ce fut la découverte :
D’abord une foule bigarrée en train se goinfrer, sur le trottoir, sur les escaliers, en terrasse, dans la salle. Partout.
Ensuite, l’hôtesse qui demande le nombre de personne et la place où nous désirons manger et nous donne en échange un objet connecté prévu pour nous « sonner » quand la place sera libre.
Puis, les pancakes version « XXXXL hawaï c’est l’amérique »
J’ai fini par demander un doggy bag et hop, le petit-déj du lendemain était emballé!

Le reste de la journée ne mérite pas de description particulière.
Nous avons acheté une carte SIM, fait les touristes, salué les personnes qu’E.T avait à saluer,  avalé notre première « shave Ice » aux couleurs fluo, découvert la note astronomique (à l’image du coût de la vie local) en faisant les courses au supermarket local et la nuit arrivant, il fut temps de rejoindre la case.

A noter cependant que pendant cette journée mémorable, nous passions tour à tour dans le monde parallèle bien connu des personnes fortement jetlaguées.
Tour à tour, nous avons eu l’impression d’avoir ingéré quelque forte drogue tout en ayant l’assurance d’être pourtant tout à fait clean.
Quand l’un habitait son cerveau au point de pouvoir se diriger, se repérer efficacement voire même penser selon ses habitudes, l’autre, voire les deux autres, étaient incapables de suivre de manière « normale ».
C’était à la fois drôle, irrésistible et à peine agaçant, donnant lieu alternativement à des échanges surréalistes, à des décisions improbables et à des accords du style « vas y je te suis, j’suis pas capable de faire mieux! »
Et, c’était vraiment savoureux parce que nous étions trois dans le même bateau!

24 juillet 2018

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Souvenez vous, ce que je raconte là, c’est ma balade de l’année!
Inutile donc d’attendre un guide touristique, des sessions à l’ombre des palmiers ou de lascives descriptions vacancières.
Ma balade, c’est un « truc » sacré depuis que ma situation sur la pente descendante de la vie m’a donné l’occasion de l’instaurer. C’est un voyage, un moment de rencontre avec moi-même, un lent mouvement intérieur qui me permet de découvrir ce qui ne saute pas aux yeux dans la frénésie du quotidien.
Alors, certes, cette année j’ai pris l’avion pour aller carrément au bout du monde, difficile d’aller plus loin que dans le Pacifique, en effet.
Alors certes, cette année la balade commence à côté de E.T et S.
Alors certes, cette année la balade peut sembler immobile, confortablement posée dans de confortables abris avec douche et coin cuisine intégré.
Pourtant, je vous l’assure, forte des expériences passées, j’ai vécu avec l’unique intention de réaliser « ma balade de l’année ».

Le jour du voyage, j’étais dans une certaine impatience d’arriver sur place, d’arriver au point de départ de la balade. C’est pareil chaque année.
Le premier jour fut assez semblable à « l’habitude » malgré toutes les différences : ce jour là, je découvre, je sais qu’une quête est lancée, que les découvertes peuvent se faire à la pelle, que ces mêmes découvertes sont absolument inconnues des guides de voyage et qu’il me faut donc déplier mes antennes, être prête à chaque instant pour voir celles dont j’ai besoin pour avancer plus loin.
Comment vous expliquer que je n’ai pas d’intention particulière tout en ayant la ferme intention de vivre le meilleur de ce qui est offert?
Je ne sais pas.

Ce 24 juillet, après une nuit encore laborieuse, il fut facile de se lever à l’aube, d’avaler le reste du festin emballé la veille dans le doggy-bag et de sauter dans la jeep. E.T avait rendez vous à 6h pour passer devant une caméra et poursuivre avec une session de surf Foil.
De mon côté, cet interlude fut l’occasion de rentrer dans un de ces clubs privés de Waikiki puisque c’est là que « ça tournait ». Nous avons montré patte blanche et hop, on y était pour la journée si on avait voulu. Découvrir les gens qui paient pour avoir leur carte, leur vie et leurs activités dans le club fut un délicieux moment qui s’acheva sur la terrasse, les yeux perdus dans les vagues et le grand bleu.
Puis, nous sommes partis jouer encore aux touristes, à notre manière.
E.T était accaparé par les préparatifs, branché sur sa messagerie quand il ne conduisait pas, quand il ne mangeait pas. En même temps, il était encore tout à fait disponible et attentif à ce qui était susceptible de nous faire plaisir, le stress montait très lentement et ne l’avait pas encore envahi.
S. naturellement peu enclin à l’aventure totalement freestyle, faisait des « to do list » chaque fois qu’il arrivait à capter la wi-fi. Le reste du temps, il jouait au photographe puisque c’est sous ce prétexte que nous l’avions embauché dans l’épopée M2O.
Et j’étais là, silencieuse, sans intention particulière, juste là, avec la ferme intention de vivre le meilleur de chaque instant.
Comme lors de chacune de mes balades, quoi!

Le point fort de ce jour là, fut certainement la rencontre en vrai avec China Wall.

Bien sur, je pourrais parler du North Shore, de la partie de snorkeling en eau limpide, de la rencontre inénarrable avec le frère de Robby dans la boutique mythique de Robby, du premier hamburger vegan et pantagruélique d’une longue série, du débarquement dans le garage d’un chinois foileur et tant et tant.
Mais c’est China Wall qui reste le souvenir fort.
C’est que j’en avais tellement entendu parler.
C’est que je l’avais tellement vu en photo.
Et là, je l’ai vu, en vrai.
D’un coup, il est devenu réel et mon imagination s’en est emparé dans toutes les dimensions dont je suis capable.

25 juillet 2018


Après deux jours de « récupération active », le jetlag était en voie d’effacement.
Au petit matin, il restait seulement quatre jours pleins avant la M2O.

E.T avait besoin d’une matinée seul, d’autant plus qu’il y avait un programme d’entrainement prévu l’après-midi.
Pour nous qui n’étions que les accompagnateurs et qui avions chacun à notre manière décidé d’être le moins encombrant possible aux côté de notre « héros », il fallait trouver une occupation.

Qui sera étonné en lisant que j’avais une folle envie d’aller marcher?

C’est sur la terrasse, attablés devant nos cafés avec en prime le merveilleux spectacle d’un arc-en-ciel matinal, que nous avons débattu au sujet du programme « sans E.T »
Alors que les guides et tous les sites touristiques consulté avec avidité par S. parlaient d’une cascade pas loin de chez nous accessible par un sentier à proximité d’un parking, je lançais l’idée « saugrenue » (oui saugrenue pour une personne qui suit les recommandations des guides) de partir à pied depuis la maison.
En tout cas, c’est ce que j’allais faire.

Après avoir dix fois regardé le trajet sur une carte virtuelle, S. se décida à faire de même.
En sa compagnie, je n’avais jamais rien fait d’autre que ramer, chacun dans notre va’a, souvent aussi en équipe en V6 ou en V3, mais je n’avais jamais marché plus loin que de la voiture à la plage!
Et puis, ne sachant rien d’où il en était dans sa tête, je craignais de l’encombrer et c’était probablement en miroir de ses propres craintes à mon égard.

Donc, dès le breakfast avalé, nous sommes partis, seuls et à deux.

Au début, ce fut facile, le nez sur son GPS, il ouvrait le chemin et je suivais deux mètres derrière.
Nous échangions peu, il n’y avait rien à dire sinon des banalités pour lesquelles nous ne sommes pas doués.

Dès que la voie fut évidente, je suis partie devant, le nez au vent parce que j’aime ça.
Très vite je l’ai entendu souffler et pester contre la chaleur. Il est un fait que l’humidité ambiante empêchait toute évaporation, je dégoulinais comme je dégouline dans un sauna.
Il fallait rester concentré sur l’endroit où poser les pieds, entre les racines et la terre incroyablement glissante, la moindre étourderie condamnait à la chute, je jouais et je savais que lui ne jouait pas du tout, il luttait et je ne pouvais rien pour lui. Je me contentais d’avancer en déroulant le fil tout trouvé de ma philosophie du matin!

Sur le retour, j’avais trop envie de faire un tas de cailloux dans le ruisseau, je lui ai proposé de filer, mais il avait besoin d’une pause. Les moustiques ont limité la durée de la pause « pieds dans le ruisseau ».

Après une « shave ice » couleur « rainbow », la maison étant à l’approche, il restait à prendre une douche avant de foncer dans le programme d’E.T, pas du tout bucolique celui-ci!
Le stress était monté d’un cran, il fallait ajuster le matériel aux conditions locales avec des histoires de vis et de système pas métrique!

L’aventure était tout autre que celle d’une marche et sur ce coup nous étions trois complices!

26 juillet 2018

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La veille E.T avait effectué son premier trajet en SUP foil sur le Pacifique. il en était ressorti doutant plus que jamais tout en restant positif dans ce qu’il nous exprimait.

Ce jeudi il ne restait que trois jours avant la M2O

Les jeux étaient fait, il restait à valider l’inscription, retirer les dossards, gérer l’intendance. Nous sentions les uns et les autres qu’il n’y avait plus aucun recul possible, nous étions embarqués, chacun avec notre rôle et tellement plus.

J’observais avec attention la relation qui s’installait entre les deux gars du même âge : L’un déjà docteur n’ayant jamais rien fait que des études et du boulot, socialement étiquetable « comme il faut » est en plein questionnements. L’autre doctorant, riche d’une quantité impressionnante d’expériences, passé à travers des multitudes de questionnements aspire simplement à un peu plus de stabilité financière.
Comme je l’avais pensé, ils ont plein de points communs et se comprennent facilement sur l’ensemble des sujets où ils ont une longueur d’onde commune. C’était vraiment plaisant de les entendre parler et quand s’installaient ces brefs moments d’échange entre-eux, je m’éclipsais systématiquement.

Ce jeudi, nous avions prévu de partir en fin de matinée, de passer au village « surf », de valider l’inscription et de faire la navette pour l’ultime « downwind » d’E.T avant la traversée du « Channel ».
La matinée était donc libre et je suis partie sous la pluie, seule, à l’assaut de la forêt tropicale.

La forêt chantait sous les gouttes et le chemin clapotait sous mes pieds. Autour, entre brume et lumières, le paysage était enchanté d’humidité. J’étais bras et jambes nues car dans cet environnement, il est vain de prévoir un quelconque « abri de pluie », la moiteur ambiante assurant de toute manière un tee-shirt trempé! La visière de ma casquette faisait office de protection devant mes yeux afin que je ne cesse de m’émerveiller.
J’ai fait bombance de goyaves fraiches, un goût de bonheur pétillant sur les papilles.
Quand je suis rentrée, il était l’heure de décoller vers Waikiki beach et l’univers artificiel des « retrouvailles-entre-concurrents-qui-se-respectent »

Le soir, tandis que E.T était parti sur son parcours d’entrainement, voyant un groupe de filles à l’entrainement de pirogues, j’ai eu l’audace de m’en approcher et de poser une question : « serait-il possible de ramer avec vous demain? »
Américaines typiques, elles furent accueillantes, acceptèrent et tout se termina sur des embrassades « soeuresques » tellement américaines!
C’était « dans la poche », le lendemain, il serait possible d’essayer les C6 hawaiens  et j’étais déjà impatiente.

Nous sommes rentrés dans la nuit et nous avons diné à l’intérieur de la maison, trop frileux pour profiter de la terrasse ce soir là.

27 juillet 2018

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Et voilà, nous y étions. De bon matin, nous étions au port de plaisance pour qu’E.T dépose son matériel dans un bateau de pêcheur en partance vers Molokaï.
Nous trois et chacun, nous étions pris dans le compte à rebours, accaparés par le doute et les espoirs.
SI E.T avait suffisamment d’expérience pour savoir ce qu’il allait avoir à surmonter, à traverser, à « combattre » et à « savourer » tout en ignorant absolument tout de ce qui allait se passer cette fois-ci, j’étais, autant que S. complètement novice donc ignorante.

La cérémonie de remise des dossards de la veille avait donné le ton. Le simple fait de regarder les concurrents passer au comptoir me laissait deviner les idées paradoxales qui malaxaient leurs tripes. Des idées quasi torturantes qui ne céderaient qu’à l’heure du départ, à l’instant précis où un coup de sifflet les balancerait dans l’action.

Là, sous le soleil piquant d’Honolulu, dans la partie privée du port de plaisance, sur le ponton où s’alignaient les bateaux des plaisanciers/pêcheurs, je sentais bien qu’un pas de plus était franchi, et pas des moindres.
Là, il était ouvertement question de conditions météorologiques, d’incertitudes maritimes, de gros poissons qui cassent le matériel, d’horaires relatifs, de temps de navigation et « tout ça » précisément dans le passage à traverser, dans le Ka’waï channel, le channel of bones!

J’étais tellement heureuse d’avoir été autorisée à « être là », à vivre « ça », à ne pas en perdre une seule goutte, qu’elle soit de miel, de piquant ou d’amer.
Il n’y avait vraiment rien à dire.
Seulement respirer.
Tranquillement respirer.
Loin de  l’inconscience ou de la folie, je me sentais paisible et capable de le rester quoiqu’il advienne.

(Depuis que j’ai commencé la rédaction de ce billet, tournant et retournant mes souvenirs très précis de ce vendredi et des deux jours suivants, il est clair que je suis en plein dans les émotions, les expériences et la réalité de ces « passages de vie » qui sont marqués au profonds de mes cellules. Bruts, sans anesthésie, ils sont tous là ceux que j’ai vécu du dedans ou « à côté ». Des passages de vie dont il n’est plus très « normal » de faire l’expérience dans notre société occidentale sécurisée et je n’en parlerai pas davantage tant il est vain d’être « comprise » par les temps qui courent)

Après avoir déposé son matériel, E.T n’avait plus « rien à faire » et laissa libre cours à notre inspiration. S. avait noté dans les guides touristiques un « truc » qu’il fallait « faire » de manière « incontournable », nous l’avons « fait ». C’était un truc de guide touristique.
Puis, l’heure est venue.
L’heure d’aller ramer en OC6!
Et qui plus est, sous l’oeil d’un E.T devenu photographe pour l’occasion!
Ce fut un grand moment de découverte.
Rien n’est « comme chez nous », ni l’ambiance du club, ni le ton du coach, ni le tempo, ni le bateau, ni donc… les sensations!
Et c’est toujours ce que je cherche en balade, ces moments tellement différents de ce que je connais, ces moments qui ouvrent la vie en plus grand et vers plus loin!

Nous y étions.

28 juillet 2018

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La vague s’incline
Et l’océan se dresse,
Et l’océan secoue les vagues.
L’océan joue au calme et à la tempête,
L’océan joue à éclabousser les vagues.
Ce n’est pas la vague qui sert,
C’est l’océan qui joue.
Yvan Amar, Les Nourritures Silencieuses, aphorismes, Les Editions du Relié, 2000, ISBN 2909698-51-3

Après un sommeil réparateur, nous avons à nouveau sauté du lit très tôt.
C’est toujours étrange de constater que n’ayant rien d’autre « à faire » que d’attendre, nous nous sommes précipités dans l’attente : arriver dans un simple « abri-bus »,  avec deux heures d’avance, afin de monter dans un avion « autobus-local » de neuf personnes où notre place était réservée, c’est un exploit dont nous seuls étions capables, d’un commun accord et sans le « faire » vraiment exprès.

Nous avons attendu.

Puis, nous avons été appelés et placés en rang par deux, dans l’ordre où nous devions nous asseoir derrière les pilotes afin de répartir nos masses respectives dans le minuscule « Cessna ».
Et nous avons traversé le « channel » une première fois.
Le nez collé au hublot.

Nous avons découvert le « channel » de ce jour là, ses calmes, ses agacements, ses pointes de colère, ses vagues, son courant, tout était visible.
Nous l’avons traversé si vite!
Nous l’avons regardé à la vitesse d’un survol, comme on regarde une vidéo que certains qualifient de didactique, une vidéo (par exemple) qui expliquerait en 30mn aux futurs parents ce que pourrait être la mise au monde de leur enfant!

E.T et moi, de par nos expériences respectives, étions capables d’agrandir infiniment ces trente minutes, de les combler d’une multitude de détails, de doutes, d’incertitudes, de joies et de délivrances.
Il est probable que pour notre ami qui n’avait jamais rien vécu de tel, des pensées germaient et buissonnaient, se nourrissant à coup d’imagination et de références virtuelles.

Minuscule avion, temps de vol court, atterrissage éclair, sortie immédiate.

Molokaï!

Moins de 24h plus tard, nous serions sur les flots au milieu du Ka’waï Channel.

Il y avait un grain de surréalisme dans ce que j’étais en train de toucher, de vivre.
Il y avait une acrobatie du temps,
Tellement de relativité,
Tant de réalité,
Un grain de cette folle sagesse
Dont je raffole.

Tout les ingrédients étaient présents, enfin rassemblés.

Restait l’attente,
Sous un soleil de plomb,
Sur la plage dorée déserte
Sur la terrasse encombrée
Sous le flot des paroles inutiles du briefing
Au coucher du soleil
Au lever de pleine lune
Dans la nuit.

Restait l’attente

29 juillet 2018 (1ère partie)

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Il est alors possible d’avancer que l’effort, comme tension d’une intention et d’une volonté vers un but, participe de cette interprétation du monde que nous faisons à chaque instant, c’est à dire de cette subjectivation, au-delà, ou plutôt en deçà des résultats, des données statistiques, des attentes objectives ou des présupposés idéologiques avec lesquels il a ensuite partie liée. L’effort comme tension vers l’avenir est une expression de notre liberté, indépendamment des obstacles rencontrés. Nous ne sommes pas sûrs de réussir, mais nous sommes engagés.
Isabelle Queval, Philosophie de l’effort, Editions Nouvelles Cécile Defaut, 2016, ISBN 978-2-35018-3879

Nos sommeils furent sommaires.
Entassés à six dans une pièce prévue pour trois, nous avions laissé tout ouvert comme pour agrandir l’espace.
Bruyant, le silence avait envahi la nuit claire, enveloppant l’ensemble des concurrents rassemblés autour de Kepuhi Beach.
J’ai dormi en pointillé, évitant tout mouvement susceptible de stimuler les antennes d’E.T qui était mon plus proche voisin. J’ai patiemment attendu que l’heure sonne.
Elle ne sonna point, l’agitation des autres concurrents, dans les autres logements, fut un signal suffisant pour notre chambrée.

J’ai maintes fois vécu ces petits matins où l’heure attendue depuis des mois est à l’approche, où soudain tout s’accélère et se ralentit en même temps, où il faut s’activer avant l’aube, se dépêcher, se précipiter pour finalement attendre, patienter, ne rien faire et s’occuper en attendant la délivrance du départ.

Ce matin là, j’étais seulement présente. Intensément présente à ce qui se déroulait sous mes yeux, entièrement disponible, instantanément prête à répondre aux besoins de ceux qui s’agitaient. J’étais prête, j’étais venue « pour ça ».
Autant, généralement, une personne qui se prépare pour un challenge se renferme, se concentre sur elle-même et sur son objectif, autant j’avais envie de devenir à la fois hyper transparente et à la fois hyper efficace en cas de besoin. C’est difficile à expliquer…

Il a fallu se jeter à l’eau pour rejoindre le bateau qui allait suivre E.T durant sa traversée.
Lui-même avait prévu de venir saluer la capitaine, lui donner les dernières recommandations « Prendre le cap le plus direct « , ce qu’il fit avant de rejoindre la poignée de gars qui participaient en SUPfoil.

Une fois à bord, S. et moi n’avions plus qu’à attendre le départ. Malgré l’arrivée tardive du bateau, nous étions prêts à temps, quelques minutes avant la première vague de départ (Les prones-paddle partaient en premier, puis les SUP partaient 30 mn plus tard, puis les SUPfoil 30 mn après).

C’est alors que S. demanda : where is the tracker?
Il n’avait pas terminé sa phrase que je voyais E.T le mettre à son cou avant de quitter la chambre.
Il est autour du cou d’E.T, il faut vite aller le récupérer, il faut aller vers la plage!

Le capitaine n’eut pas d’autre choix que de s’exécuter.
Le moteur tournait encore, qu’oubliant toute prudence, je sautais déjà à l’eau, nageant à en perdre haleine puis courant vers E.T interloqué.
« Tu as gardé le tracker autour du cou!
– Ah, oui, j’ai oublié! » répondit-il en me le tendant illico.
Ce fut pour moi l’occasion de lui lancer un regard encourageant , un regard silencieux de « maman » avec toute la puissance que je pouvais y mettre.
Et hop, je me jetais à l’eau pour la troisième fois de suite. A peine avais-je posé les pieds sur l’échelle du bateau qu’il mettait les gaz pour sortir de la zone de départ. Le décompte de la première vague était déjà lancé.

A suivre…

29 juillet 2018 (2ème partie)

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Rien n’a de sens si je n’y ai mêlé mon corps et mon esprit.
Il n’est point d’aventure si je ne m’y engage.
Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle,  page 604, in Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1967

8h15
De l’immense flotte qui envahissait la minuscule baie, il ne reste que dix bateaux.
De la foule qui envahissait la plage, il ne reste que dix personnes, alignés sur l’eau en attente de leur départ.

J’étais à cet instant précis dans dans un intense état de stress physiologique, ventre serré, gorge sèche, tête vide.
Depuis des mois cet instant se préparait, depuis des jours chaque chose se mettait en place et là, et tout allait se jouer et tout pouvait arriver et je n’étais pas celle qui était toute puissante sur l’action qui allait se dérouler.
Inutile de vous faire un cours au sujet du stress physiologique et des torrents hormonaux qui en induisent les symptômes. Sachez que c’est une simple réaction « normale » et passagère dans laquelle notre corps s’organise pour que tous nos sens soient ultra-performants et que  l’action venant en réponse à l’émotion source de la dégoulinade hormonale soit le mieux possible adaptée à la situation de l’instant.

8h35
Le départ est effectif depuis cinq minutes et déjà ils ne sont plus que minuscules points sur l’océan.
Devenus impossibles à situer précisément.
Ils ne sont plus dix dans notre champ de vision.
Pour S et moi, il n’en reste qu’un : « notre E.T » et son sillage gracieux auquel nous nous attachons, auquel nous accrochons nos regards et nos pensées.
A son poste, le capitaine, engagé à coup de dollars est aux ordres, c’est son job et son émotion exprimée dans l’instant est celle-ci : « ça va vite, j’ai espoir de rentrer avant la nuit »

E.T vole.
E.T ne touche l’eau, que par intermittence, du bout de sa pagaie.
En longues arabesques il passe d’une vague à l’autre, jouant avec leur jeu, poussé par le vent.
Nous admirons.
C’est un merveilleux spectacle qu’aucune vidéo ne peut rendre à la hauteur de la réalité.

Molokaï s’estompe au loin.
Les concurrents qu’E.T a dépassé sont invisibles, ceux qui sont devant tout autant.
Il ne reste, sur l’horizon balloté par la houle, que les minuscules points de quelques bateaux accompagnateurs.

Oahu apparait en point de vue.
Le milieu du « channel » est le lieu de tous les combats entre houle et courants, entre abysses et créations de l’activité volcanique. La puissance de l’environnement est indescriptible mais tellement perceptible pour qui y est engagé.

A l’occasion d’un changement de camel-bag, E.T nous dit que la fatigue commence a se faire sentir en ajoutant « tout va bien, c’est normal » avant de repartir, de relancer et de décoller à nouveau.
A partir de ce moment, nous avons pour consigne de lui indiquer chaque section de cinq kilomètre parcourue par le bateau. Nous devenons actifs, surveillant le GPS, sollicitant le capitaine afin qu’il s’approche, nous mettant à portée de voix.

E.T commence à tomber sous l’effet des trombes d’eau baladées par le « channel ».
La houle se déplace à une vitesse et avec une force qu’il n’a pas eu l’occasion d’apprivoiser à l’avance.
A chaque nouveau départ, nous l’encourageons sans pression : « go, go, go hiééééééééééé »

Oahu parait à portée.
Il est possible de distinguer le fameux China Wall.
Le « channel » perd peu à peu de sa formidable puissance mais demeure mal rangé et difficile à survoler.
E.T tombe et tombe.
Tomber est une chose, réussir à relancer et décoller à nouveau demande une énergie précise et une technique tout autant, nous en sommes conscients.
Nous savons qu’E.T doit garder l’esprit absolument clair contre la fatigue accumulée.
Du coup,
Pour S. et moi, la seule vision des chutes se transforme en une sorte de « douleur » dans nos ventres, impuissants que nous sommes.
S. se tourne vers moi : « qu’est-ce que je peux lui dire maintenant »
Et je lui réponds : « Maintenant, plus rien. Il sait qu’il va y arriver sans abandonner, il sait maintenant que la délivrance est au bout même si le temps pour y arriver reste indéterminé »

Et nous nous sommes tu.
A chaque chute, j’envoyais de tout mon coeur des injonctions silencieuses que je savais inutiles tout en imaginant une certaine reliance possible pour faciliter un nouveau départ : « ok, cool, prends ton temps, reste concentré, ok, cool, ok, la vague arrive, ok tranquille, concentré…. gooooooooo »

Puis nous sommes arrivés à China Wall.
Le capitaine a prévenu le staff selon le règlement « 57, China Wall OK ».
Les vagues avaient disparues.
Le vent était tombé.
E.T, comme prévu ne pouvait plus voler.
Encore quelques mètres et le vent allait souffler de face, dégringolant en rafales de la montagne toute proche.
E.T a posé sa pagaie sur la petite planche, il s’est allongé et il a commencé à ramer avec les bras, comme un surfeur. Il restait un peu plus de deux kilomètres à parcourir ainsi, le foil trainant dans l’eau comme un frein.
C’était prévu « comme ça ».
Nous ne pouvions définitivement plus rien.
Il fallait impérativement sortir de la zone pour éviter que les ondulations produites par l’avancée du bateau ne bénéficient à un concurrent ou à l’autre.

A proximité de la plage d’arrivée, nous avons sauté à l’eau, nos bagages ont été balancé par dessus bord.
Dégoulinants, nous avions 300m à parcourir pour aller accueillir E.T.
Ce qu’il venait de réaliser forçait mon admiration de « maman ».

A suivre…