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Jamais, toujours

Bientôt, une année se sera écoulée depuis ma rencontre avec le petit gris.

Un jour, j’avais abandonné l’idée de monter à cheval, c’était après avoir vécu avec un certain Grand Lama la quintessence de la complicité, je ne pouvais alors imaginer « aimer » les chevaux plus loin qu’en les laissant tranquilles dans leur pré.
Et puis un jour, je me suis retrouvée sur le dos d’un cheval… et j’ai replongé comme on replonge dans une drogue.
Je pensais qu’il n’était plus l’heure de posséder à nouveau un cheval.
J’ai donc « partagé » des chevaux.
J’imaginais que c’était suffisant puisque je n’avais plus aucun objectif de compétition, puisque je ressentais seulement le « besoin » d’être à côté des chevaux. J’ai même songé à me contenter de balades!

Las, je me fourvoyais.

Le côté positif, c’est que j’ai découvert un monde dont j’ignorais tout, celui des cavalières indépendantes qui se font plaisir en balade et en randonnée, de ces personnes qui bichonnent passionnément leurs chevaux chez elles et montent seulement quand leur planning familial et professionnel leur en accorde le temps, souvent le week-end. J’ai découvert la vie de ces chevaux de loisir là et si je les ai montés parfois bien plus souvent que leurs propriétaires ne pouvaient le faire, il me manquait cependant quelques chose.

Jamais, toujours.
Jamais les chevaux ne sont sortis de ma tête,
Toujours je les ai évoqués, ils étaient là.
N’est-ce pas eux qui m’ont appris la patience ?

La vie est espiègle et je l’apprécie tellement pour ce fait.
Combien de fois ai-je parlé de folle sagesse, utilisant cet oxymore pour faire l’éloge du déraisonnable qui donne un sens à mon chemin ?
Me contenter d’un cheval partagé collait mal à ma gourmandise.
Mais devenir une fois de plus responsable d’un cheval me semblait fou, à mon âge.
Pourtant l’idée était en germe.
Et du jour au lendemain, le germe s’est enflé,
Et il a fini par éclater sous la pression !

J’ai rencontré le p’tit pur sang et ce fut un coup de coeur.
J’ai annulé les autres rencontres prévues, sans regarder le moins du monde ce à quoi je renonçais.
Choisir impose de regarder droit devant et d’accepter entièrement toutes les conséquences du choix.

Qu’allais-je « faire » de ce jeune padawan ?
Quels projets pouvais-je élaborer ?
Serai-je encore capable d’éduquer et vers où ? Et pourquoi ? Et pour qui ?

Je me suis trouvée face à des centaines de questions sans le moindre embryon de réponse.
Sur les réseaux sociaux, le mot « cheval » a terriblement excité les algorithmes, m’invitant à consommer les coachs autant que les tapis de selle, les compléments alimentaires et les soignants en tout genre. Je me suis laissée emporter par le tourbillon (sans répondre à l’appel consumériste), ce fut un passage nécessaire.
Et, chaque jour, je regardais mon petit cheval jusque dans son dedans, dans son monde intime, ce monde où il n’est question que de besoins vitaux, où aucun écran ne prêche pour une chapelle en faveur d’une autre, où tout est calme et simple, presque binaire parfois « je suis bien/je suis mal à l’aise » et le tourbillon a disparu.
L’essentiel a fait surface.
Le cheval est jeune.
Il a besoin d’éducation.
Pour où, pour quoi importe peu dans l’immédiat.

Je dispose de beaucoup de temps libre, plus que jamais,
Et je peux l’offrir au petit cheval.
Lui qui se moque totalement des apparences,
Semble apprécier ma présence,
Devient petit à petit capable de s’y connecter,
Pour laisser passer ses frayeurs de gamin,
Et ensemble nous avançons vers plus loin,
Petit à petit.

Seul l’avenir pourra un jour affirmer que nous avons tenu un cap.





De l’équilibre


Ce jour là, je n’ai pas réussi à tenir mon équilibre!

En équitation, la notion d’équilibre est constamment abordée.
Que ce soit par les accro d’une vision mécaniste, par les puristes de l’analyse sur image (et sur canapé), par les spécialistes du développement personnel (cheval mon miroir) ou par nous tous qui avons toujours entendu parler de cette histoire d’équilibre sans vraiment la disséquer.

Jusqu’au déferlement des experts de salon sur les réseaux sociaux qui vivent de la publicité, je n’avais pas vraiment réfléchis à la question.
A partir du moment où j’ai réussi à bien tenir à cheval, à partir du moment où je fus moi-même « en équilibre » liant avec ma monture sans jamais avoir besoin de m’accrocher aux rênes, j’ai considéré que mon cheval était en équilibre lorsqu’il ne tombait pas en avant. De mon point de vue, quelle que soit la nature du terrain, quelle que soit la position de son encolure, mon cheval est en équilibre lorsqu’il maintient son allure sans jamais butter ou trébucher.
Il semble qu’aujourd’hui plus que jamais il existe plein de « théories » sur le sujet et je suis assez triste en pensant à toutes les personnes qui souhaitent « bien faire » et qui se noient au beau milieu de toutes ces théories parfois paradoxales tant elles sont élaborées avec des sauces étranges et lointaines.

Bref.
Ce jour là, j’ai pas réussi à tenir un équilibre très imparfait plus de quelques secondes.
Pourtant chaque jour, je termine mes assouplissements quotidiens avec lui, pour le fun, par plaisir.
Toujours pieds nus, dans la neige, dans le désert ou sur le parquet ciré,
Toujours seule.
Sans chercher le moindre record, je reste ainsi entre 2mn et 2mn30 de chaque côté, après j’ai ma journée à vivre et pas plus de temps à y consacrer!
C’est parfois sur un rocher pas très lisse, parfois sur du gravillon, parfois dans le vent ou devant les vagues qui éclaboussent et dont les embruns viennent m’humidifier et je reste en équilibre… tant que je suis seule.

J’avais déjà noté la nécessité de pouvoir disposer d’un point fixe : un point sur lequel je fixe mon regard disposant ainsi de trois points de contact : un pied par terre, le bout des doigts vers le ciel et un fil invisible me reliant du regard à ce point fixe.

L’autre jour (celui du montage qui illustre ce propos) mon homme était assez proche (souvent il fait des images en étant vraiment au loin) et j’ai pas réussi.
J’ai donc pris note et analysé.

La vie est espiègle.
Hier matin, dans la calme de mon appart sans vent, sans vagues, sur la parquet sans la moindre aspérité, l’équilibre est demeuré « tendu », inconfortable, d’une stabilité relative précaire.
Pourquoi?
Parce que j’avais laissé la radio parler.
Et ce son là était suffisant pour « faire un vent » plus violent et déstabilisant que le véritable vent!

Wahoooooo.

Alors, comment imaginer qu’un cheval puisse être absolument imperturbablement comme nous le souhaitons quand j’en suis moi-même non-capable?

Certes, ils sont capables d’acrobaties remarquables lorsqu’ils sont en liberté.
Certes après des années d’étude, ils deviennent capables de « danser », de sauter, de nous trimballer avec grâce.
Mais ce sont des animaux sensibles, que dis-je? Hypersensibles ils sont.
Et comme nous, parce qu’ils sont parcourus par les mêmes dégoulinades hormonales (même si les « réponses » physiologiques sont adaptées à leurs particularité de quadrupède nidifuge), ils ont des « saisons », des passages de vie plus ou moins « en équilibre » dans leur tête, des frayeurs bien ancrées, des tensions à propos et parfois chroniques.

L’équitation est une affaire de couple.
Dans le couple, la bienveillance est de mise pour chacun des protagonistes.
Le cheval nous écoute autant qu’il peut et il n’a pas vraiment la possibilité de s’opposer et il est en quelque sorte « programmé » pour aller de l’avant sans se plaindre. Autrefois, dans sa vie sauvage, en l’absence de nid protecteur, se plaindre, s’arrêter ou même simplement trainer la patte le mettait en état de grand danger avec la peine de mort au bout.
Nous humains, nous sommes capables de « trouver refuge » dans un « nid », auprès des « autres » et d’être soigné avec hospitalité depuis très, très, très longtemps. Mais nous avons un travers que les chevaux n’ont pas, nous comparons sans cesse.
Et cette obsession pour les comparaison nous fait souvent davantage perdre la raison que cultiver la bienveillance.

Finalement, il s’agit bien qu’une question d’équilibre!

Communication et intention

Sans nul doute, regarder « à travers les yeux des chevaux » est une invitation à découvrir un peu plus loin l’humain que nous sommes.

Tandis que notre tendance naturelle à l’anthropomorphisme nous pousse à imaginer qu’un cheval serait capable de « penser comme nous », à l’inverse, j’aime essayer d’imaginer ce qui se passe dans la tête d’un animal dépourvu d’intentions, dans la tête d’un animal qui a seulement des besoins, qui les exprime sans frein, un animal qui n’a aucun objectif, qui ne prépare ni les cadeaux de Noël, ni la prochaine compétition de son cavalier ; un cheval qui raconte efficacement, sans mentir et avec tout son corps, son bien-être comme son mal-être.

L’action de communiquer, la communication est un sujet qui me passionne.
Un billet avait déjà abordé cette histoire de « communiquer » avec un cheval.
Etant redevenue propriétaire d’un cheval, avec toutes les responsabilités qui m’incombent de ce fait, j’expérimente à nouveau quotidiennement, donc plus passionnément encore, ce qui contribue à la réalité d’une communication entre individus fondamentalement différents.

Chez nous, les humains, il faut bien avouer que communiquer est intrinsèquement corrélé aux intentions.
Des intentions qui souvent relèvent du moyen ou long terme, par exemple :
– Je communique avec mon cheval parce que j’aimerai qu’il devienne mon « ami »
– Je communique avec mon cheval parce que j’ai envie de « faire des résultats » en sa compagnie
– Je communique avec mon cheval parce que je désire lui faire « plaisir »

Que pourrait donc être l’amitié, le plaisir ou la satisfaction pour un cheval?
Une sensation procurée par une dégoulinade hormonale?
Les mêmes molécules messagères produisent-elles les mêmes effets chez l’humain et le cheval?
Rien n’est moins certain.
C’est déjà tellement variable d’un humain à l’autre.

Capables de marcher et de chercher où se nourrir dès leur naissance, le besoin de sécurité des équidés est différent de celui des jeunes animaux nidicoles (dont nous sommes), pour eux, nul besoin de la chaleur maternelle pour s’endormir, nul besoin de câlins ni de toilettes bien léchées, ce qui est important, c’est leur capacité de fuite!

Les chevaux, animaux domestiqués depuis plusieurs millénaires, sont actuellement hébergés par les humains en quête de loisir (dans nos contrées, les chevaux sont moins qu’autrefois des outils de travail), ils se sont fort bien adaptés à nos exigences, ils n’en demeure pas moins qu’ils ne nous ne font pas la conversation pour raconter un spectacle ou une compétition passée.
De même, s’ils savent manifester leur goût pour la nourriture, c’est qu’ils ont irrésistiblement besoin de manger mais aucun cheval n’offrirait aucune carotte à un congénère, n’est-ce pas?
Et aucune de nos intentions les plus « aimables » n’amènent pour eux aucune reconnaissance telle que nous l’espérons si souvent.

Pourtant, afin de communiquer avec nos chevaux, nous mettons en place un certain nombres de codes de même que de nombreux « codes de communications » sont élaborés au sein des différentes sociétés humaines.
C’est le propre de toute vie en communauté où il est essentiel de savoir communiquer.

Nous avons, en commun avec les chevaux, ce même besoin de communiquer, il en va de notre survie comme de la leur.

Eux sont extrêmement compréhensifs, en ce sens qu’il « prennent avec eux » tous les signaux qu’ils savent capter : l’odeur de nos émotions, les expressions faciales et corporelles de notre bien ou mal-être, l’intonation de notre voix, notre empressement, notre colère latente, etc.
Et nous, très souvent, nous nous contentons de « faire passer » nos intentions à travers nos « aides », fussent-elles non réalistes, fussent-elle des « mensonges » que nous nous faisons à nous même.

« Je vais lui montrer qui c’est le plus fort » !
What?
Je fais 60kg et lui en fait 500… Y’a pas photo, non ?
Arfffff…
Comment on se la raconte parfois.

Si mon cheval est incapable d’avoir et d’exprimer aucune reconnaissance, si son mode de communication reste celui qui lui est propre, très différent du mien, je suis cependant infiniment reconnaissante à la vie de m’avoir fait rencontrer les chevaux.
Leur grande taille et toutes leurs différences m’obligent à pointer ma vulnérabilité, ma faiblesse, mon impuissance réelle.
Dans la vie de tous les jours…

Mon cheval et les apparences

Le p’tit pur-sang, tout comme ses potes n’est pas du tout à cheval sur les apparences.

Peu lui importe mes cheveux blancs souvent décoiffés, mon pantalon pas toujours propre ; peu lui importe que je porte des bottes ou des chaps, un blouson ou un tee-shirt.
Un fait est certain, il me reconnait.
Il reconnait même ma voiture!

Moi aussi je le reconnais.
Dans son box ou dans son paddock,
Peu m’importe qu’il soit impeccablement tondu ou moins, que sa crinière soit boueuse ou non, que sa couverture porte les trace de ses nombreuses roulades, peu m’importe.

Pourtant, pratiquer l’équitation c’est aussi se fier aux apparences.
Une fois associé à un cavalier, une fois sorti de son « confort » de cheval « bien hébergé », chaque monture doit donner à montrer, à démontrer.
En un coup d’oeil, il est possible de différencier un cavalier « classique » d’un cavalier « western » par exemple et il est même possible de distinguer au milieu des cavaliers « classiques » ceux qui sont des adeptes du dressage de ceux qui sont adeptes de saut d’obstacle.
C’est que les apparences ne comptent pas pour du beurre, côté cavalier, « on » est même plutôt à cheval dessus.

C’est toute une histoire.
En la remontant, il faut bien noter que l’équitation est tout à fait autre chose qu’un sport pour les humains, n’en déplaise à ceux qui affirment le contraire. Monter à cheval occasionne bien évidemment un certain exercice physique, au même titre que jardiner, aller chercher son pain à pied ou aller bosser à bicyclette, mais rien d’extraordinaire tant c’est l’activité physique du cheval qui prime sur celle de son cavalier. C’est ce que donne à voir le cheval qui est épié, bien plus que la tête du cavalier et ceci quelles que soient les circonstances et les disciplines envisagées.

En aparté, notez bien que si le mot « athlète » s’applique désormais aussi bien à ceux qui ne jouent que par la grâce de leurs cerveaux qu’à ceux qui utilisent une force musculaire bien entraînée, l’académie a remplacé l’injonction « faites du « sport » par « pratiquez une activité physique ».

Mais je reviens à toute cette histoire d’apparence qui façonne le monde des cavaliers, comme elle façonne la société toute entière et ceci alors même que les chevaux s’en moquent totalement.

Le cheval fut avant tout domestiqué afin de faciliter le quotidien des humains.
Prendre soin d’un outil fut et reste essentiel.
Pendant les centaines d’années où le cheval fut engagé pour gagner des batailles, il était fondamental de le bichonner à minima. Au moins pour éviter les blessures dues à la selle ou à la sangle, il fallait que ces zones soient propres. Idem pour les chevaux « tracteurs » harnachés parfois toute la journée quelles que soient les conditions météorologiques.
Et puis, il y avait aussi les chevaux de parades, ceux qui racontaient la richesse, le pouvoir. Eux devaient être à la hauteur, éclatants, étincelants.

Et aujourd’hui ?
Chacun voit ce qui est important à ses yeux d’humain pensant, animal social s’il en est.

Pour ma part, consciente de l’indifférence de Prodi à son apparence, je tiens (beaucoup par éducation certainement) à ce qu’il soit présentable lorsque je le monte, donc propre, sans paille dans la queue, sans boue sur les jambes, la crinière bien brossée et le toupet gracieux.

Présentable à qui ? Souvent à personne car j’aime par dessus tout fréquenter la solitude.

C’est une grande liberté qui m’est offerte que de n’avoir plus aucun autre but, en temps que cavalière, que celui de cultiver une relation paisiblement honnête avec ce noble animal.
Ce qui me fait plaisir, c’est d’entendre dire que mon cheval s’est musclé, qu’il est joueur (dans son paddock) et qu’il est plutôt zen sous mon popotin.
Nous avançons ensemble, lui vers l’âge adulte, moi vers une vieillesse de plus en plus décrépie. La couleur du tapis de selle est vraiment sans importance!

Clairement, pour ma part, mieux vaut se moquer des apparences, c’est en quelque sorte mon « côté cheval » 😀

Questionner l’objectif


Lundi 14 octobre 2024

Après avoir questionné le verbe « aimer », voilà que s’impose un questionnement au sujet de l’objectif, du but, de l’intention, du dessein.

Monter à cheval, pratiquer l’équitation sur l’air de « j’aime ça » devrait imposer une réflexion un tantinet plus approfondie.
Ce matin, j’ai successivement regardé d’un air distrait le compte rendu du dimanche d’un jeune cavalier et écouté avec reconnaissance les mots d’un cavalier professionnel :
« If you want to shine in front of every body, you have to work in front of nobody« 
Ces mots, posés sur fond d’une vidéo où le cheval, monté sans aucune pression, passe en toute décontraction une ligne de mécanisation à l’obstacle, venaient en écho de ce que je radotais la veille et de tout ce qui m’était passé par la tête l’avant-veille en proposant un nouvel exercice de gymnastique à Prodi, nouveau pour lui je précise!

En effet, samedi, tout en notant que j’étais devenue propriétaire du p’tit cheval exactement six mois auparavant, j’avais préparé une séance destinée à le faire progresser en douceur.
Chaque jour je prépare une séance.
En fonction de l’air du temps, elle se réalise ou nécessite des adaptations, voir son abandon. Ainsi va le chemin de l’éducation d’un jeune cheval, à l’impossible personne n’est tenu.
Samedi, l’air était transparent et lumineux, la Loire était lisse comme un miroir et une aimable personne avait accepté de m’assister pour ajuster la hauteur des barres en cours d’exercice.

Tout s’est passé facilement, en douceur, à un point tel que j’ai eu besoin de prévenir quelques personnes que j’allais une fois de plus changer d’avis, que dans un avenir pas si lointain j’allais probablement faire sauter de véritables hauteurs à Prodi… un truc que je me refusais jusqu’alors, sur l’air de « je suis trop vieille pour prendre ce risque ».
Remarquablement, en écho et sur le ton de la plaisanterie, j’ai vu passer le mot « concours » comme si « hauteur » et « concours » allaient de paire. Et là est venu ce questionnement sur l’objectif.

La compétition a fait partie de ma vie.
Compétition sportive.
Compétition pour être vraiment un homme comme les autres.
Compétition pour exister, simplement.

Désormais, la compétition est rangée dans le tiroir des souvenirs, j’ai arrêté de ramer, je laisse glisser.
Je rêve encore et toujours, oui, je rêve encore,
Et aucun concours, aucune compétition n’est plus capable de me faire rêver.
C’est que j’ai cessé de courir après des rêves fous.
Peut-être parce que la vie m’en a offert beaucoup à vivre ?

Réaliser une séance d’exercices en compagnie de Prodi est un cadeau et une énième cerise sur la gâteau.
J’ai beau creuser les questions, je ne vois aucun objectif très précis en matière d’équitation sinon passer du temps à côté des chevaux et des gens qui y sont bien.
Clairement, aujourd’hui je récolte les fruits d’un labeur au long cours, celui tout simple qu’offre la vie à qui se remonte les manches.
J’en ai terminé avec les levers avant l’aube, avec les batailles contre le temps, les confrontations entre humains qui sont toujours déplaisantes à mes yeux.
Tout « ça » fut certainement nécessaire.
Il fallait que j’expérimente.
Tout.
A fond.
Avec passion et gourmandise à la fois.

Désormais je suis en roue libre.
Et c’est vraiment délicieux.

Mon cheval et la vie sauvage



Et voilà, les journées sont plus fraîches, les dépressions amènent leur lot de pluie et de vent, mon petit cheval n’a plus besoin de son masque anti-mouche mais d’une couverture et il demande chaque jour avec plus d’obstination à rentrer au box dès le début de l’après-midi.

Pourtant la mode est à la vie « sauvage »

Sauvage!
Ce mot est source d’inspiration pour l’imagination, il y a même une eau de toilette (quoi de plus civilisé que l’eau de toilette!!!!) qui est ainsi nommée.
Et l’imagination se repait de l’image du cheval sauvage.

Pourtant la domestication de l’animal est ancienne et les spécialistes s’accordent pour dire que sans la domestication le groupe/clade « cheval vrai » dont est issu notre cheval contemporain aurait probablement disparu comme ont disparu tous les autres groupes et sous-ensemble d’équidés ancestraux sous la pression du climat, donc de la modification de leur environnement et des prédateurs.
Si quelques chevaux ont repris leur liberté, cultivant le mythe d’un « cheval sauvage », il n’en demeure pas moins qu’ils ont été un jour domestiqués, donc sélectionnés, et qu »ils vivent désormais sous le regard (et la gestion) des humains dans des espaces parfois très limités.

Pourtant la mode en matière d’hébergement, de détention, d’alimentation repose sur une soi-disant observation de la vie sauvage.
Comme lorsque le même raisonnement est appliqué à l’humain afin de construire des concepts de meilleure santé par exemple, les réflexions paradoxales se ramassent à la pelle et je vais éviter d’en faire la liste afin de maintenir le billet dans son cadre.

Toujours est-il que les propositions, toute plus prometteuses les unes que les autres abondent comme autant de miroirs aux alouettes. Si nos chevaux d’aujourd’hui, souvent devenus « animaux de compagnie », ont des besoins propres à leur évolution génétique et épigénétique, la vie sauvage d’il y a 5000 ans, une vie sauvage qui de surcroit nous est presque totalement inconnue, ne devrait même pas être brandie.

Mon p’tit pur sang par exemple, de « bonnes origines » donc porteur dès sa naissance de grands espoirs fut beaucoup bichonné, à la manière des chevaux de course. Il a vécu en box bien paillé, fut nourri comme un athlète en devenir et sorti chaque jour seulement pour son entrainement ou un p’tit bol d’air dans un bac à sable. A l’image de certains enfants, il n’a pas connu grand chose de l’intransigeance de la « nature sauvage ».

Qui serai-je pour l’obliger à vivre soudainement dans la boue ?
Par quel magie pourrais-je obliger son poil si fin à pousser comme celui d’un cheval plus rustique?
Comment pourrait-il accepter sans bouger que les mouches envahissent sa face, lui qui par ailleurs se plie avec bonhomie aux piqûres du vétérinaire, à la rape du dentiste, au parage du maréchal comme tout « gamin bien élevé » dans le confort de notre monde moderne.

Mon p’tit cheval n’a aucun concept, aucun avis au sujet d’une « vie sauvage » de cinéma, pas plus au sujet d’une vie en captivité. Si je lui parle de mode, il se contente de baisser la tête et de manger, à moins que je ne l’aie attaché dans la salle de pansage, dans ce cas je peux assurer qu’il ne lève pas une oreille.
En toutes choses, il fut soumis aux désirs de son précédent propriétaire, il demeure soumis à mes exigences sans jamais juger ni préjuger de rien. Il a même été castré ; malgré mon imagination fertile, je ne vois aucun groupe d’animaux vraiment sauvages prendre la décision d’appeler un vétérinaire pour éliminer les attributs d’un petit mâle trop turbulent.

Mon p’tit cheval est dans l’instant présent.
Il s’exprime dans l’instant présent.
Dans son instant présent.

Je comprends très bien la nécessité des modes, elles facilitent la consommation, donc le commerce ; elles vont et elles viennent et il faut bien des influenceurs pour les « lancer » efficacement avant qu’elles ne « retombent » pour laisser la place aux suivantes. C’est une aventure humaine.
100% humaine.
Personnellement, bien que sensible à l’air du temps comme tout un chacun, je préfère suivre ma propre mode, celle qui consiste à m’adapter en respectant mes convictions sans sombrer pour autant.

Je fais des choix.
Donc, je renonce.

J’ai tant appris de la vie, de mes randonnées solitaires où parfois avoir une carte bancaire était totalement non-utile.
J’ai appris, en particulier, que pour vivre sereinement, il vaut mieux n’avoir aucune chapelle, c’est beaucoup plus facile pour s’adapter facilement.

Je voulais pas devenir à nouveau propriétaire d’un cheval, je suis à nouveau propriétaire.
Je voulais pas que mon cheval vive en box, un abri pouvait lui suffire et j’ai un cheval qui aime son box.
Je voulais pas de cheval gris et le p’tit pur sang tout gris m’a fait de l’oeil.

Et voilà que je viens de décrire ma capacité d’adaptation sur le mode « nantie », bien loin du soucis de m’adapter pour trouver de quoi manger en quantité suffisante dans la jungle, ou pour dormir sereinement à l’abri des animaux vraiment sauvages, ou pour boire de l’eau non-croupie!

Clairement, pas plus que mon p’tit cheval je ne serai capable de survivre, ni en bon état, ni bien longtemps, lâchée « en liberté » dans la « nature ».

Histoire d’aimer


Un matin, j’ai croisé cette question : « C’est quoi aimer son cheval? »

En lisant les commentaires qui suivaient, j’ai éprouvé le besoin d’aller faire un tour dans mon dictionnaire préféré afin de vérifier que ma notion de « aimer » était bien celle que je connais.
Bingo.
Définition de « aimer » : Éprouver, par affinité naturelle ou élective, une forte attirance pour quelqu’un ou quelque chose.
Ouf, je suis vieille mais pas complètement gâteuse, aucun des commentaires ne répondait vraiment à la question posée.
Le sentiment bizarre que j’avais discerné en les découvrant, chacun faisant sa propre liste des soins apportés à son cheval, ce sentiment bizarre était donc raisonnable.

J’aime les mots, pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils deviennent, pour ce qu’ils cachent.
J’aime les macarons à la pistache, les bonbons noirs au fort gout de réglisse, la chasse aux orchidées sauvages, les gens, les chevaux, la vie, etc.
J’aime.
Et parfois j’Aime.
Et c’est d’une toute autre dimension,
De l’ordre de l’indicible.

Ce matin là, en croisant cette question, je me suis retrouvée face à une forêt d’autres questions.
Celles-ci par exemple :
Quelle est la différence entre aimer son cheval et aimer l’équitation?
Et aussi pourquoi les personnes qui aiment les chevaux aiment souvent monter à cheval… ou pas?

Ce dimanche, après la session effectuée en extérieur sur le dos de mon p’tit cheval, j’ai avalé un sandwich et je me suis embarquée dans la voiture en ordonnant au GPS de m’indiquer la voie la plus rapide pour me rendre sur un terrain de cross. Là-bas, des cavaliers et cavalières de l’écurie s’étaient donné rendez-vous avec leurs montures pour une journée d’entrainement, CSO le matin, cross ensuite.

En une heure j’étais sur place.
La pluie avait faibli mais elle commença à redoubler tandis que le vent enflait. J’avais prévu le coup et j’étais bien équipée, tout à fait décidée à observer.

Sur le parcours de cross, mon attention naviguait d’un cheval à l’autre, des cavaliers aux accompagnants, des indications du coach aux actions des cavaliers, des visages épanouis à ceux complètement fermés.

C’est quoi « aimer »?

C’est quoi ce mot français complètement fourre-tout, les langues étrangères ayant dans leurs bagages plusieurs mots qui se traduisent en français avec le même « j’aime » qui à force d’être utilisé sans y penser ne signifie plus rien.

Que signifie « j’aime » quand je « like », quand je pose un pouce bleu sous un commentaire ou en recevant un message virtuel ? Signifie t-il « j’ai lu », « j’ai compris », « j’éprouve une attirance pour ces mots », j’approuve, ou quoi encore? Un fait est certain, j’aime/je like à tour de bras !

Au lendemain du dimanche, j’ai vu défiler mille questions en écho de « C’est quoi aimer son cheval ? « 

J’ai même vu passer des questions tristes.
Oui, tristes.
Oui, car,
J’ai eu le coeur qui s’est serré l’autre jour, lorsque je suis passée à côté d’une cavalière au visage fermé en train de préparer son cheval pour monter dans le van du retour.
Je suis passée à côté, j’ai passé ma main sur l’encolure du cheval que j’avais vu évoluer de son mieux et en m’adressant à l’animal qui grappillait des brins de foin, j’ai murmuré : « Tu mérites bien ton foin ».
C’était ma façon de compatir, j’avais vu ce qu’il venait de donner sans rien demander en échange, sans même rien espérer.
Je sais qu’il ne fut probablement pas réceptif à ma compassion, le foin lui suffisait pour être heureux à l’instant présent.
Mais la cavalière, elle qui certainement « aime » son cheval, la cavalière me regarda d’un regard noir.
« NON, il mérite pas! »
Et j’ai senti l’immensité de son dépit, de son sentiment de non-réussite, de tout ce qui chez elle, de son point de vue ne méritait « rien ».

Aimer son cheval
Aimer l’équitation
S’aimer soi-même…

Ce sont des questions récurrentes dans mes réflexions sans fin.

Il est clair que je suis attirée par les chevaux, n’était-ce pas seulement une attirance irraisonnée qui me poussait, enfant, à chercher le cheval qui avait laissé une trace de sabot dans la boue ?
Dans ces temps déjà lointains, il n’existait pas d’autre solution, pour aller au plus près des chevaux, que celle qui consistait à s’inscrire dans une école d’équitation.
J’ai pris goût à l’équitation parce que j’aimais les chevaux.
Et de l’école d’équitation au champ de course en passant par le cirque, j’ai fini par avoir mon propre cheval parce que c’était l’unique solution envisageable pour rester à côté d’un être dont j’avais encore tant à découvrir. Prendre soin des chevaux des « autres » m’avait déjà appris mille choses, mais devenir responsable de « mon/mes » chevaux offrait une nouvelle dimension, particulièrement en matière d’éducation que je pouvais mener à ma guise. Ainsi, d’erreurs en succès, j’agrandissais ma connaissance de l’objet de mon attirance : le cheval!

A l’heure où j’en ai terminé avec le statut social de « femme active », à l’heure où j’ai enfin accepté le fait de vivre « sponsorisée » par les milliers de personnes qui travaillent quotidiennement, ces actifs qui jonglent entre vie de famille, vie amicale, loisir et temps passé à « gagner de l’argent », j’ai acheté celui qui sera probablement « mon dernier cheval ».
Grâce à lui qui se moque bien de mes cheveux blancs, de mes rides, de mes « faiblesses » de vieille, j’existe encore toute entière, je reste la gamine que je n’ai pas cessé d’être, celle qui est tellement attirée par les chevaux.

Sa première ligne


Oui, oui, nous sommes bien au rayon cheval!

Hier, j’ai présenté à mon p’tit cheval sa première ligne.
Il faut bien commencer un jour.
Et mon principal objectif était le suivant : qu’il kiffe!
Car ce qui me fait plaisir, c’est qu’il « s’amuse » afin de rester toujours partant aussi calme que pétillant.

A l’image des enfants pour qui écrire est avant tout un jeu, de ces enfants qui utilisent tous les bouts de papiers qui trainent pour y poser les mots qui leur passent par la tête.
A l’image de tous ceux qui ont besoin de faire des lignes pour avancer.

Première ligne pour Prodi, donc.
Pas si simple à organiser en réalité, pour moi qui monte souvent à l’heure où « les autres » sont absents, car pour la bonne réalisation d’une ligne, il faut un peu d’aide, à minima une personne disponible pour ajuster les barres.
Car « une ligne » c’est une succession de barres judicieusement placées, à distance mesurée, à hauteur appropriée.
Hier, nous avons bénéficié de la présence d’A. qui nous a offert un peu de son temps.

Prodi n’avait jamais sauté plus d’un obstacle.
Mon goût pour le calme et l’impulsion juste avait écarté jusque là toute tentative tendant à prouver je ne sais quoi à je ne sais qui. C’est aussi une question de respect de l’animal à mes yeux. Qui exigerait d’un jeune enfant qu’il réalise une page d’écriture parfaite avant même d’avoir appris à écrire en souplesse ? Même s’il dispose d’un talent naturel pour les gribouillages, il a toujours besoin de temps avant d’arriver à « trouver son écriture ».

Faire sauter les chevaux plus haut que nécessaire, les faire galoper vite et loin avant même la fin de leur croissance est certainement nécessaire à des fins commerciales, mais pour moi qui vient de m’offrir le dernier cheval de ma vie, ça parait plus incongru que jamais.

Je suis en train de vivre un passage de vie absolument surprenant avec ce Prodi. Pour la première fois de ma vie de cavalière, je n’ai sincèrement aucune attente particulière en sa compagnie.
J’en ai fini avec la compétition, avec « faire la preuve », avec « il faut qu’il soit prêt pour telle échéance », j’avance au jour le jour et je me réjouis de ce qu’il m’offre sans le savoir. C’est « tout petit » parfois ce qu’il m’offre, mais tellement grand en même temps.
Je suis très lucide, jamais je n’aurai pu tenir ce discours avant désormais.
Je comprends vraiment et avec le coeur ce qui tiraille les jeunes cavaliers, les cavaliers plus avancés et même parfois les vieux cavaliers débutants.
Il faut vraiment avoir traversé pas mal de pays, pas mal d’aventures avant de se poser avec plaisir. Simplement.
J’ai cette chance.

Hier le p’tit cheval a sagement traversé au pas la ligne de barres posées au sol.
Il a vu et reconnu cette succession « d’obstacles » comme un exercice que j’allais lui proposer à nouveau.
Pourtant,
Il ne le savait pas encore,
Que nous passerions et repasserions.
Mais en passant au pas il écartait la probabilité d’un danger surgissant de chaque barre autant que de l’alignement en lui même.
Nous sommes revenus, donc, puisque c’est ce que j’avais prévu.
A dix mètres le la première barre, je l’ai arrêté afin qu’il prenne le temps de regarder, ce qu’il a fait, encolure haute, oreilles dressées.
Puis, doigts ouverts sur des rênes juste au contact, je lui ai demandé de trotter, sans passer par le pas, directement, ce qu’il a fait et il a franchi toute la ligne, tranquillement, certain qu’une fois arrivé au bout il aurait le temps de respirer, qu’une fois au bout il n’avait aucune raison de se stresser, de s’agacer d’aucune façon.
Alors, il était temps de soulever un peu les barres (merci A.)

A dix mètres le la première barre, je demande un arrêt afin qu’il prenne le temps de regarder, ce qu’il fait, encolure haute, oreilles dressées.
Départ au trot, il se fait la ligne en choisissant un simple enjambement, c’est visiblement trop bas, il est agile le petit pur sang.
A. augmente un peu la hauteur.
A dix mètres le la première barre, j’arrête afin qu’il prenne le temps de regarder, ce qu’il fait, encolure haute, oreilles dressées.
Départ au trot, cette fois-ci, il saute franchement, part au galop à la réception, sort au galop, tranquille, serein et je lui demande de passer au pas après un demi-cercle à main gauche.
Je questionne A. « Qu’en penses-tu, on reste là dessus? »
« Vous pouvez faire une fois de plus » me suggèra t-elle.
« Oui, tu as raison c’était peut-être un coup de chance cette première réussite » ai-je acquiescé.

Et nous sommes repassés tout pareil et nous sommes passés au pas après un demi-cercle à main droite.

Evidemment, la hauteur était faible, évidemment la perfection est à atteindre car le geste est encore brouillon, il faudra répéter, répéter encore avec patience, et encore de la patience.
Les chevaux sont très patients.
Et moi aussi.

Rien ne nous presse.
J’ai beaucoup d’émotions qui se bousculent en écrivant ces mots là.
Beaucoup de reconnaissances aussi.

Ces jours là

Sans que rien ne l’annonce, soudainement il s’arrête.
J’ignore comment il s’y prend,
Il pressent, il sent, il joue d’un appeau musical et silencieux rameutant les invisibles,
Je n’en sais rien
Mais dans les secondes qui suivent cet arrêt,
Un vautour fend l’air, un essaim s’échappe ou le vent se lève.


Son odeur après la pluie, Cédric Sapin-Dufour, Editions Stock, 2023



Ces jours, là, ces instants là, je sais immensément ce qui m’a poussée à revenir auprès des chevaux.
Je sais dans le fond de mon coeur,
Dans le fond de mes tripes,
Sans pouvoir l’exprimer précisément
Ni le partager aux personnes qui ne savent pas.

Car c’est sans aucun doute le chemin déjà parcouru
Qui met en valeur le chemin de l’instant
Et le petit bout qui reste
A parcourir
Plus loin.

La session d’aujourd’hui était délicieuse.
Celle d’hier était étrange.

Hier,
La sortie du paddock fut « comme d’habitude » : Prodi est venu à ma rencontre, il a glissé le bout de son nez dans le licol offert et il est sorti pour aller brouter l’herbe bien plus verte plus loin, exactement comme d’habitude.
C’est pendant le moment du pansage que j’ai noté son attitude « différente ».
Il se figeait, tête haute, yeux grand ouverts, oreilles dressées, bouche serrée.
J’écoutais avec mes pauvres oreilles humaines.
Rien.
Rien d’autre que le vent.
Un vent d’Est, certes,
Mais seulement du vent.

Je l’ai préparé comme d’habitude, tout en constatant qu’il restait tendu, pas comme d’habitude où il s’abandonne complètement jusqu’au moment où je l’invite à sortir vers l’aventure du jour.
Sellé, bridé, il est sorti d’une traite, sans marquer l’arrêt qu’il marque d’habitude en entrant dans la lumière.
Le soleil était resplendissant, une douce chaleur automnale s’était installée, le vent caressait les arbres, vigoureusement certes, mais nous avions déjà vécu bien pire.
Cependant, je décidais de commencer la session par une balade en main, juste afin de prendre le temps d’observer avant d’enchainer sur le programme du jour.
Nous partîmes gaillardement, d’un bon pas.
Soudain, il s’arrêta.
Figé, tête haute, yeux écarquillés, oreilles en avant, bouche hyper serrée.
Statufié, il était.
J’ai attendu avant de lui proposer sans succès d’avancer au moins un pas.
J’ai sorti toutes mes antennes afin d’écouter le vent, de sentir le vent.
En vain.
Je suis tellement nulle par rapport à lui quand il s’agit d’utiliser ces sens là.
Que voyait-il dans le vent?
Il accepta facilement de tourner ses hanches, d’un côté puis de l’autre, sous une minuscule pression de mon index pointé.
Et il se figea à nouveau.

Il devenait clair que mon programme du jour tombait à l’eau.
Je sollicitai un nouveau demi-tour sur les épaules afin de le mettre dans la direction de l’écurie et il se décida à faire un pas, puis deux, puis il avança dans la direction que je lui proposai, celle du montoir.
Là, il accepta de se laisser monter et d’aller en direction des carrières.
Il se figea à nouveau deux fois avant d’y arriver, repartit parce qu’il est déjà bien éduqué à obéir mais il restait très tendu malgré toute la décontraction que mon corps, mes mains, mes jambes lui posait en miroir.
Que voyait-il dans ce vent d’Est forcissant?
Une fois dans la petite carrière, il se laissa guider sur un cercle, puis un autre et bloqua encore, puis se débloqua sans enthousiasme. Il m’accorda une volte, une demie-volte et je considérai qu’il en avait assez fait. Je le fis sortir pour aller le déshabiller puis je l’ai ramené à poil et en licol afin de voir ce qu’il allait faire en liberté dans la carrière.
Il grignota un brin d’herbe de manière compulsive, comme certaines personnes plongent leur main dans un sachet de bonbons les jours de stress, sans y porter grande attention, puis il leva à nouveau la tête, inspectant droit devant lui et renâclant bruyamment.
Comme il restait sur place, à la voix, je l’invitai à marcher à mes côtés, puis à trotter, ce qu’il fit presque facilement.

C’était hyper étonnant de le voir exécuter aussi facilement ce que je lui demandais, aussi étonnant que de le constater tellement accaparé par « je sais pas quoi ».
J’ai considéré qu’il avait beaucoup « donné » de sa gentillesse dans ces circonstances qu’il était incapable de m’expliquer et nous sommes restés là dessus.

Une fois dans son paddock, il n’a ni bu, ni mangé mais je l’ai vu se détendre un peu.

Les chevaux, les animaux nous parlent avec leurs attitudes sans que nous puissions vraiment comprendre ce qu’ils racontent. Toute forme d’empathie, telle que nous pourrions l’exprimer à un humain, est vaine, eux non plus ne comprennent pas ce que nous racontons.

Mais je suis certaine d’une chose, les chevaux savent parfaitement le respect que nous leur exprimons de tout notre coeur et à leur façon ils nous en sont reconnaissants, sans limites.

Les chevaux, lorsque nous les respectons, nous font toucher l’absolu.



Mon cheval et l’effet placebo


Dans la droite ligne qui suit l’article au sujet de la crédulité, je me devais d’aborder le rapport de mon cheval à l’effet placebo.

J’ai tenté de lui en parler, il a eu la même tête que celle qu’il a pris devant le ballon de foot dégonflé abandonné par son copain « C’est quoi ce truc? C’est pas dangereux? Ok, ben je vais manger alors, je vois de l’herbe bien verte par là » et il a commencé à manger sans m’en raconter davantage.

Si, chez l’humain, l’effet thérapeutique du placebo est bien connu, reposant sur de multiples publications amassées depuis des années, au point d’être désormais ouvertement utilisé dans les meilleurs hôpitaux, c’est un peu différent chez l’animal.
Néanmoins, de nombreux propriétaires peuvent témoigner de l’efficacité des médecines alternatives sur leurs chouchous.
Car il faut bien le constater les propriétaires, ont toujours peur d’en faire pas assez pour le bien-être de leur cheval et ils multiplient facilement les visites d’experts en effets placebo.

Je l’ai affirmé dans cet article, mes croyances sont quasi nulles, je pourrais même ajouter que je prends soin de balayer chaque matin toute croyance qui aurait pu germer insidieusement afin de m’en débarrasser illico.
Pourtant j’ai toujours transporté dans mon sac professionnel un paquet d’aiguilles d’acupuncture, des tubes de granules blanches, des flacons mystérieux, tout en étant bien au fait du seul pouvoir de mes mains nues. Ma « pharmacie » familiale contient aussi pas mal de poudres de perlimpipin.
Alors pourquoi cet article ?

Bon. Sans illusions, je sais qu’il ne sert à rien et en plus, même lorsque je fus très sollicitée, jamais le complexe du sauveur ne fut mien. Je suis pleinement consciente de mon impuissance. Dans mon agenda, des années durant la phrase suivante ouvrait le bal :
« Aujourd’hui l’homme est encore
Trop faible
Pour supporter sa faiblesse
Il doit devenir fort
Pour s’accepter vulnérable »

Jean-yves Leloup, Déserts, Le Fennec Editeur, 1994


Alors, disons que je connais suffisamment et depuis assez longtemps la puissance de l’effet placebo pour l’utiliser à bon escient dans les circonstances où je sais pouvoir compter sur lui.

Mais, qu’en est-il pour mon p’tit Prodi?
D’abord quand il est en pleine forme, je le vois et il a sûrement besoin de rien.
Ensuite il sait exprimer la moindre tracasserie et d’autant mieux que c’est un p’tit pur sang à la sensibilité à fleur de sa peau très fine. Il m’appartient d’essayer de comprendre. Parfois c’est de ma faute et il suffit que je corrige mes « bétises », comme je l’ai relaté ici.
Ensuite plus loin, j’ai un peu d’expérience et je me sens tout à fait capable de faire un examen physique à la recherche de signes expliquant le symptôme exprimé.
J’ai appris chez les humains qu’il est généralement urgent d’envisager des choses simples avant d’envisager les scenarii catastrophes et je l’ai appris encore mieux que dans les livres en voyageant dans des contrées où n’existe pas notre médecine et où les réelles pathologies s’exhibent dans des tableaux qui ne laissent aucun doute planer.
Sur la toile le sujet est assez peu évoqué. J’ai cependant trouvé quelques articles qui me plaisent sur ce site en particulier. Et j’ai bien conscience que « ça » peut ne pas plaire à tout le monde!

Le mystère du placebo est immense. Un bouquin avait abordé ce mystère, mais avec l’évolution de la technologie, l’invasion des écrans et la rédaction des prescriptions par les machines, le discours est désormais daté.
Le mystère du placebo, Patrick Lemoine, Edition Odile Jacob, 1996

En fait je comprends le dédain, de mon p’tit cheval quand je lui demande ce qu’il pense de ce mot. Une fois tout risque de danger immédiat écarté, il s’en moque.
C’est que lui, l’animal, le sacré animal ne demande rien.
Qu’il se cogne, que son voisin lui arrache un petit bout de peau, qu’il boitille, qu’il tousse parfois, que son crottin soit un peu mou, il s’en moque.
C’est moi qui l’examine chaque jour sous toutes les coutures et qui décide s’il va bien ou non.
C’est moi.
Moi seule.
Et c’est mon imagination qui bosse à travers cet anthropomorphisme dont il est si difficile de se détacher.
Mon jugement au sujet de la gravité d’un symptôme m’appartient.
Le traitement pour y « remédier » aussi, d’ailleurs, c’est moi qui vais éventuellement contacter un professionnel ou un expert et qui vais ouvrir les cordons de ma bourse.
Mon cheval est insolvable, lui!
Il est tout entier sous ma tutelle.
De fait, aucun biais cognitif ne peut s’emparer de lui en lui suggérant que parce qu’il a payé fort cher, il va bientôt guérir et ce d’autant moins qu’il ne se voit pas « malade »!
L’effet placebo, s’il s’exerce ne peut s’exercer que sur le propriétaire du cheval.
Les dernières études en éthologie suggèrent que le cheval est sensible aux émotions, il est donc possible d’imaginer qu’il est plus serein à côté d’une personne sereine et qu’en conséquence il est important de prendre soin du mental d’un cheval en prenant soin de celui de son propriétaire, donc en proposant un placebo qui fait sens pour ce propriétaire là.

Est-il utile d’ajouter qu’en cas de gros accident ou de maladie cataclysmique, dans nos contrées nanties, « tout le monde » va naturellement penser à contacter un vétérinaire de qualité et accepter les chirurgies de pointe et les drogues les plus dures… dans la mesure de ses moyens financiers, évidemment.