Lundi 14 octobre 2024
Après avoir questionné le verbe « aimer », voilà que s’impose un questionnement au sujet de l’objectif, du but, de l’intention, du dessein.
Monter à cheval, pratiquer l’équitation sur l’air de « j’aime ça » devrait imposer une réflexion un tantinet plus approfondie.
Ce matin, j’ai successivement regardé d’un air distrait le compte rendu du dimanche d’un jeune cavalier et écouté avec reconnaissance les mots d’un cavalier professionnel :
« If you want to shine in front of every body, you have to work in front of nobody«
Ces mots, posés sur fond d’une vidéo où le cheval, monté sans aucune pression, passe en toute décontraction une ligne de mécanisation à l’obstacle, venaient en écho de ce que je radotais la veille et de tout ce qui m’était passé par la tête l’avant-veille en proposant un nouvel exercice de gymnastique à Prodi, nouveau pour lui je précise!
En effet, samedi, tout en notant que j’étais devenue propriétaire du p’tit cheval exactement six mois auparavant, j’avais préparé une séance destinée à le faire progresser en douceur.
Chaque jour je prépare une séance.
En fonction de l’air du temps, elle se réalise ou nécessite des adaptations, voir son abandon. Ainsi va le chemin de l’éducation d’un jeune cheval, à l’impossible personne n’est tenu.
Samedi, l’air était transparent et lumineux, la Loire était lisse comme un miroir et une aimable personne avait accepté de m’assister pour ajuster la hauteur des barres en cours d’exercice.
Tout s’est passé facilement, en douceur, à un point tel que j’ai eu besoin de prévenir quelques personnes que j’allais une fois de plus changer d’avis, que dans un avenir pas si lointain j’allais probablement faire sauter de véritables hauteurs à Prodi… un truc que je me refusais jusqu’alors, sur l’air de « je suis trop vieille pour prendre ce risque ».
Remarquablement, en écho et sur le ton de la plaisanterie, j’ai vu passer le mot « concours » comme si « hauteur » et « concours » allaient de paire. Et là est venu ce questionnement sur l’objectif.
La compétition a fait partie de ma vie.
Compétition sportive.
Compétition pour être vraiment un homme comme les autres.
Compétition pour exister, simplement.
Désormais, la compétition est rangée dans le tiroir des souvenirs, j’ai arrêté de ramer, je laisse glisser.
Je rêve encore et toujours, oui, je rêve encore,
Et aucun concours, aucune compétition n’est plus capable de me faire rêver.
C’est que j’ai cessé de courir après des rêves fous.
Peut-être parce que la vie m’en a offert beaucoup à vivre ?
Réaliser une séance d’exercices en compagnie de Prodi est un cadeau et une énième cerise sur la gâteau.
J’ai beau creuser les questions, je ne vois aucun objectif très précis en matière d’équitation sinon passer du temps à côté des chevaux et des gens qui y sont bien.
Clairement, aujourd’hui je récolte les fruits d’un labeur au long cours, celui tout simple qu’offre la vie à qui se remonte les manches.
J’en ai terminé avec les levers avant l’aube, avec les batailles contre le temps, les confrontations entre humains qui sont toujours déplaisantes à mes yeux.
Tout « ça » fut certainement nécessaire.
Il fallait que j’expérimente.
Tout.
A fond.
Avec passion et gourmandise à la fois.
Désormais je suis en roue libre.
Et c’est vraiment délicieux.
Archives de l’auteur : Joelle
Mon cheval et la vie sauvage
Et voilà, les journées sont plus fraîches, les dépressions amènent leur lot de pluie et de vent, mon petit cheval n’a plus besoin de son masque anti-mouche mais d’une couverture et il demande chaque jour avec plus d’obstination à rentrer au box dès le début de l’après-midi.
Pourtant la mode est à la vie « sauvage »
Sauvage!
Ce mot est source d’inspiration pour l’imagination, il y a même une eau de toilette (quoi de plus civilisé que l’eau de toilette!!!!) qui est ainsi nommée.
Et l’imagination se repait de l’image du cheval sauvage.
Pourtant la domestication de l’animal est ancienne et les spécialistes s’accordent pour dire que sans la domestication le groupe/clade « cheval vrai » dont est issu notre cheval contemporain aurait probablement disparu comme ont disparu tous les autres groupes et sous-ensemble d’équidés ancestraux sous la pression du climat, donc de la modification de leur environnement et des prédateurs.
Si quelques chevaux ont repris leur liberté, cultivant le mythe d’un « cheval sauvage », il n’en demeure pas moins qu’ils ont été un jour domestiqués, donc sélectionnés, et qu »ils vivent désormais sous le regard (et la gestion) des humains dans des espaces parfois très limités.
Pourtant la mode en matière d’hébergement, de détention, d’alimentation repose sur une soi-disant observation de la vie sauvage.
Comme lorsque le même raisonnement est appliqué à l’humain afin de construire des concepts de meilleure santé par exemple, les réflexions paradoxales se ramassent à la pelle et je vais éviter d’en faire la liste afin de maintenir le billet dans son cadre.
Toujours est-il que les propositions, toute plus prometteuses les unes que les autres abondent comme autant de miroirs aux alouettes. Si nos chevaux d’aujourd’hui, souvent devenus « animaux de compagnie », ont des besoins propres à leur évolution génétique et épigénétique, la vie sauvage d’il y a 5000 ans, une vie sauvage qui de surcroit nous est presque totalement inconnue, ne devrait même pas être brandie.
Mon p’tit pur sang par exemple, de « bonnes origines » donc porteur dès sa naissance de grands espoirs fut beaucoup bichonné, à la manière des chevaux de course. Il a vécu en box bien paillé, fut nourri comme un athlète en devenir et sorti chaque jour seulement pour son entrainement ou un p’tit bol d’air dans un bac à sable. A l’image de certains enfants, il n’a pas connu grand chose de l’intransigeance de la « nature sauvage ».
Qui serai-je pour l’obliger à vivre soudainement dans la boue ?
Par quel magie pourrais-je obliger son poil si fin à pousser comme celui d’un cheval plus rustique?
Comment pourrait-il accepter sans bouger que les mouches envahissent sa face, lui qui par ailleurs se plie avec bonhomie aux piqûres du vétérinaire, à la rape du dentiste, au parage du maréchal comme tout « gamin bien élevé » dans le confort de notre monde moderne.
Mon p’tit cheval n’a aucun concept, aucun avis au sujet d’une « vie sauvage » de cinéma, pas plus au sujet d’une vie en captivité. Si je lui parle de mode, il se contente de baisser la tête et de manger, à moins que je ne l’aie attaché dans la salle de pansage, dans ce cas je peux assurer qu’il ne lève pas une oreille.
En toutes choses, il fut soumis aux désirs de son précédent propriétaire, il demeure soumis à mes exigences sans jamais juger ni préjuger de rien. Il a même été castré ; malgré mon imagination fertile, je ne vois aucun groupe d’animaux vraiment sauvages prendre la décision d’appeler un vétérinaire pour éliminer les attributs d’un petit mâle trop turbulent.
Mon p’tit cheval est dans l’instant présent.
Il s’exprime dans l’instant présent.
Dans son instant présent.
Je comprends très bien la nécessité des modes, elles facilitent la consommation, donc le commerce ; elles vont et elles viennent et il faut bien des influenceurs pour les « lancer » efficacement avant qu’elles ne « retombent » pour laisser la place aux suivantes. C’est une aventure humaine.
100% humaine.
Personnellement, bien que sensible à l’air du temps comme tout un chacun, je préfère suivre ma propre mode, celle qui consiste à m’adapter en respectant mes convictions sans sombrer pour autant.
Je fais des choix.
Donc, je renonce.
J’ai tant appris de la vie, de mes randonnées solitaires où parfois avoir une carte bancaire était totalement non-utile.
J’ai appris, en particulier, que pour vivre sereinement, il vaut mieux n’avoir aucune chapelle, c’est beaucoup plus facile pour s’adapter facilement.
Je voulais pas devenir à nouveau propriétaire d’un cheval, je suis à nouveau propriétaire.
Je voulais pas que mon cheval vive en box, un abri pouvait lui suffire et j’ai un cheval qui aime son box.
Je voulais pas de cheval gris et le p’tit pur sang tout gris m’a fait de l’oeil.
Et voilà que je viens de décrire ma capacité d’adaptation sur le mode « nantie », bien loin du soucis de m’adapter pour trouver de quoi manger en quantité suffisante dans la jungle, ou pour dormir sereinement à l’abri des animaux vraiment sauvages, ou pour boire de l’eau non-croupie!
Clairement, pas plus que mon p’tit cheval je ne serai capable de survivre, ni en bon état, ni bien longtemps, lâchée « en liberté » dans la « nature ».
Histoire d’aimer
Un matin, j’ai croisé cette question : « C’est quoi aimer son cheval? »
En lisant les commentaires qui suivaient, j’ai éprouvé le besoin d’aller faire un tour dans mon dictionnaire préféré afin de vérifier que ma notion de « aimer » était bien celle que je connais.
Bingo.
Définition de « aimer » : Éprouver, par affinité naturelle ou élective, une forte attirance pour quelqu’un ou quelque chose.
Ouf, je suis vieille mais pas complètement gâteuse, aucun des commentaires ne répondait vraiment à la question posée.
Le sentiment bizarre que j’avais discerné en les découvrant, chacun faisant sa propre liste des soins apportés à son cheval, ce sentiment bizarre était donc raisonnable.
J’aime les mots, pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils deviennent, pour ce qu’ils cachent.
J’aime les macarons à la pistache, les bonbons noirs au fort gout de réglisse, la chasse aux orchidées sauvages, les gens, les chevaux, la vie, etc.
J’aime.
Et parfois j’Aime.
Et c’est d’une toute autre dimension,
De l’ordre de l’indicible.
Ce matin là, en croisant cette question, je me suis retrouvée face à une forêt d’autres questions.
Celles-ci par exemple :
Quelle est la différence entre aimer son cheval et aimer l’équitation?
Et aussi pourquoi les personnes qui aiment les chevaux aiment souvent monter à cheval… ou pas?
Ce dimanche, après la session effectuée en extérieur sur le dos de mon p’tit cheval, j’ai avalé un sandwich et je me suis embarquée dans la voiture en ordonnant au GPS de m’indiquer la voie la plus rapide pour me rendre sur un terrain de cross. Là-bas, des cavaliers et cavalières de l’écurie s’étaient donné rendez-vous avec leurs montures pour une journée d’entrainement, CSO le matin, cross ensuite.
En une heure j’étais sur place.
La pluie avait faibli mais elle commença à redoubler tandis que le vent enflait. J’avais prévu le coup et j’étais bien équipée, tout à fait décidée à observer.
Sur le parcours de cross, mon attention naviguait d’un cheval à l’autre, des cavaliers aux accompagnants, des indications du coach aux actions des cavaliers, des visages épanouis à ceux complètement fermés.
C’est quoi « aimer »?
C’est quoi ce mot français complètement fourre-tout, les langues étrangères ayant dans leurs bagages plusieurs mots qui se traduisent en français avec le même « j’aime » qui à force d’être utilisé sans y penser ne signifie plus rien.
Que signifie « j’aime » quand je « like », quand je pose un pouce bleu sous un commentaire ou en recevant un message virtuel ? Signifie t-il « j’ai lu », « j’ai compris », « j’éprouve une attirance pour ces mots », j’approuve, ou quoi encore? Un fait est certain, j’aime/je like à tour de bras !
Au lendemain du dimanche, j’ai vu défiler mille questions en écho de « C’est quoi aimer son cheval ? «
J’ai même vu passer des questions tristes.
Oui, tristes.
Oui, car,
J’ai eu le coeur qui s’est serré l’autre jour, lorsque je suis passée à côté d’une cavalière au visage fermé en train de préparer son cheval pour monter dans le van du retour.
Je suis passée à côté, j’ai passé ma main sur l’encolure du cheval que j’avais vu évoluer de son mieux et j’ai dit en m’adressant à l’animal qui grappillait des brins de foin : « Tu mérites bien ton foin ».
C’était ma façon de compatir, j’avais vu ce qu’il venait de donner sans rien demander en échange, sans même rien espérer.
Je sais qu’il ne fut probablement pas réceptif à ma compassion, le foin lui suffisait pour être heureux à l’instant présent.
Mais la cavalière, elle qui certainement « aime » son cheval, la cavalière me regarda d’un regard noir.
« NON, il mérite pas! »
Et j’ai senti l’immensité de son dépit, de son sentiment de non-réussite, de tout ce qui chez elle, de son point de vue ne méritait « rien ».
Aimer son cheval
Aimer l’équitation
S’aimer soi-même…
Ce sont des questions récurrentes dans mes réflexions sans fin.
Il est clair que je suis attirée par les chevaux, n’était-ce pas seulement une attirance irraisonnée qui me poussait, enfant, à chercher le cheval qui avait laissé une trace de sabot dans la boue ?
Dans ces temps déjà lointains, il n’existait pas d’autre solution, pour aller au plus près des chevaux, que celle qui consistait à s’inscrire dans une école d’équitation.
J’ai pris goût à l’équitation parce que j’aimais les chevaux.
Et de l’école d’équitation au champ de course en passant par le cirque, j’ai fini par avoir mon propre cheval parce que c’était l’unique solution envisageable pour rester à côté d’un être dont j’avais encore tant à découvrir. Prendre soin des chevaux des « autres » m’avait déjà appris mille choses, mais devenir responsable de « mon/mes » chevaux offrait une nouvelle dimension, particulièrement en matière d’éducation que je pouvais mener à ma guise. Ainsi, d’erreurs en succès, j’agrandissais ma connaissance de l’objet de mon attirance : le cheval!
A l’heure où j’en ai terminé avec le statut social de « femme active », à l’heure où j’ai enfin accepté le fait de vivre « sponsorisée » par les milliers de personnes qui travaillent quotidiennement, ces actifs qui jonglent entre vie de famille, vie amicale, loisir et temps passé à « gagner de l’argent », j’ai acheté celui qui sera probablement « mon dernier cheval ».
Grâce à lui qui se moque bien de mes cheveux blancs, de mes rides, de mes « faiblesses » de vieille, j’existe encore toute entière, je reste la gamine que je n’ai pas cessé d’être, celle qui est tellement attirée par les chevaux.
Sa première ligne
Oui, oui, nous sommes bien au rayon cheval!
Hier, j’ai présenté à mon p’tit cheval sa première ligne.
Il faut bien commencer un jour.
Et mon principal objectif était le suivant : qu’il kiffe!
Car ce qui me fait plaisir, c’est qu’il « s’amuse » afin de rester toujours partant aussi calme que pétillant.
A l’image des enfants pour qui écrire est avant tout un jeu, de ces enfants qui utilisent tous les bouts de papiers qui trainent pour y poser les mots qui leur passent par la tête.
A l’image de tous ceux qui ont besoin de faire des lignes pour avancer.
Première ligne pour Prodi, donc.
Pas si simple à organiser en réalité, pour moi qui monte souvent à l’heure où « les autres » sont absents, car pour la bonne réalisation d’une ligne, il faut un peu d’aide, à minima une personne disponible pour ajuster les barres.
Car « une ligne » c’est une succession de barres judicieusement placées, à distance mesurée, à hauteur appropriée.
Hier, nous avons bénéficié de la présence d’A. qui nous a offert un peu de son temps.
Prodi n’avait jamais sauté plus d’un obstacle.
Mon goût pour le calme et l’impulsion juste avait écarté jusque là toute tentative tendant à prouver je ne sais quoi à je ne sais qui. C’est aussi une question de respect de l’animal à mes yeux. Qui exigerait d’un jeune enfant qu’il réalise une page d’écriture parfaite avant même d’avoir appris à écrire en souplesse ? Même s’il dispose d’un talent naturel pour les gribouillages, il a toujours besoin de temps avant d’arriver à « trouver son écriture ».
Faire sauter les chevaux plus haut que nécessaire, les faire galoper vite et loin avant même la fin de leur croissance est certainement nécessaire à des fins commerciales, mais pour moi qui vient de m’offrir le dernier cheval de ma vie, ça parait plus incongru que jamais.
Je suis en train de vivre un passage de vie absolument surprenant avec ce Prodi. Pour la première fois de ma vie de cavalière, je n’ai sincèrement aucune attente particulière en sa compagnie.
J’en ai fini avec la compétition, avec « faire la preuve », avec « il faut qu’il soit prêt pour telle échéance », j’avance au jour le jour et je me réjouis de ce qu’il m’offre sans le savoir. C’est « tout petit » parfois ce qu’il m’offre, mais tellement grand en même temps.
Je suis très lucide, jamais je n’aurai pu tenir ce discours avant désormais.
Je comprends vraiment et avec le coeur ce qui tiraille les jeunes cavaliers, les cavaliers plus avancés et même parfois les vieux cavaliers débutants.
Il faut vraiment avoir traversé pas mal de pays, pas mal d’aventures avant de se poser avec plaisir. Simplement.
J’ai cette chance.
Hier le p’tit cheval a sagement traversé au pas la ligne de barres posées au sol.
Il a vu et reconnu cette succession « d’obstacles » comme un exercice que j’allais lui proposer à nouveau.
Pourtant,
Il ne le savait pas encore,
Que nous passerions et repasserions.
Mais en passant au pas il écartait la probabilité d’un danger surgissant de chaque barre autant que de l’alignement en lui même.
Nous sommes revenus, donc, puisque c’est ce que j’avais prévu.
A dix mètres le la première barre, je l’ai arrêté afin qu’il prenne le temps de regarder, ce qu’il a fait, encolure haute, oreilles dressées.
Puis, doigts ouverts sur des rênes juste au contact, je lui ai demandé de trotter, sans passer par le pas, directement, ce qu’il a fait et il a franchi toute la ligne, tranquillement, certain qu’une fois arrivé au bout il aurait le temps de respirer, qu’une fois au bout il n’avait aucune raison de se stresser, de s’agacer d’aucune façon.
Alors, il était temps de soulever un peu les barres (merci A.)
A dix mètres le la première barre, je demande un arrêt afin qu’il prenne le temps de regarder, ce qu’il fait, encolure haute, oreilles dressées.
Départ au trot, il se fait la ligne en choisissant un simple enjambement, c’est visiblement trop bas, il est agile le petit pur sang.
A. augmente un peu la hauteur.
A dix mètres le la première barre, j’arrête afin qu’il prenne le temps de regarder, ce qu’il fait, encolure haute, oreilles dressées.
Départ au trot, cette fois-ci, il saute franchement, part au galop à la réception, sort au galop, tranquille, serein et je lui demande de passer au pas après un demi-cercle à main gauche.
Je questionne A. « Qu’en penses-tu, on reste là dessus? »
« Vous pouvez faire une fois de plus » me suggèra t-elle.
« Oui, tu as raison c’était peut-être un coup de chance cette première réussite » ai-je acquiescé.
Et nous sommes repassés tout pareil et nous sommes passés au pas après un demi-cercle à main droite.
Evidemment, la hauteur était faible, évidemment la perfection est à atteindre car le geste est encore brouillon, il faudra répéter, répéter encore avec patience, et encore de la patience.
Les chevaux sont très patients.
Et moi aussi.
Rien ne nous presse.
J’ai beaucoup d’émotions qui se bousculent en écrivant ces mots là.
Beaucoup de reconnaissances aussi.
Ces jours là
Sans que rien ne l’annonce, soudainement il s’arrête.
J’ignore comment il s’y prend,
Il pressent, il sent, il joue d’un appeau musical et silencieux rameutant les invisibles,
Je n’en sais rien
Mais dans les secondes qui suivent cet arrêt,
Un vautour fend l’air, un essaim s’échappe ou le vent se lève.
Son odeur après la pluie, Cédric Sapin-Dufour, Editions Stock, 2023
Ces jours, là, ces instants là, je sais immensément ce qui m’a poussée à revenir auprès des chevaux.
Je sais dans le fond de mon coeur,
Dans le fond de mes tripes,
Sans pouvoir l’exprimer précisément
Ni le partager aux personnes qui ne savent pas.
Car c’est sans aucun doute le chemin déjà parcouru
Qui met en valeur le chemin de l’instant
Et le petit bout qui reste
A parcourir
Plus loin.
La session d’aujourd’hui était délicieuse.
Celle d’hier était étrange.
Hier,
La sortie du paddock fut « comme d’habitude » : Prodi est venu à ma rencontre, il a glissé le bout de son nez dans le licol offert et il est sorti pour aller brouter l’herbe bien plus verte plus loin, exactement comme d’habitude.
C’est pendant le moment du pansage que j’ai noté son attitude « différente ».
Il se figeait, tête haute, yeux grand ouverts, oreilles dressées, bouche serrée.
J’écoutais avec mes pauvres oreilles humaines.
Rien.
Rien d’autre que le vent.
Un vent d’Est, certes,
Mais seulement du vent.
Je l’ai préparé comme d’habitude, tout en constatant qu’il restait tendu, pas comme d’habitude où il s’abandonne complètement jusqu’au moment où je l’invite à sortir vers l’aventure du jour.
Sellé, bridé, il est sorti d’une traite, sans marquer l’arrêt qu’il marque d’habitude en entrant dans la lumière.
Le soleil était resplendissant, une douce chaleur automnale s’était installée, le vent caressait les arbres, vigoureusement certes, mais nous avions déjà vécu bien pire.
Cependant, je décidais de commencer la session par une balade en main, juste afin de prendre le temps d’observer avant d’enchainer sur le programme du jour.
Nous partîmes gaillardement, d’un bon pas.
Soudain, il s’arrêta.
Figé, tête haute, yeux écarquillés, oreilles en avant, bouche hyper serrée.
Statufié, il était.
J’ai attendu avant de lui proposer sans succès d’avancer au moins un pas.
J’ai sorti toutes mes antennes afin d’écouter le vent, de sentir le vent.
En vain.
Je suis tellement nulle par rapport à lui quand il s’agit d’utiliser ces sens là.
Que voyait-il dans le vent?
Il accepta facilement de tourner ses hanches, d’un côté puis de l’autre, sous une minuscule pression de mon index pointé.
Et il se figea à nouveau.
Il devenait clair que mon programme du jour tombait à l’eau.
Je sollicitai un nouveau demi-tour sur les épaules afin de le mettre dans la direction de l’écurie et il se décida à faire un pas, puis deux, puis il avança dans la direction que je lui proposai, celle du montoir.
Là, il accepta de se laisser monter et d’aller en direction des carrières.
Il se figea à nouveau deux fois avant d’y arriver, repartit parce qu’il est déjà bien éduqué à obéir mais il restait très tendu malgré toute la décontraction que mon corps, mes mains, mes jambes lui posait en miroir.
Que voyait-il dans ce vent d’Est forcissant?
Une fois dans la petite carrière, il se laissa guider sur un cercle, puis un autre et bloqua encore, puis se débloqua sans enthousiasme. Il m’accorda une volte, une demie-volte et je considérai qu’il en avait assez fait. Je le fis sortir pour aller le déshabiller puis je l’ai ramené à poil et en licol afin de voir ce qu’il allait faire en liberté dans la carrière.
Il grignota un brin d’herbe de manière compulsive, comme certaines personnes plongent leur main dans un sachet de bonbons les jours de stress, sans y porter grande attention, puis il leva à nouveau la tête, inspectant droit devant lui et renâclant bruyamment.
Comme il restait sur place, à la voix, je l’invitai à marcher à mes côtés, puis à trotter, ce qu’il fit presque facilement.
C’était hyper étonnant de le voir exécuter aussi facilement ce que je lui demandais, aussi étonnant que de le constater tellement accaparé par « je sais pas quoi ».
J’ai considéré qu’il avait beaucoup « donné » de sa gentillesse dans ces circonstances qu’il était incapable de m’expliquer et nous sommes restés là dessus.
Une fois dans son paddock, il n’a ni bu, ni mangé mais je l’ai vu se détendre un peu.
Les chevaux, les animaux nous parlent avec leurs attitudes sans que nous puissions vraiment comprendre ce qu’ils racontent. Toute forme d’empathie, telle que nous pourrions l’exprimer à un humain, est vaine, eux non plus ne comprennent pas ce que nous racontons.
Mais je suis certaine d’une chose, les chevaux savent parfaitement le respect que nous leur exprimons de tout notre coeur et à leur façon ils nous en sont reconnaissants, sans limites.
Les chevaux, lorsque nous les respectons, nous font toucher l’absolu.
Mon cheval et l’effet placebo
Dans la droite ligne qui suit l’article au sujet de la crédulité, je me devais d’aborder le rapport de mon cheval à l’effet placebo.
J’ai tenté de lui en parler, il a eu la même tête que celle qu’il a pris devant le ballon de foot dégonflé abandonné par son copain « C’est quoi ce truc? C’est pas dangereux? Ok, ben je vais manger alors, je vois de l’herbe bien verte par là » et il a commencé à manger sans m’en raconter davantage.
Si, chez l’humain, l’effet thérapeutique du placebo est bien connu, reposant sur de multiples publications amassées depuis des années, au point d’être désormais ouvertement utilisé dans les meilleurs hôpitaux, c’est un peu différent chez l’animal.
Néanmoins, de nombreux propriétaires peuvent témoigner de l’efficacité des médecines alternatives sur leurs chouchous.
Car il faut bien le constater les propriétaires, ont toujours peur d’en faire pas assez pour le bien-être de leur cheval et ils multiplient facilement les visites d’experts en effets placebo.
Je l’ai affirmé dans cet article, mes croyances sont quasi nulles, je pourrais même ajouter que je prends soin de balayer chaque matin toute croyance qui aurait pu germer insidieusement afin de m’en débarrasser illico.
Pourtant j’ai toujours transporté dans mon sac professionnel un paquet d’aiguilles d’acupuncture, des tubes de granules blanches, des flacons mystérieux, tout en étant bien au fait du seul pouvoir de mes mains nues. Ma « pharmacie » familiale contient aussi pas mal de poudres de perlimpipin.
Alors pourquoi cet article ?
Bon. Sans illusions, je sais qu’il ne sert à rien et en plus, même lorsque je fus très sollicitée, jamais le complexe du sauveur ne fut mien. Je suis pleinement consciente de mon impuissance. Dans mon agenda, des années durant la phrase suivante ouvrait le bal :
« Aujourd’hui l’homme est encore
Trop faible
Pour supporter sa faiblesse
Il doit devenir fort
Pour s’accepter vulnérable »
Jean-yves Leloup, Déserts, Le Fennec Editeur, 1994
Alors, disons que je connais suffisamment et depuis assez longtemps la puissance de l’effet placebo pour l’utiliser à bon escient dans les circonstances où je sais pouvoir compter sur lui.
Mais, qu’en est-il pour mon p’tit Prodi?
D’abord quand il est en pleine forme, je le vois et il a sûrement besoin de rien.
Ensuite il sait exprimer la moindre tracasserie et d’autant mieux que c’est un p’tit pur sang à la sensibilité à fleur de sa peau très fine. Il m’appartient d’essayer de comprendre. Parfois c’est de ma faute et il suffit que je corrige mes « bétises », comme je l’ai relaté ici.
Ensuite plus loin, j’ai un peu d’expérience et je me sens tout à fait capable de faire un examen physique à la recherche de signes expliquant le symptôme exprimé.
J’ai appris chez les humains qu’il est généralement urgent d’envisager des choses simples avant d’envisager les scenarii catastrophes et je l’ai appris encore mieux que dans les livres en voyageant dans des contrées où n’existe pas notre médecine et où les réelles pathologies s’exhibent dans des tableaux qui ne laissent aucun doute planer.
Sur la toile le sujet est assez peu évoqué. J’ai cependant trouvé quelques articles qui me plaisent sur ce site en particulier. Et j’ai bien conscience que « ça » peut ne pas plaire à tout le monde!
Le mystère du placebo est immense. Un bouquin avait abordé ce mystère, mais avec l’évolution de la technologie, l’invasion des écrans et la rédaction des prescriptions par les machines, le discours est désormais daté.
Le mystère du placebo, Patrick Lemoine, Edition Odile Jacob, 1996
En fait je comprends le dédain, de mon p’tit cheval quand je lui demande ce qu’il pense de ce mot. Une fois tout risque de danger immédiat écarté, il s’en moque.
C’est que lui, l’animal, le sacré animal ne demande rien.
Qu’il se cogne, que son voisin lui arrache un petit bout de peau, qu’il boitille, qu’il tousse parfois, que son crottin soit un peu mou, il s’en moque.
C’est moi qui l’examine chaque jour sous toutes les coutures et qui décide s’il va bien ou non.
C’est moi.
Moi seule.
Et c’est mon imagination qui bosse à travers cet anthropomorphisme dont il est si difficile de se détacher.
Mon jugement au sujet de la gravité d’un symptôme m’appartient.
Le traitement pour y « remédier » aussi, d’ailleurs, c’est moi qui vais éventuellement contacter un professionnel ou un expert et qui vais ouvrir les cordons de ma bourse.
Mon cheval est insolvable, lui!
Il est tout entier sous ma tutelle.
De fait, aucun biais cognitif ne peut s’emparer de lui en lui suggérant que parce qu’il a payé fort cher, il va bientôt guérir et ce d’autant moins qu’il ne se voit pas « malade »!
L’effet placebo, s’il s’exerce ne peut s’exercer que sur le propriétaire du cheval.
Les dernières études en éthologie suggèrent que le cheval est sensible aux émotions, il est donc possible d’imaginer qu’il est plus serein à côté d’une personne sereine et qu’en conséquence il est important de prendre soin du mental d’un cheval en prenant soin de celui de son propriétaire, donc en proposant un placebo qui fait sens pour ce propriétaire là.
Est-il utile d’ajouter qu’en cas de gros accident ou de maladie cataclysmique, dans nos contrées nanties, « tout le monde » va naturellement penser à contacter un vétérinaire de qualité et accepter les chirurgies de pointe et les drogues les plus dures… dans la mesure de ses moyens financiers, évidemment.
Mon cheval s’ennuie
Récemment lu chez un « granguru » : « votre cheval s’ennuie en carrière, partez en balade »
Pfffff.
Mon cheval est incapable de s’ennuyer.
L’ennui est un sentiment.
Un sentiment indissociable de la notion du temps qui passe.
Et mon cheval ne sait pas lire l’heure!
Alors…
Quand mes enfants et désormais mes petits-enfants disent « je m’ennuie », je cherche à interpréter ce qu’ils me racontaient/racontent.
Est-ce que l’heure du repas approche ? : ils auraient faim
Est-ce que je vois un bouquin terminé ? : il en faudrait un nouveau
Est-ce que je constate un déballage de jouets? : c’est d’une demande de collaboration à jouer dont il est question
Etc.
Mon cheval ne s’ennuie pas.
Parfois il somnole tête basse dans son pré.
C’est son moment de récupération, tout va bien.
Parfois il a les yeux dans le vague à la porte de son box.
C’est qu’il digère un peu, tout va bien.
Mon cheval ne s’ennuie pas.
Pas même en carrière.
Ca, c’est parce que j’aime beaucoup inventer plein d’exercices en carrière, jamais je ne m’y ennuie.
Par simple anthropomorphisme, je suis incapable de voir mon cheval s’ennuyer parce que jamais je ne me lasse d’inventer de nouvelles gammes, de nouveaux exercices en sa compagnie. Jamais, même pas en balade!
D’ailleurs si vraiment j’ai besoin de me balader pour me « laver la tête », je m’en vais à pieds, voire à bicyclette !
Une balade à cheval, une balade à côté du cheval, c’est toujours avec un objectif éducatif, jamais mon esprit ne s’envole en vagabondage, je suis toujours connectée seulement avec mon cheval.
C’est pour la richesse de cette connexion que « j’aime » l’équitation, les chevaux et l’ensemble des exercices qui vont avec.
Mais je connais beaucoup de cavalières qui me disent qu’elles détestent rester « en carrière » qu’elles s’y ennuient, que « tourner en rond » ne les intéresse pas.
Et je comprends tout à fait ce qu’elles me racontent : parfois il s’agit d’un sentiment de solitude, parfois il s’agit d’un sentiment d’incompétence, parfois il s’agit d’un manque d’imagination, de celui qui porte à répéter infiniment et sans but le même exercice.
Mon imagination galopante voit alors un enfant qui ne souhaitait pas apprendre la musique contraint à faire des gammes, un enfant qui ne voit pas l’intérêt de l’écriture contraint à faire des lignes, un adulte qui n’a pas eu le choix de son boulot contraint à attendre le client dans une boutique vide, etc.
Alors, oui, le cheval étant lui aussi contraint par son cavalier de sortir de son pré où il broutait tranquillement, de son boxe confortable où il se sent en sécurité, ce cheval là est de fait « ennuyé » par son cavalier.
Passer d’un cheval que l’on ennuie volontairement à un cheval qui s’ennuie est, à mon avis, une acrobatie intellectuelle risquée.
Nos ancêtres qui bossaient du matin au soir avaient-ils le temps de se poser des questions au sujet de leurs sentiments?
Les ancêtres des chevaux actuels, ceux qui étaient les « outils » corvéables sans fin des humains qui bossaient du matin au soir ne s’ennuyaient pas plus que nos chevaux d’aujourd’hui, par contre force est de constater qu’ils devaient être, comme leur maîtres, bien fatigués en fin de journée!
Et si « on » se parlait ?
Mon cheval loge dans une petite écurie où tous les cavaliers se connaissent, où il est facile de se parler et de s’entraider.
Hier, alors que j’avais aidé une cavalière en disposant (à sa demande) les barres qui allaient bien au couple qu’elle forme avec son cheval, j’ai conclu leur belle séance par ces mots : « Désormais, pour aller plus loin, il va falloir que vous établissiez un dialogue entre vous deux »
Bien sûr, avec les chevaux existe une forme de communication à travers les « aides », c’est ce qui nous est enseigné dès le début de l’apprentissage. Mais c’est un peu à sens obligatoire, car l’observation et l’écoute de la réponse du cheval à nos « ordres » sont mises au second plan sur l’air très tôt chanté de « c’est moi qui commande, taka obéir ».
Et si « on » se parlait vraiment ?
Et si un véritable dialogue pouvait s’engager ?
Et si nous prenions le temps d’écouter, de regarder, de sentir ce que nous raconte notre cheval à travers son langage de cheval ?
Ce qui est compliqué dans l’histoire, c’est que les chevaux avec leur sensibilité à fleur de peau sont exclusivement dans le présent, dans la réalité véritable, incapables de fomenter, de se morfondre ou de se réjouir à l’avance alors, que nous, humains avons constamment des idées toutes faites dans la tête.
Un exemple:
Le jeudi est le seul jour de la semaine où je ne demande rien à mon cheval. Jeudi dernier je suis juste passée le voir, pensant faire quelques images destinées à illustrer mes propos d’un jour ou de l’autre. En lui apportant son « goûter » j’avançais avec le téléphone braqué sur lui en mode vidéo afin d’enregistrer le hennissement qu’il ne manque jamais de produire à l’approche du seau de nourriture.
j’arrivais à sa rencontre, à moins d’un mettre du fil de clôture lorsqu’il fit un ultra-rapide demi-tour de fuite.
En humaine, je me suis dit que la vue de mon écran braqué sur lui l’avait effrayé, j’ai baissé mon téléphone (qui filmait encore)
Il est revenu illico en hennissant de plus belle et la suite fut comme d’habitude.
Je demeurais interrogative.
Ce petit cheval est vraiment zen et je trouvais étrange que la vue de l’écran ai pu le faire fuire.
C’était pourtant la seule explication que je voyais.
Le soir en visionnant la vidéo, j’ai changé de point de vue.
J’ai pu voir que son pied gauche avait très légèrement glissé dans la boue, apportant un « imprévu » à son habitude de freinage à l’approche du fil électrique et que les vibrisses de ses lèvres avaient de fait été en contact avec le fil, lui occasionnant la petite « châtaigne » à l’origine de son réflexe de fuite.
Pourquoi n’y avais-je pas pensé avant?
Mais vraiment pas pensé?
Parce que je suis humaine !
Simplement humaine et que si parfois je touche un fil électrique, je ne bondis pas mais que par contre voir un téléphone braqué sur moi sans mon autorisation pourrait me faire sortir de mes gonds!
Et donc, si « on » se parlait ?
J’y reviens.
Il est un fait que j’ai vu, dans ma lointaine enfance, de braves paysans guider très précisémment leur énorme cheval de trait seulement à la voix.
Puis, en 1975, grâce à une année passée en Suisse chez un écuyer de renom, j’ai expérimenté la toute puissance de la parole sur les chevaux.
Pour l’anecdote, à mon retour en France, alors que je mettais cette expérience acquise au service d’un nouveau cheval, je me suis fait remonter les bretelles à l’issue d’une reprise de dressage lors d’un CCE : d’un air sévère et pas aimable, la juge m’assena ces mots lors du salut final » Madame, il est interdit de parler à son cheval! « . Moi qui avait pourtant seulement murmuré, j’étais poussée sans ménagement à revenir « dans le cadre »! Le souvenir est encore cuisant.
Quiconque me connait en vrai, sait que j’ai continué.
Ce qui est important à mes yeux reste important en toute circonstances.
Et puis, mon cheval était en progression constante, de fait mes aides (la voix comprise) pouvaient se faire de plus en plus subtiles, évitant par la même occasion toute remontrance « jugesque ».
La voix reste une aide que les grangurus abordent rarement. Si parfois un « good boy » s’échappe à travers le micro-cravate, c’est toujours le geste du cavalier, la position d’un stick, d’une chambrière ou des mains qui sont expliqués.
Peut-être est-il nécessaire de distinguer le bavardage de la parole ?
Car, il faut bien l’avouer, la majorité des personnes qui tournent autour des chevaux sont désormais du genre féminin et il faut bien avouer que le bavardage fait partie de leurs atouts.
Pour se faire comprendre par les chevaux, le bavardage est vain.
Je souris souvent lorsque l’aire de pansage se transforme en « salon où l’on cause » car je sais que mon cheval considère ce « bruit de fond » pour ce qu’il est : un bavardage d’humains qui bruisse sans le toucher.
Pour que la voix devienne un aide à la hauteur des autres, il est indispensable qu’elle soit précise et qu’elle disparaisse dès que le cheval a répondu.
Aparté : J’accorde cependant une place au bavardage dans la relation avec nos chevaux, dans la mesure où une personne qui parle, même de n’importe quoi, est une personne qui respire, qui relâche sa gorge et en conséquence son corps en entier. Et plus le corps est souple, plus le cheval prend confiance dans ce sens que, lisant l’attitude corporelle de l’humain, il ne détecte chez lui aucun signe inquiétant lui indiquant qu’il faut se préparer à fuir. Cette place d’un « bavardage quasi thérapeutique » est néanmoins différente de celle que serait l’échange, entre cavalières, de recettes de tarte aux pommes au milieu d’une reprise d’équitation !
Donc je reviens à mes moutons, oups, chevaux… pour que le dialogue puisse s’établir vraiment, il faut impérativement que nous devenions capables de scruter ce que le cheval raconte. Son langage est riche, varié et d’une très grande précision. Hélas, il n’est guère enseigné, pas plus que l’art de communication est enseignée dans les écoles, d’ailleurs.
Car, oui un dialogue équilibré permet une communication de qualité : je m’adresse à mon cheval et je l’écoute, je lui laisse le temps de recevoir mon attente, je lui laisse le temps de réaliser ce qu’il a compris tout en observant le moindre de ses mouvements afin de saisir ce qui pourrait l’empêcher de me l’offrir facilement. Je lui laisse aussi une part de prise de décision, il en a besoin et il sait faire.
Petit à petit, jour après jour, dans ce dialogue fin, dans cette écoute attentive et réciproque (1) la confiance s’élargit l’un dans l’autre et c’est de plus en plus fascinant à vivre.
Le seul bémol, c’est que je dois assumer un certain côté « sauvage » : quand je suis « avec » mon petit cheval, je deviens incapable de bavarder avec les autres cavalières!
(1) : oui, réciproque vraiment, car le cheval lui, nous scanne sans arrêt, rien ne lui échappe, ni nos demandes approximatives ni les ordres parfois contradictoires que nous envoyons à notre insu.
Les animaux ne savent pas lire l’heure
Toutes les personnes qui possèdent un animal domestique savent que les animaux passent beaucoup de temps à dormir ou à somnoler, bref… à ne rien « faire », à ne rien produire.
Les chevaux, s’il passent très peu de temps à dormir couché, passent beaucoup de temps à somnoler debout.
C’est peut-être parce que les animaux ne savent pas lire l’heure qu’ils sont de merveilleux compagnons ?
Les animaux nous apprennent à prendre le temps et à rester immobile.
Car temps et mobilité sont liés.
Le temps s’est accéléré avec les progrès technologiques.
Les horloges ont éclaboussé leur précision de machine lorsque des gares ont été construites pour accueillir les trains. Et les trains avaient changé les repères en dépassant largement les vitesses de voyage en vigueur avant eux. Du pas de l’homme, du galop des lourds chevaux postiers, l’humanité passait soudain à la vitesse de la machine, démesurée. La mobilité qu’elle apportait rangeait la mobilité humaine au grade de quasi immobilité en quelque sorte.
Et tout s’est accéléré au fil du 20 ème siècle, puis encore plus par la suite avec des informations capables de parcourir le monde en quelques minutes seulement!
Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne était visionnaire et il est largement dépassé aujourd’hui.
Sociologues et philosophes se sont emparés de ce sujet contemporain à l’instar de l’allemand Hartmut Rosa dans son livre : Accélération. Une critique sociale du temps » (Beschleunigung. Die Veränderung des Zeitstrukturen in der Moderne)Traduit de l’allemand par Didier Renault, La Découverte, 2010
Nos animaux ne savent pas lire l’heure.
En leur compagnie, nous apprenons leur monde.
Qui n’a jamais passé un long moment à seulement caresser son chien, à rêvasser avec un chat ronronnant sur les genoux, à faire briller la robe d’un cheval patient ignore cet enseignement.
Avons nous conscience de ce qui nous est offert là?
Cette clé d’un temps très relatif?
Je n’en suis pas certaine.
Trop souvent,
Ces instants pausés,
Sont autant de simples bulles qui nous mènent vers la bousculade sur l’air de « Oups, j’ai pas vu le temps passer, j’ai tant à faire, viiiiiiiiite…. »
Le temps est la clé
« Ils peuvent tout faire entrer dans leurs calculs sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains »
C.Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001
Sans être vraiment capable de donner une définition précise à la grâce, j’ai recopié des centaines de fois cette phrase en illustration de propos très variés. Le livre qui la contient est marqué à la page sur laquelle elle trône en tête.
Une fois de plus je la note ici, elle résume un flot de pensées débarquant après une session en compagnie du p’tit pur-sang.
J’ai l’immense chance de ne plus avoir d’autre objectif que le plaisir.
Autrefois bien que la patience ait toujours fait partie de mes outils, autrefois j’avais des objectifs sportifs.
Je mesure aujourd’hui à quel point ces objectifs étaient aussi ceux d’un passage de vie, à quel point je reprenais les arguments qui m’allaient bien pour les mettre en oeuvre, parfois dans la souffrance.
C’est vraiment toute une aventure que celle qui consiste à traverser la Vie en se nourrissant au jour le jour de façon très éclectique tout en gardant le cap afin de rester qui nous sommes en réalité.
Désormais dans l’éducation de ce nouveau cheval, j’avance avec une patience plus grande que jamais. Chaque jour est un cadeau.
Il n’a rien demandé ce petit cheval.
Personne, aucun être vivant ne demande rien le jour où il vient au monde, sinon de pouvoir se nourrir, grandir s’élever, en paix. C’est un fait.
Pourtant, dans l’environnement, dans chaque société, il faut faire ses preuves pour exister et il existe mille voies pour y parvenir.
Pour ce qui concerne les animaux domestiqués, à l’instar du cheval, il s’agit de rentrer dans le cadre pour lequel il a été conçu et de montrer au plus vite s’il convient ou pas.
Il parait que le temps c’est de l’argent!
Le p’tit Prodi a faillit. Il fut nul sur la piste de galop.
Réformé.
Son avenir tenait à un fil et il suffit de lire les petites annonces pour constater comment les marchands de chevaux valorisent « les tas de viande » : ils les bousculent, exigent d’eux la réalisation de consignes inconnues, les obligent à franchir des barres, l’objectif étant de les faire rentrer dans un nouveau cadre au plus vite.
Le plaisir est étranger.
Du côté du marchand comme de celui du cheval.
Quoiqu’en dise… le marchand!
Le temps est la clé.
Une clé en or pur.
Les animaux ne savent pas lire l’heure !
Là est peut-être la grâce.