
Un matin, j’ai croisé cette question : « C’est quoi aimer son cheval? »
En lisant les commentaires qui suivaient, j’ai éprouvé le besoin d’aller faire un tour dans mon dictionnaire préféré afin de vérifier que ma notion de « aimer » était bien celle que je connais.
Bingo.
Définition de « aimer » : Éprouver, par affinité naturelle ou élective, une forte attirance pour quelqu’un ou quelque chose.
Ouf, je suis vieille mais pas complètement gâteuse, aucun des commentaires ne répondait vraiment à la question posée.
Le sentiment bizarre que j’avais discerné en les découvrant, chacun faisant sa propre liste des soins apportés à son cheval, ce sentiment bizarre était donc raisonnable.
J’aime les mots, pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils deviennent, pour ce qu’ils cachent.
J’aime les macarons à la pistache, les bonbons noirs au fort gout de réglisse, la chasse aux orchidées sauvages, les gens, les chevaux, la vie, etc.
J’aime.
Et parfois j’Aime.
Et c’est d’une toute autre dimension,
De l’ordre de l’indicible.
Ce matin là, en croisant cette question, je me suis retrouvée face à une forêt d’autres questions.
Celles-ci par exemple :
Quelle est la différence entre aimer son cheval et aimer l’équitation?
Et aussi pourquoi les personnes qui aiment les chevaux aiment souvent monter à cheval… ou pas?
Ce dimanche, après la session effectuée en extérieur sur le dos de mon p’tit cheval, j’ai avalé un sandwich et je me suis embarquée dans la voiture en ordonnant au GPS de m’indiquer la voie la plus rapide pour me rendre sur un terrain de cross. Là-bas, des cavaliers et cavalières de l’écurie s’étaient donné rendez-vous avec leurs montures pour une journée d’entrainement, CSO le matin, cross ensuite.
En une heure j’étais sur place.
La pluie avait faibli mais elle commença à redoubler tandis que le vent enflait. J’avais prévu le coup et j’étais bien équipée, tout à fait décidée à observer.
Sur le parcours de cross, mon attention naviguait d’un cheval à l’autre, des cavaliers aux accompagnants, des indications du coach aux actions des cavaliers, des visages épanouis à ceux complètement fermés.
C’est quoi « aimer »?
C’est quoi ce mot français complètement fourre-tout, les langues étrangères ayant dans leurs bagages plusieurs mots qui se traduisent en français avec le même « j’aime » qui à force d’être utilisé sans y penser ne signifie plus rien.
Que signifie « j’aime » quand je « like », quand je pose un pouce bleu sous un commentaire ou en recevant un message virtuel ? Signifie t-il « j’ai lu », « j’ai compris », « j’éprouve une attirance pour ces mots », j’approuve, ou quoi encore? Un fait est certain, j’aime/je like à tour de bras !
Au lendemain du dimanche, j’ai vu défiler mille questions en écho de « C’est quoi aimer son cheval ? «
J’ai même vu passer des questions tristes.
Oui, tristes.
Oui, car,
J’ai eu le coeur qui s’est serré l’autre jour, lorsque je suis passée à côté d’une cavalière au visage fermé en train de préparer son cheval pour monter dans le van du retour.
Je suis passée à côté, j’ai passé ma main sur l’encolure du cheval que j’avais vu évoluer de son mieux et en m’adressant à l’animal qui grappillait des brins de foin, j’ai murmuré : « Tu mérites bien ton foin ».
C’était ma façon de compatir, j’avais vu ce qu’il venait de donner sans rien demander en échange, sans même rien espérer.
Je sais qu’il ne fut probablement pas réceptif à ma compassion, le foin lui suffisait pour être heureux à l’instant présent.
Mais la cavalière, elle qui certainement « aime » son cheval, la cavalière me regarda d’un regard noir.
« NON, il mérite pas! »
Et j’ai senti l’immensité de son dépit, de son sentiment de non-réussite, de tout ce qui chez elle, de son point de vue ne méritait « rien ».
Aimer son cheval
Aimer l’équitation
S’aimer soi-même…
Ce sont des questions récurrentes dans mes réflexions sans fin.
Il est clair que je suis attirée par les chevaux, n’était-ce pas seulement une attirance irraisonnée qui me poussait, enfant, à chercher le cheval qui avait laissé une trace de sabot dans la boue ?
Dans ces temps déjà lointains, il n’existait pas d’autre solution, pour aller au plus près des chevaux, que celle qui consistait à s’inscrire dans une école d’équitation.
J’ai pris goût à l’équitation parce que j’aimais les chevaux.
Et de l’école d’équitation au champ de course en passant par le cirque, j’ai fini par avoir mon propre cheval parce que c’était l’unique solution envisageable pour rester à côté d’un être dont j’avais encore tant à découvrir. Prendre soin des chevaux des « autres » m’avait déjà appris mille choses, mais devenir responsable de « mon/mes » chevaux offrait une nouvelle dimension, particulièrement en matière d’éducation que je pouvais mener à ma guise. Ainsi, d’erreurs en succès, j’agrandissais ma connaissance de l’objet de mon attirance : le cheval!
A l’heure où j’en ai terminé avec le statut social de « femme active », à l’heure où j’ai enfin accepté le fait de vivre « sponsorisée » par les milliers de personnes qui travaillent quotidiennement, ces actifs qui jonglent entre vie de famille, vie amicale, loisir et temps passé à « gagner de l’argent », j’ai acheté celui qui sera probablement « mon dernier cheval ».
Grâce à lui qui se moque bien de mes cheveux blancs, de mes rides, de mes « faiblesses » de vieille, j’existe encore toute entière, je reste la gamine que je n’ai pas cessé d’être, celle qui est tellement attirée par les chevaux.
Joli questionnement, pour un verbe précieux, souvent maltraité, et en effet souvent trop utilisé, donc usé.
Ton billet me fait penser au travail d’accompagnement de fin de vie que propose Hassen Bouchakour avec son cheval Peyo. Voilà peut-être quelqu’un qui saurait apporter sa réponse singulière à ta première question ?
Pour moi qui n’ai jamais possédé de cheval autrement que très indirectement, je peux témoigner à quel point ils prennent une place importante dans nos vies. A ceux qui savent écouter, voir, vibrer et ne faire qu’un avec eux, ils ont tant à offrir ! Aimer, c’est peut-être finalement simplement profiter du temps passé en leur compagnie, en toute reconnaissance.
Merci beaucoup pour ce retour.
Effectivement la notion de temps passé intervient comme dirait le Renard au Petit Prince 😉
Et de fait « aimer » pourrait s’agrandir grâce au temps passé, grâce à la reconnaissance de ce temps passé ensemble. S’agrandir en quoi? En français nous n’avons que ce verbe…
C’est tellement pas suffisant, tellement imprécis!
The Greek terms expressing the concept of love are: ἔρως (eros), στοργή (storge), φιλία (philia) and ἀγάπη (agape)
J’ai écrit en anglais pour laisser apparaitre le mot « love », un mot différent de « like » 😉
Plus loin, je questionne ce verbe « aimer » depuis des années et des années,
Le questionnement s’est un peu apaisé avec le temps et la connaissance d’autres langues bien plus précises que la nôtre sur le sujet et aussi la lecture de l’essai de Comte-Sponvllle « Petit traité des grandes vertus » avec les liens qu’il contient vers d’autres philosophes.
Puis il y eut « La grammaire est une chanson douce » d’E.Orsenna qui m’a raconté combien ce mot est « trop usé », c’était au début du siècle (2001)
Alors, quand il s’agit « d’aimer » un cheval, le cheval ou l’équitation, je trouve assez passionnant de questionner sincèrement le réel objet de notre attirance. Peut-être que c’est aussi un moyen pour mieux se connaitre nous même, pour avancer vers « mieux nous aimer » nous même ?