Cachée derrière la végétation elle est toujours debout, la maison du champ de course. (image Google map)
Mes grands-parents maternels habitaient cette maison à ma naissance et j’y fus gardée en semaine jusqu’à la naissance de mon frère.
La maison du champ de course, j’en ai toujours entendu parler ainsi, bien davantage que par son adresse rue Léon Blum.
Il est vrai que l’hippodrome est vraiment juste à côté et son activité faisait écho jusque dans le jardin.
Dans mon enfance, il suffisait de passer devant les deux bistrots toujours remplis d’ouvriers, de lads et de palefreniers pour se retrouver sous l’arche du grand portail marquant l’entrée « dans » l’hippodrome de Villeurbanne (Aujourd’hui renommé hippodrome de Lyon-Carré de la soie).
Le portail était une ligne que je n’ai jamais franchie dans mes jeunes années, ce qui se passait de l’autre côté n’était probablement pas « pour moi » aux yeux de mes parents et grands-parents : parier ne faisait pas partie de leurs loisirs.
Parfois, après un repas du dimanche, nous empruntions à pied le chemin de terre partant juste après le deuxième bistrot afin de rattraper le chemin du canal et d’arriver à proximité des pistes visibles à travers la barrière.
Là, avec un peu de patience, il était parfois possible de voir passer les galopeurs.
Accrochée au grillage, le nez passé à travers un des carreaux pour essayer d’être encore plus près, je pouvais sentir le sol trembler sous leur passage, je pouvais entendre leur souffle à nul autre pareil, c’était terriblement fugace, quelques points de suspension pendant lesquels je retenais mon souffle avant de demander « encore » et de sentir une main me tirer en direction du retour.
C’est seulement ces derniers mois, alors qu’en devenant à nouveau propriétaire d’un pur-sang je fais remonter pleins de souvenirs, que je constate combien mes émois au contact des chevaux sont anciens. Quand, dans ce billet là, j’évoque une graine semée après mon entrée au lycée, il serait davantage question d’une graine en train de lever, la semaison avait eu lieu bien avant, probablement grâce à mon passage dans la maison du champ de courses.
Bien plus tard, j’ai eu la chance de monter ma première course sur ce terrain là et ce jour là, gonflée par la joie de « débuter » autant que shootée à l’adrénaline, je n’avais pas eu la moindre pensée pour la maison d’à côté que j’avais pourtant habitée presque à plein temps pendant deux ans.
Cette première course est un souvenir aussi grand que consternant.
Grand parce qu’une première course se préparait longtemps à l’avance : au delà du parrainage indispensable, de la validation médicale drastique, il fallait passer chez le bottier afin de se faire faire des bottes hyper légères, il faillait aller acheter un casque spécial (nous montions encore tête nue, même à l’entrainement de course), il fallait longtemps espérer afin qu’un propriétaire nous fasse confiance au point de nous confier son cheval. Et alors, il fallait surveiller la balance!
Grand aussi par tout le rituel que je découvrais enfin d’un autre côté : le vestiaire où on laisse les habits de ville pour le pantalon de nylon et la casaque de soie, le pesage où l’on passe le coeur battant puis le rond où tournent les chevaux rutilants et impatients, trottinant souvent, et enfin le geste précis du lad de service qui nous « envoie » d’une poigne ferme sur le dos d’un animal qui passe sans s’arrêter. Il reste alors à chausser les mini-étriers de course et à tenir en équilibre précaire sur la mini-selle de course sous les regards attentifs d’un microcosme où se mêlent des gens tellement différents, ceci jusqu’à l’heure de l’entrée en piste où enfin le cheval prend un petit galop presque décontracté pour se rendre au départ.
Le départ.
Un truc de ouf.
« Garde bien ta corde » était l’unique conseil que m’avait donné l’entraineur pour cette première course.
Garde bien ta corde…
Je me souviens parfaitement de l’entrée dans la boite, je l’avais déjà vécue lors d’entrainement, c’était acquis. Je me souviens parfaitement du décompte… et puis plus rien… et puis un blanc total!
Je me suis « réveillée » après avoir été catapultée complètement à l’extérieur.
Mon cheval était en pilotage automatique, c’était ma première course…
Le départ en vrai, le départ d’une course en vrai, c’est un truc hyper puissant auquel je n’étais pas du tout préparée.
Je me suis réveillée avec ces mots surnageant dans mon cerveau en dérive, « garde bien ta corde, garde bien ta corde », et j’ai récupéré la corde avant le premier virage mais j’étais à la queue. Notre couple a réussi à rentrer dans le paquet (certainement grâce à l’expérience de ma monture, il faut l’avouer), le temps de sentir la force de folie qui se dégage là au milieu et puis c’était déjà l’arrivée avec le sprint final. C’est tellement étrange de parler de final après avoir eu l’impression d’être déjà à fond depuis le début!
J’avais bien « mangé » comme on dit, c’est à dire que j’avais pris dans la tête les mottes de terre soulevées par les chevaux qui me précédaient, mes lunettes de protection en étaient quasi recouvertes, la belle casaque aussi. Je suis rentrée aux balances piteuse et consternée, presque effrayée à l’idée de devoir croiser le regard de l’entraineur et du propriétaire.
Et je revoie leurs sourires même pas moqueurs.
Simplement bienveillants.
Et j’entends encore l’espoir qui re-commença à vivre à l’écoute des mots d’E. : « Et ben voilà, c’était ta première course, maintenant tu es prête pour une véritable première course. »
Ainsi l’histoire s’est poursuivie.
Et de très loin, de mon âge d’aujourd’hui, je me demande avec un peu d’espièglerie si inconsciemment, ce jour de la première course, si sans le savoir je n’étais pas partie complètement à l’extérieur afin d’aller tutoyer une gamine collée au grillage, à ce grillage qui sépare le champ de course du chemin du canal ? Le seul fait est que le départ avait été lancé précisément sur cette ligne droite et qu’aucun virage n’avait pu me déporter par « force centrifuge ». Bon, c’était surtout une première course, n’est-ce pas?
La maison du champ de courses
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