La norme


En faisant le tri dont il est question ici, j’ai retrouvé cette image de terminale avec la « chemise » paraphée par les quelques unes qui avaient accepté de le faire.
Quelle courageuse la « Elizabeth » qui écrivit « C’est ça joelle, une folle bien gentille »!
Elle faisait partie des « blouses bien boutonnées » à l’opposée des richissimes bourgeoises qui osaient défier la direction en refusant la blouse.

J’étais timidement entre les deux, portant ma blouse sale et jamais boutonnée sans passer le cap de l’abandonner… C’est difficile l’adolescence, j’essayais en vain de ressembler aux autres sans avoir d’exemple précis, je savais pas vraiment ce qu’était « la norme » dans ce lycée public mais huppé des années soixante-dix. La terminale était un microcosme bizarre où se côtoyaient les filles du quartier (le quartier le plus riche de Lyon) et les meilleures élèves d’ailleurs, de banlieue même comme ma pomme, les meilleures élèves qui étaient aussi les plus jeunes, les moins aguerries.
Ma vie était en dehors et encore, je cherchais.
J’avais plusieurs vies, déjà… chacune dans un microcosme bien précis que j’habitais en équilibre toujours précaire.

J’ignorais, pendant cette traversée là, j’ignorais que je tentais désespérément de me couler dans une norme que j’ai toujours été incapable de simuler totalement.
Il a fallu de nombreuses années pour que j’accepte ma solitude et que je prenne à bras le corps la joie de cheminer en sa compagnie.
Il a fallu que j’étudie avec acharnement pour découvrir la relativité, les injonctions paradoxales qui mènent à la folie pour de vrai et l’absence de limites, donc de normes.

J’ai alors passé un peu de temps à déconstruire cette histoire de norme, moquant la fameuse courbe de Gauss, cette courbe mathématique qui s’appelle aussi « courbe de la loi normale », une courbe mouvante en fonction de ce qu’on lui fournit. Une courbe ni vrai ni fausse, un exercice statistique sans plus.

Et désormais, alors que je suis entrée de plein pied dans le rayon des vieux, je peux me permettre de questionner cette obligation faite à cette grosse partie de la population française née pendant les trente glorieuses de « rester normale » autant que possible, d’appareiller ses oreilles, ses yeux, d’opérer ce qui peut l’être pour garder la peau ferme, les poils doux, les cheveux colorés, de se doper un peu afin de garder des réflexes au taquet.
Comme j’en ai parlé (ici) les enfants sont souvent considérés comme des adultes miniatures, de l’autre côté les vieux sont considérés comme des adultes un peu abimés. La norme c’est l’âge adulte, la force de l’âge. Où commence t-elle la, où s’achève t-elle cette norme ? Là est la question!

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