Les apprentissages – 2

Ecurie d’Etienne Mazoyer – Bonny-boy avant le canter du matin


Au bout de plus de quatre années, je commençait tout juste à apprendre vraiment les rudiments de l’équitation.
En parallèle, J’apprenais la vie par tous les bouts.

Mes journées étaient denses car il y avait bien plus que « seulement » les chevaux.
Il parait que j’avais des talents dans plein de domaines et je me mettais en demeure de le démontrer coûte que coûte. Ce qui est certain c’est que j’avais désormais une excellente santé, un très petit besoin de sommeil et que j’avais la capacité d’enfiler les coups de collier comme d’autres enfilent les perles.
A l’âge où montaient les hormones qui incitaient à la parade amoureuse, j’étais fermement ancrée dans mes rebellions et déterminée à être un hommes comme les autres dans mes domaines de prédilection.

En équitation, l’obtention du deuxième degré signait la fin de l’Ecole avec ce qu’elle offrait sur le site de la Doua.
Car, une fois acquis, ce diplôme ouvrait la porte des concours, il n’y avait aucun « plus loin » envisageable à l’école, pour les concours, il fallait aller sur un autre site.
Evidemment quelques adultes se faisaient plaisir en « montant » leur reprise du samedi matin, ça faisait partie de leur routine dans leur agenda d’adulte.
J’étais adolescente et la simple idée de routine me rebutait.
Elle me rebute encore!

Les chevaux de club n’étaient pas des chevaux de concours, il fallait posséder son propre cheval, son propre camion pour viser « ça », la démocratisation de l’équitation n’avait pas achevé son cycle.

Mais la chance me souriait.
Avec le second degré, il était possible d’aller monter « des lots » au champ de course, dans l’écurie de l’autre fils du Commandant.
J’y suis allée.
Terriblement timidement et infiniment curieuse à la fois, sur les recommandations de Jeannot, je me suis présentée à Etienne un beau jour sur le coup de cinq heures du matin, à la bonne heure donc.
La traversée de la « cour » et les regards pleins de gouaille des apprentis et des jockeys fut une épreuve mémorable qui parle encore dans le fond de mon ventre.
Et j’y suis allée, c’était plus fort que tout, plus loin était là-bas.
Et j’y suis restée.
Et un jour à l’instar d’une certaine anglaise qui était arrivée là, j’ai demandée une rémunération pour le temps passé chaque matin à faire le boulot des lads et des apprentis. il fallait simplement que j’arrive encore plus tôt et que je participe au curage matinal des boxes.

J’apprenais encore et encore.

Riche d’un salaire régulier, je finançais la demi-pension d’un demi-sang, un F, Furibard gris foncé et bien nommé. Il sortait du débourrage, j’avais tout à lui apprendre et force fut de constater que je n’avais pas encore les compétences nécessaires pour lui apprendre à toute vitesse à devenir une bête à concours.
Je m’accrochais cependant. l’espoir fait vivre dit le proverbe.
En « solex » ou à vélo je parcourais des kilomètres à travers la ville et sa banlieue, mon sac de sport ne désemplissait pas et les livres de cours lui apportait un poids certain.

Au champ de courses, avec l’anglaise, nous faisions partie des trois filles qui montaient quotidiennement, trois filles au milieu de centaines de gars!
Parfois, au petit déjeuner, juste avant de partir pour les canters d’entrainement nous parlions d’autre chose que des chevaux de l’écurie. Un jour elle m’expliqua que sa vie était divisée en deux saisons, une saison au cirque et une saison au champ de courses.
Ce qu’elle racontait au sujet des Knie et de leur science équestre me fascinait.

La chance frappa une fois de plus.
Un certain Giscard décida d’avancer l’âge de la majorité, la porte de la liberté s’ouvrait à moi un peu plus tôt que prévu.
Hilary (l’anglaise en question) fit sans doute auprès de Freddy Knie junior un éloge de mes compétences qui dépassait la réalité, mais peu importait j’avais un contrat. Il ne me restait plus qu’à annoncer à mes parents que je mettais les études en suspens et que je partais en Suisse. Devenue majeure, j’exigeais sans état d’âme. Très très longtemps plus tard, j’ai su qu’ils n’avaient pas vraiment digéré ce départ surprenant.
Mes parents avaient nourri tant d’espérances pour moi, des espérances « de haut niveau » aussi bien sportives qu’universitaires, le cirque c’était pour eux une déchéance, une affaire de bohémiens certainement.

L’année passée au cirque fut une véritable initiation.
Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi la liberté, le suspension des études (signifiant une reprise laborieuse), l’abandon de Furibard à d’autres, la fin de mon implication dans une équipe de sport et tout et tout.

J’étais gourmande, je suis resté gourmande.
Et voilà.
J’ignore si je suis devenue vraiment cavalière.
Est-il possible de marquer d’une pierre blanche un jour précis pour ce fait ?
Je l’ignore.
J’apprends au jour le jour.


PS : L’Ecole d’Equitation de la Doua fut fondée en 1924 par le commandant Jean-Marie Mazoyer à proximité de l’hippodrome de Grand-camp (Hippodrome fonctionnel de 1867 à 1964 date après laquelle le campus universitaire de la Doua fut érigé au même endroit tandis que l’hippodrome était transféré à proximité du parc de Parilly).
A ses début, l’école contribua à l’éducation équestre de la jeunesse dorée de Lyon puis les fils Jean et Etienne lui assurèrent une certaine prospérité dans les années où l’équitation de loisir devint populaire.
L’évolution suivit son cours. Avec les règles imposées par la société de consommation, la situation urbaine de l’école était défavorable. Après le décès prématuré d’Etienne, la deuxième épouse de Jean (1928-2013) fit tourner la boutique doucement jusqu’à la fermeture de 2012.
Désormais, plus aucune trace du passage des chevaux n’est visible sur le site.

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