« Mais… ils sont fait pour ça! »
Cette phrase est tombée d’un coup, obstruant immédiatement l’écoulement du flot de questions que j’essayais de traduire en paroles.
C’était après une courte séance d’éducation proposée au petit cheval Apaloosa avec l’aide d’une jeune cavalière.
Ses parents (propriétaires des lieux) s’étant approchés, je tentais d’expliquer à nouveau et à l’aide de mots simples autant que de métaphores anthropomorphiques à quel point il était difficile de trouver un équilibre entre « aimer monter à cheval » et « aimer le cheval » ; à quel point les chevaux sont fondamentalement gentils mais bien loin d’apprécier l’obligation de se prêter au bon plaisir des humains alors qu’ils sont si heureux en troupeau. Le non-goût pour l’activité avec les humains se révélant par le non-allant (cheval qui avance avec le frein à main bloqué, genre ado qu’on force à sortir le nez de son écran) autant que par un empressement désorganisé (cheval qui fonce, genre individu pressé d’en terminer pour aller boire une bière avec les copains)
« Mais… ils sont fait pour ça! »
Et d’ajouter :
« Bah sinon… ils ne se laisseraient pas monter… »
Je me suis sentie terriblement seule devant une telle logique simple.
Et presque instantanément, face à ces gens vivant dans un monde différent du mien, j’ai réalisé à quel point nous vivons tous sous l’injonction de la consommation « c’est là pour ça », « on a inventé ça pour vous », prenez, servez vous, pensez à payer et puis faites en ce que vous voulez « c’est fait pour ça »!
Je vais apprendre encore et encore, grâce a cette nouvelle-ancienne activité.
Nouvelle activité qui consiste à monter à cheval pour mon bon plaisir dans l’environnement d’aujourd’hui où les chevaux sont (c’est la cas de ceux que je côtoie en ce moment) régulièrement vu par le pareur (ils sont « pieds-nu » mais obligés de voir leur podologue chaque mois) par un ostéopathe, par un dentiste, par le vétérinaire, sont régulièrement complémentés en probiotiques, mangent des friandises saveur « fraise tagada » spécialement crées pour eux (oui, oui, c’est écrit sur le paquet! Impossible d’affirmer que ce fut créé dans le but de forcer les humains à consommer au grand magasin pour chevaux!) et vivent « en liberté » dans un pré d’herbe rase régulièrement inspecté. (Oui, il existe tant de dangers « volants » qui peuvent planer sur une pré soigneusement clôturé )
Je vois en filigrane ces gamins nombreux, vivant « en liberté » dans un monde préservé, « fait pour eux », hyper « bien soignés » mais si peu éduqués. Ils sont capables de rendre fiers leurs parents qui font du mieux qu’ils peuvent pour leur apprendre ce qu’ils n’ont eux même jamais appris qu’à travers des vidéos faites « pour ça »!
PS : Bien que j’aie ouvert une rubrique « cheval » c’est aussi dans la rubrique « vivre avec son temps » que ces billets ont leur place! Aurais-je pu l’imaginer?
Merci pour ce commentaire qui résume bien notre manière de voir le monde d’aujourd’hui. Nous attendons beaucoup de la nature (j’englobe les végétaux) – sans trop se préoccuper de ce qu’elle peut « ressentir ». L’exemple des animaux est édifiant. Cela va du toutou à sa mémé (ou pépé) censé vivre heureux dans un environnement qui ne répond pas à ses besoins au gibier considéré comme trophée de chasse … ma réflexion se limitant aux exemples que nous voyons tous les jours. Bravo pour le parallèle avec les enfants élevés le mieux possible par des parents eux-mêmes entraînés dans un environnement qui les dépasse. Les rendre heureux le mieux possible, les préparer à demain, les rendre curieux et observateurs, conserver une part de rêve dans un monde cartésien et tendu vers le seul bonheur quantifiable : l’argent?
Bonjour Hugues,
Ca me fait vraiment plaisir de te lire, il semble que nous ayons des points de vue en commun, pas seulement orchidéens! 😉
C’est en s’appuyant sur l’ultime mot posé dans ton commentaires que s’envolent mes pensées.
Loin de moi l’idée d’affirmer « c’était mieux avant » ce serait trop facile et puis, comme j’habite aujourd’hui, je suis très mal placée pour parler des siècles passés.
Pour faire simple :
Nous savons que l’invention du train (par exemple) sensé arriver toujours à l’heure a fait passer le peuple français (je vais pas non plus parler du monde entier, hein!) de l’heure scandée par les cloches des églises à l’horloge et aux montres. Le temps est devenu moins relatif que jamais et même plus sur l’air de « time is money »!
Money, argent… l’industrialisation galopante qui suivit l’ère des premières voies ferrées (lesquelles ouvraient des opportunités nouvelles) était pourvoyeuse de travail salarié, lequel vendait du rêve sur l’air de « le travail rend libre »! Toute la société a foncé dans cette histoire nouvelle, avec joie et enthousiasme, quelle que soit la couche sociétale considérée. Enfin la source du bonheur était identifiée et c’était l’argent!
Bon, je vais m’abstenir d’écrire un livre, d’autres se sont déjà chargés de la faire de manière plus brillante que je ne saurais le faire.
Le fait est que je me sens une certaine responsabilité par rapport à mes petits enfants : leur apprendre la relativité du temps, le nom et le goût des champignons (c’est la saison) le nom et la variété des fleurs, des arbres, des oiseaux que je connais (je suis assez nulle en oiseaux), leur apprendre à marcher dans l’herbe haute, à accepter la présence des ronces et des épines, la boue sur les pantalons et la « bonne » fatigue d’une marche dehors qui fait tellement apprécier le confort de la maison et l’odeur des châtaignes (c’est aussi la saison) grillées (celles qu’on a ramassées en se baissant)… Alors flotte, l’espace d’un instant un « truc » que j’appelle « bonheur »!
Bonne journée à vous deux.