L’idée a germé un beau jour de 2019.
La graine avait été plantée il y a une éternité, un de ces jeudis d’enfance (oui, autrefois, c’était le jeudi le jour sans école…) où j’avais vu un de ces « western » ancestraux sur le poste de télévision de ma grand-mère.
A l’heure du goûter, à l’heure ou s’ouvrait la boite en fer blanc contenant le fameux chocolat « crunch » tout à fait révolutionnaire (Nestlé ne commercialisa cette friandise en France qu’à partir de 1960), sur l’unique chaine tremblotante en noir et blanc passait parfois un antique film.
J’avais noté avec mes yeux d’enfant que les vieillards qui se sentaient devenus inutiles quittaient la tribu afin de ne pas devenir un poids lourd à trainer et j’avais encré dans un coin de ma tête de petite fille que je serai de ceux-ci le jour venu.
Dans la foire aux titres du web d’aujourd’hui, j’ai trouvé ça et voilà la copie d’écran de la page concernée
Le temps a tissé sa toile.
J’ai joyeusement dépassé le mi-temps de la vie qui est accordée aux humains.
Le crépuscule pointe à l’horizon et dans un coin de ma tête de vieille gamine traine le souvenir bien ancré.
Ma mère s’en est allée il y a environ bientôt un an, suivant de loin son homme qu’elle avait oublié au fur et à mesure que son cerveau se vidait de toute pensée, de tout souvenir.
Quelques mois plus tard, lorsque l’argent de la vie passée de mes parents est arrivé sur mon compte en banque, j’ai acheté un appartement.
Je pense que ni le vendeur, ni le notaire, ni la majorité des personnes à qui j’en ai parlé n’ont jamais pu imaginer à quel point je disais vrai en affirmant que cet achat était tout sauf un « bon investissement ».
Investir (définition 3) ne me ressemble pas du tout.
L’avenir étant le « truc » le plus inconnu et le moins palpable que je connaisse, mon esprit hyper pragmatique refuse de parier et de jouer au poker.
Mais investir (définition 4) un projet, ça c’est « mon truc » et je suis à fond!
Que dis-je , Je suis super à fond.
J’ai démoli pour mieux re-construire. Je cloue, je visse, je scie, je visualise, je prévois, je cherche un sens dans chaque détail.
Passionnément.
Obstinément.
Grâce à l’apport du bois, du métal, des pierres, grâce aux connaissance des artisans, à l’aide de coups de mains, du vrombissement des machines et de la lumière traversante, je m’approprie tranquillement ce lieu où de toutes petites histoires se sont écrites.
Il y aura beaucoup de blanc parce que j’ai besoin d’arcs en ciel et aussi du bleu océan parce que j’ai besoin de cette vibration. J’avance pas à pas, heureuse et sans vraiment savoir ce qu’il y aura à vivre à cet endroit précis.
Dans un quartier autrefois laborieux, à la frontière de la ville, en dehors des remparts, dans un quartier où étudient aujourd’hui les intellos de demain, à proximité du parvis de la gare où se croisent touristes, travailleurs affairés et exilés en errance, là où il est possible de passer en quelques pas de la très grande vitesse à la lente croissance des plantes d’un jardin extraordinaire, j’ai trouvé mon antre et je vais bientôt m’y retirer. C’est tout petit, comme un cocon, c’est ce qui me convient pour poursuivre mon aventure.
Les enfants pourront à leur gré investir (définition 1) la maison du fond de l’impasse.
J’embarque mes bouquins, mes sacs, mes cahiers et les objets qui me sont chers, je libère la place, allégeant du même coup l’obligation de faire « un jour le tri » au milieu de souvenirs surannés.
L’autre soir, allant regarder l’état de l’avancée des travaux dans mon « nid » prochain, j’ai vérifié ce que je savais : sous la dalle il y a la terre et les pierres du fondement.
Que peu de monde s’en soucie m’importe peu, il est important à mes yeux de toujours porter de l’attention aux racines, c’est un réflexe jardinier en quelque sorte : les plantes ont besoin de racines bien vivantes!
(Je pensais trouver plein de commentaires ici 😉 ou alors ils ont disparu ?)
Que dire… j’espère que je vais arriver à faire passer certaines des idées qui se bousculent. D’autres me viennent mais je ne veux pas me livrer ici, sur un site.
Les personnes âgées qui se retirent m’ont aussi marquée. Plus jeune, j’adorais les livres sur la culture indienne (d’Amérique du Nord) et je connaissais cette pratique. Tout comme celle où l’ancien(ne) allait chercher quelque chose en hauteur dans la grange et se tordait *malencontreusement* le cou en tombant d’une échelle. C’est ancré en moi, à tel point que je ne me vois pas être un poids pour le reste de ma famille. Entachant de ce fait le processus inéluctable de vieillissement… ou d’une éventuelle lourde incapacité physique qui pourrait m’arriver (maladie, accident).
J’ai beaucoup de mal à me projeter dans l’avenir. J’ignore ce que je ferai *plus tard*.
Dans ton histoire, il y a quelque chose qui m’étonne : pas de jardin *à toi* ? Si ce n’est celui, public, qui pousse lentement à côté du cocon ?
Cocon, qui renvoie inévitablement à chrysalide, transformation, passage.
Nid, qui renvoie à douillet, chaleur, oisillon… finalement encore un passage.
Antre, qui est beaucoup plus sombre.
Ou alors cocon familial, émancipation, nouveau cocon ? Un cycle ?
Cela m’attriste aussi un peu, sans que j’arrive à mettre le doigt sur la cause. Et pourtant je sais que ce n’est pas le but de ce texte.
Voici une synthèse de ce qui a été publié sur la page FB :
Dans un premier temps, il y a eu des réactions à propos du mot « crépuscule » et à propos de la « retraite », j’ai donc fait une réponse groupée, la suivante :
« Merci de me donner à penser comme j’apprécie de le faire.
I : les mots sont espiègles, quelle aurait été ta réaction si j’avais écrit : « je vais prendre ma retraite dans un petit appartement en ville? »
So-Fi : Il y a beaucoup de personnes que je n’ai pas envie de voir dans ce « totalement chez moi » mais il y a, à l’inverse, des personnes en compagnie de qui j’aurais immensément plaisir à parler passionnément du monde qui bouge
A-So : je me réjouis toujours lorsque je me retourne et que je vois que malgré les coups de vents, les jours de pétole, les obstacles et la danse des vagues, j’ai globalement tenu un cap qui n’appartient qu’à moi, La suite est à vivre. »
A MaïP qui interprétait en trouvant chouette que je puisse réaliser un « voeu » d’enfance : « Je ne retrouve pas le moment où j’ai utilisé le mot « voeu », ne serait-ce qu’en filigrane » Et oui, je suis très à cheval sur les mots! 😉
Plus largement
1° Tous mes proches ont été questionnés, j’avais besoin de sentir leurs sentiments à ce sujet. J’ai recueilli des questions différentes allant de l’enthousiasme à la peur, à l’image des personnes interrogées. La plus charmante réaction fut celle de l’ainée de mes petits enfants « Tu vas habiter dans un appartement? Wahooo, c’est mon rêve! Papa, maman, Mamoune, elle va vraiment habiter dans un appartement? On pourra y aller ? Wahooo, c’est trop cool! »
2° le crépuscule (je vous laisse la liberté de choisir la définition qui correspond à ce que vous entendez des reflets de mes mots ) a une durée fluctuante et comme je ne suis pas toujours certaine de l’endroit où j’habite, des conditions météorologiques et d’un tas d’autres paramètres, je ne saurais parier sur sa durée!
En réponse à Ka. qui rebondissait en abordant le thème du suicide que les jeunes envisagent pour quand « ils seront vieux et dépendants », j’ai écrit :
« Sur un article précédent, F. écrit : « souhaiter que rien ne change est tout aussi illusoire que souhaiter tout contrôler » et je suis tout à fait en harmonie avec ces mots là.
Le temps qui passe fait son job et nous amenuise sans que nous puissions rien contrôler et la vie qui est fait le sien qui nous pousse à survivre coûte que coûte au point où « supprimer la vie » relève du non sens commun.
Il y a un abîme entre le retrait « acceptant » et le suicide « refusant » que j’entends dans tes mots.
Il est absolument nécessaire de relativiser car si des anciens choisissaient/étaient poussés de/à se retirer, 1° Ils avaient survécu a leur naissance pour commencer, puis aux rudesses « normales » et dans les années précédent leur éloignement, ils n’étaient pas gavés de médicaments destinés à les soutenir ; 2° ils finissaient par mourir à l’écart ce qui signifiait pas de fleurs, pas de couronnes, pas d’hommage national et pas de sépulture ; 3° il n’existait ni pensions, ni minimum vieillesse, ni rentes, ni supermarché où les denrées sont trouvables fraiches toute l’année, etc, etc…
Nous sommes en France en 2020, dans un environnement spécifique qui nous dirige sociétalement spécifiquement.
Je trouve que c’est important à noter.
En tout cas, c’est parfaitement clair à mes yeux usés! »
Et quand j’ai lu « tu sais toujours ce que tu fais », j’ai souri en posant:
« Je fais ce qui vient
C’est ainsi depuis longtemps, longtemps sans jamais tirer de plans sur la comète car ce serait en vain… sans compter que parfois, il y a la grâce (allusion à C.Bobin maintes fois cité ici et là) et qu’il serait dommage de ne pas s’y abandonner.
Je ne confonds pas l’action indispensable pour rester debout dans le vent et l’action du vent que je ne maitrise pas du tout. »
Voilà, voilà… La conversation peut se poursuivre.
Merci pour chacune de vos contributions.