Lundi 16 septembre 2013 : Lerici (Club de Voile) – Viarregio (gazon municipal)
Le lundi 16 septembre, l’épopée avait débuté depuis deux semaines.
J’en étais approximativement à mi-parcours. J’avais théoriquement le temps d’arriver à Rome dans le mois que je m’étais offert, mais il ne fallait pas trainer et la météo ne jouait plus vraiment le jeu.
Néanmoins, ce lundi à l’aube, j’entendais un silence relatif. Le vent était tombé, il était temps de reprendre la mer.
Je suis sortie par la porte de secours avec mes sacs et pagaies, j’ai consciencieusement refermé derrière moi le portail en inox de la terrasse, j’ai vérifié le verrouillage, noté la mise en service de l’alarme, j’ai récupéré ma planche (elle avait dormi au milieu des dériveurs) et hop, j’étais à nouveau sur l’eau.
Il est impossible de décrire le sentiment de liberté que j’ai ressenti en prenant à nouveau le large !
Le ciel était relativement clair, le vent juste caressant.
Dès la sortie du port, une belle houle ronde m’accueillait, elle était parfaitement orientée. La mer était verte, comme en souvenir des accès de colère de la veille.
J’ai parcouru les premiers kilomètres « à toute vitesse » et sans le moindre effort.
Au niveau de Carrare, j’ai noté que même les falaises étaient en marbre.
J’ai noté aussi que la côte rocheuse s’arrêtait et que l’embouchure de la rivière marquait une « frontière ». De l’autre côté, la côte était basse, visiblement sablonneuse.
Je me suis réjouie.
« C’est la fin du ressac le long des falaises » ai-je pensé. J’avais si souvent été ballotée par le ressac ! J’avais si souvent eu l’impression de naviguer pendant qu’un grand géant invisible s’amusait à « touiller » la mer de manière absolument anarchique. La pensée d’en avoir terminé était euphorisante.
D’ailleurs, je filais bon train.
La grosse houle ronde m’offrait une succession de toboggans.
Je n’en finissais pas de glisser et c’était délicieux.
Le vent s’affirmait cependant, de plus en plus de travers et la houle suivait
En restant suffisamment au large, j’étais à l’abri du déferlement des vagues.
Au bord, il y avait des surfeurs. En petit groupes, comme autant de points de suspension, ils ponctuaient le paysage monotone.
Il devenait évident que s’il était possible d’envisager un atterrissage en catastrophe, il était vain d’envisager un décollage à suivre. Je n’avais pas d’autre choix que d’avancer.
La lecture des zones de déferlement m’indiquait précisément les hauts-fonds et c’est en zig-zag que je longeais la plage.
De loin.
Quand j’ai aperçu un phare, posé sur l’horizon brumeux, j’ai concentré toute mon attention vers lui.
De vert, la mer était passée à vert de gris, remuant inlassablement le fond sablonneux, le long de l’interminable plage, infiniment plate et grise.
Il restait plusieurs kilomètres à tirer. J’avais plusieurs fois sorti le tube de lait concentré, m’abreuvant de nutriments à dose presque homéopathique dans l’attente de pouvoir me restaurer plus efficacement. Il n’y avait pas d’autre solution que d’aller droit devant, vers le phare.
Quand j’ai vu un très joli yacht sortir du port, quand je l’ai vu mettre les gaz et filer à toute vitesse vers le nord, je me suis dit que c’était quand même une drôle d’idée d’aller se promener par ce temps !
Enfin l’entrée du port était là. Sur la digue, il y avait du monde. Sur ma gauche, les vagues déferlaient.
Sur ma droite, la digue faisait lever une belle vague, déferlant elle aussi, dans un jaillissement d’écume.
Au milieu, il y avait un passage, il me restait plus qu’à bien viser, avec le bon tempo et hop, hop, j’étais certaine de réussir une arrivée digne sous l’oeil forcément admiratif de la foule en délire (oui, oui, moi aussi j’ai parfois parfois un égo sur-dimentionné!)
Las…
Une coup de trompe interrompit mon rêve.
Je me retournais et horreur, le yacht que j’avais vu sortir était à mon cul, à toute vitesse!
Il visait lui aussi l’entrée du port !
Vite, vite, vite, je m’écartais vers le large, faisant fi de mon cap idéal.
Wahooooo, les passages successifs du yacht (qui avait à peine ralenti) et de sa vague me mirent à genoux.
Estomaquée, je le regardais virer en dérapage, freiner, puis glisser sur son élan.
Ce n’est que plus tard, en découvrant l’ensemble du chantier naval qui occupe le port, que j’ai compris : il s’agissait vraissemblablement d’un simple essai « in live »!
Vite, vite, il fallait que je me ressaisisse pour entrer dignement. Il était encore temps de viser le centre entre deux séries de vagues.
Quelques coups de pagaie plus loin, j’étais à l’abri, encore quelques coups de pagaie et j’étais au ponton.
Il était grand temps de me sustenter avec quelque chose de solide !
Le vent montait encore d’un cran.
A la sortie du port, il y avait maintenant une barre. L’entrée était fermée, la sortie… aussi !
Nous étions en début d’après-midi, je n’étais pas du tout fatiguée.
Pourtant ma route semblait devoir s’arrêtait à Viarregio ce jour là.
Alors, pour passer le temps, je me suis aventurée et j’ai suivi le canal de Burlamacca pour pénétrer la ville. Au retour, j’ai amarré ma planche à couple d’un bateau (visiblement à l’abandon) pour mettre pied à terre. J’ai regardé la plage, j’ai regardé vers le large…
ET… j’ai cherché un coin pour dormir.
C’est finalement sur le gazon municipal, sous le nez de la capitainerie, de la douane et de la police, que dès la tombée du jour, je me suis plantée au milieu des arbustes décoratifs.
Mardi 17 septembre 2013 : Viarregio « journée dépression »
Avant même de donner le premier coup de pagaie, j’avais imaginé avoir besoin de contourner certains endroits. J’avais imaginé avoir besoin de quelqu’un pour passer le golfe de Saint-Tropez, j’avais imaginé avoir besoin d’une solution terrestre pour passer le port de Gênes. Je n’avais jamais imaginé me sentir prise au piège dans un coin où les surfeurs affluaient de toute part.
Depuis dimanche matin (où je fus bloquée à Lerici), je rêvais de trouver une possibilité pour aller directement à Livourne. Impossible d’expliquer pourquoi, mais il est un fait que j’avais comme une sourde impression : cette météo pourrie était liée à la géographie du coin.
C’est sur ces pensées que je m’étais endormie. C’est avec ces pensées que je me réveillai, à l’heure où s’éteignirent les lampadaires.
Après m’être vivement secouée pour « libérer » le gazon municipal, après avoir rangé la planche sous un buisson et les sacs sous la planche, après avoir attaché les pagaies avec l’ensemble, je suis partie voir la plage.
Puis, comme tout un chacun, je suis passée à la boulangerie et au café afin d’attaquer ma journée dans les meilleures conditions.
Michel avait écrit :
« La météo ne s’arrange pas, une dépression est sur le golfe de Gênes.
Demain matin vent nord force 5 et localement 6 avec houle de 2,4 m, l’après-midi NW force 4 et houle WSW 1,9m «
A la capitainerie, le bulletin météorologique confirmait le SMS de Michel. Et en interrogeant à droite comme à gauche, il me fut dit que rien ne changerait avant deux ou trois jours
Quelques semaine plus tard, relatant cette journée, bien installée devant mon bureau, voilà ce qui sortait en face de Viarregio:
« Les vents principaux viennent du sud-est, les vents de sud-ouest et d’ouest qui soufflent durant deux ou trois jours de suite causent de violentes tempêtes maritimes. »
Je l’ignorais alors, mais ce qui était certain, c’est que j’aurais donné cher pour sortir de ce coin.
J’ai erré toute la journée.
J’ai longé les alignements de plages privées où les employés nettoyaient les atteintes de la tempête.
J’ai parcourue l’interminable avenue marchande où déambulaient de rares touristes.
J’ai trainé du côté du port où se construisent les yachts les plus prestigieux.
J’ai découvert des rues pleines d’ateliers au service des chantiers, des rues ouvrières et travailleuses où les bars sont les espaces « à vivre ».
Puis…
Je me suis installée sur « mon » banc.
J’ai observé le va et vient des surfeurs. Invariablement, ils descendent à la hâte de leur voiture, invariablement, ils en partent au pas de course, short-board ou malibu sous le bras et invariablement, ils reviennent très lentement, semblant plongés dans d’insondables pensées, tête presque basse. Ils se changent infiniment lentement, avec maintes précautions. Puis ils montent en voiture, branchent la « musique » à fond et démarrent en trombe !
J’étais sur « mon » banc. (c’est fou comme on s’approprie vite le moindre espace! )
La journée touchait à sa fin et je m’étais moulée dans l’idée de rester ici. Pise n’était pas si loin, afin d’éviter de moisir, je pouvais envisager de faire un peu de tourisme en train : après une journée de dépression profonde, j’avais repris du poil de la bête et de l’entrain en quantité suffisante pour aborder paisiblement une ou deux journées « immobiles ».
Et il est arrivé
Quelque chose était différent chez lui, une zenitude particulière peut-être.
Il commença par s’étirer consciencieusement, tranquillement, gardant un oeil attentif vers tout ce qui se passait autour.
Il jeta plusieurs fois un regard en direction de la planche qui dépassait du buisson.
Comme il roulait une petite clope, je décidais de tenter une petite conversation.
Comme je lui expliquais mon trip et ma situation « météorologique », il répondit sobrement :
« Je téléphone à un ami de Livorno » L’ami ne répondait pas, il devait encore être en train de surfer.
« Bon, je vais manger maintenant, je travaille ce soir. Je vais le rappeler, je te dis quand je reviens à la voiture »
C’était une conversation parfaitement surréaliste.
Il revint avant que je n’aie commencé à installer mon campement. (Il y avait foule sur la terrasse du Club Nautique et je ne souhaitais pas jouer la provoc en plantant ma tente presque sous le nez de tous ces gens « biens » ).
Directement et droit dans les yeux, il s’adressa à moi :
« J’ai eu mon copain, je vais demain matin à Livorno, je t’emmène. 7H30 ici, tu seras là ?
– Oui, je dors là. Je serai là.
– Tu dors ici ?
– Oui.
– Sérieusement?
– Oui, où veux-tu que je dorme?
– Alors à demain »
Et hop, il était parti.
Incroyable !
Je me suis endormie en me promettant d’être prête à l’heure dite. Et si ce n’était qu’une blague, s’il ne venait pas, j’avais décidé d’aller à Pise voir la tour qui penche !
J’étais enfin parfaitement sereine.
Mercredi 18 septembre 2013 : Livorno – Forte di Biobona
7h15 : J’étais prête, assise sur « mon » banc j’attendais, confiante et sans « y » croire à la fois.
7h17 : la voiture arrive.
« Hey, tu es prête ?
Oui, tu vois tout est plié… Et puis j’ai dormi là !
Oui, je sais, je suis passé voir après le boulot, dans la nuit… J’ai bien vu »
Ainsi, il avait douté !
A la place du malibu sur le toit, il avait un shortboard à l’intérieur de sa voiture. Nous avons chargé mon maxi-long-board, les pagaies et les sacs.
Embarquement immédiat.
Passage au café pour un petit noir sur le zinc et c’était parti.
Certaines rencontres sont étonnantes quand on fait la liste des coïncidences, celle-ci l’était vraiment.
Il m’a posée dans le premier coin abrité et il a filé vers son spot sans attendre.
J’avais parcouru par la route l’étape que je n’avais pas pu faire par la mer la veille, une quarantaine de kilomètres, ma moyenne quotidienne, rien de plus.
Une fois encore, j’ai eu un immense sentiment de joie et de liberté en montant sur ma planche !
Le ciel était parfaitement limpide devant moi. Sur la côte, il y avait de jolis spots de surf autour des rochers, avec de belles vagues bien propres, bien bleues. C’était vraiment autre chose que le chantier de Viarregio, clairement Fabio avait fait le bon choix en venant surfer dans le coin.
De temps en temps je regardais derrière, j’étais comme « en fuite », je surveillais la dépression pour vérifier qu’elle restait bien sagement bloquée au nord. Et je pagayais « comme une voleuse » pour être certaine de lui échapper!
Au loin, un très long débarcadère avançait vers le large, signalant Vada et son port industriel.
Juste après l’avoir passé, j’ai eu l’impression de me trouver sur une immense piscine absolument plate et couleur turquoise, le contraste avec le « terrain » qui avait précédé était étonnant et je ne parle même pas de ce que j’avais laissé à Viarregio!
Je continuais à regarder derrière régulièrement, j’avais l’impression de me faire rattraper par les nuages.
Je me forçais alors à regarder l’horizon tout bleu à l’avant. Fabio m’avait dit que j’allais arriver dans une zone très différente où la pointe de la Corse faisait déjà office de barrage, limitant l’effet de la dépression.
Je voulais y croire.
La côte était redevenue rectiligne et sablonneuse, mais aucune vague ne levait de loin, il y avait une profondeur suffisante pour que je navigue tranquille.
Après une pause à Cecina, j’avais parcouru « ma » quarantaine de kilomètres et c’est parce que le vent de travers commençait à me fatiguer que je me suis arrêtée sur la plage de Forte di Biobona
Les nuages commençaient à me rattraper.
Certes, ce n’était pas le couvercle noir que j’avais laissé en rade, mais je sentais que le vent allait forcir et qu’il serait vain de jouer contre lui.
J’ai choisi un coin bien à l’abri du souffle d’Eole et je me suis amusée en jouant la touriste allongée sur le sable
Sans attendre la tombée du jour, j’ai installé ma maison, heureuse d’avoir absolument tout ce dont j’avais besoin.
Tout était si tranquille ce soir là que je me suis offert quelques postures de yoga au soleil couchant, ne me décidant à « rentrer » qu’après l’extinction des dernières braises
Le SMS de Michel faisait un point météo mi figue mi raisin.
Demain serait un nouveau jour.