Tous les chemins mènent à Rome (4)

Dimanche 8 septembre 2013 : Antibes (Club Nautique) – Roquebrune-Cap Martin (crique juste avant la plage du Golfe bleu)

Le 8 septembre, quand je posais ma planche sur l’eau, Antibes semblait encore profondément endormie. La vie qui s’était poursuivie très activement pendant la nuit paraissait figée et un ciel lourd ajoutait un couvercle plombé à l’ambiance matinale.

La veille, mon hôte avait tendu le bras en direction des lumières de l’aéroport de Nice en me disant que je devais viser là-bas, que le seul truc auquel je devais faire attention était le courant de la rivière qui débouche juste avant, ajoutant que nous n’étions cependant pas en période de fonte des neiges.
Tout était beaucoup moins clair une fois passée l’illumination nocturne.

Il faut dire que depuis Cannes, j’évoluais en terre inconnue, absolument inconnue.
Bien évidemment, l’autoroute nous avait déjà plus d’une fois conduits d’un point à l’autre, mais circuler sur l’autoroute ne permet pas de « connaitre une région », pas plus que traverser Paris en métro ne permet de connaître Paris.
Dans ces circonstances, des noms s’impriment dans ma mémoire sans se relier sur mon GPS interne, je suis incapable de les placer dans un ordre géographique (c’est à dire sur une carte, c’est à dire de les orienter les uns par rapport aux autres).
En fait, Je peux affirmer « connaitre » une région qu’après l’avoir parcourue à pied ou à vitesse réduite (amusant d’écrire « vitesse réduite » pour signifier « vitesse humaine », c’est à dire vitesse physiologiquement humaine/animale ! )

Donc, ici commençait vraiment mon « voyage en terre inconnue », sans guide.
Je devenais « exploratrice » et l’expédition grimpait d’un cran au niveau des sensations, lesquelles se trouvent exacerbées par l’excitation de la découverte, l’absence de repères, l’inconnu au bout du regard.  

Je visais donc ce que je pensais être l’aéroport de Nice.
Et, je levais sans cesse le nez pour regarder monter le grain.
J’avançais en zig et en zag, comme si j’hésitais sur la cap à définir.

D’un coup, le vent a grimpé d’un cran ; indéniablement la venue d’un grain se précisait.
Je m’étonnais alors de la présence d’un voilier sortant du port, au loin : pendant ces quelques jours de navigation en Méditerranée, n’avais-je pas constaté que le meilleur indice météorologique de « mauvais temps » est l’absence de bateaux sur l’eau?
Et voilà que le voilier envoyait son spi !
Et… j’ai rapidement été « rassurée » quant à « ma » prévision : le grain arrivant sous son propre vent, le voilier fut surpris, le spi s’est impeccablement roulé en tire-bouchon, sans faire un pli, pour ainsi dire!  Je voyais bien que « ça » s’agitait à bord, mais sans effet sur la voilure sinon une dérive impressionnante.
Mais je n’avais plus le temps ni de rire, ni de me moquer, le vent balayait la baie des Anges, le clapot se levait fort et au loin des éclairs signalaient un orage.
Il fallait agir rapidement, j’ai visé la plage la plus proche, la plus logique par rapport à la direction du vent et à ma direction prévue, Je n’avais pas du tout l’intention de retourner au Club Nautique.
Je mis pied à terre sur la plage de « Marina baie des anges ».
Sous des gouttes aussi grosses que des flaques, j’ai trimballé planche, pagaies et sacs le plus haut possible, j’ai monté la tente en un clin d’oeil, y balançant les sacs (non sans avoir désespérément tenté de les rendre moins humides) et je me suis coulée à l’abri.  
Il restait à ôter mon linge trempé pour enfiler mon pyjama bien sec et je me suis glissée dans le duvet : grasse matinée obligatoire du dimanche!

Inutile de vous expliquer le bonheur de l’autonomie : dans ces moment précis, je suis la femme la plus heureuse de la terre.
La pluie tambourinait sur la toile, l’orage grondait et j’étais bien à l’abri avec de quoi boire, de quoi manger. J’étais « tout » est simplement « bien ».   

Je me suis endormie.

Au tintamarre de la pluie battante ayant succédé une chanson douce, j’ai émergé et j’ai « ouvert ma fenêtre » sur ce paysage

Il était déjà plus de midi.

Tranquillement je me suis préparée à repartir car je sentais que « c’était fini », ne me demandez pas ni pourquoi ni comment, étrangère à la région je voyais seulement un arc-en ciel au bout de la digue!  

13h30 : Départ n°2, au milieu d’une régate d’habitables, lesquels avançaient de millimètre en millimètre dans la pétole qui suivait le grain.  

J’ai longé l’aéroport de Nice, pensant en filigrane à ce qui m’était promis par celui de Genova (dont je ne connaissais rien d’autre que l’infinie longueur de digue bétonnée annoncée dans les guides maritimes).
J’ai enjambé à la pagaie la baie de Nice, puis celle de Villefranche pour finalement accoster les rochers de Saint-Jean Cap Ferrat, utilisant l’anneau d’une propriété privée pour amarrer mon navire et faire une pause goûter.

Monaco n’était plus très loin, un paquebot en sortait.
Monaco! J’ai bien aimé l’ambiance monégasque, ses grands voiliers et ses canots brillants en bois vernis, une ambiance de cinéma, mais tranquille, presque sans vagues. Je n’ai pas compté les saluts de la main et les sourires lumineux qui ponctuèrent mon passage.
C’était étonnant par rapport à ce que j’avais croisé dans les autres « zones à grande circulation ».
De l’autre côté de la Principauté, ce fut « back » in France…
Une jolie crique sous la ligne de train m’accueillit avec douche et tout le confort dont j’avais besoin (rochers-sèche-linge, etc…)
Demain, L’Italie était promise au bout de la journée .

Lundi 9 septembre 2013 : Roquebrune-Cap Martin (plage du Golfe bleu) – Arma di Taggia (à côté de Piccolo Lido)
Au matin du 9 septembre, ma tente n’était pas exactement où je l’avais plantée le soir du 8 septembre.
C’est que dans la nuit, le clapotis des vagues était devenu un peu plus « agressif » et que la tente en avait été toute éclaboussée. Réveillée par ces bruits suspects, je n’avais pas attendu longtemps avant de la monter (en fait la « tirer/glisser » avec tout son contenant) en haut de la plage, la qualité de mon sommeil en dépendait.  

La première chose que j’ai regardée en « ouvrant les volets » fut donc l’allure du mini shore-break sur lequel j’avais royalement « surfé » la veille. En théorie, je savais que ce que je surmonte facilement dans un sens ne me pose pas de problème dans l’autre : « chez nous » par exemple, si je peux franchir la barre pour partir, c’est que je suis capable de revenir  Evidemment si les conditions changent en cours de route, les ennuis peuvent surgir.
Visuellement, il n’y avait guère de différence.
Pourtant, l’eau montait notablement plus haut.
Comme il y avait un promontoire en béton à gauche de la crique, je n’ai pas manqué d’aller observer afin d’envisager les possibilités de mise à l’eau, mais je n’ai rien trouvé de mieux de que de sortir à l’endroit précis où j’étais entrée.
Essai n°1 : raté
J’ai re-positionné ce qui avait été bousculé par les attaques brutales et successives de l’apparente « mini-vague » 
Essai n°2 version « je garde le sac arrière sur l’épaule pour l’attacher sur la planche une fois de l’autre côté de la vague » : raaaaa….téééééé
Je suis têtue… mais pas entêtée…  
J’ai remonté mon bazar au calme et j’ai re-vu calmement la situation. Il existait obligatoirement une solution pour me « décoincer » et prendre le large, une solution simple.
Bravement et dégoulinante, j’ai filé vers le promontoire pour observer à nouveau.

Ne voyant que les escaliers et la possibilité de portage, donc « remonter sur la route tout là-haut » ; la flemme avait, en premier, barré le chemin de la curiosité. Cette fois, les deux échecs de « départ facile » m’obligeaient à explorer mieux et tatatadammmmmmm, il suffisait de monter trois marches pour accéder à un sentier qui menait directement à la plage calme d’à côté : 300 m de marche (et de portage) plus loin, hop, hop, hop, je pouvais me libérer!  

Pour l’anecdote :
Tandis que, soudain plus légère et plus heureuse, je commençais le transbordement, deux mecs et leur smala (les femmes, les sacs et les fauteuils pliants) arrivaient (visiblement équipés en vue d’une chasse-sous marine).
« vous allez porter « tout ça » interrogent-ils »
« ben… oui »
« Vous inquiétez pas, « on » surveille le reste »
« Ok, Merci beaucoup » m’entendis-je répondre en pensant que d’autres m’auraient proposé une « aide plus active »  
Un kayakiste au long cours rencontré le lendemain me confia une anecdote du même type avec une nette tendance des « hommes forts » à regarder plutôt que de donner un coup de main.
Bon c’est vrai : on est baroudeur/euse ou on ne l’est pas, non?  Et puis, je me demande si l’omniprésence de la télé-réalité dans la vie des gens n’influence pas certains : j’en ai rencontré plus d’un qui cherchait les caméras à ma suite, comme s’il y avait un jeu (donc des règles qui imposent de ne pas aider les concurrents) et comme s’ils avaient une chance de passer à la télé!  
Bon… Au total, ce ne fut qu’une heure de passée de manière originale et imprévue.
Menton… Vintimille, que dis-je? Vintimiglia! J’étais alors officiellement passée du côté italien!

Et c’est dans un port de pêche très artisanal que j’ai fait une revigorante pause déjeuner.

Partout dans ce coin, la montagne plonge dans la mer, les villages s’agrippent aux pentes vertigineuses, les viaducs acrobatiques dessinent l’autoroute, les nombreux trains sont autant de surlignages éphémères, les paysages sont grandioses. Ces paysages me ravissaient.

Le soleil déclinant, en souvenir de mon expérience matinale, j’ai cherché un lieu de bivouac bien abrité, ce qui me poussa à tutoyer la fatigue.
En arrivant dans la baie de Arma di Tagglia, j’ai directement visé la plage la mieux abritée. Et quand j’ai vu des mini-vagues au milieu de mon « chemin d’arrivée », je n’ai pensé qu’à les surfer sans me poser un instant la question de leur existence à cet endroit. Un tantinet fatiguée, je vous dis.
En un éclair j’ai vu arriver le sommet d’un caillou et hop, au bain!
Devant la plage déserte, mon amour propre ne voyait que la foule qui rigolait  pendant que je remettais la planche côté face, récupérais ma casquette avant de reprendre l’attitude d’une « Stand Up Paddleuse » tout à fait digne… et bien trempée!

Morale du jour : journée commencée en pataugeant se termine en pataugeant  

Dans l’histoire, j’avais oublié mes lunettes qui flottaient certainement encore dans la baie.
Objectif du prochain matin : en trouver d’autres!