Le temps des cerises

Ces cerises là sont les premières de toute la région.
La manne est en libre service pour les oiseaux.

Impatients de se gaver, ils occupent l’arbre, picorent, cueillent et emportent même jusque par dessus les terrains voisins.
C’est que rien ne vaut les cerises fraîches.

Alors, remplir un panier relève de l’exploit pour un simple humain incapable d’atteindre les sommets.

J’ai toujours connu la saveur des cerises fraiches : mon grand père jardinier avait célébré ma naissance en plantant un cerisier au beau milieu du jardin encore vierge de mes parents. Autant dire que les cerises font partie de mon histoire.

La semaine dernière, en compétition avec un nuage de merles gourmands, j’étais un brin nostalgique et en attrapant un par un ces précieux fruits je ne boudais pas mon plaisir.
Je pense que c’est la première fois que je prends autant de plaisir à la cueillette.
Sans doute était-ce parce que c’est la dernière fois.

Avec la vente de la maison d’un côté, avec la construction d’une maison neuve de l’autre côté, je perds toute chance d’avoir à nouveau des cerises fraiches à profusion.

Et c’est ce qui est amusant car qui possède un cerisier sait à quel point il est « peu cueilli », sait à quel point les cerises « se perdent » et à quel point il est facile de rouspéter lorsqu’elles finissent par joncher le sol en laissant évaporer une odeur caractéristique de « kirsch ».

Je me souviens précisément des injonctions maternelles : « Voilà un panier, va cueillir des cerises, attention, je veux les cerises avec leur queue! » . Et, je prenais le panier en soupirant, en levant les yeux au ciel, puis, je l’accrochais à une branche avant de grimper dans l’arbre et de manger plein de cerises arrachées de leur pédoncule.
Pour avoir bonne conscience j’en mettais quelques unes dans le panier mais si peu.
J’étais plus efficace quand il était question de préparer un clafoutis, car alors l’équeutage était indispensable et il suffisait de deux minutes pour arracher quelques poignées.

Et oui… Cueillir des cerises pour les offrir, cueillir des cerises pour les conserver ne serait-ce que quelques heures nécessite de les « cueillir avec la queue » et là, c’est la galère!
Une galère que les heureux détenteurs d’un cerisier at home n’ont absolument pas besoin de se farcir pour jouir de la saveur à nulle autre pareille de la cerise fraichement cueillie.

J’ai soigneusement coupé la moitié du précieux prolongement de celles que j’ai courageusement sauvées l’autre jour. Puis, je les ai tendrement serrées les unes contre les autres dans un bocal, autour d’une belle gousse de vanille fendue. J’ai ensuite regardé le sucre les recouvrir de reflets mordorés et s’immiscer dans le moindre interstice puis j’ai versé une bonne eau de vie par dessus le tout avant de bien fermer le couvercle.

Lors des fêtes de fin d’année nous partagerons en famille le goût désuet d’une gourmandise que seul le temps passé additionné du temps qui passe peut entièrement révéler.



4 réflexions sur « Le temps des cerises »

  1. Evelyne

    Le temps des cerises… je viens de le lire. J’adore. Les cerises à l’eau de vie, cest effectivement un peu oublié mais on en mangeait autrefois.
    Et ma soeur Manick appelle ça « des roupettes à queue « … lol. Enfin je pense plutôt que c’est son beau-père de St Michel chef chef qui disait ça .

    1. Joelle Auteur de l’article

      😉 pour les « roupettes » de ta soeur.
      Ces dernières années, j’optimise les récoltes du jardin et je me suis aussi lancée dans la confection de diverses liqueurs (verveine, plantes diverses) et là je viens de lancer la fabrication de « cassis » le petit verre incontournable que nous offrait la grand-mère dans le temps. Tu as dû connaitre aussi 🙂
      C’était la séquence nostalgie gourmande! 😀

      1. Sauf-i

        Aaahhh, le petit verre de cassis de la Tante Marie-Josèphe (femme de Tonton Joseph, ça ne s’invente pas !), que nous passions voir après être allés au cimetière, sur le chemin du retour, quand nous allions rendre visite à ma grand-mère.
        Je crois bien que c’est le premier (et sans doute le seul) alcool que j’ai goûté enfant.

        1. Joelle Auteur de l’article

          Oui, il y a quelque chose de ce goût là dans mes souvenirs.
          En étant devenue grand-mère, j’ai vraiment envie de pouvoir offrir ces choses simples préparées à la maison avec ce qui pousse au jardin, il y a un peu de magie là-dedans qui ne se trouve pas dans ce qui est acheté. Je fais aussi gouter les fleurs comestibles et A. arrive en ce moment en demandant des capucines dont elle aime la saveur poivrée 😉
          J. préférait le cassis, mais c’est trop tard… C’est aussi l’occasion d’apprendre que tout passe et tout re-nait l’année d’après!
          Le jardin est un livre ouvert… je suis tellement fan! 🙂

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