Au bout de la pensée

Plus que quelque jours sur l’île car tout passe et tout lasse. Un autre vie m’attend au loin et d’autres encore et aucun paradis ne parait plus beau que la vraie vie, ses haut et ses bas, ses horreurs et ses beautés, ses joies et ses tristesses.

Hier matin, levée à l’aube comme d’habitude je n’avais pas grand chose à écrire, je suis partie tôt réveiller ma pirogue.

Les bistrots de la plage étaient aux mains de ceux qui nettoient et rangent, les touristes dormaient encore.

Dans le sous-sol d’hôtel où reposent planches et pirogues, le ballet des femmes de ménage s’intensifiaient. Tandis que je chargeais mon « outil de loisir » sur son chariot, elles vérifiaient la charge de leur « outil de travail » et passaient devant moi en poussant leur caddie rempli de draps blancs. Je les saluais aimablement et elles me répondaient en souriant mais nous faisions, à ce moment précis, partie de deux mondes parallèles, la communication était impossible.

Plongée dans le développement de l’hypothèse qui avait émergé à cette croisée des chemins, j’arrivais sur la plage , m’agaçant de voir des pailles en plastique trainer sur la descente, je posais une nouvelle hypothèse et quelques instants plus tard, je ramais en rangeant une liste des arguments.

Les nuages se dissipaient dans le ciel.
Pas un souffle de vent ne ridait la baie.
Je tirais bien droit et seul le bruit du flotteur déplaçant l’eau chantait à mes oreilles au rythme des coups de pagaie.
Je mettais le cap vers le Puertito, à l’extrémité de l’ile d’en face.

Comment ma mère s’invita t-elle dans mes pensées?
je ne sais pas.
La paix envahissante certainement.
Je voyais s’éteindre la braise, seule, sans bruit, simplement.
Loin de toute pollution, du plastique des perfusions, des drogues et des usines à mourir.
Elle est partie comme elle a vécu, sans « déranger personne ».
Je l’imaginais alors dans son cercueil en sapin, le moins cher, à son image.
Ce « prêt à emballer » où les dentelles sont chinoises et le vernis pas vraiment bio, elle qui n’aimait ni le « synthétique qui gratte » ni les « odeurs de chimie ».
Je l’imaginais dans son cercueil avec sa couche plastique et je me disais que les morts polluent aussi de nos jours.
Et je revoyais ma mère dans sa dernière ligne droite : lorsque nous lui disions en partant : « reste assise, tout va bien, à bientôt » elle répondait le seul truc sensé qui lui restait : « De toute manière, est-ce que j’ai le choix? »
Elle n’a jamais eu le choix, elle n’a jamais, jamais osé faire un choix sinon celui de suivre.

Et la vie entra en grand tralala dans mes pensées tandis que j’approchais déjà des vagues énormes qui s’abattaient sur le rivage, encore vierges de surfeurs à cette heure matinale.

Un nouveau flot de pensées arrivait, bien rangé, sur tapis rouge comme à l’entrée d’un grand théâtre, bien habillé, prêt à briller à passer en premier à s’occuper du « qu’en dira-t-on » et à se selfifier parce qu’il faut en bien en parler sur les réseaux sociaux…

J’ai pris large pour éviter le déferlement des vagues.
Le Puertito dormait encore.
Le vent aussi.
Seule la grosse houle ronde passait à grande vitesse.
Une irrésistible envie de voir l’autre côté de l’île me prit.
J’étais en maillot de bain, sans le « matériel de sécurité » bien français mais en toute possession de toute ma tête.
La folie est le piment de la vie.

La folie, et plus loin la folle sagesse sont si différentes de l’inconscience!

J’entrais sur la façade tournée vers le large.
Ici il ne reste que la solitude.
Mes pensées m’abandonnèrent.
Je scrutais le plan d’eau, les oiseaux, l’écume au loin.
J’étais prête à faire demi-tour, à rentrer bien sagement par le chemin sage
En cas de nécessité.

Le vent restait muet.
Déjà la pointe envoyait ses ondes en vrac, transformant la flatitude en matelas mouvant de manière désordonnée.
En tirant large, je pouvais passer, j’en étais certaine.
Je sentais l’adrénaline monter et la dégoulinade simultanée d’hormones excitantes circuler le long de mon dos.
J’avançais plus loin.
Loin des déferlantes assourdissantes
Proche des déferlantes magnifiques,
J’entrais sur le flot bruissant comme un torrent de montagne,
Cet effet particulier généré par l’effet de pointe.
A cet instant précis mes copains de pirogues traversèrent mes pensées,
Eux qui parfois avouaient serrer les fesse au passage de la pointe de chez nous.

Je redoublais d’énergie pour avancer contre le courant.
Au loin j’aperçus le catamaran des touristes.
Il était très au large.
Connaissant l’obligation que se fait le capitaine de frôler l’île au plus près pour le bonheur des passagers, je redoublais de prudence.
La grande houle ronde atlantique envoie de manière sporadique des séries plus énormes que les autres et il faut s’en préserver : tirer au large au juste milieu.

Le bonheur de ces instants là est indescriptible.
C’est comme croquer dans une pièce en chocolat doré,
Déguster pile et face dans le même instant
Le doute et la confiance rassemblés
Sans concurrence, sans bataille

Juste là.

Au bout de toutes les pensées.
Au moment précis ou tombent les pensées
Au moment formidable où la vie enfin se vit
Sans fards.


A noter : Ma mère avait abandonné sa pensée à la démence sénile depuis plusieurs mois quand son corps a rendu l’âme cette semaine précisément où j’étais très loin. Avec mon frère, sentant que la fin était proche et ayant chacun des voyages en perspective, nous avions convenu que celui qui était en voyage devait profiter sans arrières pensées, que celui qui était sur place était assez grand pour gérer seul les formalités consécutives au décès. Quelques jours après mon retour à Nantes, il décollait vers les USA.
Aimons nous vivants!



2 réflexions sur « Au bout de la pensée »

    1. Joelle Auteur de l’article

      Merci à toi, du fond du coeur, pour avoir accepté de partir à la découverte 🙂

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