Quel est le « lit » de ce fleuve?
L’espace.
Quelle est son « eau » ?
Le réel.
Le temps n’est pas ce dans quoi tout arrive, mais ce qui arrive, ce qui ne cesse d’arriver, toujours neuf, toujours présent, toujours changeant.
André Comte-Sponville, L’être-temps, Presses Universitaires de France, 1999,
ISBN 2-13048798-5
La route d’Hana!
Il y a des gens qui « font » Maui en deux jours, six îles en 12 jours et « voient » tout Hawaï en 15 jours top chrono. Pour ces gens là, il n’y a que deux « trucs » à faire à Maui : le lever de soleil sur le volcan et la route d’Hana. Ces deux trucs sont les deux plus grandes sources de revenus pour l’essaim d’agences touristiques qui vendent du digest tout compris, y compris les hamburgers!
La route d’Hana.
Ce matin là était le bon.
Pas de précipitations à l’horizon, donc une route à moindre danger de chutes de pierres et une vue assez certaine sur l’ensemble du paysage.
La route d’Hana!
Go.
Comme chaque jour depuis l’arrivée à Maui, je suis aveuglément.
Je monte côté passager dans la voiture, je regarde le paysage, je descends regarder aux endroits où S. s’arrête, je remonte quand c’est le moment.
Aucune des grandes conversations psycho-philosophiques qui ont parfois confronté nos idées au fil des années depuis que nous avons fait connaissance, aucune de ces conversations ne viennent débarquer sur le ronronnement du moteur. Aucune même n’aura vu le jour pendant l’ensemble du séjour hawaïen. Nous restons silencieux au long cours, habitant seulement le cours de nos pensées.
En résumé, deux solitaires en vacance restent deux solitaires et parviennent parfaitement à se respecter, à jamais se marcher sur les pieds sans avoir le moindre besoin d’user de mots! Et puisqu’ils sont en vacances, ce n’est vraiment pas le moment de se faire des noeuds au cerveau avec des conversations psycho-philosophiques!
Revenons sur la route, mon tourisme intérieur n’ayant jamais eu vocation à devenir une « carte postale » capable de faire rêver.
Passé l’intersection vers « Jaws » qui n’existe que de temps en temps, passé les parking des cascades précédemment visitées, nous sommes partis à la découverte d’un paysage à grand spectacle.
La route est accrochée à flanc de falaise, au milieu d’une forêt dense et humide. A chaque virage, un torrent dégouline, caracolant de rupture de pente en rupture de pente, sautant parfois des centaines de mètres en un long ruban scintillant de poussière d’eau. Parfois la route elle-même en est toute éclaboussée.
Quand la végétation s’éclaircit, il est parfois possible d’apercevoir l’océan, intensément bleu profond.
Au passage le plus abrupt, la vue se dégage totalement et un paysage époustouflant de toute puissance naturelle s’offre à quiconque accepte ce frisson d’humilité.
Puis la route descend progressivement vers Hana, cette extrémité désormais « endormie » de Maui.
(Hana signifie travail en langage hawaïen – Hana fut dès le début de l’exploitation sucrière du coin (fin du 19ème), un centre très actif. L’abandon de la culture de la Canne à fait péricliter la bourgade qui ne survit que grâce au tourisme)
S. Avait prévu un détour qui ne m’enthousiasmait pas sur le papier : la visite d’un tunnel de lave.
Je pensais bien l’attendre, peu encline à lâcher mes dollars pour « un truc » déjà vu ailleurs dans des conditions particulièrement magiques. En fait j’avais royalement peur d’être déçue.
Curieuse, je suis quand même allée regarder le comptoir d’entrée, j’ai écouté ce que racontait le jeune gars « de garde », j’ai survolé les photos… et j’ai décidé de tenter l’aventure.
Et ce fut vraiment une super idée.
Il suffisait de laisser passer les quelques visiteurs, de laisser S. prendre un virage d’avance.
Alors, seule avec la torche que je pouvais éteindre, j’ai pu m’abandonner au silence des gouttes qui rebondissent, regarder le noir de velours dense de l’air environnant, m’extasier devant la moire des stalactites de lave. J’ai adoré!
Vraiment.
C’est parfois tout à fait délicieux de suivre!
Nous avons repris la route, marché sur le ponton écroulé du port d’Hana, touché la pierre au pied de laquelle la légende dit qu’une princesse est née, déjeuné en face du club de pirogues, puis nous sommes partis à la recherche de la plage de sable rouge.
Une fois arrivés en vue de l’écrin naturel, ce fut irrésistible : il fallait faire-demi-tour, marcher à nouveau, récupérer nos maillots de bains dans le coffre de la voiture, puis marcher encore et enfin plonger avec délice.
L’espace étant réduit, j’avais choisi de laisser masque et tuba et de « seulement » nager et « seulement » jouer dans le jacuzzi naturel créé par les vagues.
Parfois « seulement » est un plus intensément satisfaisant.
La journée s’étirait, nous avions la route à faire dans l’autre sens, des cascades et des points de vue à regarder sous un autre angle.
Je n’ai aucune idée de ce que promettent les « organisateurs » sur cette incontournable route touristique. Je sais que ce fut une bien belle journée pour chacun de mes sens.