11 août 2018

 

La graine de l’arbre secouée par les vents
Périt de peur de périr
Les semailles égarées sous l’emprise du cyclone
N’ont de refuge que dans la fissure des âmes.
Gabriel Oloundji, Comme une soif d’être homme, encore, Editions Federop, 2015,
ISBN 978-2-85792-224-7

Il restait encore quelques vapeur d’Hector.
J’avais besoin de marcher.
Après avoir fouillé internet au sujet des « trails » du coin, j’ai jeté mon dévolu sur la zone de l’île qui est presque toujours sous les nuages,
Dès les premiers lacets de route, j’ai pu constater que ma destination « brumeuse » allait être à la hauteur.

Le sentier part au milieu d’un pâturage, et, comme souvent les vaches sont couchées exactement sur la passage destiné aux piétons. C’était l’occasion pour les quelques touristes ayant tenté l’aventure d’immortaliser leur selfie en compagnie de ces charmants ruminants auprès de qui il est inutile de solliciter un droit à l’image.
La forte pente du départ contribuait à éliminer toutes les personnes trop chargées en poids mort.
La plupart des autres renonçant dès l’entrée dans le sous bois noyé par l’humidité, je fus vite rassurée : il était évident que malgré le nombre de voitures présentes sur le parking, ma solitude allait être à la fête.

Marcher un bord du vide à travers la végétation tropicale, entendre le souffle océanique tout en bas sans en apercevoir rien d’autre que la respiration était une expérience qui m’emplissait de joie.
Puis, ce fut le gargouillis d’un ruisseau, tout aussi invisible.
Sur les bords parfois abrupts de la vallée, je notais que des personnes y avaient probablement planté leur jardin, il y a longtemps. Comme dans toutes les vallées abandonnées qu’on trouve dès qu’on s’éloigne des routes principales, l’histoire apparaît en filigrane de quelques ruines ou de quelques plantes. Mon imagination s’en nourrit, dessinant les cases et les gens qui y vivaient de manière frugale parce que c’était la seule place qui leur était réservée.

En arrivant au sommet, un jeune gars me rattrapa et ensemble, nous avons regardé autour de nous.
« Il n’y a rien à voir.
– Non, rien.
– C’est fun ! »
Et nous avons fait demi-tour, sourire aux lèvres.

Ce que le gars avait « raté » c’était la petite orchidée mangée par l’humidité dont j’avais relevé la tête, au bord du sentier. Je m’étais promis de la revoir à la descente. Et là, surprise, quelques mètres plus bas, il y en avait deux autres, moins abimées.
Comment avais-je pu les « rater » ?
Le mystère de la portée du regard est absolument insondable.
Je me suis offert le temps d’extase nécessaire devant ces fleurs, reconnaissante de les avoir croisées, de les avoir remarquées.
En les laissant à leur vie de montagnardes, ma joie atteignit une intensité que seules quelques personnes « chercheuses de rien » peuvent comprendre. Nul guide touristique n’indiquera jamais une petite fleur au bord du chemin et pourtant, ce matin précisément, ce fut pour moi le but imprévisible et non prévu de la balade.

Comme la veille, une fois de retour sur la « route principale », j’ai décidée de poursuivre mon excursion motorisée plus loin. Il y avait un coin particulier que je n’avais pas eu le temps d’explorer à la hauteur de mes exigences la semaine d’avant, c’était l’occasion d’y aller.
Sauf
Sauf que…
Après plus d’une heure d’enfilade de virages et de passages étroits (genre je serre les fesses en espérant qu’il n’y a personne qui arrive trop vite en face), il y avait une belle « mustang » blanche placée en travers de la route et des gens debout autour.
OK, je me suis garée un peu n’importe comment et je suis allée m’enquérir de la situation.
C’était deux jeunes suisses en vadrouille qui avaient pris la décision de barrer la route afin que personne ne s’engage.
Pourquoi?
Parce qu’il y avait un peu plus loin une voiture suspendue au bord du précipice, deux roues dans le vide.
« Ca » venait de se produire.
Pas de blessés, une énorme frayeur seulement pour la conductrice qui était partie chercher du secours.
A Maui, loin de la ville, je savais qu’il allait falloir faire preuve de patience.
Mais gourmande, je ne voulais absolument rien rater de la pièce de théâtre qui se jouait là.
Voir les gens arriver, questionner, rester zen ou s’énerver, aller « voir », faire demi-tour ou essayer de forcer le passage, patienter, s’impatienter était à mes yeux tout à fait passionnant.
Je me suis garée plus raisonnablement afin de ne gêner ni les gens pressé de passer devant, ni ceux qui rebroussaient chemin, ni ceux qui restaient et attendaient.
J’ai adoré les trois heures passées là.
C’était un grand livre ouvert sur notre nature humaine, sur la vie des touristes, sur la vie des « locaux », sur ceux qui savent tout, ceux qui savent rien et tous les autres, ceux qui sont là juste parce qu’il sont passés à ce moments précis.
Seule, avec suffisamment d’eau, mais sans vivres et surtout sans compte à rendre à personne,
J’ai pu vivre intensément tout le temps d’attente.
C’était à vivre à fond et j’ai profité de chaque seconde à la hauteur de ce que chaque seconde offrait.
Environ 3×3600, j’ai été formidablement gâtée.

Il était trop tard pour une nouvelle balade à pieds.
Je me suis contenté d’un passage dans une des « olivine pool  » creusées dans la lave par la furie de l’océan. A l’écart de celles indiquées sur la carte, j’ai eu tout le temps pour y paresser, en caresser le fond tapissé d’algues jaunes, écouter l’eau s’écouler en succession de mini-cascades après chaque entrée d’un paquet d’eau du large.

Et le soleil déclinant,
La fraicheur tombant,
Il fut temps de rentrer, par la route rapide qui longe les sites les plus chargés en hébergements touristiques.

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