« Ils peuvent tout faire entrer dans leurs calculs sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains. »
Christian Bobin, Editions Gallimard, 2001, ISBN 2-07-042710-2
(Oui, cette citation revient souvent dans ce que je raconte…)
Nous l’avons tous constaté, la norme est à tous les coins de rue.
C’est une question de sécurité à ce qu’il parait.
NF : Norme Française, la sérénité certifiée, c’est écrit sur la toile c’est donc vrai!
La norme.
Avant même de voir le jour, tous les foetus présents en France sont mis en équations et la bataille est si rude que la sacro-sainte norme ne cesse de se rétrécir histoire de mieux « cibler ».
Avant même de voir le jour un foetus est donc normal ou « pas normal ».
En entrant dans la vaste baquet des « pas normaux », il peut avoir la chance d’être sélectionné pour « vivre quand même » ou être purement et simplement éliminé.
C’est que « pour des raisons de sécurité », pour des « raisons de sérénité » il est « normal » de ne pas « aimer » ce qui est hors norme…
C’est toujours inquiétant la différence, non?
C’est inquiétant la différence, mais une fois bien né, bien vivant et bien vieillissant, il FAUT apprendre à accepter la différence.
La différence est une richesse à ce qu’il parait.
OK…
Il faut suivre, mais OK. Je suis hyper large d’esprit et je sais m’adapter!
J’ai commencé très tôt à m’adapter…
Dans les années 60, j’ai fait partie de l’échantillon des 120000 enfants testés dans la célèbre « Enquête Nationale sur le niveau intellectuel des enfants d’âge scolaire ». A l’époque, il s’agissait simplement de faire le compte des « déficients » avec les outils de l’époque.
La notion de QI était déjà bien présente depuis le début du 20ème siècle. Il n’était pas encore possible de trifouiller dans les chiffres à grande vitesse comme aujourd’hui (merci les ordinateurs contemporains), mais il était possible de publier une grande quantité d’études et surtout de définir « une norme » assez précise.
Comme par hasard, je n’étais pas dans la norme.
En souvenir, je garde à la mémoire le jour de test comme le plus beau jour de ma vie d’écolière.
(En écrivant cette affirmation, j’effectue un rapide travelling dans mes souvenirs et sincèrement je pense que c’est l’unique jour où j’ai autant jubilé, en classe, et sans discontinuer pendant aussi longtemps)
C’était l’année qui précédait mon entrée au lycée (donc en 6ème), j’étais au deuxième rang de la troisième rangée de bureaux, celle qui était du côté de la porte de la classe. Les premiers rangs étaient uniquement accordés aux « bonnes élèves » sauf celui « côté fenêtre » qui était utilisé pour ramener au devant celles qui avaient des problèmes de vue. Nous étions donc 6 « bonnes élèves » sur une quarantaine de filles et nous étions 5 plus jeunes d’une à deux années par rapport à « la norme ».
Il y avait dans la classe, des filles de plus de douze ans, elles avaient pour contrainte la préparation au Certificat d’Etudes Primaires.
Contrairement à mes « copines » de la première rangée, je ne me sentais pas « bonne élève » malgré les « classements » et je rêvais secrètement d’un coin tranquille au fond de la classe.
Le jour du test, l’institutrice était en retrait, et c’était cool parce qu’elle me faisait un peu peur au long cours.
Il faut bien avouer que j’avais pris la désagréable habitude de jouer avec les consignes et il est certain que mon aimable « transgression » l’agaçait au plus haut point.
Chronomètre en main, une « dame » distribuait les fiches de test et donnait les consignes. Une autre « dame » surveillait l’application stricte des consignes.
Un état de grâce s’est installé dans mon ventre dès le premier exercice. Le chronomètre avait à peine été déclenché que j’avais terminé. J’avais terminé et je n’avais aucun doute au sujet de ma réponse.
Attention, j’ai écris « je n’avais aucun doute » ce qui est différent de « j’étais certaine d’avoir la bonne réponse »! Je n’avais aucun doute, c’est tout.
Je pouvais donc observer la classe avec l’esprit complètement libre.
Et j’observais.
Deux ou trois exercices m’ont paru plus difficiles, il avait fallu un peu de temps pour les réaliser dans le temps imparti et je gardais un doute… Mais sur l’ensemble de l’évaluation, ce qui primait, c’était le bonheur de « trouver » avant tout le monde, c’était un jeu et j’en sortais victorieuse. J’ai adoré ce jour là.
Que s’est-il passé ensuite : rien.
Dans ma classe, les « déficientes » étaient déjà identifiées, c’était les redoublantes qui n’avaient pas réussi à l’examen du Certificat d’Etude l’année d’avant.
A l’époque, pour une fille « la norme » consistait à « se marier et faire des enfants »… C’était large!
Pourquoi évoquer cet autrefois?
Simplement pour parler de relativité.
Simplement pour souligner que « la norme » étant très très large, on évoquait rarement la différence.
Tout le monde était logé à la même enseigne et chacun était considéré avec les jugements propres à la société d’alors.
Et à cette époque, il fallait faire le compte des « déficients » afin de « les prendre en charge » pour en « faire quelque chose »!
Ce matin, je suis allée faire un tour sur la partie visible d’un de ces microcosmes « d’entre-soi » où le « moi-je » est roi.
J’ai éprouvé un véritable malaise.
Chez eux, « la norme » c’est l’exception, ce qui signifie que « les autres » sont rejetés.
Les autres sont LA source de leurs problèmes, leur sécurité n’est assurée que par la grâce du filtre de leur exception.
Dans leur microcosme, « la norme » c’est pas la norme normale.
Pourtant, ce sont des gens tout à fait « normaux » puisqu’ils sont venus au monde « normaux ». Mais comme aujourd’hui ils se sentent « différents », ce qui est « normal » puisque nous sommes tous différents, ils ont créé leur propre norme basée sur leur propre différence…
OK…
Il faut suivre… Finalement, j’ai quelques difficultés à m’adapter!
C’est normal ou pas normal?
😀