A traits communs 12
Aux environ de 15 h, le téléphone sonna: « C’est Alexis, on vous roule tout à l’heure, à 15h30 précises! »
J’étais passé chez ma vieille mère, éponger le flot de ces paroles que la solitude reproduit interminablement… L’imprimeur étant dans son village, les trente minutes furent à occuper. Je me suis garée au bord de l’Erdre pour regarder la pluie fine, j’ai appelé Cat pour être certaine de son arrivée et j’ai redémarré la voiture pour y aller.
Y aller?
Où?
Près des grosses machines, celles qui font un bruit de train en action.
Parce qu’il est impossible d’imaginer ce qu’on ne connaît pas, je n’avais jamais demandé la moindre explication sur ce qui allait se passer. Cette curiosité là m’est étrangère.
Ce qui était très important, c’était la présence de Cat et de sa fille.
« Ça commence dans deux minutes » dit Alexis. J’étais debout dans l’entrée, un Xième café à la main en conséquence naturelle de la nuit sans sommeil.
C’est Ana qui a dit : « Elle arrive! » remarquant avant moi la voiture qui se garait.
Tous les acteurs étaient en place.
C’est en écrivant que je mesure à quel point ma vie coule de mise en scène en mise en scène! Je n’en connais pas personnellement, ni le régisseur ni le producteur ni même le scénariste. Peut-être est-ce d’ailleurs Tout en un. Je me contente de rester spectatrice émerveillée. C’est du bonheur à l’état simple.
Il est difficile de raconter ce qui se passa. C’était le quotidien des techniciens… Se souviendront-ils du jour où deux femmes et un bébé les ont regardé travailler?
Je n’oublierai pas les mots d’Alexis mêlant sa passion aux questions de Cat: « Un livre, c’est comme une maison, il faut de nombreux corps de métiers pour le réaliser »
Le soir une amie abordait l’émotion qui avait pu naître pendant la séance de clonage: « Ca doit être très émouvant de le voir se multiplier ainsi en imaginant qu’il trônera dans les bibliothèques des maisons d’ici quelques semaines. »
C’est amusant, parce que je n’y pensais pas du tout au « trônage » dans les bibliothèques!
C’était simplement émouvant de voir des hommes et des femmes faire leur boulot dans l’anonymat… C’était chargé d’émotions, mais « l’avenir » ne m’effleurait pas de cette manière là.
En compagnie de l’artiste photographe, je regardais les photos s’imprimer. En savourant leur grain, en touchant cette manière qu’elle avait tant recherchée, on se disait que ce serait chouette si des gens avaient autant d’émotion que nous à les regarder.
Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre pour vendre de l’émotion brute! L’avenir qui se présente est celui-ci: devenir vendeuse d’émotion!
Et c’est un commerce si grand de nos jours… Comment vais-je pouvoir concurrencer les marchands d’émotions vides en affirmant que la mienne sonne moins creux?
Chaque chose en son temps, n’est-ce pas?