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Tous les chemins mènent à Rome (7)

Samedi 14 septembre 2013 : Sestri Levante – Porto Venere (île de Palmaria)

Dès le réveil, une pensée me traversa : il faudra bientôt que je demande à Michel de me préciser où est situé le milieu du parcours.   Il me semblait en être encore loin. Après moins de deux semaines d’aventures, j’avais encore du temps devant moi.

D’après ce que m’avaient dit les « rameuses » de Sestri Levante, la journée à venir me promettait une nouvelle balade touristique.
Après un peu plus de deux heures d’avancée, la faim se fit sentir. Sous le regard d’une mouette j’ai pausée à Punta Rospo (Moneglia) et je me suis royalement offert un cappuccino en dessert.

J’ai contourné des caps, j’ai pagayé au loin de falaises abruptes. Partout, des villages sont sertis. Sur le velours émeraude, ils sont parfois rubis, parfois topazes, toujours colorés.

Partout des zones abritées attirent les bateaux.

Arrivant en vue de Monterosso, il était temps de s’arrêter à nouveau. Je voyais au loin les « bateaux-navettes à touristes » longer la côte, je n’avais pas envie de m’approcher davantage, j’ai donc trouvé un coin « juste pour moi », heureuse une fois de plus de voyager avec ce drôle de navire qui se gare partout !
Loin du monde, tout à loisir, j’ai profité du paysage.

Malgré tout
Quelque chose me disais qu’il ne fallait pas mollir.
Quelque chose me disais qu’il fallait avancer sous le soleil.

De pointe en creux, de creux en pointe, je traçais ma route. Levant le nez souvent, ce sont surtout les falaises que je regardais. Passer par ici ce samedi était une chance, c’était presque tout à fait calme.
Le crépuscule se dessinait, les rochers commençaient à flamboyer.
Je voyais les derniers bateaux me doubler, filer à la hâte vers leur abri.
Ne sachant absolument rien de la configuration de la zone, je n’avais aucune idée de l’heure à laquelle j’allais arriver, je me faisais à l’idée de circuler de nuit.

Quelque chose me disais qu’il ne fallait pas bivouaquer dans une crique.
Quelque chose me disais qu’il fallait aller jusque dans un port.

Et tout d’un coup, j’ai vu le château.
On m’avait dit que c’était beau.
C’était magnifique.
Plus j’approchais et plus il devenait magique.

Un dernier petit canot à moteur me doubla et je vis qu’il « rentrait » dans un « canal », à cet instant j’ai compris, qu’il serait inutile de contourner la pointe, il y avait un passage, juste avant, au pied des remparts.
Le passage fait 150 m de large à l’entrée.
En voyant ce rétrécissement, l’illusion est totale, c’est un canal qu’il va falloir s’enfiler. Et à l’instant où les rochers semblent se resserrer, après deux coups de pagaie, la baie s’ouvre et s’offre et c’est presque incroyable et tout à fait merveilleux à la fois.

J’y suis arrivée au coucher du soleil exactement.
Fascinée, je suis entrée dans Porto Venere.
Les lumières s’éclairaient et illuminaient le plan d’eau.
Au loin, les villes côtières formaient un diadème scintillant autour des berges devenues invisibles.
A gauche, l’île que je n’avais pas eu besoin de contourner (Je comprenais à ce moment que c’était une île)
Il y avait de la musique dans toutes les guinguettes et sur tous les bateaux, samedi soir oblige.
J’ai choisi de m’orienter vers l’île, vers une zone sombre d’où ne sortait aucun bruit.
J’ai débarqué quasiment sous le panneau qui indiquait la zone de réserve naturelle.
La nuit commençait à prendre le pas sur les derniers éclats solaires.

J’ai pensé que le lendemain, je serai enfin orientée « comme chez nous », c’est à dire que le soleil se coucherait sur la mer.

Je me suis endormie après avoir lu le SMS de Michel, faisant le point météo avec les prévisions pour le lendemain.
Le calme avait envahi l’espace, le clapotis de l’eau sur la berge était presque imperceptible. Dans le ciel clair, les étoiles s’allumaient une à une.

Dimanche 15 septembre 2013 : Porto Venere (Isola Palmaria) – Lerici (Club de voile)

Avant l’aube, dans l’instant qui précède le véritable réveil, j’ai perçu très nettement que la chanson des vaguelettes dans les galets n’était plus celle de la veille au soir.
Malgré l’abri de la végétation, de temps en temps la toile de tente s’ébrouait bruyamment, parfois, elle claquait sèchement.
Je pensais me laisser bercer encore un peu.
Mais, je sentais bien que tout « ça » n’augurait rien de bon du côté de la météo. Michel avait écrit dans son sms du soir : « Italie zone côtière 4, vent SW puis WSW 5 Bft localement 7 au sud de la zone, activité orageuse, mer assez agitée, houle de WSW 1,6 m. »
Donc,
Sans attendre davantage, je passais de la somnolence à la vigilance totale.
Attrapant la frontale d’une main, je l’allumais tandis que je tâtonnais de l’autre pour trouver la carte.  Dans le même élan, une évidence s’imposait : il fallait que je sorte de l’île au plus vite, pendant que c’était encore navigable. Je ne voulais pas prendre le risque de rester coincée toute la journée à cette endroit là.

Il y a un « truc » en Méditerranée que nous n’avons pas en Atlantique (en raison des marées), ce sont les digues protectrices. En Italie, il y a des digues pour protéger les plages afin qu’elles ne soient bordées que par des plans d’eau parfaitement lisses.
Je découvrais que le  guide de navigation signalait une digue en travers de la baie de La Spezia ; une digue longue de plus de 2km (bien visible sur la carte google) qui protège parfaitement la baie des vents de Sud et de la houle. Pour « m’échapper » j’avais donc une solution : aller chercher la digue (vent portant), la longer à l’abri de la houle (et probablement bien coupée du vent) et une fois la baie traversée, profiter de l’abri de la côte pour avancer le plus loin possible.

J’ai plié la tente bien humide.
Je suis partie, au jour tout juste levant.
Je ne me suis pas retournée.
Le temps pressait.
Le ciel était menaçant.
Les lumières s’éteignaient une à une.

Comme prévu, en longeant la digue de très près, j’étais parfaitement à l’abri. Parfois, les embruns éclaboussaient par dessus, mais la mer n’était pas encore très forte, le vent était environ 4bft, pas plus.
Au fond, la ville dormait encore.

Comme prévu, l’échancrure de la côte « en face » m’apporta une bonne protection, la navigation était facile. Une heure après mon départ, je passais San Terenzo.

En longeant les plages de Lerici, des plages comme toutes celles qui m’avaient accueillie jusqu’ici, je n’était pas convaincue, je ne m’y voyais pas « coincée » pour toute une journée.
J’ai tenté le port, j’ai essayé entre les travées de bateaux, j’ai regardé partout dans l’espoir de viser un point où atterrir, histoire de passer la journée en ville. A ce moment, j’avais dans l’idée de retourner sur une plage, le soir, pour dormir. Je ne voyais rien de satisfaisant. Je me dirigeais donc vers la capitainerie, il semblait y avoir un recoin accueillant juste à côté.
J’ai amarré la planche à un bout qui pendouillait au ponton et j’ai débarqué.
Un homme s’affairait au milieu des « Optimist » et autres dériveurs rangés, empilés en bon ordre devant un atelier. L’heure était matinale et le quai, déjà balayé par les bourrasques, était quasi désert. Ayant toujours reçu un bon accueil dans les clubs de voile, je m’approchais hardiment.
« Bonjour, parlez-vous anglais ?
– Oui, un peu
– Je viens de Marseille avec la planche là-bas (je lui montrais du doigt). Cette nuit j’ai dormi sur l’île Palmaria, à Porto Venere, j’arrive ici et je pense que la météo n’est pas très favorable pour aller plus loin.
– Vous êtes partie de Marseilles, avec « ça » ?… ?…(un grand sourire) Soyez la bienvenue, je parle français aussi (…) »
Son français était excellent, nous avons bavardé, parlé bateau et navigation.
J’ai su en fin de journée que c’était le président du club de voile. Il se préparait en vue d’une régate d’habitables. Les Sociétaires de ce club très huppé sont de véritables marins, ils ont participé à la régate, dans les conditions bien mauvaises de ce dimanche, entre les averses « comme vache qui pisse » et les rafales qui parfois montaient à 30 noeuds (donc le 7 bft annoncé…)
Et voilà comment, après un capuccino d’accueil au club house, après une douche chaude, habillée en tenue de ville et correctement chaussée, je suis partie à la découverte de la citée avant que le ciel ne nous tombe sur la tête pour de bon.  

Après deux heures de marche, après avoir visité une librairie, une église et un café, n’arrivant pas du tout à me réchauffer, j’ai pris la direction du Club pour ajouter une couche au mille-feuilles qui m’emballait pourtant puis j’ai erré encore, visitant le super-market et essayant de trouver l’appétit en explorant les menus pour touristes.

La luminosité était proche de zéro.

Le vent passait, tourbillonnant, entrainant dans sa course la pluie et l’écume en gifles d’humidité.
J’ai passé l’après-midi au Club House, sirotant du thé, décortiquant les journaux locaux, conversant tant bien que mal avec « la patronne » du lieu.
En fin de journée, le jour reprenait de la vigueur. Nous en avons profité pour faire une photo souvenir, entre deux averses.

Puis, bienveillants, les « marins » et leur président décidèrent qu’il ne fallait pas que je parte, que je pouvais très bien dormir dans le Club-House.
L’idée était plaisante, il fallait seulement trouver une solution pour que je puisse partir le lendemain (je déteste me sentir enfermée et le Club semblait pouvoir se fermer comme un coffre-fort)
Finalement l’affaire fut conclue, il y avait une sortie de secours. Il fallait seulement que je sois prudente pour que la porte ne claqua point avant que tout mon matos ne soit dehors!  
Top là!

Sur la verrière, les toiles claquaient, dans le port le cliquetis des haubans restait constant. Des flaques sur le carrelage témoignaient de la puissance des grains du jour.
Je vidais mes sacs.
J’étalais tout ce qui pouvait l’être
Je vérifiais
N’étais-je pas environ à mi-parcours ? (et oui… J’avais acheté une carte un peu plus lisible… )
La nuit était là.
J’espérais fort ne pas moisir ici.

Lundi 4 septembre, étape 5

« Qualités et valeurs sont créées par l’homme et son Désir. C’est l’homme lui-même qui crée, par son désir, les lignes de force de son univers et de son action »
Robert Misrahi, Les voies de l’accomplissement, Editions Les Belles Lettres, collection « encre marine », 2016, ISBN 978-2-35088-103-4

Avant que l’aube ne vienne éclairer la nuit, c’est le tambourinement de la pluie sur la tente qui me tira du sommeil.
C’était une grosse averse arrivée dans un cortège de rafales.
Elle s’est tue en quelques minutes, laissant l’ombre reprendre son calme.
Une autre survint, puis une autre.
Je les observais du coin de l’oreille comme certains observent les séries de vagues déferlant sur la plage.

De plus en plus attentivement.

C’est que le jour essayait de s’afficher et qu’il fallait que je me décide à lever le camp !
Pas facile de partir entre deux séries de vagues quand on est chargé !
J’en avait fait l’expérience lorsque je voyageais avec ma planche de SUP.

J’étais dans une situation assez semblable : mon sac était rangé, tout était au sec, j’étais sortie de la tente, le poncho de pluie me protégeait efficacement, il fallait juste trouver un moyen pour plier la tente et la ranger sans tout inonder.
Les averses se succédaient à une telle vitesse et avec une telle impétuosité qu’elles ne laissaient aucun répit, aucun espoir à court terme.

La solution était pourtant toute proche.

Il a fallu quelques longues minutes pour que j’en prenne conscience.
Je voyais la muraille du château sans voir le porche que je savais pourtant à deux pas.
D’un coup, j’ai « vu » le porche et tout est devenu fort simple.

Je suis allée poser mon sac à l’abri.
Je suis revenue « dépiquer » la tente, puis en faisant attention à bien la laisser dégouliner « dans le bon sens », je l’ai transportée telle quel à l’abri de la voute ancestrale.
La suite coulait de source : essuyer, plier, ranger et j’étais prête pour une nouvelle journée de marche, l’esprit léger quant à mon confort assuré pour la nuit suivante.

J’avais pris soin de bien regarder la carte et ce faisant, j’avais pris la décision de commencer par un bout de route, jugeant inutile d’aller tenter des dérapages sur un sentier rendu glissant par les averses.
Passant de la route à des chemins propres et assez rectilignes, j’ai parcouru dès le matin une énorme quantité de kilomètres, et ce d’autant plus tranquillement que j’avais assez de pain, de fromage et d’amandes pour aller jusqu’au lendemain. Aucun stress au sujet du ravitaillement n’occupait mes pensées.

C’est avec amusement que je relis dans les notes laissées dans le carnet bleu :

Un peu fatiguée, c’est l’altitude !

Je constate aujourd’hui, que (toujours) sans le savoir, j’avais parcouru en une journée ce que le « topo » recommande de faire en trois étapes ! C’était donc assez logique de ressentir un peu de fatigue en fin de journée…

Malgré le ciel souvent chargé, cette journée fut tout à fait magnifique.
Vraiment magnifique.

Lors d’une pause, j’avais profité du soleil pour faire disparaître toute trace d’humidité, jusque dans les moindres plis de mes bagages.
Seules les personnes qui se baladent avec leur campement sur le dos peuvent imaginer ce que ça peut représenter en terme de sérénité.

Avec le relief qui s’accentuait pour de bon, pendant quelques heures, mes pensées furent accaparées par un sujet d’actualité : le bâton de marche.
Avant de partir, j’avais retourné ce sujet dans tous les sens. J’avais exploré le web ; dans les boutiques spécialisées, j’avais attentivement touché ce qui se fait en la matière et ensuite j’avais méticuleusement pesé tous les avantages et inconvénients que je voyais apparaître.
Chassant le moindre gramme superflu, me connaissant étourdie (et donc capable d’oublier sur le chemin un objet inutilisé), souhaitant garder les mains à ma disposition, j’avais pris la décision de me passer de cet outil moderne, télescopique, armé d’une pointe, pourvu d’une dragonne et à la mode, cet outil qui s’appelle « bâton de marche ».

Avec le relief qui s’accentuait pour de bon hisser le poids des années, en plus du poids du sac, sur les marches inégales des sentiers, demandait un effort que j’ai vite soulagé en prenant pour compagnon le meilleur bâton de bois trouvé dans le sous-bois.
Joyeusement, je l’ai renvoyé à ses congénères un peu plus loin quand la pente fut plus tendre.
Il est probable qu’un observateur aurait pu décrire un sourire espiègle accroché à mes lèvres, lorsque quelques kilomètres plus loin, j’étais dotée d’un nouveau compagnon.
Sans la moindre fidélité.
C’était un jeu et c’était délicieux de penser que la nature m’offrait tout ce dont j’avais besoin à l’instant même où j’en avais besoin.

Sur les sommets, j’ai traversé les premières « estives ». Sur les pentes parfois abruptes, des troupeaux, principalement des troupeaux de vaches et de chevaux destinés à la boucherie, s’égrainaient, tintinnabulant dans l’air limpide.
En faisant abstraction de la notion de boucherie et de tout se qui est contenu dans la complexité de notre vie d’occidentaux « haut de gamme », il faut reconnaître que l’environnement était merveilleux.

Fait exceptionnel, alors que je posais mon sac après une difficile montée, émerveillée par ce que je découvrais en récompense, j’ai vu apparaître un randonneur solitaire. Il arborait un tee-shirt jaune fluo marqué « Santiago de Compostela ».
Il était seul, autonome, lui aussi.
Nous avons parlé un instant, posés là, à flanc de crête, comme incrustés dans un paysage de carte postale. Il « avait fait Compostelle » l’année dernière et là, il était en train de « faire » le sentier Cathare dans le sens « Foix-Port la Nouvelle ».
Il confirma que le sentier était dépourvu de trafic depuis son départ… Sur le sentier aussi la « pause après les vacances » était palpable !
Et nous sommes repartis chacun vers notre « plus loin ». Je ne connais pas plus son prénom qu’il ne connait le mien.

Plus loin, c’est un panorama époustouflant qui s’ouvrit au « Pas de L’ours ».
Subjuguée, je suis restée un long moment plantée au bord du vide.
Cette vue formidable tombait à cette heure précise où la fatigue exacerbe les sens, elle s’offrait comme un point d’orgue après une merveilleuse journée.
L’instant aurait pu durer, durer, durer…
J’en perçois encore les vibrations.

Il était temps d’entreprendre la descente, de passer sur le domaine skiable de l’unique station des Pyrénées ariégeoises et d’arriver à Comus, en « bas », à plus de 1200m.

La nuit était toute proche, des quelques maisons occupées montait l’odeur douillette du feu de cheminée
Je me serais laissée tentée par une chambre et/ou une douche chaude si le gite/camping avait été ouvert.
Je me suis allégrement contentée du sol presque nivelé sur le petit terrain de foot local. Riche de l’expérience du matin, j’ai posé ma tente juste à côté de l’abri-buvette, certaine de pouvoir plier au sec le lendemain.

A suivre…