Archives par étiquette : quête

De l’attention (bis)


Aparté
Il y a exactement cinq ans presque jour pour jour, je publiais un billet nommé « De l’attention« .
Voilà pourquoi celui-ci se nomme « bis »!


L’attention.
La tension.

Lundi matin, j’ai posé un commentaire sur un réseau social, en écho à la publication d’une amie. J’ai questionné l’attention et depuis, cette question autant que les autres font la sarabande dans les arcanes de mes réflexions.

L’attention.
La tension.

C’est aussi que je suis à nouveau en contact avec les chevaux depuis plus de cinq mois maintenant et que cette sonorité résonne sans cesse : latɑ̃sjɔ̃ (transcription phonétique semblable pour les deux mots associés à leurs articles définis ci-dessus)

Les humains ont grandement besoin d’attention, c’est un fait. La relation humain/animal s’établit incontestablement sur l’attention, c’est un autre fait.
Mais de quoi est-il question, en fait ?
Quelle est l’attention d’un animal envers un humain ?
Quelle est l’attention d’un humain pour un animal ?
Est-elle une attention purement scientifique, éthologique, rigoureuse, dénuée d’émotions ?
Est-elle une attention complètement anthropomorphique ?
Un peu des deux ?

La semaine dernière, j’ai assuré la garde d’un petit de deux ans chaque matin. Il s’exprime déjà fort précisément à l’aide d’un vocabulaire qui étonnerait ceux qui ne le possèdent pas, donc il serait facile d’affirmer qu’il suffit de l’écouter pour le comprendre. Néanmoins, je n’ai eu de cesse que de guetter les signes non-verbaux, une lèvre qui tremble, un oeil qui s’écarquille ou se plisse, un départ de course, un relâchement soudain, etc…
Grâce à cette attention précise de chaque instant, nous avons passé de très bonnes matinées, changé maintes fois d’activité et aussi nous avons été à l’heure de chaque rendez-vous avec « les autres ».
Pour l’anecdote, j’ai rapidement remarqué qu’il a l’habitude de dire non pour dire non, qu’il dit un petit oui pour dire « cause toujours » et qu’il dit gaillardement mmmouii pour dire « OUI, avec plaisir ». Ce fut l’occasion de scènes cocasses avec ses cousins qui prenaient ses mignons « oui » pour argent comptant et s’offusquaient de son opposition par la suite. En leur faisant part de mon observation, ils ont fini par comprendre qu’il était vain et non avenu de lui arracher un petit « oui ».

Hier, comme la plupart des mardis, je suis allée voir le petit appaloosa. Une fois de plus je fus hyper attentive à chacun de ses gestes, autant qu’aux miens qui se posent en miroir. Je sais qu’ils les note à sa manière de cheval et qu’il prend position en fonction de ces gestes, à sa manière de cheval aussi et suite à ses expériences passées qui sont les siennes, donc indéchiffrables pour l’humaine que je suis.
Après un temps d’exercices en carrière, nous sommes partis dans la campagne. Mon but était avéré : aller jusqu’à un bon spot pour brouter en paix et écouter au loin l’arrivée du printemps.

Et pour répondre à une des cavalières qui me posait un jour la question de savoir si je « travaille toujours » lorsque je suis avec le cheval, je réaffirme OUI (bien que le mot « travail » m’écorche les oreilles au long cours).
J’ai passé un délicieux moment en l’observant brouter, ce petit cheval, en captant chaque mouvement d’oreille, de queue, de tête, chaque frémissement, chaque bougement. Lui faisait de même avec ses sens à lui et personne ne lui posera jamais la question de savoir s’il « travaille toujours », n’est-ce pas ?

En septembre 2022, je questionnais ce retour étonnant vers les chevaux. J’en questionnais le sens. Je poursuis ce questionnement, c’est une quête comme une autre.

Une quête, des milliers de questions.

Et…
Mais…

Ecouter le printemps qui arrive au loin, posée dans l’herbe humide juste à côté d’un cheval qui choisissait ses mets avec attention, fut un moment de paix totale qui vaut son pesant de bonbons à la réglisse!

Les chevaux m’ont appris la patience


Là où le temps s’abolit
L’espace perd ses limites
Là où l’espace est sans limites
Le temps est aboli
J.Y Leloup

Les chevaux m’ont appris la patience.
La mi-temps de ma vie est dépassée depuis longtemps et le paysage resté en arrière repousse l’horizon bien plus loin que celui qui est devant et que je ne connais pas encore.
Je viens d’achever la petite série de billets relatant mes débuts avec les chevaux.
Après les débuts vint la suite, beaucoup d’aventures, un apprentissage sans fin, des chevaux associés à des souvenirs ancrés tout au fond de mes tripes.
Et puis vint aussi le jour où j’ai décidé de laisser les chevaux à leur vie de chevaux.

Maintes fois après ce jour, j’ai refusé toute occasion de monter à nouveau.
Avec véhémence, toujours.
Petit à petit j’ai donné ce que j’avais de plus cher, ma veste de concours, mes bottes cirées, la bride en cuir anglais, etc. Ca me faisait plaisir de faire plaisir à de jeunes cavalières.
Je me tenais obstinément à l’écart des chevaux ne gardant que leur souvenir, leur présence constante qui me soufflait que le temps est relatif, que la montre est une invention humaine, qu’après la patience vient la patience.

Chaque chose vient à point.
C’est factuel.
La vie est espiègle !

Les apprentissages – 2

Ecurie d’Etienne Mazoyer – Bonny-boy avant le canter du matin


Au bout de plus de quatre années, je commençait tout juste à apprendre vraiment les rudiments de l’équitation.
En parallèle, J’apprenais la vie par tous les bouts.

Mes journées étaient denses car il y avait bien plus que « seulement » les chevaux.
Il parait que j’avais des talents dans plein de domaines et je me mettais en demeure de le démontrer coûte que coûte. Ce qui est certain c’est que j’avais désormais une excellente santé, un très petit besoin de sommeil et que j’avais la capacité d’enfiler les coups de collier comme d’autres enfilent les perles.
A l’âge où montaient les hormones qui incitaient à la parade amoureuse, j’étais fermement ancrée dans mes rebellions et déterminée à être un hommes comme les autres dans mes domaines de prédilection.

En équitation, l’obtention du deuxième degré signait la fin de l’Ecole avec ce qu’elle offrait sur le site de la Doua.
Car, une fois acquis, ce diplôme ouvrait la porte des concours, il n’y avait aucun « plus loin » envisageable à l’école, pour les concours, il fallait aller sur un autre site.
Evidemment quelques adultes se faisaient plaisir en « montant » leur reprise du samedi matin, ça faisait partie de leur routine dans leur agenda d’adulte.
J’étais adolescente et la simple idée de routine me rebutait.
Elle me rebute encore!

Les chevaux de club n’étaient pas des chevaux de concours, il fallait posséder son propre cheval, son propre camion pour viser « ça », la démocratisation de l’équitation n’avait pas achevé son cycle.

Mais la chance me souriait.
Avec le second degré, il était possible d’aller monter « des lots » au champ de course, dans l’écurie de l’autre fils du Commandant.
J’y suis allée.
Terriblement timidement et infiniment curieuse à la fois, sur les recommandations de Jeannot, je me suis présentée à Etienne un beau jour sur le coup de cinq heures du matin, à la bonne heure donc.
La traversée de la « cour » et les regards pleins de gouaille des apprentis et des jockeys fut une épreuve mémorable qui parle encore dans le fond de mon ventre.
Et j’y suis allée, c’était plus fort que tout, plus loin était là-bas.
Et j’y suis restée.
Et un jour à l’instar d’une certaine anglaise qui était arrivée là, j’ai demandée une rémunération pour le temps passé chaque matin à faire le boulot des lads et des apprentis. il fallait simplement que j’arrive encore plus tôt et que je participe au curage matinal des boxes.

J’apprenais encore et encore.

Riche d’un salaire régulier, je finançais la demi-pension d’un demi-sang, un F, Furibard gris foncé et bien nommé. Il sortait du débourrage, j’avais tout à lui apprendre et force fut de constater que je n’avais pas encore les compétences nécessaires pour lui apprendre à toute vitesse à devenir une bête à concours.
Je m’accrochais cependant. l’espoir fait vivre dit le proverbe.
En « solex » ou à vélo je parcourais des kilomètres à travers la ville et sa banlieue, mon sac de sport ne désemplissait pas et les livres de cours lui apportait un poids certain.

Au champ de courses, avec l’anglaise, nous faisions partie des trois filles qui montaient quotidiennement, trois filles au milieu de centaines de gars!
Parfois, au petit déjeuner, juste avant de partir pour les canters d’entrainement nous parlions d’autre chose que des chevaux de l’écurie. Un jour elle m’expliqua que sa vie était divisée en deux saisons, une saison au cirque et une saison au champ de courses.
Ce qu’elle racontait au sujet des Knie et de leur science équestre me fascinait.

La chance frappa une fois de plus.
Un certain Giscard décida d’avancer l’âge de la majorité, la porte de la liberté s’ouvrait à moi un peu plus tôt que prévu.
Hilary (l’anglaise en question) fit sans doute auprès de Freddy Knie junior un éloge de mes compétences qui dépassait la réalité, mais peu importait j’avais un contrat. Il ne me restait plus qu’à annoncer à mes parents que je mettais les études en suspens et que je partais en Suisse. Devenue majeure, j’exigeais sans état d’âme. Très très longtemps plus tard, j’ai su qu’ils n’avaient pas vraiment digéré ce départ surprenant.
Mes parents avaient nourri tant d’espérances pour moi, des espérances « de haut niveau » aussi bien sportives qu’universitaires, le cirque c’était pour eux une déchéance, une affaire de bohémiens certainement.

L’année passée au cirque fut une véritable initiation.
Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi la liberté, le suspension des études (signifiant une reprise laborieuse), l’abandon de Furibard à d’autres, la fin de mon implication dans une équipe de sport et tout et tout.

J’étais gourmande, je suis resté gourmande.
Et voilà.
J’ignore si je suis devenue vraiment cavalière.
Est-il possible de marquer d’une pierre blanche un jour précis pour ce fait ?
Je l’ignore.
J’apprends au jour le jour.


PS : L’Ecole d’Equitation de la Doua fut fondée en 1924 par le commandant Jean-Marie Mazoyer à proximité de l’hippodrome de Grand-camp (Hippodrome fonctionnel de 1867 à 1964 date après laquelle le campus universitaire de la Doua fut érigé au même endroit tandis que l’hippodrome était transféré à proximité du parc de Parilly).
A ses début, l’école contribua à l’éducation équestre de la jeunesse dorée de Lyon puis les fils Jean et Etienne lui assurèrent une certaine prospérité dans les années où l’équitation de loisir devint populaire.
L’évolution suivit son cours. Avec les règles imposées par la société de consommation, la situation urbaine de l’école était défavorable. Après le décès prématuré d’Etienne, la deuxième épouse de Jean (1928-2013) fit tourner la boutique doucement jusqu’à la fermeture de 2012.
Désormais, plus aucune trace du passage des chevaux n’est visible sur le site.

Les apprentissages -1

Moon-Town, lors d’un stage de préparation au second degré



Après avoir surmonté les affres de la découverte de la réalité du cavalier débutant, j’ai poursuivi ma quête.
Une quête de quoi, c’était très imprécis.
Une quête de mieux probablement.

Mieux habillée, plus « cavalière » en apparence, j’ai très vite tout fait pour y parvenir.
Ah, les apparences !
Voilà encore un truc très humain, j’ai jamais vu un quelconque animal lécher les vitrines ou les catalogues de mode… à moins qu’ils n’aient été préalablement enduits d’un quelconque produit appétant.

En ville, près de mon lycée (avenue de Saxe pour ceux qui connaissent) il y avait un magasin de sport qui, en plus des raquettes de tennis, vendaient des bombes et des cravaches.
Le choix était très réduit, mais il me faisait quand même rêver.
Je dois avouer que je passais pas mal de temps à me balader en ville en sortant du lycée.
Le top était un magasin de décoration situé Cours Franklin Roosevelt, dans un recoin de ce magasin, il y avait un rayon « équitation », un rayon presque secret que seuls les initiés connaissaient et c’est là que j’ai acheté mon premier pantalon d’équitation (prêt à porter de marque allemande)
Mais avant et en premier je m’étais offert une cravache, en jonc tressé comme ça se faisait à l’époque.
C’était totalement inutile, mais en tenant « ma » cravache, dans le secret de ma chambre, je me sentais un peu plus cavalière et ça valait le coup. Et puis c’était le seul objet accessible à ma tirelire, environ 10 francs, l’équivalent d’une vingtaines de baguettes de pain, un peu moins de trois heures du SMIC d’alors.
En deuxième, à l’occasion d’une « grosse » rentrée d’argent, je me suis offert une paire de bottes. C’étaient les toutes premières bottes, en plastique, moulées sur le modèle des véritables bottes en cuir (lesquelles n’existaient que sur mesure chez les bottiers).
J’étais tellement fière d’avoir enfin des bottes. pour y enfiler mon pantalon de survêtement.
J’ai considéré avoir vraiment « la classe » le jour où j’ai enfin possédé une bombe : gravir les marches qui accédaient au club-house de l’école d’équitation en étant bottée, cravache enfilée dans une botte et bombe sous le bras, c’était définitivement avoir l’air de quelque chose alors même que je n’étais point culottée.

Bon, j’ai toujours été gourmande. Alors de pas grand chose, il fallait passer à quelque chose et à mieux. Toujours mieux, que ce soit en matière de capacité à monter à cheval, en matière de connaissances théoriques ou en matière de mode équestre. En même temps, je restais dans la troupe des « pauvres » cavaliers de loisir à carte rose, sans tailleurs, sans bottiers et sans monture.

Une grosse poignée de cavaliers « carte rose » poursuivit l’aventure en « débutant 2 ».
Les reprises étaient alors assurées par un associé, c’était beaucoup plus fade.
En « Intermédiaire 1 » la poignée devint petite, mais à la fin nous passions le grade du premier degré, un examen où il fallait avoir pantalon ad hoc, bombes, bottes, tapis de selle et cheval bien astiqué. La réussite assurée assurait aussi le passage dans la classe d’au dessus, celle d’où on pouvait enfin regarder les débutants d’un peu plus haut, au moins à travers la vitre du club-house qui surplombait le manège.

Dans ce coin de la ville, l’école était au milieu des petites maisons du quartier qui jouxtaient le récent campus de la Doua. Inutile de rêver à la moindre promenade. Le graal consistait à participer au stage de Pâques, dans la maison de maître que possédaient les fils du Commandant, en pleine campagne de Saône-et-Loire. C’est là-bas, au « château », que j’ai fait mes premières balades, mes premiers parcours d’obstacle, que j’ai nettoyé des boxes pour la première fois et pansé chaque jour le cheval qui m’était attribué pour une semaine. Le stage, obligatoirement en pension complète, était prévu pour faire ces découvertes là.

Au fil des années qui passaient, l’équitation se démocratisait et l’ambiance changeait perceptiblement.
Il y avait de plus en plus de filles, le port de la bombe se généralisait, un apprenti-moniteur renforça l’équipe enseignante. Je restais une inconditionnelle du maître de manège, de ce Jean M. qui devint un jour Jeannot, dont René et Dominique n’étaient que de pâles répliques sans élégance.

L’année du second degré, nous entrions dans la classe « confirmé » et le top, c’était la reprise du samedi matin où nous étions cinq-six cavaliers seulement dont plusieurs adultes. Là, nous montions les chevaux qui débarquaient du champ de course et nous participions à leur formatage afin qu’ils passent de « cheval de course » à « cheval de manège ».
A ce moment, J’étais devenue totalement autonome en matière de transport. Plus besoin de papa, plus besoin de marche à pieds ni d’interminable trajet en bus, juchée sur mon « Solex » j’allais au manège quand j’en avais envie. Mais, je ne montais jamais plus de deux fois par semaine. Le salaire grappillé en travaillant les mois d’été ne me permettait pas davantage d’autant moins que le supplément me coûtait le tarif de la carte blanche!
La nouveauté à ce niveau, c’était que nous avions parfois « le droit » d’entrer dans le manège à côté du maître.
Généralement ça commençait par un message à lui faire passer. Pour ce faire, il fallait monter dans la petite tribune en bois et demander la permission d’entrer. Une fois dans le manège, parfois la possibilité de rester était accordée. Ces jours de grâce, le maître nous partageait son coup d’oeil : « vous voyez, Valentino, là, il s’engage pas » ou « regardez, Bou-bou, il laisse échapper ses hanches ». Non seulement j’avais l’impression d’être privilégiée, mais en plus je « voyais », et ça m’aidait à comprendre les réflexions désagréables qu’il fallait souvent encaisser lors des reprises.
Et un jour, je suis passée au grade supérieur. Alors qu’une reprise allait commencer et que je trainais aux abords, je reçu la proposition d’entrer dans le manège sur l’air de « vous m’aiderez à ramasser les barres ».
Et, plus loin, petit à petit je fus nommée par mon prénom et finalement le « tu » me fut octroyé.

J’apprenais avec avidité, passionnément.

A suivre.

L’école d’équitation – 3

Oui avais-je répondu sans plus de commentaire.

L’humain est un animal très particulier qui est éduqué au bien et au mal et donc capable de répondre « oui » à la question « c’était bien ?  » et ce quelles que soient ses sensations physiques réelles.
Aucun animal n’a cette même compétence.
Un animal qui a mal est douloureux.
Un animal plein de tensions est inconfortable.
Un animal est dans l’instant présent immédiat, sans espoir, sans imagination, simplement sollicité par ses besoins fondamentaux, simplement poussé par un certain sens de la survie.
L’humain est sensé, c’est à dire qu’il est capable de donner un sens à ce qu’il fait, en conscience ou non.

Que pouvais-je donc répondre d’autre que ce oui minuscule après la première reprise à l’école d’équitation?
Je l’avais si longtemps rêvé, j’avais si souvent imaginé ce jour où enfin je serai cavalière, je m’en étais donné les moyens (à la hauteur de mes moyens) et mes parents avaient fait ce qu’ils pouvaient pour m’aider.
Oui…
Et il restait neuf cases vierges sur la carte rose !
Neuf reprises à accomplir, neuf semaines à récidiver !
Il fallait impérativement que ma raison s’empare de l’histoire, que j’avance et que plus loin arrive enfin. Ca je savais déjà bien le gérer et je m’y attelais courageusement.

Le mardi suivant fut quasiment la réplique du premier.
Celui d’après pareil.
Le quatrième mardi fut le dernier où j’enfourchais Mont d’Arbois.

C’était ma première victoire et je l’ignorais.

Car, si je me sentais un tantinet moins en déséquilibre, si j’avais l’impression de moins être secouée dans tous les sens, j’étais bien loin d’être tout à fait à l’aise dans les exercices de mise en selle. Il était alors aucunement question de prendre la moindre initiative pouvant laisser penser que j’avais une quelconque influence sur le cheval.

Le maitre de manège, lui avait l’oeil et l’expérience.
Le cinquième mardi, en tamponnant la carte rose, il leva son regard bleu en ma direction en disant « Aujourd’hui, vous prendrez Tilda »

Tilda était une petite jument grise d’origine barbe.
C’était un reste de l’ancienne cavalerie de l’école désormais composée de purs-sangs réformés des courses.

La reprise commença fort bien. Tilda était plutôt confortable et elle suivait les ordres aussi bien que Mont d’Arbois et les autres.
J’étais confiante.
Et puis, lors du rituel dans le bureau, j’avais entendu qu’aujourd’hui nous allions galoper. Quelle aventure enthousiasmante!
Galoper ! Le rêve de tout cavalier novice. Dans ma tête se mêlaient déjà les images de Tornado et de Jolly Jumper, je me voyais cavalière solitaire arrivant au galop dans un nuage de poussière.
Je me faisais mon cinéma, j’étais confiante.

La réalité advint juste après le départ au galop ordonné à la lettre C.
Tilda sortit de la piste, se délestant en même temps de l’encombrement que je lui imposais, par simple effet de la force centrifuge, et alla tranquillement s’arrêter au beau milieu du manège.

Je me relevais, secouais la sciure collée à mon pull et me dirigeais vers Tilda.
Les autres continuaient leur galop au rythme des recommandations :
« Gardez les épaules en arrière, laissez tomber vos jambes, cirez bien le fond de la selle, etc »
Enfin vint « A mon commandement, en A, marcheeeeez au paaaaaas » et le maitre de manège arriva vers moi en disant « Et bien mademoiselle, que vous est-il arrivé ? » et il m’aida à remonter.
C’était reparti.
Après avoir changé de sens de rotation dans la diagonale, le même scénario se produisit.
Exactement le même, dans l’autre sens.
La force centrifuge se moque du sens de rotation et Tilda était remarquablement déterminée à éviter la fatigue. J’étais bien trop ignorante en psychologie équine (et même en psychologie tout court) pour le comprendre alors.
Je détestais instantanément le galop.
Exit Tornado et Jolly Jumper, je détestais Tilda, je détestais l’équitation, j’étais humiliée, mes rêves étaient envolés, la reprise touchait à sa fin et j’attendais l’ouverture de la porte comme une libération de prison (j’ai jamais connu la prison en temps que prisonnière, hein!)

« Ca s’est bien passé » demanda mon père.
« Oui » répondis-je comme d’habitude.

Mais, je prenais de l’assurance. Avais-je un autre choix sinon l’abandon ?

Le mardi suivant, lorsque le groupe allongea le trot et commença à galoper à la lettre C, Tilda s’engagea dans la tangente sans que la force centrifuge ne réussisse à me faire expérimenter, en plus, la force de la gravité.
Je m’accrochais au dessus de ma monture, de toute ma désespérance, et nous arrivâmes au milieu du manège, Tilda droite dans ses bottes comme d’habitude et moi accrochée autour de son encolure, de travers sur ma selle, le coeur battant la chamade, pas vraiment fière de ma drôle de posture mais néanmoins indemne de toute poussière.
A la seconde tentative de galop, j’ai presque galopé avec les autres pendant quelques foulées puisque la sacrée Tilda visa le point X seulement devant le miroir. Elle le fit d’un coup sec et il y eu une nouvelle séparation des corps.

Et le cirque continua encore deux mardis. Sauf que je m’accrochais de plus en plus efficacement au point que la maitre manège soit obligé de me lancer un nouveau défi, celui qui consistait à faire décoller la jument du centre pour rejoindre les copains au galop sur la piste.
Je devenais donc une espèce de pantin agitant et les bras et les jambes pour essayer de convaincre la jolie barbe.
En vain.
Cependant, magie, magie, le dernier mardi de la carte rose je me suis retrouvée en train de galoper en queue de peloton. Rien de bien glorieux ni de très académique, mais ce fut une nouvelle victoire.
Vu d’aujourd’hui, je cherche encore quel geste le maitre de manège avait pu faire, quelles paroles il avait bien pu vociférer pour que Tilda lui obéisse et rentre dans le rang.
J’ai mis des années avant de devenir reconnaissante envers Tilda, admirative de sa constance, et aussi admirative de la pédagogie du maître à mon égard. C’était un très bon enseignant et c’était une époque où rien n’était comme maintenant.
Bref.

Lorsque le mardi suivant, une nouvelle carte rose fut entamée, j’ai eu droit à un nouveau cheval. J’aurais vraiment apprécié Oranie, elle était si ronde, elle paraissait si sage, tellement appliquée et fiable mais je ne l’ai jamais, jamais montée.
A l’époque, personne n’aurait eu l’idée de demander une monture plutôt qu’une autre, il fallait sans doute apprendre ce que l’enseignant décidait que nous devions apprendre.

A suivre

Et le cheval vint à moi – 2

J’avais dix ans et j’avais envie de monter à cheval.
Pourquoi ?
Difficile question.

Rien n’était comme aujourd’hui.
Des anecdotes sont rapportées dans le -1-, il y en a d’autres.

Par exemple, les boucheries chevalines commençaient à disparaitre mais celles qui subsistaient étaient décorées avec de belles images de chevaux de course et j’aimais y entrer. Ca parait fou vu d’aujourd’hui, non?
Pas à l’époque.
Manger du cheval rendait fort, c’était un véritable luxe.
J’avais été très malade (presque une année scolaire sans mettre les pieds à l’école) et ma mère avait tout essayé pour me redonner la santé. En particulier, elle achetait de la viande de cheval qu’elle pressait pour en extraire le jus et me le faire boire quand « rien ne passait ». Aujourd’hui « on » fait l’éloge des cures de fer en comprimés, à l’époque c’était pareil mais différent!
Donc en cette fin des années 1960, je regardais avec plaisir les magnifiques têtes dorées qui surplombaient les boucheries chevalines et si d’aventure la vitrine affichait quelques photographies de coursiers, je restais devant, rêveuse.

Les chevaux avaient disparu du paysage urbain, le laitier passait à vélo pour vendre sa crème, son lait et ses délicieux fromages frais ; plus aucune charrette hippomobile n’était visible, l’armée était désormais totalement motorisée, des fusées partaient dans l’espace, les chevaux étaient devenus inutiles.
A la campagne, je marchais parfois des heures en suivant les traces d’un sabot et parfois, la chance me souriais, j’arrivais devant un pré où un énorme cheval de trait dormait sous le bourdonnement des mouches qui lui collaient au corps. Je ne résistais pas au plaisir de rester sous l’effet enchanteur de son souffle, penser aux inévitables remontrances des parents inquiétés par ma trop longue absence ne servait à rien, il fallait que je profite un peu. Je me souviens de l’odeur qui restait sur mes doigts les jours où j’avais eu l’audace de tendre le bras pour… toucher. C’était un mélange de fragrances que je n’arrive pas à retrouver, peut-être en raison de l’artificialisation des prairies.
Lorsque je prononçais le mot « cheval » à la maison, ma mère disait quasi systématiquement : « Elle doit tenir « ça » de son arrière grand-père. »
L’arrière grand-père, c’est celui qui est sur la photo.
Un beau jour maman fit sortir d’un tiroir une collection de photos sur plaque de verre datant de la guerre de 1914. Et elle sortit aussi une visionneuse en beau bois verni. En posant les yeux en face du binocle, les photos prenaient une apparence 3D juste magique. Et surtout au milieu des innombrables photos de guerre, il y avait celle du « Commandant » sur son cheval. J’avais donc un ancêtre et bourgeois et de fait… commandant à cheval.
J’ai rapidement subtilisé les quelques plaques où figuraient des chevaux.
Et dans le secret de ma chambre, je les regardais.
Un jour j’allais monter à cheval moi aussi, c’était certain.
Et puis, je savais qu’il existait un manège en ville puisque les filles du lycée en parlaient.

Rien n’était comme aujourd’hui.

Les enfants étaient tenus loin des affaires d’adultes, en particulier en ce qui concernait les histoires d’argent. Les prix n’étant pas affichés, je n’avais aucune conscience de la valeur des choses même si j’avais bien entendu que le manège était réservé aux riches et que nous n’avions pas les moyens.

Ma mère me donnait chaque semaine de l’argent pour payer le bus qui menait au lycée.
Sans rien lui dire, j’y allais à pieds et je commençais à remplir ma tirelire.
Patiemment.
Ma mère était ravie de me voir partir très à l’avance, j’inventais de bonnes raisons « scolaires » à ce besoin de prendre tant d’avance…

Un beau jour, certainement rouge d’un mélange de honte, de terreur et d’espoir, je me souviens m’être présentée devant mon père et ma mère, la main tendue remplie de l’argent économisé et j’ai tout expliqué.
« Voilà, en fait je vais au lycée à pieds, avec l’argent économisé que voilà je voudrais payer une heure de manège, comment faire? »
J’ai encore dans mes tripes le mélange des sensations ressenties dans cet instant.
Je fondais, je me désagrégeais et j’étais hyper fière en même temps.
Droite et fière, je regardais les parents recevoir ce que j’envoyais.
J’étais prête à tout, même au pire.
La sentence tomba :
« Ma pauvre fille, il n’y a pas assez et puis c’est un club fermé, c’est impossible d’y aller pour une heure seulement. »
Déjà j’avais échappé aux remontrances. Mes parents étaient aimants, à travers leurs mots j’avais bien senti leur impuissance et leur tristesse de ne point pouvoir satisfaire ce qu’ils appelaient déjà « passion ».

Par chance, la révolution était à l’horizon.
Les comités d’entreprises d’inspiration communiste militaient pour un égal accès de tous à tout.
Et mes parents cherchaient de leur côté ce qu’il pouvaient faire.
Ma détermination les touchaient.

Un soir, mon père me demanda de venir le voir « pour parler ».
Son aspect sérieux m’inquiétait.
Ma mère se tenait debout à côté de lui, le visage fermé.
J’ignorais à quoi m’attendre.
C’était très énigmatique.
Quelle bêtise avais-je bien pu faire?
J’essayais de repasser à toute vitesse toute les règles que j’avais transgressé dans les derniers jours, que ce soit au lycée ou à la maison.
Et j’approchais.
Avais-je un autre choix?

Alors, mon père sorti de sa poche une carte rose.
En un éclair je vis le cheval imprimé dessus et les mots incroyables qui entouraient le dessin toutes majuscules sorties : Ecole d’Equitation de La Doua.
Et mon père ouvrit la bouche : « Voilà, je me suis renseigné, mon comité d’entreprise propose des cours à un tarif spécial. Nous pouvons t’offrir ça. Voilà une carte pour dix leçons, une par semaine obligatoire. »

A l’époque, la retenue était de rigueur.
Dans ma famille personne ne disait « je t’aime », personne n’avait ni grande envolée romantique, ni spectaculaire manifestation sentimentale.
Ma mère a esquissé un sourire.
J’ai probablement souri, au moins intérieurement.
Je savais que mes parents avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour me faire plaisir.
Submergée par l’émotion, j’ai balbutié un minuscule merci.
Mon père a ajouté : « On y va mardi soir à 18h »


A suivre.

Et le cheval vint à moi – 1

Pour commencer il faut situer l’histoire, c’est à dire la mettre dans le contexte d’une époque.
Comme je l’ai affiché ici, je suis une enfant du baby-boom, de cet après-guerre où la croissance de la population française s’envola. Dans le même temps, les campagnes se vidaient, les tracteurs remplaçaient les chevaux, les machines épargnaient les bras des hommes.

Rien n’était comme aujourd’hui.

Par exemple lorsque ma mère décida de m’emmener à l’école, j’avais déjà 4 ans. Elle tenait fermement ma main en traversant le long couloir qui menait chez « les bébés » mais au moment de m’abandonner au milieu des jouets, la maitresse s’allia avec les dames de services pour déclarer que j’étais trop grande (j’avais une taille élancée en hauteur) et ma mère fit demi-tour pour m’emmener chez les moyens, là où les enfants étaient sagement assis autour des bureaux, chez Mademoiselle Martin.
(C’est fou comme ces souvenirs sont forts… mais rien à voir avec les chevaux, hein!)
Tout ça pour dire que j’ai sagement appris l’alphabet, l’écriture et la lecture sous la houlette d’une Mademoiselle Martin très gentille et attentive (c’est ce que ma mère pas peu fière n’arrêtait pas de répéter), que j’ai un peu grillé les étapes (décidément à l’époque, peu importait la date de naissance, nous avancions sans réunions ni concertations ni dérogations ni félicitations ou je ne sais quoi, nous avancions simplement). A dix ans à peine, je rentrais au lycée… Oui, à l’époque le collège balbutiait encore et la sixième était au lycée. Et le lycée était un lycée de filles et surtout c’était « le meilleur de la ville de Lyon ». J’ignore pourquoi et comment j’ai été propulsée chez les « bourgeois » dans ces années où couvait la révolution de 1968.
« Les bourgeois » et le gratin des riches lyonnais… sans eux je n’aurais jamais mis les pieds au manège, je serais restée dans l’ignorance de son existence.
Nous bénéficiions de quatre heures de sport par semaine au lycée et j’étais fan, aussi fan que de chacun des cours proposés, à l’exception de la couture et de l’anglais, pour des raisons bien différentes… disons que j’avais déjà un tempérament bien affirmé.

Je découvrais des mondes que ni ma mère ni mon père n’avaient connus, je devais inventer, m’inventer. Et pour ce faire, j’écoutais, j’observais.
Je tentais de tenir en équilibre.
Solitaire et déterminée.
J’ignorais alors que la Vie est définitivement un exercice d’équilibre.
J’étais irrésistiblement attirée par les conversations tellement clinquantes des filles qui m’entouraient… et m’ignoraient aussi… Plusieurs d’entre elles montaient à cheval.
Monter à cheval.
Une graine était semée.
A l’insu de mon plein gré.
J’en prends conscience aujourd’hui en l’écrivant.

A suivre

A cheval sur l’authenticité

En partant sur « mon » île préférée, j’avais emporté deux choses : un bouquin publié à la fin des années 60 au sujet de la psychologie du cheval et l’idée d’aller voir un vieux gaucho installé sur l’île.

Le bouquin s’avérait âpre à lire, ce fut un livre que j’avais pourtant dévoré « dans le temps ». Il m’apparaissait désormais comme d’un autre âge bien que les propos abordés soient tout à fait bien argumentés et que la « science » n’ait pas changé grand chose dans le domaine.
Il n’en demeurait pas moins d’autant plus passionnant, mais à petites doses quotidiennes.
En fait comme beaucoup d’ouvrages d’autrefois, il est écrit en langage savant, riche d’une multitudes de sources et il ne ressemble aucunement aux ouvrages d’aujourd’hui chargés de belles images mais dénués de textes réellement érudits, des ouvrages de « consommation courante » destinés à encourager la course à la consommation et au … jetable!

Jetables les livres, jetables les idées, jetables les influenceurs.

Le gaucho habite sur l’île depuis une vingtaine d’années, il a conservé de son pays d’origine (L’Uruguay, pays du monde où il y a le plus de chevaux par habitant) l’habitude d’avoir des chevaux dans son jardin. A un détail près : sur l’île il n’existe ni herbe ni pâtures. Les chevaux sont confinés sur de la terre battus et nourris avec des granulés et un peu de foin importé, c’est très onéreux!
Il m’avait dit que je pouvais arriver un peu à l’avance, ce que j’ai fait après avoir trouvé grâce au GPS le site où ses animaux sont hébergés au milieu de nulle part.
Je l’ai aperçu de loin derrière le grand portail clôt, son accoutrement en bleu de travail et son chapeau ne trompaient pas. Il rentra les énormes bergers allemands qui montaient la garde et m’accueillit avec le sourire « comme il se doit » envers la touriste que je suis.
En premier il m’informa : « tu vas voir, moi je fais dans le respect et le naturel, mais pour de vrai ».

OK

J’étais préparée pour me taire et observer.

Mais quand même, ignorant ce qui avait été dit à mon sujet, il fallait que je lui montre mon intérêt réel pour les chevaux, ma non-peur et… Pourquoi pas un soupçon d’expérience?
Je me dirigeais donc vers le cheval à l’attache.
C’était un cheval plutôt joli et bien fait. En lui flattant l’encolure, je questionnais pleine d’espoir : « C’est celui que je vais monter? »
Non, il désigna à mon intention un petit cheval quasi noir vers lequel il m’entraina.
Une fois dans le corral, je tentais (délicatement) une allusion sur l’aspect « maigrichon » de la pauvre bête, mais je fus vite remise à ma place.
Lui était le maître, le spécialiste de l’équitation naturelle et de « l’amour » des chevaux.

A partir de ce moment, je n’ai plus parlé que de la pluie et du beau temps, me contentant d’observer tout ce que je pouvais capter.
Le gaucho essaya de me faire une démonstration de son rapport aux chevaux en utilisant, pour ce faire, le compagnon de corral du cheval noir qui m’était imparti. Ceci non sans avoir préalablement affirmé que le cheval choisi pour la démo était encore sauvage, immontable et difficile.

OK.

De retour à la barre d’attache, il me refusa toute action. J’étais une touriste, c’était clair.
En retrait, je notais tous les détails.
Les noeuds des licols en corde (en France on les appelle « licols éthologiques ») avaient usé le poil des chevaux aux points d’appui. La longe était attachée si courte que les chevaux pouvaient à peine tourner la tête pour regarder alentours.
Je posais quand même la question de savoir si nous allions monter en licol (j’avais vu des photos où il le fait) en me réjouissant ouvertement à cette idée. Une fois de plus la réponse tomba en fermant le sujet : « Non, c’est une question de sécurité! ».

OK

Il sella en serrant d’un coup les sangles à leur point de non retour.
Il emboucha les deux animaux avec un mors droit à levier et ajusta les gourmettes.
Comme il vit ma grimace, il se justifia : « Ca leur fait pas mal, c’est pour la sécurité ! »
Puis il me tendit une cravache avant de m’inviter à monter.
Décidément incapable de me taire, je lui rétorquais que je n’avais pas besoin de cravache d’autant moins que les chevaux allaient vraisemblablement se suivre.
Il argumenta une fois de plus, vantant l’indépendance de ses chevaux, ses méthodes naturelles et la sécurité, puis devant mon attitude bien campée, il finit par conclure qu’il allait prendre la cravache avec lui.. okazou !

OK

Et nous partîmes.
Et il fit la conversation.
Comme prévu mon cheval suivait le sien d’un petit pas raide. Rênes longues et jambes inactives, je me laissais aller, à la fois impuissante et totalement résolue à le demeurer.
Plus loin, il me proposa de trotter et après quelques foulées les chevaux se remirent paisiblement à leur routine, au pas.
Bis repetita placent, résultat identique.
Alors, il me proposa d’échanger nos chevaux, je me demande encore sur quelle « bonne raison ».
J’acquiesçais avec joie.
Sentant le changement de cavalier, le grand cheval blanc se précipita trois pas en avant. Impassible je la laissais faire en serrant imperceptiblement les doigts sur les rênes longues (l’embouchure était vraiment trop « méchante » pour que je l’utilise).
Sans autre action l’animal repris son pas calme et le noir suivi comme il avait suivi jusque là. Ce qui est certain c’est que le pas du grand blanc était vraiment plus souple, donc plus agréable à mon vieux dos.
Enfin, la promenade toucha à sa fin.
Le gaucho continuait à me faire la conversation, essayant de positiver « cet excellent moment que nous passions ensemble à partager nos idées qui étaient semblables ». Captait-il les milliers de pensées qui me traversaient ou était-il en quelque sorte désarçonné par mon attitude si peu « normale » pour une touriste en mal de balade à cheval ?
Je l’ignore.
Dans l’ultime montée vers le corral, il m’ordonna de tendre les rênes en expliquant que le cheval allait partir au galop, car d’habitude il part au galop à cet endroit, car c’est un cheval qui « aime » courir.

OK

Je prenais un contact mou pour lui faire plaisir, le relâchant immédiatement.
Il demanda le galop.
Et mon cheval resta au pas.
Puis l’animal voyant son compagnon galoper décida de trotter et finalement galopa.
Rênes longues, il galopait.
Je tenais ma casquette d’une main afin qu’elle ne s’envola point.
Tranquille.
Tranquille pendant que le gaucho essayait de faire la démonstration de ce qu’il était capable de faire au galop, comme attraper les oreilles de « mon » cheval.
Je me contentais de surveiller ma casquette.
Tranquille.
Rapidement les chevaux qui aiment tant courir se mirent spontanément au pas.
En voyant enfin arriver le portail, je me suis dit que j’en avais définitivement terminé avec l’idée de me balader à cheval de cette manière.

Je me balade en vélo, je me balade à pied.
Je me balade dans ma tête.
Toujours avec un grand plaisir.

A cheval, je cherche une relation, j’explore, je note, j’observe, je suis dans un « monde » spécifique, c’est une réponse à un autre besoin.

Question de point de vue


Ca fait quelques années que j’ai commencé à faire des tas de cailloux en passant, des tas en équilibre précaire qui ont pour mission de s’écrouler dès que j’ai le dos tourné à moins que je ne les démonte après la captation d’image si ni le vent ni les vagues ne peuvent s’en charger.

Pour écrire ce billet j’ai une fois de plus plongé dans les entrailles de ce blog, à la recherche de billets plus anciens, de souvenirs ou d’arguments déjà avancés. J’ai retrouvé Melchior avec plaisir mais il y en a tant d’autres, celui-ci par exemple et d’autres et d’autres. C’est que je suis inquiète à l’idée de radoter et puis, finalement je suis heureuse de lire qui je suis depuis un bout de temps, racontant toujours les mêmes histoires en les pimentant du présent tout en les conservant à mon image.

J’ai déjà titré « Points de vues« . A deux « S » près, cette fois-ci je questionne davantage.

Davantage et plus loin, je questionne l’équilibre.
D’équilibre aussi il est souvent question dans ce blog jusqu’à parler de l’effort nécessaire pour y parvenir. Maintes fois, mille fois, dix milles fois au cours d’une journée nous sommes en équilibre et nous passons d’un équilibre à un autre sans nous en apercevoir sans le noter, aussi automatiquement que nous marchons. nous passons d’une posture à une autre et cela nous semble si « normal » que nous n’y prêtons aucune attention.

Donc.

Quand je construis un tas de cailloux, je recherche un équilibre éphémère.
Et,
Je suis attentive au point de vue, c’est à dire à l’angle sous lequel je vais capter l’image afin que la fragilité de l’équilibre soit bien visible.
Une fois que la construction me parait achevée, je tente de l’enregistrer dans mon APN, espérant que j’en garderai le souvenir préalablement imaginé. C’est difficile car entre l’imagination, la réalité et l’image enregistrée, tout un registre s’écrit.
Si le vent m’en laisse le temps, je tente parfois de prendre une photo sous un autre angle, histoire d’avoir un point de vue différent.

L’autre jour, dans la lumière d’avant le crépuscule, dans la paix d’un lagon vidé par la marée, j’ai joué avec les cailloux et la lumière.
La photographie visible sous le titre de ce billet fut celle que j’ai prise juste avant de tourner le dos et d’entendre le « plouf » caractéristique d’un « démontage automatique ».
Le point de vue est donc celui que je n’avais pas prévu enregistrer, le côté pile en somme.
En le regardant le soir sur grand écran, il m’apparu d’une grande stabilité. Impossible de passer à côté de cette notion de « point de vue » alors. Je connaissais la fragilité de mon édifice, je l’avais entendu s’écrouler spontanément sous la faible brise du soir et surtout j’avais l’autre point de vue sous les yeux.

Je voyais ce point « faible » et « fort » à la fois sur lequel reposait une bonne partie de l’édifice. Ce point terriblement fragile.

Comment oublier que la vie toute entière est ainsi construite, en équilibre entre forces et faiblesses ?
Comment oublier que tout est question de point de vue ?
Comment faire abstraction de la relativité en toute chose, de la variabilité des points de vue, de l’incessant renouvellement des postures ?

Définitivement, c’est en questionnant toujours plus loin que j’avance, en équilibre (forcément instable) sur le fil tendu entre mes paradoxes.

Ils sont faits pour ça

« Mais… ils sont fait pour ça! »

Cette phrase est tombée d’un coup, obstruant immédiatement l’écoulement du flot de questions que j’essayais de traduire en paroles.
C’était après une courte séance d’éducation proposée au petit cheval Apaloosa avec l’aide d’une jeune cavalière.
Ses parents (propriétaires des lieux) s’étant approchés, je tentais d’expliquer à nouveau et à l’aide de mots simples autant que de métaphores anthropomorphiques à quel point il était difficile de trouver un équilibre entre « aimer monter à cheval » et « aimer le cheval » ; à quel point les chevaux sont fondamentalement gentils mais bien loin d’apprécier l’obligation de se prêter au bon plaisir des humains alors qu’ils sont si heureux en troupeau. Le non-goût pour l’activité avec les humains se révélant par le non-allant (cheval qui avance avec le frein à main bloqué, genre ado qu’on force à sortir le nez de son écran) autant que par un empressement désorganisé (cheval qui fonce, genre individu pressé d’en terminer pour aller boire une bière avec les copains)

« Mais… ils sont fait pour ça! »
Et d’ajouter :
« Bah sinon… ils ne se laisseraient pas monter… »

Je me suis sentie terriblement seule devant une telle logique simple.

Et presque instantanément, face à ces gens vivant dans un monde différent du mien, j’ai réalisé à quel point nous vivons tous sous l’injonction de la consommation « c’est là pour ça », « on a inventé ça pour vous », prenez, servez vous, pensez à payer et puis faites en ce que vous voulez « c’est fait pour ça »!

Je vais apprendre encore et encore, grâce a cette nouvelle-ancienne activité.

Nouvelle activité qui consiste à monter à cheval pour mon bon plaisir dans l’environnement d’aujourd’hui où les chevaux sont (c’est la cas de ceux que je côtoie en ce moment) régulièrement vu par le pareur (ils sont « pieds-nu » mais obligés de voir leur podologue chaque mois) par un ostéopathe, par un dentiste, par le vétérinaire, sont régulièrement complémentés en probiotiques, mangent des friandises saveur « fraise tagada » spécialement crées pour eux (oui, oui, c’est écrit sur le paquet! Impossible d’affirmer que ce fut créé dans le but de forcer les humains à consommer au grand magasin pour chevaux!) et vivent « en liberté » dans un pré d’herbe rase régulièrement inspecté. (Oui, il existe tant de dangers « volants » qui peuvent planer sur une pré soigneusement clôturé )
Je vois en filigrane ces gamins nombreux, vivant « en liberté » dans un monde préservé, « fait pour eux », hyper « bien soignés » mais si peu éduqués. Ils sont capables de rendre fiers leurs parents qui font du mieux qu’ils peuvent pour leur apprendre ce qu’ils n’ont eux même jamais appris qu’à travers des vidéos faites « pour ça »!

PS : Bien que j’aie ouvert une rubrique « cheval » c’est aussi dans la rubrique « vivre avec son temps » que ces billets ont leur place! Aurais-je pu l’imaginer?