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Mardi 19 septembre, étape bonus

Préambule

En tapotant ce matin sur mon clavier, j’ai trouvé une quantité inimaginable de récits qui relatent le « passage mythique des Pyrénées » entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Roncesvalles.

(La mythologie de la « route Napoléon » est toute récente, intrinsèquement liée à la mode de l’exploit. Il suffit de réfléchir quelques instants pour imaginer qu’aucun pèlerin médiéval n’allait s’aventurer et passer des cols de presque haute montagne quand il était si simple de passer par la vallée. La voie passant par Vacarlos est dédaignée et peu médiatisée bien qu’elle ait probablement été la voie la plus fréquentée « dans le temps ». Elle est certainement préférable, plus courte et beaucoup plus tranquille.)

L’étape « mythique » s’affiche donc de partout. Elle est annoncée exigeante, réalisable en 7 à 11 heures de marche, nécessitant un bon équipement et une bonne condition physique.
Tout est dit à son sujet sur les blogues, à travers des regards multiples, complaisants, illuminés, pragmatiques ou autre.
Que pourrais-je raconter au sujet de cette « étape bonus »?
Quoi dire au sujet de ce « voyage en terre pèlerinesque inconnue » que j’avais inventé sur le vif, en dernière minute, simplement parce que je ne souhaitais pas finir trop tôt mes vacances?

Comme je l’ai fait à chaque étape je vais me laisser porter, pas à pas, un mot dénichant une pensée, un autre invitant un souvenir et un suivant en portant un nouveau.

 

« Mais, lorsque je veux me tourner vers toi,
Mon ombre me devance, une voix douce s’introduit et susurre :
Tout ce que tu verras dans ce miroir de lumière
N’est autre que toi-même. »
Faouzi Skali, Traces de lumière, Albin Michel, 1996, ISBN 2-226-07610-7

Le voyage avait commencé le soir précédent, dès l’entrée dans le dortoir.
Il allait se terminer le lendemain matin avec ma sortie du dortoir.
J’étais vierge de tout parti-pris.
j’étais là parce que je l’avais choisi, comme on choisit un chemin qui s’offre par hasard, sans rien en connaitre, sans rien en attendre, entièrement disponible pour partir à la découverte avec cette petite phrase si souvent écrite en musique intérieure « c’est important parce que ça ne sert absolument à rien »
Tout mes sens étaient ouverts, j’étais dans la carte postale, j’étais dans le cadre et pourtant j’étais en même temps observatrice, en dehors de tout cadre.
Aucun jugement n’apparaissait dans les arcanes de mes pensées, je prenais tout en pleine face, la moindre vibration, la plus subtile onde émise alentours me touchait de plein fouet.

J’étais entrée dans un petit dortoir sans fenêtres en même temps que trois couples qui cheminaient « entre amis » depuis Saint-Palais. Ils avaient l’ambition d’aller jusqu’à Saint-Jacques après avoir « fait » « Le Puys-Saint-Palais » l’année dernière. Ils avaient environ mon âge.
Quelques instants après un couple de japonais a débarqué. Ils étaient jeunes.
La place restante est restée vacante.
Aucune raison, aucune, ne pouvait initier une conversation au delà du simple salut de présentation.
Chacun dans son coin était dans son coin.
A l’heure du diner, les amis sont partis au restaurant recommandé par le gérant du gite.
Les japonais se sont évaporés sans rien dire.
Je suis descendue dans le réfectoire, armée de mon gobelet, d’un couteau, de pain, de fromage et d’un sachet de céréales « prêtes à réchauffer » achetées au coin de la rue.
Trois hommes mangeaient chacun dans leur coin de table.
J’en ai fait de même.
Je suis remontée, je me suis rincée sous la douche encore bien chaude et j’ai trouvé refuge dans mon duvet. Sans bouchons d’oreilles, j’ai poursuivi l’observation nocturne toutes ouïes ouvertes.
J’ai noté qu’il était cinq heures du matin quand les premiers signaux d’agitation signèrent l’heure du réveil général.
Les trois couples s’agitèrent. Les femmes étaient préoccupées par le portage de leur bagages. Elles avaient acquitté les 8 euros exigés pour le service et doutaient un peu de l’endroit où il fallait déposer les sacs pour être certaines de les récupérer en fin d’étape.
Puis leur conversation s’étala en chuchotements bruyants sur les mêmes sujets que la veille. Remarquablement, ce groupe constitué racontait sa vie sans se soucier de ce que « les autres » pouvaient en capter.
La vie en collectivité est à l’image de la vie dans le monde : il est « normal » de parler entre soi et il est « normal » qu’aucune personne « étrangère » n’entende rien.
Sans la présence d’un besoin précis, aucune tentative de communication avec « les autres » ne voit le jour.

A 7h30, je sortais du gite.
La nuit flottait dans la brume.
De toutes part des ombres sortaient.
Un lent cheminement s’organisait.
Dès la sortie de l’enceinte de la vieille ville, une file ininterrompue était visible malgré l’obscurité persistante.
La procession avançait vers la montagne.

J’avais laissé au gite la plus grosse partie de mes bagages, le tout emballé dans ma cape de pluie. Dans mon sac, il n’y avait que mon duvet, quelques vivres et un peu d’eau.
Ainsi allégée, je marchais.
Inexorablement je « doublais ».
Au début, saluant avec politesse, je m’excusais de gambader ainsi en expliquant que mon sac était très léger.
Au fil du chemin, j’ai appris que rares étaient les pèlerins à porter un sac lourd, la plupart avaient délégué la charge du sac de bagage au service de portage. C’est que l’étape était redoutée, autant par sa longueur que pas son profil.
Et puis, j’ai appris qu’il fallait dire « buen camino ».
En conséquence, j’ai arrêté de m’excuser de marcher « plus vite » et j’ai distribué les « buen camino » de rigueur.

La file s’était considérablement clairsemée lorsque je suis passée devant la terrasse ensoleillée du « refuge d’Orisson ». Des pèlerins tout neufs en sortaient bien plus nombreux que la capacité affichée sur le site. De nombreux taxis étaient garés… D’ici à imaginer qu’un certains nombre de marcheurs étaient arrivés en voiture pour prendre le petit déj. au refuge…

A l’approche d’un col, j’ai entrevu, dans les nuages, la silhouette d’un stand de ravitaillement comme il y en a dans les marathons.
Je ne rêvais pas, il y avait bien une caravane offrant boissons chaudes et fruits et nourriture chaude. Les tarifs étaient placardés en plusieurs langues, et bien sûr en japonais. Le stand avait du succès. A sa suite le chemin était jonché de peaux de bananes et de gobelets…

Du côté espagnol, il y avait une installation semblable à l’approche d’un autre « point haut ». Là, c’était de la pastèque qui était proposée à la place des bananes.

Pour rejoindre Roncesvalles, c’est un petit bout du GR11 qui est indiqué. Ce fut un plaisir d’y être sur ce GR11, il avait été évoqué, comme une possibilité, lorsque j’avais envisagé devant le clavier du laptop, « ma » traversée de la méditerranée à l’atlantique.

La descente à travers une forêt fut délicieuse, la pente était raide, le terrain assez sec et il était possible de « courir » sans risque. Je me suis régalée, d’autant plus qu’il n’y avait plus personne à portée de vue.
Au débouché de la forêt, le clocher de la collégiale s’impose plein cadre.
Puis l’immense « refuge » se découvre.
Puis, Roland git et dans ma mémoire chanta sa chanson et revinrent les souvenirs d’enfance « Roland souffle dans son cor… » avec mes propres dessins animés sur le sujet.
J’avais couvert le parcours en à peine 5h30 (pauses comprises)
Il me restait beaucoup, beaucoup de temps à laisser filer avant l’arrivée du bus pour le retour à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Joueuse, puisque je « jouais » à la pèlerine, je suis allée voir où se distribuaient les coups de tampons pour crédentiale.
C’est super bien fléché et d’ailleurs les véritables pèlerins s’y précipitent avec une hâte d’autant plus grande que c’est l’endroit où il faut pointer pour obtenir une place en dortoir et il est bien connu que les premiers arrivés sont les premiers servis!
Dans les langues du monde, il est écrit en énorme qu’on est prié de laisser sacs, vélos, bâtons, ânes et ménagerie à l’entrée.
C’est en humain de base qu’on se présente devant la vitre derrière laquelle le préposé est assis. Je lui ai demandé de tamponner mon carnet de notes.
Sans le moindre aspect surpris, sans la moindre question, il s’est exécuté.
Troisième essai réussi.
Ce sera le dernier.
Dans un coin de ma tête j’en ai tiré la conclusion suivante : qui souhaite remplir sa crédentiale de tampons peut le faire à moindre pas. C’est vraiment une histoire entre soi et soi et une preuve de tout comme de rien.

Les conditions météorologiques restaient fraiches et variables. Impossible de séjourner trop longtemps dehors sans être rapidement saisie.
J’ai donc bu un « cortado », croqué un « bocadillo » avant d’aller me réfugier dans l’endroit le plus chaleureux du coin : l’église.
Des chants grégoriens tournaient en boucle.
Il y avait si peu de passage à cette heure précise que la lumière s’est éteinte.
Un grincement de porte m’a sortie de la sieste, une femme est entrée, s’est agenouillée, est restée.
Elle était encore à genoux lorsque je suis sortie.
C’était la douceur du jour.

Le bus régulier à destination de Saint-Jean-Pied-de-Port annoncé à 15h30 n’arriva qu’à 15h45.
Avant 17h nous étions arrivés à destination, à la porte de la vieille ville.

Au « gite », il y avait déjà foule, des gens qui avaient réservé et qui attendaient leur tour pour « avoir le droit » de monter dans un des dortoirs. Le gérant des lieux se veut accueillant et fait un long discours à chaque arrivant, d’autant plus théâtralisé qu’il y a du monde. Il peut le faire en français, en anglais ou en espagnol, le discours ne change pas d’un mot. Le fait d’arriver pour le deuxième fois validait ce que j’avais déjà noté, ce gite est « malgré tout » tenu par un véritable vendeur de sommeil.
J’avais l’avantage de « connaitre », je suis montée, j’ai récupéré mon baluchon sous le lit abandonné le matin même, désinfecté à neuf comme tous les autres, et j’ai marqué ma place sur un nouveau lit, dans le dortoir d’à côté pourvu de deux belles fenêtres.
Et je suis partie, le nez au vent, le coeur léger à la découverte de la ville.


Le mur d’enceinte, le ruisseau, le château, le « Tout pour le pèlerin », La ville où habitent les vrais gens, le « Lidl », le départ du GR10, rien ne m’a échappé, j’ai « tout fait » en détail et avec attention.
Quand « tout fut fait », il ne restait plus qu’à rentrer consommer en public le « mini-espace de sommeil » que j’avais acheté depuis la veille.
C’était cool, j’avais mes marques!
Le dortoir s’était rempli, il s’était rempli exclusivement de filles.
Personne ne pouvait savoir que c’était ma deuxième nuit.
Moi, le sachant, je notais à quel point je me sentais plus à l’aise que les autres.
Il y avait plusieurs explications à ce fait, il y avait surtout trois points qui me faisaient défaut alors qu’ils accaparaient visiblement les femmes qui étaient là.
1° Je n’avais aucun stress à l’idée d’affronter une « étape mythique de 8 heures de marche »
2° Je n’avais aucune question au sujet de ma capacité à marcher au long cours
3° Je n’avais aucune angoisse de solitude, d’éloignement, de séparation, pas de burn-out pré-existant, pas de pathologie sous-jacente

Je m’étais installée dans un coin, sur le lit d’en bas, afin d’observer.
Timidement une allemande d’environ 40 ans est venue s’installer sur le lit du dessus. Elle était dans un état de stress juste terrible, elle pensait faire l’étape vers Roncevaux en bus et commencer à marcher seulement après, ou peut-être encore après et même peut-être plus loin. Visiblement elle appréciait mon écoute, elle est revenue plusieurs fois au contact. Je lui ai laissé une adresse @ afin qu’elle puisse me raconter « son chemin ». Je n’ai aucune nouvelle à ce jour.

Sur le lit le plus proche, c’est une fille de l’est, probablement russe, la quarantaine bien frappée. Elle ne parlait pas, cherchait à s’isoler, elle essayait de dormir, se relevait, refaisait son sac, se recouchait, avalait des comprimés, se relevait, refaisait son sac, etc… Elle, le lendemain matin quand je l’ai saluée, après l’avoir entendu parler au téléphone, j’ai ajouté  « Tu es inquiète, tu as peur, c’est ça? »
Elle m’est tombée en pleur dans les bras…

Et puis, il y avait un paquet de japonaises, deux par deux. Elles étaient arrivées habillées comme dans les mangas, elles avaient dévalisé « Tout pour le pèlerin » et elles s’amusaient à faire leur sac comme le font les gamines, en minaudant, en riant. Une fois fait, elles se sont connectées à la toile. Jusque tard dans la nuit, la lumière bleuté des écrans s’agitait au dessus de leur corps silencieux.

Il restait deux places dans le dortoir prévu pour 15 personnes. Parmi toutes les occupantes, ce soir là, aucune n’avait marché plus loin que de l’arrêt de bus au gite !

Lorsque je suis descendue dans le réfectoire pour faire réchauffer une soupe, malgré le changement des acteurs, c’était la même installation que la veille : chacun dans son coin et les brebis sont bien gardées.
Le nez dans le saucisson, dans le fromage ou le nez en l’air, le temps de la restauration n’était visiblement pas un temps prévu pour échanger.
Ah, si!
Il y en avait un qui avait envie de raconter ses exploits sur le GR10, mais visiblement l’auditoire n’était pas le bon, il a fini le nez dans ses cornichons.
Vu l’ambiance pas folichonne, j’ai pas traîné.
Je suis remontée me réfugier dans mon duvet.

En passant devant l’accueil, il y avait encore foule!
Incroyable.
De fait, un couple d’allemands, environ chacun la cinquantaine, a complété notre dortoir de filles.
L’homme se sentait peut-être un peu seul dans cet environnement plein d’oestrogène, mais il était avec sa femme.
Elle toute sèche, lui, jovial, ventre à bière bien entretenu.
Il se présenta à la ronde, serrant les mains qui lui répondaient. il expliqua haut et fort qu’ils étaient partis le matin de Munich, qu’ils avaient atterri à Bilbao et qu’ils arrivaient à l’instant en bus. Ensuite, ils ont passé la soirée a s’embrouiller en mini-disputes atténuées par la présence de tout le public. Vraisemblablement madame avait préparé les deux sacs et monsieur n’y comprenait rien, ne s’y retrouvait pas dans le sien et s’énervait le plus paisiblement possible. C’était drôle et prometteur!

J’ai finalement posé la capuche du duvet sur ma tête, histoire de rentrer autant que possible dans mon petit monde.

Je n’étais déjà plus vraiment une pèlerine!

A suivre…

Mercredi 20 septembre, étape 20

« I tought about his voice again, the last chapter. Are we seagulls looking at the end of freedom in our world?
Part Four, printed at last where it belongs, says maybe not. It was written when nobody knew the future. Now we do. »
Richard Bach, spring 2013 in Jonathan Livingston Seagull, The Complete Edition, Editions Scribner, New York 2014, ISBN 978-1-4767-99331-3

A l’aube du jour où j’allais enfin marcher sur le GR10, toutes les expérimentations pèlerinesques auxquelles j’avais pu aspirer était closes.
J’avais fouillé un bon paquet de livres, dans les années déjà lointaines où je rêvais de m’échapper sans encore en avoir l’occasion. J’avais « creusé » le sujet sans jamais trouver un sens qui me ressemble dans « Le Chemin de Compostelle » : historiquement tout était artistiquement flou, aussi loin que puissent remonter les chercheurs, il n’y avait rien de réellement consistant qui puisse me pousser à partir « comme les autres » en dehors du « comme les autres »!

Ces derniers jours n’avaient pas changé la donne.

Il faut le dire, j’ai plein de défauts et parmi ceux-ci, le plus redoutable : mon incapacité à croire.
Désespérément, béatement, sereinement, non seulement je ne crois jamais rien, mais en plus, je balaye activement toute croyance qui passe.
Je suis intensément capable d’imaginer, de chercher, de tâtonner, de me tromper, de parfois « faire marche arrière », mais croire… C’est pas mon truc.

C’est que sur certains plans, je ne doute pas.

Par exemple, sur l’escapade 2017, je savais, ce qui était ancré, ce qui portait toute la puissance de ma foi, ce qui était tellement palpable suite aux expériences récentes :  j’allais à la plage.
Je marchais donc en direction du « bout du monde des terriens », là où l’océan s’installe, là où commence l’horizon.
C’était si fort, tellement enthousiasmant!
Le sens de « ma » randonnée était d’une présence de plus en plus magnifique.
J’étais et je suis encore reconnaissante à tous ces petits riens qui dessinent un chemin, quel qu’il soit dès l’instant où ils se dessinent au jour le jour.
Mais je sens bien que quelques lignes n’expliquent rien et je me doute fort qu’un étalage de questions est inutile dans un cadre « touristique ».

Revenons aux faits!

Il est impossible de trainer dans un dortoir. Il faut se lever en même temps que le gros de la troupe et se préparer dans le même tempo.
Le réfectoire était plus que plein pour le petit déjeuner, je n’osais même pas imaginer la foule qui allait arpenter « le chemin » ce matin là.

Avec la joie en bandoulière, je suis sortie dans la rue à l’heure où sortent les pèlerins, par toutes les portes de tous les gites.
Je suis sortie et j’ai immédiatement tourné à droite.
Je partais vers l’ouest.
J’étais seule.
Je me sentais riche d’une indicible liberté.

Dès la sortie de la ville, le sentier prenait de la hauteur.
Rapidement, les nuages formaient un océan blanc et mouvant à mes pieds, des îlots émergeaient ça et là.
Rapidement, je n’avais d’yeux que pour les sommets environnants.
Après plus d’une heure de marche, m’arrêtant un instant pour jeter sans risque un regard à 360°, une présence s’afficha dans les lacets inférieurs.
Et oui… Le GR10 est une voie fréquentée, me suis-je dit.
Je ne savais pas encore à quoi ressemblait la personne que j’apercevais, mais elle allait vite, très vite.
Trois lacets après, elle m’avait presque rattrapée. Je guettais, il semblait que ce soit une fille.
J’ai ostensiblement ralenti, désireuse de la laisser passer, désireuse de rester « seule au monde ».
Quelques instants plus tard, son souffle était sur moi.
Quelques secondes et j’entendis sa voix :
« Bonjour; ça va?
-Carrément bien, avec ce temps merveilleux. Oui, ça va bien et vous?
– …. Mais les autres pèlerins, ils sont où les autres pèlerins?
J’ai laissé plané une seconde de surprise en silence
– Heuuuummmm… Vous allez à Roncevaux?
– Oui, je viens de partir de Saint-Jean-Pied-de-Port…
– Mais… ici, on est sur le GR10
-… C’est pas « Le chemin »? »
Elle m’a fait répéter une fois, trois fois, dix fois. Chaque fois elle jurait en allemand, en français, en français allemand.
Elle jurait, dépitée.
J’ai dit ce qui me passait par la tête, que c’était « le bon jour » pour se perdre, un jour de soleil, sans pluie annoncée, sans brouillard programmé…
J’ai dit que c’était une chance de s’en apercevoir maintenant après « seulement » une heure de marche.
J’ai dit qu’elle avait encore une longue journée pour rejoindre son but, son objectif : Roncevaux.
Elle était partie de Constance, elle avait fait un si long chemin, depuis si longtemps…
Elle devait finir ce soir, elle était attendue.
Elle s’effondra dans mes bras, sanglota un bon coup.
Puis, elle repris ses esprit et son bon sens.
Elle avait plein d’énergie, ses mollets de montagnarde en disaient long, elle pouvait avoir confiance, elle serait à Roncevaux avant même que tous les pèlerins partis à la même heure qu’elle ne soient arrivés.
Et elle est s’en est allée, dans le sens de la descente, en courant presque.

Quelle histoire!
J’en sentais les vibrations jusqu’au fond de mes tripes.

Arrivée au premier sommet, les dernières ondes étaient estompées. J’ai posé sac et bâton, j’ai grimpé encore plus haut, rien que pour le plaisir, seule dans le ciel.
J’ai posté une photo sur instagram et j’ai reçu le message d’une amie « Je viens de voir passer sur fb la photo d’une file interminable de pèlerins à st jean pied de port. Pensées » et j’ai illico répondu : « Là, je suis seule sur un sommet, sur le GR10… si bon »
Merveille de la technologie, que ces pensées qui passent et sont rendues visibles!

Mais invisibles, elles existent cependant.
Il est absolument inutile et vain de rester accroché à la seule technologie.
Je marche toujours avec le téléphone éteint et hors de portée.
J’ai appuyé sur off.
La connexion avec l’environnement n’en fut que plus intense.

Simples bonheurs de la moyenne montagne, des landes de bruyères brûlées par le soleil, des rochers, des versants abruptes, du soleil et de l’air limpide… simples bonheurs… Je me régalais!

En arrivant à Saint Etienne de Baigorry, la premier panneau qui m’a sauté aux yeux fut celui qui indiquait la présence d’un gite d’étape. Il était encore très tôt. Il faisait très beau.
J’ai choisi de m’arrêter dans ce village.
Le gite n’ouvrait pas avant 16h30, j’avais plus d’une heure devant moi.
J’ai fait le lézard.
La couleuvre paresseuse.
Je me suis enivrée de la douce chaleur du soleil.

A 16h15, deux randonneurs sont arrivés, eux avaient réservé.
A distance, nous avons attendu l’ouverture ensemble et chacun d’un côté de la route.

A 16h30 nous sommes entrés dans le gite. Un espace aménagé avec goût, respirant autant la convivialité que l’intimité.

Avant de sortir marcher, découvrir, explorer, j’ai acquitté le prix de la nuitée. Une fois encore la question fut étonnante pour la novice que j’étais : « Est-ce que vous avez besoin d’un tampon pour votre pass’port gr’diste ? »
Non évidemment… Je constatais avec un sourire au fond de la tête que décidément, il est tentant d’accumuler des « preuves » et je digressais immédiatement en pensant à toutes les croyances qui s’accumulent « grâce » à l’accumulation de preuves totalement artificielles.

A l’heure du diner, un vieil anglais solitaire est arrivé, parti d’Hendaye il ne savait pas encore vraiment où il allait finir. Il marchait pour éviter de s’ennuyer dans sa maison anglaise.

Nous nous sommes retrouvés à quatre dans la cuisine. Les deux copains randonneurs s’activaient aux fourneaux : jambon basque et champignons fraichement cueillis (par eux-mêmes) formaient la base d’une belle fricassée.
Une bouteille de bon vin était ouverte.
Nous avons fait connaissance, joyeusement, en gardant nos distances et tout en partageant.
L’anglais a bien bu… puis il s’est fait cuire des pâtes qu’il a mélangé avec une boite de sardine.
Je suis restée fidèle à mes habitudes et pour honorer celui qui me l’offrait, j’ai gouté avec plaisir un brin de fricassée.
Ce fut une agréable soirée.

A suivre…