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Fait divers

Un cerisier en fin de vie sauvagement abattu

D’après les voisins, un  CAT  de type louche stationnait dans le coin depuis quelques jours.
Ce matin à 10h30 précises, un vrombissement a résonné dans l’impasse.
Sous les yeux de la voisine dépitée, après avoir avalé en deux coups de godets le vieux mur au pied duquel des marguerites avaient élu domicile, le monstre s’est dirigé droit sur le pauvre vieux cerisier.
Après lui avoir arraché les branches, il s’est attaqué au tronc et l’a déraciné sans plus attendre.
Le vieux cerisier a résisté un instant.
Le monstre s’est cabré, a repris son souffle et l’a achevé.
Il l’a ensuite chargé à bord d’un camion.
A l’heure qu’il est personne ne sait où il l’a emporté.

Au delà du fait divers,
Je me suis questionnée au sujet de l’émotion qui, un instant, me submergea.
Ce cerisier était mon voisin depuis que j’habite ici.
Avant d’habiter dans le coin, c’est lui qui marquait le bout de l’impasse et je le saluais en arrivant chez la grand-mère qui nous a légué la maison.
Souvent, à l’ombre du cerisier, une autre grand-mère jardinait, désherbant ici, agitant la belle terre noir là, arrachant quelques pommes de terre plus loin. Elle portait un grand tablier bleu et le chapeau de paille qui allait avec.
Ce jardin voisin avait toute une histoire que je connais.

Combien de fois ai-je écris que le jardin est un livre ouvert?

Aujourd’hui encore je peux le répéter à qui voudrait l’entendre.

J’ai eu besoin de sortir, d’aller marcher pour reprendre pied et trouver réponse à quelques questions.
Il est clair que c’est la rapidité de l’intervention qui m’a troublée. Que cet arbre ait eu plus de cinquante ans de vie, peut-être soixante dix, que vaillamment il ait fleuri à chaque printemps, offrant ses fruits dorés chaque été et que moins de deux minutes aient suffi à l’anéantir dépasse l’entendement basiquement humain du fond de mes tripes.
Quiconque aurait eu à l’abattre de ses mains aurait dû y consacrer des heures et des heures et encore davantage pour extraire les racines.

Combien parlent de combat? Combien, dans de multiples domaines, souhaitent d’utopiques combats « à armes égales »?
Le jardin est un livre ouvert, un livre de philosophie, un livre de vraie vie, j’aime tant l’observer, même les jours comme aujourd’hui où l’émotion est intense.

Le silence est revenu.
Une odeur de terre fraichement remuée flotte à coté de l’odeur des mousses arrachées, du lichen déchiqueté et du gas-oil consommé.
Le silence?
Que nenni.
Les oiseaux sont là par dizaine, ils sont en train de faire bombance : un festin leur est offert.
Un festin de laves et de lombrics.

Et chantent les oiseaux et va la vie!
C’est le printemps!

O R G A N I S E R

Ah, ce mot!
Chacun l’illustrera à sa manière.

Ce que je peux dire c’est que je suis en ce moment dans la posture de « l’organisatrice » ce qui signifie que je suis en pleine organisation pour organiser!

Organiser!

Et comme d’habitude, il est bien difficile de ranger chaque « élément » dans une boite!
Car, il est question de disposer et de s’arranger le plus harmonieusement possible avec le vent, l’océan, la lune, les gens, etc…
Tant de « choses » absolument non-manipulables.

Comme d’habitude, je regarde les prévisions météorologiques de manière compulsive.
Chaque matin, chaque soir, je fais le tour de tous les sites dédiés connus, reconnus.

Chaque matin, chaque soir, je me raisonne.
Je sais que les prévisions sont basées sur des statistiques, je sais qu’elles se préciseront à l’approche.
Je sais, que quoi que je fasse, c’est le jour J à l’heure dite il faudra composer avec la réalité du moment.

C’est complètement fou ces histoires qui nous pousse à essayer en vain d’organiser ce qui nous échappe encore!
Je me demande encore et toujours quel est ce besoin de sécurité factice qui me pousse à essayer de m’informer au sujet de ce qui n’existe pas encore.
C’est à la fois pesant et enthousiasmant,
A la fois léger et accablant,
Et comme d’habitude, c’est de mon plein gré que j’ai choisi de m’y coller!

Très chers paradoxes



J’aime résumer l’état de bien-être à un état dans lequel je suis en équilibre entre mes paradoxes.
J’aime aussi affirmer que je suis funambule entre deux mondes : le mien et celui des autres.
Et j’ajoute que plus le fil est tendu plus le mouvement est facile et que sans mouvement, la vie n’existe plus.

Avez vous remarqué que les plus « anti-système », les plus écolos, les plus anarchistes, les plus complotistes, les plus « contre » sont ceux qui utilisent le plus facilement les réseaux sociaux pour s’exprimer, pour rabattre le monde vers leurs sites, leurs croyances, leurs publicités propres?

En écrivant sur ce blog, en acquittant chaque année des droits d’hébergement, je me suis donné les moyen d’une certaine indépendance.

Mais, le monde est ainsi fait qu’il est impossible de lui échapper. Les réseaux sociaux nous captent et eux seuls transmettent des signaux qui nous attrapent à grande vitesse.
Ce matin, j’ai donc lancé un nouvel essai « pour vivre avec mon temps » en pensant à ma grand-mère qui était fière de s’adapter rapidement aux changements apportés par le siècle derniers.
Rien n’est gratuit, je sais qu’en ouvrant un groupe sur FB, je participe au fonctionnement d’un géant, j’impose des publicités à mes lecteurs, je leur mets sous le nez des propositions de « semblables » (là je rigole un peu en imaginant ce que FB peut trouver qui me ressemble!!!), prenant le risque de les inviter à glisser plus loin, plus loin, à s’embourber, à tout abandonner et surtout à m’abandonner, « moi-je »!
Qu’importe, tout est expérimentation et j’aime ça.

Les paradoxes sont les moteurs de notre vivance, c’est un fait et j’avance sans jamais me lasser de les observer.

Ainsi, hier au supermarché, une image surréaliste est entrée dans mon champ de vision.
Une femme jeune, parfaitement maquillée, entièrement drapée dans une « robe » beige d’excellente qualité, une robe qui l’enveloppait de par dessus les cheveux jusque par dessus les pieds, était dans le même rayon que celui où je m’empressais de passer.
Elle prenait son temps, poussant son chariot déjà bien rempli et bavardant « toute seule ».
Toute seule?
Non.
Un magnifique téléphone pommé assorti à sa robe était glissé contre son oreille et fermement maintenu par la grâce des plis de tissus qui enveloppaient sa tête.

Malicieuse, j’imaginais instantanément qu’un être transcendant avait prévu cette situation et avait même transmis ses intentions auprès d’un messager obligeant.
Ainsi cette recette était exclusivement réservée aux femmes afin de leur permettre de bavarder de tout et de rien partout et n’importe quand, y compris au supermarché en poussant un chariot chargé de produits ultra-transformés.
Trop fort!

Plegadis Falcinellus

Une jolie petite histoire.

Tandis que l’agitation se poursuit inlassablement au sujet des méthodes d’enseignement, au sujet d’une utopique égalité de chances pour un avenir inconnu, au sujet de tout, de rien, tandis que laborieusement je marche sur un chemin pour lequel aucun « mode d’emploi » n’existe, tandis que le temps passe inexorablement, une jolie petite histoire vient de s’ajouter à ma collection expérimentale.

Au printemps dernier, tandis que quelques orchidées sauvages persistaient dans la garrigue, au prix d’un lever avant l’aube, des amis m’avaient entrainé à la découverte du réveil des oiseaux sur le grand delta de Camargue.
Ornithologues passionnés, ils n’avaient de cesse que de partager leur passion.
Il y avait un oiseaux qu’ils désiraient vraiment me montrer, un oiseaux nouveau venu en Camargue, un oiseau gracieux au reflet métallique remarquable : l’ibis falcinelle.
Toute la journée je les ai suivis dans leur quête.
En les suivant, j’ai fait connaissance avec des oiseaux que je n’avais jamais vu, j’ai identifié des vocalisations que je n’avais jamais remarquées.
Admirative de l’érudition de « F », je me sentais plus que jamais totalement ignorante, j’étais comme une gamine qui écoute attentivement, parfois lassée devant l’abondance d’informations, souvent interrogative, doutant terriblement de ma capacité à retenir une once de tout ce qui m’était donné là.

Il y a quelques jours, nous étions au fond d’une vallée verdoyante, une vallée invisible pour qui traverse en voiture le plateau caillouteux et aride qui mène à la plage.
Il y avait un ruisseau, il y avait de minuscules étangs, il y avait un silence retentissant et il y avait des oiseaux, beaucoup d’oiseaux.

Un couple de tadornes décolla devant nous à grand coups de klaxon comme à leur habitude.

C’est alors qu’en les suivant des yeux, levant la tête vers le chemin de ciel ouvert entre les vertigineuses parois, un ibis entra dans mon champ de vision.

Un ibis ? La courbe de son bec me le suggérait, mais ne suis-je pas du genre ignare en ornithologie ? Rien n’était moins certain.
Et c’était d’autant moins certain que l’oiseau n’est pas répertorié dans le coin, ça je le savais pour avoir fait un rapide tour d’horizon de la faune locale sur la toile !

Le soleil déclinait, il était temps de sortir de cette vallée, temps de retourner dans le monde des gens et de penser au choix du resto pour le soir.
C’est alors qu’au bord d’une mare, j’ai aperçu un oiseau noir.
Avec la distance, il était impossible de l’identifier.
Délicatement j’essayais de gratter un mètre, imaginant déjà en gratter un suivant, puis encore un.
Las… ma présence devait résonner intensément de vibrations insupportables, l’oiseau s’envola en compagnie des échasses qui étaient à ses côté.
Alors que mon compagnon photographiait en salve, je n’avais plus aucun doute sur le nom de l’oiseau noir.
Je sautais comme un enfant excité : c’est un ibis ! C’est un ibis falcinelle, un plegadis falcinellus, un ibis comme j’ai vu avec « F », j’en suis certaine ! C’est un ibis !
Ceux et celles qui me connaissent et eux seuls peuvent imaginer le niveau de mon excitation et la capacité à répéter qui est alors générée !

Dès notre retour à la maison, j’ai partagé la petite histoire à mes amis ornithologues. J’avais besoin d’une confirmation et d’un regard avisé sur les images captées au vol.
Et j’ai senti la complicité qui existait, le frétillement de l’émerveillement et la jubilation concomitante.
C’est une jolie histoire concluait l’amie, « F » est heureux de constater ce qu’il t’a appris…

Le lendemain, en repassant les événements, je suis partie dans une de mes habituelles digressions.

« F » est un brillant professeur. Il enseigne dans de prestigieuses universités, à quelques illustres spécialistes. Aujourd’hui partiellement retiré, il reste enseignant et garde l’habitude d’évaluer « ses étudiants » !
Je souriais à cette idée et immédiatement, je pensais à toutes ces « recettes » qui circulent afin d’améliorer les « conditions d’enseignement ».
Car précisément, il n’en existe aucune.
Il en existe d’autant moins que nous sommes actuellement englués par l’idée qu’il faut un « enseignement utile », que tout apprentissage doit avoir un but et que le but le plus « normal » consiste à « gagner de l’argent ». Je sais, c’est un peu abrupt… Un billet n’est pas un bouquin et doit demeurer « pas trop long »  aussi dois-je faire court !
J’ai toujours été plutôt mauvaise élève, me contentant d’empocher les différents grades et permis indispensables à la reconnaissance sociétale, incapable de disserter comme « il faut » et surtout pas capable de le faire « parce que c’est comme ça un point c’est tout ».
Par contre, enregistrer la passion des autres, admirer leur savoir, m’imprégner à leur côté, grappiller les informations pour le plaisir de découvrir, c’est plutôt mon truc.
Et finalement, je vois ce que j’ai appris à voir.
Et c’est vraiment grisant.
Et quand mon compagnon voit un corbeau noir, je vois un ibis… parce que je sais que cet oiseau existe.
Et quand mon compagnon me fait répéter « Comment tu dis ? Fraxinel ? », j’épelle tranquillement f.a.l.c.i.n.e.l.l.u.s, parce que c’est comme ça.

Partager les connaissances accumulées au cours d’une vie est une aspiration simple, se nourrir est aussi simple.
Inutile de se lancer dans des recettes alambiquées, il suffit de proximité, de respect, d’admiration et il suffit surtout et avant tout d’avoir faim.
Et la faim, c’est très très personnel.
Le gavage n’est-il pas une méthode de production de graisse, sans le moindre regard sur l’appétit spontané des animaux qui y sont soumis ?

Les étrennes


Pavé de fin d’année

Il est bien probable que toutes les personnes de ma génération ont gardé en mémoire un poème proposé en deux strophes qui commençait ainsi :

« – Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux,
Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s’éveillait matin, on se levait joyeux,
(…) »

Peut-être que parmi ces personnes, certaines ont, comme je l’ai fait, assidument fréquenté les poètes.
Ainsi au gré d’une navigation auprès du bateau ivre, ces personnes ont sûrement découvert que la gaîté des étrennes vendue par l’éducation nationale était factice.
Car, le très long récit en vers proposé par Arthur Rimbaud était en fait nommé « Les étrennes des orphelins », une histoire triste.
Une triste histoire avec laquelle les médias d’aujourd’hui seraient ravis d’ouvrir le JT, juste avant d’embrayer et d’accélérer sur les histoires de gueule de bois, d’indigestion et de régime minceur.

Un peu d’histoire historique raconte qu’avant le débarquement de Santa Klaus fin décembre (Entre Saint Nicolas (début décembre) et le passage des rois (début janvier))  qui a progressivement transformé la distribution de friandises enfantines en avalanche de paquets cadeaux pour tous, c’était à l’occasion du changement d’année calendaire que s’échangeaient « joujoux, bonbons habillés d’or, étincelants bijoux ».
A la fin du 19ème siècle, le « truc » à la mode c’était le livre d’étrennes, les éditeurs ne manquaient pas d’idées pour profiter de l’aubaine.
Les « beaux livres » ont doucement supplanté les « livres d’étrenne », ils furent largement distribués sous les sapins naissants du 20ème siècle.
A l’aube du 21ème siècle, la mondialisation galopante autant que l’évolution des techniques d’impression ont banalisé les livres au point qu’ils ne constituent  plus un cadeau de prix, mais parfois un cadeau par défaut de « mieux ».

Je reviens à ce jour des étrennes, ce jour de l’an neuf, et plus précisément à la nuit qui précède.
Dans notre actuelle vie d’occidentaux dans le vent, il est « normal » de prévoir et préparer un réveillon.
« Normal » étant une donnée statistique plantée au sommet d’une courbe de Gauss, de chaque côté du sommet tout est possible, bien que ce soit considéré comme un écart à la norme.
Bien entendu plus l’écart est visible sur la courbe, plus le risque de tomber dans « l’anormalité » grandit.
Pourtant je considère que se situer à la marge n’engage en rien l’appartenance de quiconque à la vie de la société.

Tout est tellement relatif.

Je m’aperçois en écrivant ce billet dans le contexte écologique que j’habite, que le fait d’être cette année en France, loin du soleil et des grandes randonnées en terre sauvage exacerbe mon sentiment « d’anormalité » relative.

Me voici donc en train de chercher « un truc » pour meubler ce passage qui semble incontournable.
Pour l’instant tout ce que je vois alentours ressemble à des sorties de secours ouvertes sur des microcosmes fermés.
Il faut avouer que ma vision de la débâcle obligée de fin d’année est dénuée d’objectivité.
J’ai été marquée par ma déambulation dans les rues parisiennes fin 1975. J’assurai alors une partie équestre du spectacle « Ben-Hur » .  Tandis que les gens venaient au spectacle pour ouvrir leur réveillon, nous finissions « le boulot »  (c’est à dire les soins aux chevaux et notre démaquillage) sur les coups de minuit. De fait,  je me suis retrouvée dans la rue « après » et c’était pour voir à travers les vitres des restaurants des dizaines de personnes  comateuses au milieu des serpentins et cotillons qui jonchaient le sol.
Pas de quoi rêver… Pas pour moi, en tout cas.

Et là, maintenant, tandis que mon hyper-connexion fait miroiter de tous les côtés des passages rêvés entre amis, me reviennent ces souvenirs qui disent que je suis, en quelque sorte, étrangère à ces festivités.

Pas pour moi les soirées gastronomiques à exploser la panse
Pas pour moi les soirées soufis à psalmodier le Mathnawi
Pas pour moi les soirées shootées sous les tables
Pas pour moi les soirées Bollywood à chanter Hare krschna
Pas pour moi les soirées Djeun’s entre retraités
Pas pour moi les soirées « paix sur terre » à réciter les Psaumes
Pas pour moi
Pas pour moi…

Il est un fait que je suis à la marge sur bien des points!
Et pourtant, je garde espoir de voir le changement d’année calendaire se faire même si je ne « fais rien » de notable.

Ce qui se dit, ce qui se joue

 

 

Pavé du jour!

Afin de tenter de me faire « comprendre », je viens de fouiller un ouvrage de Robert Misrahi.
Un peu comme si j’avais tenté de me raccrocher à une bouée.
Je viens d’en feuilleter les pages à la recherche d’un passage, d’une phrase qui a elle seule aurait pu contenir tout ce que j’ai à raconter, comme si j’espérais découvrir chez un philosophe, un contemporain plus ancien, un mille fois plus érudit, une baguette magique. Une baguette qui permettrait de faire entrer dans « mon » monde les personnes qui croisent ma prose.
En vain.
Il fallait cependant que je passe par là avant de me lancer.

Hier, comme chaque mardi, j’étais « en ville ».
« En ville », c’est à dire loin de mon impasse paisiblement ouverte, loin du jardin.
Hier, le planning était potentiellement chargé.
J’en avais décidé ainsi, j’aime remplir certaines journées un peu plus que possible, c’est une invitation à la souplesse.
Pour donner une suite au mardi précédent qui faisait suite au lundi précédent, un rendez-vous était sagement noté dans mon agenda, à l’heure où j’aurais pu rentrer à la maison.
Je savais confusément que c’était du vent, que la personne ne viendrait pas.
Confusément.
Donc, je savais aussi que j’allais y aller un peu à l’avance, que j’allais attendre l’heure dite et même largement davantage.
Je sais que la communication est difficile, d’autant plus difficile que les langues maternelles sont différentes, d’autant plus  improbable que les « mondes »  sont éloignés.

J’ai adoré rester assise au soleil.
J’ai souri en constatant l’absence du moindre signe par écran interposé.
J’ai joué avec mon téléphone, tentant même un redémarrage pour le cas où la réception aurait été bloquée.
J’ai attendu.
Le soleil était doux, le silence était absence.
C’était une expérimentation.
Si j’avais posé une hypothèse confuse, j’acceptais sereinement l’arrivée d’une contradiction.
J’étais disposée à écrire n’importe quelle argumentation.
Toutes les conclusions sont valables et précieuses, et les plus imprévisibles sont les plus fascinantes.

Hier, l’hypothèse de départ s’est révélée être celle d’arrivée.
Personne n’est arrivé.
Alors, j’ai décollé.

En digression, j’ai envie de parler de vendredi soir.
Vendredi, j’étais allée jouer la grand-mère auprès de mes petits enfants à l’heure du coucher où leurs parents avaient à faire.
L’aînée tirait au maximum sur ma patience, refusant obstinément l’idée de repos, impatiente qu’elle était d’attendre le retour de son père pour aller au lit. Elle avait entendu dire qu’il serait là « pour l’histoire du soir » et peu lui importait l’heure qui tournait, elle tenait à son rendez-vous et je l’entendais parfaitement.
Son imagination débordait de trouvailles innovantes que je saisissais ou non, jouant au roseau qui danse dans le vent comme j’aime le faire.
Soudain, elle déclara :
« Le soir j’ai le droit de manger un bonbon. »
Et ce « droit » aussi soudain que surprenant me paru néanmoins plausible. C’est un « droit » que j’aurais pu accorder dans le temps à mes propres enfants, « un droit » soumis bien entendu à un sérieux brossage des dents.
« Ok. Ils sont où les bonbons?
– Ils sont là. (en ouvrant le placard, je découvris le stock de bonbons d’anniversaire. Je savais qu’ils étaient distribués avec parcimonie et pourquoi pas, justement, un chaque soir?)
– Ok, donc je te laisse en choisir un.
– Un rose…
– Ok, parfait, maintenant, je range. »
Et le temps poursuivit sa course lente jusqu’à l’arrivée du papa tant attendu.
J’avais réussi à faire enfiler son pyjama à la princesse. Elle attendait « son » histoire et c’est tout ce que j’avais à faire comme « compte-rendu », la soirée s’étant finalement passée « normalement », sans anecdote particulière.
J’ajoutais cependant « Ah, oui, et puis on a déjà lavé les dents. Un super lavage des dents parce qu’elle m’a demandé le « bonbon du soir »! »
Au sourire de mon fils, j’ai bien compris que je m’étais laissée tendrement emberlificoter avec cette histoire de « bonbon du soir ».

Hier, j’avais rendez-vous avec un grand adolescent majeur.
Je l’avais rencontré une première fois le mardi précédent.
Je l’avais rencontré suite à une conversation amicale. Le lundi précédent le mardi précédent, une amie avait pensé qu’il serait « content » de me rencontrer.
Elle m’avait parlé de lui en deux mots que j’avais soigneusement enregistrés.
Selon mon habitude, j’avais pris soin de préciser que dans le genre « maman-poule » je suis très « mauvaise », préférant de loin répondre aux sollicitations que proposer une « réponse à une non-demande ». Riche de cette réalité, la douce amie avait conclu « Pour la première fois, quand même, il vaut mieux que ce soit toi qui prenne contact, je t’envoie ses coordonnées et je le préviens de mon côté. »
Ok, j’étais tout à fait d’accord.

Dès le lendemain, un mardi matin, j’ai mis le pain sur la planche, il faut battre le fer quand il est chaud à ce qu’affirme le proverbe.
J’ai donc préparé le terrain auprès du protégé de mon amie en prévenant par sms que j’allais appeler en début d’après-midi.
Un sms indiqua illico que le « contact » était établi.
En début d’après-midi j’ai appelée comme promis et nous avons fixé un point de rencontre et une heure de rencontre à sa guise, le jour même.
Après 15mn d’attente à l’heure et à l’endroit proposé par lui, après quelques sms échangés pour valider l’approche, j’ai vu le petit gars apparaitre.
Je l’ai invité au chaud et nous avons bu un café.
A mes yeux, il ne portait aucune étiquette, il n’était ni noir ni blanc ni jaune, c’était un petit gars que je regardais droit dans les yeux comme n’importe quelle autre personne.
Je constatais d’emblée son français à peine accentué, un « bon » niveau de français en apparence.
Je constatais très vite la pauvreté de son vocabulaire.
Je lui proposais de parler en anglais, l’anglais étant la langue officielle de son pays d’origine conjointement avec l’arabe littéral (l’arabe dialectal étant la langue parlée au quotidien… mais c’est une autre histoire…) et il déclina.
Il me restait l’immensité des autres langages à interpréter.
Car, il n’existe jamais d’autre issue que l’interprétation.
Et rien n’est plus subjectif que l’interprétation.
Habitué qu’il est aux interrogatoires, il était clair qu’il avait enregistré ce qui est vital pour lui.
Je captais rapidement son intelligence, sa capacité à évaluer la situation et à se positionner en fonction.
S’il m’était possible de lui « apporter quelque chose », je devais trouver quoi.
Avec la délicatesse d’une exploratrice en milieu fragile, je naviguais entre les réponses préfabriquées et les scintillements de vérité qui explosaient au détour de la conversation.

Rapidement, il ne fit aucun doute qu’il s’ennuyait ferme et qu’il n’avait qu’une hâte : me fausser compagnie.
Une fois libéré, après avoir poliment acquiescé à la proposition d’un prochain rendez-vous, il s’est enfui, vérifiant ma présence derrière lui et hâtant le pas afin que je ne le rattrape pas. J’ai fait demi-tour afin qu’il ne se sente pas « suivi ».

Dans ma tête, restaient les questions face à mes expériences passées, restaient les questions au sujet de l’à venir absolument inconnu. Je notais consciencieusement ce qui pouvait être noté avant que ma mémoire ne déforme les souvenirs.
Pragmatiquement.

Le semaine s’est écoulée sans le moindre sms de la part du jeune homme.
Embarquée par le quotidien, je l’ai oublié.
C’est en regardant mon agenda que la mémoire m’est revenue, j’ai soigneusement noté que ma journée de mardi était bien remplie.
Dans le même instant, j’ai pensé que, vu le silence radio,il était fort probable qu’elle serait plus ouverte en réalité que sur le papier.

Il faisait super beau hier.
Le soleil rayonnait de toutes ses forces hivernales.
La brise caressait la Loire avec une infinie tendresse, imperceptiblement.

J’ai attendu, sagement.
Point blanc sur un point stratégique, visible 330° à la ronde, je pouvais guetter en balayant cet angle immense.
L’ombre a balayé les pavés.
Et j’ai décollé.

Quand, dans la soirée l’amie du lundi m’a fait remarquer (avec un smiley « clin d’oeil ») que j’étais absente au rendez-vous, j’ai souri comme je souris devant une surprise que j’attendais.
Par curiosité quasi « scientifique » je lui posé une question précise. Une seconde question fit suite à sa réponse, sans autre réponse que celle-ci : « Je ne sais plus exactement… ».
Il ne me restait plus qu’à tenter ma version dans le cadre tellement étroit de « messenger ».

Je sais si fort qu’il n’y a rien à dire, rien à faire pour raconter la force de l’expérience.
Comprendre est un mot qui en français signifie étymologiquement « prendre avec soi ».
Comprendre est différent d’entendre.
Entendre est différent d’écouter.
En français.
Et dansent les questions en ronde folle.

 

Oui. Et…


« Oui. Et que t’inspire cette vidéo? » fut le premier commentaire posé sous une vidéo partagée sur les réseaux sociaux.
Une vidéo qui laissait penser que nous construisons à chaque instant un avenir dont nous ignorons tout.

En ce moment, je raconte des contes aux enfants.
La grande dame Education Nationale a mis les contes au programme pour les petites sections d’école primaire. De fait, les fonctionnaires suivent le programme indiqué. C’est la loi de notre société.

Des contes.
Par exemple « Le petit Chaperon rouge »
Charles Perrault (1628-1703), publia en 1697 un recueil « Histoire et contes du temps passé », figeant noir sur blanc des contes qui ne circulaient jusqu’alors qu’oralement. « Le petit Chaperon rouge » faisait partie du lot.
Perrault était un moraliste, et ses contes, comme les fables de Jean de la Fontaine (1621-1695) étaient suivis d’une morale.

Dans le livre de mon enfance, l’histoire du chaperon rouge, se termine avec cette phrase :

« Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jeta sur le petit Chaperon rouge, et le mangea. »

La morale n’apparait plus. Le conte est tout sec, la moralité a été supprimée par la postérité.

En 1976, Bruno Bettelheim (1903-1990)  publiait : « Psychanalyse des contes de fées« .
Psychologue et pédagogue américain d’origine autrichienne, son étude attentive des contes populaires l’avait amené a tenter de démontrer à quel point chacun d’eux reflète des conflits ou des angoisses, lesquelles apparaissent à chacun des stades spécifiques du développement. Il alla jusqu’à suggérer que les contes aident les enfants à découvrir le sens profond de la vie tout en les divertissant et en éveillant leur curiosité!

OK.
D’où probablement l’idée de mettre les contes au programme de l’Education Nationale.
Mais lesquels?
Quels contes? Avec quelle chute?

« Le petit Chaperon rouge », par exemple, rien que lui, a fait l’objet de multiples interprétations, particulièrement en ce qui concerne la fin. N’est-il pas trop cruel de « faire croire » aux enfants que les loups peuvent les manger? Ne vaudrait-il pas mieux que l’histoire puisse s’achever sur une note optimiste?
Ce sont les frères Grimm qui modifient (au 19ème siècle) la version de Perrault en faisant intervenir le chasseur.
Depuis, il existe maintes autres versions de plus en plus « gentillettes ».
Que devient alors la théorie de Bettelheim avec nos contes revus à la manière « bisounours »?

Je ne sais pas.

Trouver, l’autre jour, le long de la Loire, à Nantes, une minuscule petite pancarte rappelant les exactions commises pendant la Terreur m’interrogea une fois de plus sur le monde dans lequel nous vivons.
Une pancarte quasi invisible pour raconter « nous », notre pays, notre passé.
Une pancarte quasi invisible contre les grands écrans, contre les grands maux d’ailleurs et de plus loin balancés à nos faces à longueur de journée.

De nouvelles théories s’écrivent.
Peut-être seront-elles « à la mode » dans quelques temps.
Je ne sais pas.
Je sais que le temps sera déjà passé!
Ainsi va la vie, concoctée aujourd’hui sur un passé devenu flou vers un avenir inconnu.

Plans, objectifs, etc… (3)


Et, bien, moi, je suis allée lire l’histoire de la chevrette.

Je suis allée cueillir à la source, parmi l’ensemble des textes publiés par monsieur Daudet.
Des textes produits en guise de feuilleton estival pour le journal « L’évènement ».  A l’époque, le titre du feuilleton fut « Chroniques provençales » et  les épisodes prenaient vie à Clamart, en banlieue parisienne.
L’histoire de la chèvre était adressée à Pierre Gringoire, artiste lyrique à Paris.
Le texte fait partie d’un ensemble aujourd’hui publié sous un titre classique de la « littérature enfantine » :  « Les lettres de mon moulins ».

En filigrane des lignes ci-dessus, je vois des plans, des objectifs et une réalisation finale.

Dans l’histoire de la chèvre, je vois bien le plan initial de la chèvre, un plan qu’elle expose clairement à Mr Seguin, je vois bien son objectif et nous constatons ensemble la fin, c’est à dire la réalisation, c’est à dire « un truc » que la chèvre n’avait pas prévu dans son plan, un « truc » qui ne faisait absolument pas parti de son objectif déclaré.

Il est indispensable de « faire des plans ».
Il est indispensable d’avoir des objectifs.
Sans ni plans, ni objectifs, comment donner un sens à la vie?

Ou le bât blesse, c’est quand petit à petit s’instaure un sentiment de toute puissance qui souffle à l’oreille une injonction de réalisation fixée, obligatoire et sans discussion.
Nous en sommes, sociétalement parlant, à ce point.
Dans le boulot, chacun se voit imposer des objectifs, des plans pour y arriver et une obligation de réussite à la clé.
C’est un dérivé des jeux sur écran : si on appuie tout bien au bon moment sur le bon bouton, la récompense tombe inexorablement.

Sauf, que la vraie vie n’est pas un jeu vidéo.

Du coup, l’échec fait vraiment mal. Il est d’autant plus douloureusement ressenti que bien souvent, d’une manière ou d’une autre, il est indissociable de « punition » comme si l’expérience de l’échec n’était pas en elle-même une expérience suffisamment désagréable.
La souffrance est latente.

Je me pose mille questions.

Il y a l’enfant-roi à qui tout est dû.
Il y a l’éternel adolescent, ex-enfant-roi et si bien acculturé aux jeux virtuels qu’il croit à la suffisance des « clic » pour arriver à son objectif et s’énerve quand « ça ne marche pas ».
Il y a tant et tant de personnes et autant d’individus…

Ce qui me semble important c’est d’apprendre par l’expérience que le fruit tombe quand il est mur, qu’une immense patience permet de laisser filer les saisons avant que ne revienne l’époque de la cueillette, que s’incliner sous les grains et le vent permet d’avancer plus loin, que rien n’est jamais acquis et que tout reste possible, surtout l’imprévisible.

Il me semble que l’imprévisible échappe à toutes les prévisions contemporaines.

Sauver le monde ?

Ce matin, une question m’obsède.
Pourquoi si nombreuses sont les personnes de bonne volonté toutes entières portées à « sauver le monde » comme si leur vie en dépendait.

J’ai rencontré beaucoup d’enfants qui, en réponse à la question d’un futur métier, affirment qu’ils vont sauver le monde.
Chaque fois, je suis émerveillée par cette capacité de rêve grandiose propre aux enfants innocents et jamais, jamais un seul instant l’idée de les contredire n’est monté à ma cervelle de « vieille ronchon ».
L’enfance c’est le monde des rêves, des espoirs fous, de tous les possibles.
L’enfance, c’est le passage de vie où se cueillent les étoiles où s’escalade l’arc en ciel.

A l’intérieur de chaque adulte, vit un enfant, car pour s’élever, il est indispensable de cultiver les « contraires ». De fait, je cultive autant la joie que la tristesse, l’obsession que l’amusement, le rêve que la raison. C’est une histoire d’équilibre.

Ce matin, une question obsédante me taraude.
Parce que je suis triste de constater à quel point des gens, des adultes, des personnes responsables, perdent leur vie et leur énergie en « faisant tout » pour changer le monde, pour sauver le monde.
Je suis triste et fatiguée pour elles.
Je les sens perchées sur une extrémité qui peut les conduire vers la chute.
Je suis tristes de voir circuler ces pétitions vers des présidents qu’on voudrait non tout-puissants quand ça nous arrange et absolument tout-puissants quand ça nous chante.
Des présidents et des « grands » qui parfois prennent des allures de « dieu » pour ceux qui les suivent ou les prient…
Je suis triste de constater ces paradoxes volant au vent, sans le moindre fil pour les tendre et leur donner un sens.
Est-il possible de se fourvoyer à ce point sur la réalité de la vie en société?

La société.
Entendons nous.
Il est possible d’envisager la société humaine toute entière, constituée d’une multitude de sociétés correspondant à une multitude de pays, des sociétés régulées par des lois propres à chaque pays.
Il est possible d’envisager la plus petite société possible comme le plus petit commun dénominateur, ce serait un couple, c’est à dire deux personnes vivant ensemble un quotidien, seulement deux personnes, soumises à des lois tacites, des lois bien souvent jamais posées, des lois propres à chaque personne du couple, piochées dans les strates d’une l’éducation individuelle.
Entre la « société » du monde et la « société » individuelle, je sens un abîme de possibles.
Un inextricable « complexus ».
Entre l’impalpable et ce qui nous touche, où donc se situe la raison?

Je suis lasse souvent.
Parfois.
J’ai simplement besoin de l’écrire…

Au fil des siècles
Il s’est dit tant d’histoires
Tant de faits furent écrits
Que le temps rétrécit pour les lire

Alors que les humains
Plus savants que jamais
Les décortiquent sans fin
Oubliant dans cette quête
Inlassable
L’once lumineuse
Qu’ils sont sensés trouver

Je suis lasse souvent
En contemplant l’abîme

In Eloge, A traits communs, Nantes 2008