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La vie d’artiste

Copyright C.B, artiste non déclaré

Ainsi va la vie d’artiste, que le talent ne porte pas de nom mais se contente de laisser fleurir l’émotion à la grâce de l’instant.

A l’instant même où cette photo s’est affichée en grand écran sur mon laptop, le frisson qui se levait grandit encore. La légende indiquait « trouvé sur le net » sans le moindre copyright associé.

A mes yeux, une image aussi belle ne pouvait cependant qu’être l’oeuvre d’un artiste au regard de poète, un artiste patient sachant accrocher la lumière quand elle passe et disposant, en plus, de moyens techniques très pointus.
Rien qu’à l’idée de penser que cette merveilleuse photo allait être partagée, que d’autres allaient peut-être se vanter de l’avoir créée, je sentais poindre l’épée de l’injustice.
Et l’injustice est mon ennemie, le « truc » qui me fait sortir de mes gonds en toute circonstance.

Il me fallait trouver la source, féliciter et honorer celui/celle qui avait capté, affiné et partagé ce chef d’oeuvre (de mon point de vue), j’étais incapable de me contenter d’un « trouvé sur le net » pour tout un tas de raisons très résonnantes, donc raisonnables.

L’enquête fut lancée illico.
Et l’affaire fut très rapidement résolue, j’ai pu féliciter l’auteur en direct.

Pour autant j’ai poursuivi la navigation dans le ressac conséquent levé par diverses réflexions dont j’ai le secret.

Il faut avouer que cette question de la définition du  « statut d’artiste »  flotte souvent, entre deux eaux au milieu des pensées en vadrouille.
Un seul billet avait vu le jour à ce sujet jusqu’à présent.
En voici en second.

Mais tout d’abord, alors que je vais m’abstenir de définir le mot « artiste » (afin d’épargner des lignes de surcroit non exhaustives) je partage une réflexion au sujet du statut de héros. Pour certaines personnes, certains artistes ne sont-ils pas portés au nues comme leurs héros du quotidien ?

Finalement tout est dit en quatre minutes!

Mais… je suis bavarde!

Il était une époque pas si lointaine où rien ne valait mieux qu’un boulot fixe, un petit gagne-pain régulier sans beaucoup d’ambition et cependant indispensable. Les parents rêvaient en imaginant leur rejeton prendre la relève de la petite affaire familiale.
Aucun de leurs rêves les plus fous ne voyaient la « vie d’artiste » comme une chance pour l’à venir.
C’est qu’il n’y avait aucune différence, ou si peu, entre la vie d’artiste et celle de saltimbanque, de bohémien, de sans domicile fixe, de sans le sou, de pauvre hère.
Et voilà que nous sommes entrés dans un nouveau siècle.
Et voilà que dès qu’un enfant chante mieux que faux, on le voit déjà sous les sunlight
Et voilà que dès trois vers posés sans disharmonie, on pense déjà à en faire un recueil à succès.
Et voilà que dès les premiers coups de pinceaux, dès les premières notes envolées, beaucoup se rêvent artistes à nul autre pareil, donc very succefull!

Et c’est la précipitation.
Et c’est la voie.
D’aucuns y voient une chance de gagner beaucoup d’argent à l’horizon.
Car, c’est une réalité, les « grands » artistes sont assez semblables à des « chefs d’entreprise » et disposent de nombreuses personnes travaillant dans leur ombre.

Las.
Les places sont rares, très rares.

Les artistes qui ont pignon sur rue restent l’exception. Quant à passer à la postérité, quant à survivre 50, 100 ou mille ans, c’est encore une autre histoire!
Comme pour les héros, ce ne sont pas des humains qui sont portés au statut d’artiste, c’est seulement l’histoire qui s’écrit/s’écrira à leur sujet, une histoire faite pour se propager et attirer et faire parler ou rêver au long cours.

Pourtant,

Pourtant, dans ce monde mondial,
Sur la toile gigantesque virtuellement tressée, pas un jour ne passe sans que je croise des oeuvres que je peux sans conteste nommer « oeuvre d’art ».

Quid des « artistes » alors?
Et quelle différence entre artiste et artisan?
Ne sommes nous pas tous, un jour ou ‘autre, artiste/poète, artisan/bricoleur, artiste/bricoleur voire poète/artisan?
J’en suis certaine!

Le « métier » d’artiste oblige à produire. C’est alimentaire, puis, c’est aussi une lutte contre l’oubli, une lutte pour la survie du « métier ».
La production s’associe difficilement avec la grâce.
Avec la constance de l’état de grâce.

Les anonymes, eux sont libres, libres de poser leurs regards, leurs notes, leurs pinceaux, libres de les promener, de les exposer sans le moindre risque, les anonymes exercent un métier ou une activité qui n’a rien à voir avec leur don artistique , un métier simple ou glorieux, une activité nourrissante ou marginale, peu importe.

Ils sont financièrement libres et c’est ce qui permet à la grâce de poser son coup de patte.
Compter ne sert à rien dans ce domaine.
Il n’est question que d’élan, de passion, de plaisir.

« Ils peuvent tout faire entrer dans leurs calculs sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains. »
Christian Bobin, Ressusciter, Editions Gallimard 2001, ISBN 2-07-042710-2

Précipitations


Ah combien les précipitations peuvent faire baisser la tête, quand bien même l’herbe alentours est parfaitement verte!

Oui, le jardin m’inspire, c’est certain.

Et tête baissée les gens marchent, foncent parfois.
Et tête baissée, ils tombent dans le panneau, deviennent victimes.
Victimes de « trop vite », victimes de « sans nuance », victimes d’enfermement dans leur microcosme qu’ils voient comme la réalité du monde entier.

Le monde est vaste, large, en mouvement, imprévisible, passionnant, merveilleux, formidable.

Le passé n’existe que par les histoires qu’on s’en fait, l’à venir est inconnu, le présent passe et nous échappe.
Ce qui donne sens à chaque vie, ce sont les projets. Ils se nourrissent de nos histoires passées nous entrainent dans des rêves d’avenir et accaparent le présent.

Chacun ses projets,
Faire des enfants,
Construire une maison,
Changer de peau,
Quand ce n’est pas changer le monde!
Aller plus loin…
Toujours plus loin.

Oui, toujours plus loin.
Mais, pas à pas, à vitesse humaine,
Sans hâte,
Sans précipitation.

Comment avancer?
Comment se trouver?
Sinon en laissant le temps faire son oeuvre lente?

Il est si difficile pour moi de « comprendre » tous ces gens qui s’agitent, attachés aux apparences affichées dans l’air du temps, tous ces gens qui militent (même racine que « militaire » je le rappelle)  un jour dans un camp, dans un autre le suivant, d’un genre puis d’un autre, poursuivant une idée fixe puis une autre, à toute vitesse, à très grande vitesse, formidablement impatients, soumis à la technologie,  accrochés aux voix des autres sans en mesurer l’opportunisme mercantile…

Oui. Et…


« Oui. Et que t’inspire cette vidéo? » fut le premier commentaire posé sous une vidéo partagée sur les réseaux sociaux.
Une vidéo qui laissait penser que nous construisons à chaque instant un avenir dont nous ignorons tout.

En ce moment, je raconte des contes aux enfants.
La grande dame Education Nationale a mis les contes au programme pour les petites sections d’école primaire. De fait, les fonctionnaires suivent le programme indiqué. C’est la loi de notre société.

Des contes.
Par exemple « Le petit Chaperon rouge »
Charles Perrault (1628-1703), publia en 1697 un recueil « Histoire et contes du temps passé », figeant noir sur blanc des contes qui ne circulaient jusqu’alors qu’oralement. « Le petit Chaperon rouge » faisait partie du lot.
Perrault était un moraliste, et ses contes, comme les fables de Jean de la Fontaine (1621-1695) étaient suivis d’une morale.

Dans le livre de mon enfance, l’histoire du chaperon rouge, se termine avec cette phrase :

« Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jeta sur le petit Chaperon rouge, et le mangea. »

La morale n’apparait plus. Le conte est tout sec, la moralité a été supprimée par la postérité.

En 1976, Bruno Bettelheim (1903-1990)  publiait : « Psychanalyse des contes de fées« .
Psychologue et pédagogue américain d’origine autrichienne, son étude attentive des contes populaires l’avait amené a tenter de démontrer à quel point chacun d’eux reflète des conflits ou des angoisses, lesquelles apparaissent à chacun des stades spécifiques du développement. Il alla jusqu’à suggérer que les contes aident les enfants à découvrir le sens profond de la vie tout en les divertissant et en éveillant leur curiosité!

OK.
D’où probablement l’idée de mettre les contes au programme de l’Education Nationale.
Mais lesquels?
Quels contes? Avec quelle chute?

« Le petit Chaperon rouge », par exemple, rien que lui, a fait l’objet de multiples interprétations, particulièrement en ce qui concerne la fin. N’est-il pas trop cruel de « faire croire » aux enfants que les loups peuvent les manger? Ne vaudrait-il pas mieux que l’histoire puisse s’achever sur une note optimiste?
Ce sont les frères Grimm qui modifient (au 19ème siècle) la version de Perrault en faisant intervenir le chasseur.
Depuis, il existe maintes autres versions de plus en plus « gentillettes ».
Que devient alors la théorie de Bettelheim avec nos contes revus à la manière « bisounours »?

Je ne sais pas.

Trouver, l’autre jour, le long de la Loire, à Nantes, une minuscule petite pancarte rappelant les exactions commises pendant la Terreur m’interrogea une fois de plus sur le monde dans lequel nous vivons.
Une pancarte quasi invisible pour raconter « nous », notre pays, notre passé.
Une pancarte quasi invisible contre les grands écrans, contre les grands maux d’ailleurs et de plus loin balancés à nos faces à longueur de journée.

De nouvelles théories s’écrivent.
Peut-être seront-elles « à la mode » dans quelques temps.
Je ne sais pas.
Je sais que le temps sera déjà passé!
Ainsi va la vie, concoctée aujourd’hui sur un passé devenu flou vers un avenir inconnu.

Plans, objectifs, etc… (3)


Et, bien, moi, je suis allée lire l’histoire de la chevrette.

Je suis allée cueillir à la source, parmi l’ensemble des textes publiés par monsieur Daudet.
Des textes produits en guise de feuilleton estival pour le journal « L’évènement ».  A l’époque, le titre du feuilleton fut « Chroniques provençales » et  les épisodes prenaient vie à Clamart, en banlieue parisienne.
L’histoire de la chèvre était adressée à Pierre Gringoire, artiste lyrique à Paris.
Le texte fait partie d’un ensemble aujourd’hui publié sous un titre classique de la « littérature enfantine » :  « Les lettres de mon moulins ».

En filigrane des lignes ci-dessus, je vois des plans, des objectifs et une réalisation finale.

Dans l’histoire de la chèvre, je vois bien le plan initial de la chèvre, un plan qu’elle expose clairement à Mr Seguin, je vois bien son objectif et nous constatons ensemble la fin, c’est à dire la réalisation, c’est à dire « un truc » que la chèvre n’avait pas prévu dans son plan, un « truc » qui ne faisait absolument pas parti de son objectif déclaré.

Il est indispensable de « faire des plans ».
Il est indispensable d’avoir des objectifs.
Sans ni plans, ni objectifs, comment donner un sens à la vie?

Ou le bât blesse, c’est quand petit à petit s’instaure un sentiment de toute puissance qui souffle à l’oreille une injonction de réalisation fixée, obligatoire et sans discussion.
Nous en sommes, sociétalement parlant, à ce point.
Dans le boulot, chacun se voit imposer des objectifs, des plans pour y arriver et une obligation de réussite à la clé.
C’est un dérivé des jeux sur écran : si on appuie tout bien au bon moment sur le bon bouton, la récompense tombe inexorablement.

Sauf, que la vraie vie n’est pas un jeu vidéo.

Du coup, l’échec fait vraiment mal. Il est d’autant plus douloureusement ressenti que bien souvent, d’une manière ou d’une autre, il est indissociable de « punition » comme si l’expérience de l’échec n’était pas en elle-même une expérience suffisamment désagréable.
La souffrance est latente.

Je me pose mille questions.

Il y a l’enfant-roi à qui tout est dû.
Il y a l’éternel adolescent, ex-enfant-roi et si bien acculturé aux jeux virtuels qu’il croit à la suffisance des « clic » pour arriver à son objectif et s’énerve quand « ça ne marche pas ».
Il y a tant et tant de personnes et autant d’individus…

Ce qui me semble important c’est d’apprendre par l’expérience que le fruit tombe quand il est mur, qu’une immense patience permet de laisser filer les saisons avant que ne revienne l’époque de la cueillette, que s’incliner sous les grains et le vent permet d’avancer plus loin, que rien n’est jamais acquis et que tout reste possible, surtout l’imprévisible.

Il me semble que l’imprévisible échappe à toutes les prévisions contemporaines.

Chi va piano, va sano e va lontano

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Et non, je ne me suis pas mise à l’italien.
Tant qu’à citer un proverbe, autant le citer parce que le « qui va piano va sano », franchement je ne vois pas ce que ça peut signifier en français de France! 😀

Tout va si vite aujourd’hui que tout se gâte, se gaspille, passe et lasse à très grande vitesse.

Bien que n’échappant nullement à ce formidable tourbillon, je reste fondamentalement une personne lente.
J’ai BESOIN de prendre le temps nécessaire.

Lire par exemple.

Lire délicieusement des articles où les mots ne sont pas comptés, où le vocabulaire n’est pas réduit, où les arguments sont déployés et tranquillement avancés de la première à la dernière ligne.

Lire, simplement.

Chaque jour en ouvrant mon ordinateur sur la page d’un réseau social, je découvre un florilège d’aphorismes et de vidéos et de non-informations : deux, trois… dix mots…
Un flash, un « digest » dont chacun fait ce dont il a besoin, « partagé » avec bonne intention (toujours avec une bonne intention, j’en suis certaine) et sans le moindre commentaire personnel, genre : « allez y, prenez, c’est gratuit, faites en ce que vous voulez, j’ai « aimé », voilà, c’est fait. »

OK

Alors, j’ouvre mon journal (un véritable journal en véritable papier qui se froisse) et je prend le temps nécessaire en faveur d’une lecture lente, le temps favorable pour aller de découvertes merveilleuses en découvertes merveilleuses, le temps du plaisir, tout simplement.

Alors, quand alléchée par quelques mots de la Une  « La leçon de bonheur d’Alain Badiou » je file directement vers les pages 16 et 17 (quitte à revenir ensuite à la Une pour reprendre  la lecture page à page), quand je trouve « C’est en étant heureux qu’on peut changer le monde »  je joue à fond la carte de la gourmandise.

Je déguste chaque passage.
Je déguste signifie que je lis, que je relie, que je dépose dans ma mémoire, que je laisse infuser, que je quitte les mots des yeux afin d’en apprécier l’intensité et… que je fonce vers la passage suivant, persuadée qu’il aura une nouvelle saveur, un goût différent mais semblable qui me plaira à coup sur!
🙂

Arrivée à la fin du texte, j’ai conclu que la cerise sur le gâteau, c’est à dire le passage que j’avais envie de partager, était celui-ci :
« C’est exactement ce qu’explique Platon dans Le Banquet, où il expose que la philosophie elle-même dépend toujours de la rencontre de quelqu’un. Tel est le sens du merveilleux récit que faisait Alcibiade de sa rencontre avec Socrate. A travers cette rencontre de quelqu’un sont posées les questions du vouloir, de la décision, de l’exposition et du rapport à l’autre. Tout cela vous met dans une situation vitale magnifique et périlleuse. »

Voici le lien vers l’article