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Vendredi 8 septembre, étape 9

« Des pèlerinages, véritables aventures humaines, il existe mille légendes et tout autant de récits, colportés, renouvelés, remodelés au fil des siècles et au goût des cultures auxquels je me suis abreuvé. »
Philippe Lemonnier, Le chemin oublié de Compostelle, Editions Arthaud, 2004, ISBN 2-7003-9601-4

A défaut d’avoir eu l’occasion de trouver le passage du GR 78 la veille, il fallait s’y coller le matin.
Ce qui est amusant, c’est de poser la question suivante : « Savez-vous où je peux trouver le GR78 ? C’est une chemin de randonnée. Je sais qu’il passe dans votre ville »
Dans ce coin comme à d’autres endroits, on se retrouve devant le regard vide de la plupart des gens qui ignorent visiblement qu’il est possible de penser à randonner.
Exceptionnellement, certaines personnes se souviennent avoir croisé, en se baladant, des marques de peinture sur les arbres. Et parmi celles-ci quelques plus rares ajoutent : « Ah oui, le GR 10… je sais plus où je les ai vu ».
La bienveillance fait que je n’ai jamais tenté d’expliquer à ces aimables personnes que le GR 78 qui traverse le piémont pyrénéen est différent du GR10 qui traverse le massif plus en altitude.
D’ailleurs, enrichie par la répétition des expériences, je me suis rapidement contentée de demander : «  Avez-vous déjà vu panneau indiquant un chemin de randonnée ? Un panneau avec un trait rouge et un trait blanc ? »

Ce vendredi matin, comme tant d’autres jours, personne ne savait rien.
Et comme tant d’autres jours, j’avais cependant un indice à exploiter : « Vous êtes allée à Saint Lizier ? »
Non seulement je n’y étais ni allée, ni passée, mais je ne savais même pas ce que cette ville avait de particulier (quand j’affirme, que je ne prépare rien à l’avance!!!!)
« – Saint Lizier ? Non. Et… y’a quoi à Saint Lizier ?
– J’sais pas trop. Un monastère ou un truc comme ça »
Tout proche de l’endroit où se déroulait ce dialogue, un panneau de circulation affichait « Saint Lizier ». Le fait qu’un monastère puisse s’y trouver pouvait contribuer à me mettre sur la piste GR78. Aucun autre choix ne s’offrait. J’ai suivi les indications destinées aux automobilistes.
Après moins de 4 km, magie, magie, j’étais sur orbite.
Intérieurement, je souriais en pensant que j’avais rencontré, dans la ville voisine, une personne qui ne savait pas trop ce qu’il y avait dans celle-ci !

A l’occasion d’un rond-point, j’ai aperçu derrière moi deux personnes portant d’énormes sacs à dos.
J’ai freiné pour les laisser me rattraper. C’était un couple de japonais, nous avons échangé quelques mots en anglais :
« Moi : Vous allez où comme ça ?
Elle : A Saint-jean. Et se tournant vers lui : Saint-Jean ? C’est ça ?
Lui : Santiago.
Moi : Ah… Oui. Et d’où êtes vous partis?
Elle : De Saint Lizier, ce matin. Et de Carcassonne où nous sommes arrivés par avion.
Moi : Okay… et bien… passez une bonne journée
Eux en choeur : Merci, « buen camino » ! »

Je les ai laissé partir, freinant encore histoire de leur donner beaucoup d’avance en peu de temps.
J’imaginais les revoir plus loin à l’occasion d’une pause repas ou autre, mais non.

C’était les premiers « pèlerins » que je voyais et je ne savais pas qu’il faudrait attendre plusieurs jours avant d’en voir d’autres et d’en apprendre davantage, autant au sujet de ce mystérieux « chemin de Compostelle » qu’au sujet des personnes qui s’y promènent.

Tout en ralentissant, je sentais qu’il ne fallait pas forcer, l’étape sur la voie verte avait été un peu éprouvante. Le proverbe dit « Qui veut voyager loin, ménage sa monture » et donc, je ménageais, je ménageais !
Pas d’autre solution pour ce faire que d’aller de pause en pause, qui pour explorer une carrière de marbre, qui pour grappiller et déguster des fruits, profiter d’un sous-bois ou admirer l’architecture d’un monument.

Autre solution : trouver un bon endroit pour bivouaquer et commencer à le chercher assez tôt pour s’arrêter pas trop tard.

Depuis un moment, le célèbre col de Portet-d’Aspet était partout annoncé, porté à l’attention de la population cycliste dans chaque village traversé. C’est finalement dans le charmant village d’Augirein que je me suis décidée.
Je me suis arrêtée au bord du ruisseau.

La soirée puis la nuit, j’ai écouté la chanson de l’eau qui coule, et saute et danse.

A suivre…

 

Dimanche 24 septembre, étape 24

 

« Es mi destino,
Piedra y camino
De un sueño lejano y bello, viday
Soy peregrino. »
In Piedra y camino, Chanson de Atualpa Yupanqui (Hector Roberto Chavero Aramburo)

8h
Tout était plié.
J’attendais « mon » café chaud.
J’étais certaine que la personne croisée le soir était une personne de parole.
Pourtant, elle n’était pas là.
8h30, je me décidais lentement à partir, oubliant le café chaud quand un chien tout heureux est arrivé, suivi par son maitre.
Non seulement j’ai eu ma dose de boisson matinale, mais en plus j’ai eu le plaisir d’entendre l’accent de la région de mon enfance et la chanson des noms de villages que je connaissais parfaitement. Heureux hasard!

J’étais attendue à Hendaye et j’avais dès la veille annoncé une heure probable où il serait possible de me cueillir sur la plage. Même en prévoyant large, il ne fallait pas trop trainer et je démarrais finalement avec une heure de retard.

Dès la montée sur les crêtes, je voyais tous les endroits de bivouac sympa que j’avais raté et cependant j’étais super contente d’avoir eu l’occasion de profiter de la chaleur d’un bon café.

Devant, il y avait l’océan dans toute sa splendeur, bleu sous le ciel bleu.
Derrière, il y avait « la » montagne, somptueuse sous l’éclairage matinal, il y avait le lac des nuages et l’enchantement de la merveilleuse cascade blanche qui s’en échappait.

En partant, de là-bas, loin à l’est, j’avais longtemps regardé en arrière.
En arrière jusqu’à perdre le bleu maritime des yeux.
Il avait fallu que je m’arrache pour résolument regarder la montagne et aller de l’avant.

Et voilà, que je ne cessais de m’arrêter pour accrocher encore mon regard sur les montagnes, et encore et à nouveau.
Pleinement consciente de ce qui se passait, de ce qui se jouait précisément, j’ai porté mon regard au loin, vers cet horizon que j’avais si longtemps attendu et enfin, j’ai marché résolument, sans plus regarder en arrière.

J’étais sur le chemin qui va « au bout du monde », sur la plage, là ou allait commencer la suite, l’inconnu et plus loin.
Et Merleau-Ponty faisait écho avec une petite phrase que j’avais souligné dans le train, pendant le voyage vers Narbonne :
« (…) la route proche n’est pas « plus vraie » : le proche, le lointain, l’horizon dans leur indescriptible contraste forment système, et c’est leur rapport dans le champ total qui est la vérité perceptive. »

Je voyais l’horizon, l’océan, et j’étais dans l’instant, dans un paysage de carte postale, magnifique, sous un soleil radieux. Je vivais dans un simple bonheur tout à fait réel et véritable.

Passé l’ermitage de Biriatou, traverser l’autoroute revenait à franchir une frontière, à marquer l’entrée vers la fin de la randonnée, la fin de la belle escapade.
Puis, il y eut le port d’Hendaye, puis la plage et les surfeurs, et aussi un tas de cailloux au pied des rochers.
En ce beau dimanche, la foule était présente sous le soleil, j’étais pourtant seule au monde, débarquant d’un ailleurs invisible sans que personne alentours puisse l’imaginer.


Mon frère est arrivé à l’heure convenue.
Non… Avec quelques minutes de retard car il était parti me chercher sur le port et la route du littorale était fort encombrée. Il avait suffit d’allumer le téléphone et de clavarder un peu pour « tout arranger »… Mais comment aurions-nous fait « dans le temps »? Dans un temps où nous avons pourtant vécu, dans une époque où les rendez-vous existaient. C’est incroyable de constater à quel point nous sommes capables d’adaptation, au point d’oublier de quoi nous étions capables « avant »…

Un fois mon sac posé dans le coffre, complices comme nous l’étions lorsqu’il s’agissait de dévaler hors piste les champs de neige, nous sommes partis à l’assaut des rochers, jusqu’à la plage interdite que j’avais en tête, sous le domaine Abbadia, dans la baie de Loia, là où les roches multicolores sont sculptées par les vagues.
La marée commençait à monter fort.

Il était alors temps de rejoindre Biarritz en voiture et de rentrer dans cette vieille maison basque et bourgeoise dont j’avais si souvent entendu parler sans jamais la voir. Une maison que mon frère, une fois marié, avait apprivoisé en temps que « maison de famille ».

Oter mes sandales, faire grincer le parquet ciré, sentir la douceur des tapis d’orient, puis grimper l’escalier monumental pour découvrir « ma » chambre à la décoration surannée, tellement charmante dans la lumière filtrant à travers les persiennes.
Un peignoir blanc était plié sur le lit, la salle de bain ouvrait grand sa porte.
J’ai déposé mon barda, étalé ce que je pouvais sur les fauteuils tapissés de satin fleuri.
J’ai ouvert le paquet postal posé sur la table, sous la plus grande fenêtre. Il avait bien été expédia, il était bien arrivé à la bonne adresse.
Mes vêtements « de ville », mes bouquins, mes papiers étaient là.

Après une longue douche, je pouvais descendre, dans la peau d’un personnage collant au décor (enfin presque…) pour répondre à la curiosité de celle qui m’accordait l’hospitalité : une dame très âgée, d’allure aristocratique, blanche et fragile comme les porcelaines de collection qui décoraient le salon.

A suivre : le jour suivant …