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Et un et deux et trois

Trois paires d’oreilles, trois tempéraments, tant à apprendre



En septembre, lorsque j’écrivais au sujet de l’importance du chemin passé, j’étais incapable d’imaginer ce printemps… et pourtant mon imagination est capable de bien des films!

Depuis, les billets se sont accumulés au sujet du cheval, j’ai même ouvert une rubrique dédiée tant les réflexions se sont accumulées au point de déborder. (pas moins d’une quinzaine de billets déjà…)

J’avais besoin de sens pour avancer et je pensais en être arrivée à l’âge où je pouvais me contenter de balades salutaires.

Mais…

Mais j’ai découvert un nouveau monde,
J’ai questionné la relation,
Et aussi la notion de « bien-être » qu’elle soit appliquée aux humains ou aux animaux,
J’ai fait un retour express dans mon passé de cavalière,
J’ai réfléchi, douté, questionné, appris plus loin encore
Et j’en suis revenue à mes convictions profondes,
Celles qui avaient germées auprès de F.Knie senior,
Celles que j’avais entretenues avec la lecture passionnée des grands écuyers,
Des humbles écuyers d’avant l’époque du commerce opportuniste,
Celles qui finalement avaient grandi en même temps que grandissait
Mon goût pour l’éducation des chevaux.
Patiemment laborieuse.

Et force est de constater aujourd’hui que non, les simples balades à cheval ne m’offrent aucun sens.
La chasse aux orchidées sauvages se pratique en marchant, le regard rivé au ras du sol.
Mon exercice physique « de santé » se pratique à bicyclette au quotidien, la tête dans les étoiles.
Mon besoin d’adrénaline diminue avec l’âge qui avance et par ailleurs, j’ai appris à entretenir le flux des hormones qui contribuent à l’état de bonheur au long cours.

Mais…

Mais, il me reste le plaisir intense et toujours renouvelé d’établir une relation.
Il me reste le besoin de sentir la merveilleuse décontraction d’un cheval qui se déplace harmonieusement sous ma selle, sa capacité à jaillir en équilibre à la demande et la confiance à élargir aussi souvent qu’elle vacille.
Un besoin qui nécessite labeur et patience.

Monter à cheval, c’est chaque jour un nouveau passage de vie.

Aucun cheval ne ressemble à un autre, même si chaque cheval appartient à l’espèce « cheval » si différente de l’espèce humaine.
Grâce au petit cheval appaloosa découvert en septembre dernier, la porte s’est grande ouverte sur d’autres possibilités de chevauchées, de rencontres et de relations à établir.
A l’impossible nul n’est tenu,
Je fais confiance au vent pour me pousser en sagesse au fil des jours qui passent.

« Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner »
Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard 2001

Comment oublier le bleu marine si particulier des yeux qui s’ouvrent à la vie terrestre, leur innocence formidable, leur absence de jugement ?

Monter à cheval est chaque jour un passage de vie.

Trop d’info

L’image vient à la fin pour une fois.

Il est commun d’affirmer que trop d’info tue l’info.
Voilà que ce matin cette phrase a pris une tout autre dimension à mes yeux.

En effet, en citant mes sources, en essayant d’expliquer le cheminement de ma pensée afin de permettre aux personnes à qui je parle de « toucher » les conclusions auxquelles je parviens, je n’avais jamais imaginé avant ce matin à quel point les mots trop nombreux constituent parfois un « trop d’info » qui tue « l’info » en question.

La veille j’avais expliqué, suite à une vidéo, qu’il nous est difficile de saisir le langage non verbal des animaux. Puis j’avais ajouté que la difficulté est d’autant plus grande que nous essayons de « comprendre » des animaux qui ont très peu de choses en commun avec nous les humains. Par exemple, lorsque nous traitons un cheval de nounours (donc ourson? ours? jouet en peluche?), nous faisons une confusion et nous induisons une grave erreur relationnelle en confondant NOS besoins d’animal de nichée avec ceux des animaux qui voient le jour loin d’un nid et se retrouvent indépendants dès ce passage de vie.
C’est seulement ce matin que j’ai pris conscience d’un fait : la réponse qui vint à la suite, suscitant mon étonnement, cette réponse s’adressait aux premiers mots de mon explication. La suite, ce qu’il m’importait d’expliquer était passé à la trappe car… trop d’information tue l’information!
Et oui, c’est ça.

ET oui, je l’ai compris.
1) Grâce à ces mots, venant à la suite d’une nouvelle tentative d’explication : « C’est bien de partager ses connaissances c’est vraiment intéressant ! Mais à force d’en avoir beaucoup j’en prends et j’en laisse aussi.
J’assimile mieux ce que j’apprends quand c’est pas trop d’infos en même temps »

2) Puis, grâce à ceux-ci venant juste après avoir re-formulé la conclusion le plus simplement possible en quelques mots. : « Ahah oui là je comprends mieux »

Et alors mille pensées se sont mise à tourbillonner, à danser une folle sarabande, à me rappeler que les recettes font recettes, que les slogans doivent comporter trois mots au maximum, que Tocqueville avait déjà écrit « ça » : « Il n’y a, en général, que les conceptions simples qui s’emparent de l’esprit du peuple. Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie mais complexe. »

Et alors, à quoi bon ? Me suis-je questionnée.

Il importe de dire peu.
Il importe de dire simple.

Oui, c’est vrai quand il s’agit d’éduquer un cheval.
Oui.
Parce qu’un cheval, un chien ou un autre animal dispose d’une « pensée » différente de la nôtre.
Mais les humains ?
Les humains doivent-ils être privés d’explications un peu complexes ? Sont-ils destinés à seulement appliquer des « protocoles », des « recettes » sans rien comprendre, sans questions ?
Doivent-il se contenter d’ingurgiter des idées toutes faites, à la mode un jour et démodées le suivant?

Je me pose mille questions à ce sujet.

Aujourd’hui, jour de la lecture…

Aujourd’hui où des « biens-pensants » imaginent ré-écrire des œuvres classiques afin de les rendre « accessibles au plus grand nombre »!
J’essaye d’imaginer les prolifiques auteurs du 19ème ré-écrits en cent mots maximum afin que « tout le monde » puisse « tout » comprendre !

Et une immense lassitude s’empare de moi.

Alors, me souvenant d’une phrase que j’avais citée dans l’avant-propos d’une publication, je suis allée chercher le bouquin dont je l’avais tirée et je m’y suis plongée.

Aujourd’hui, jour de la lecture, j’ai lu!
Un auteur classique, un poète que j’apprécie depuis l’enfance : Charles Baudelaire

Les autres (bis)

Irrigation ancestrale creusée à même le sol (Tenerife)



Aparté : en fin d’année 2018, je publiais un billet nommé « Les autres », de fait celui ci porte le même titre agrémenté d’un « bis ». Le propos est différent bien que semblable dans le fond.
J’ajoute que je choisis toujours les images avec soin, qu’elles font toujours partie de ma photothèque et qu’elles sont toujours en lien avec le billet, même s’il faut parfois un peu se creuser pour trouver 😉

Les autres.
Ces autres qui dessinent le sens de nos vies.
Le sens que nous attrapons en passant afin d’aller plus loin.
Toujours plus loin,
Au gré du vent.

Les autres.
Ces autres indispensables à chacun de nos devenirs
Quand bien même c’est absolument seuls
Que nous marchons,
Au gré du vent.

Je traverse un moment de turbulences.
C’est évident.
Inévitable,
Comme lors de tous les vols.
Et merveilleusement fascinant aussi,
La danse des questions qui s’agitent
Est formidablement multicolore.

Les chevaux sont à nouveau entrés dans ma vie.
Innocemment.
Et les chevaux n’ayant plus rien de sauvage,
Ils sont associés aux humains, aux autres,
Ces autres, ceux qui ne sont pas moi
Et cependant de mon espèce,
Donc un peu « moi » aussi.

(j’ai ouvert un nouveau chapitre dans ce blog sous le titre « cheval » afin d’y coller souvenirs et questions d’actualité)

Mon quotidien est à nouveau rythmé par la résonance du pas des chevaux, par l’éclat de leurs regards dénués d’intentions humaines, par leur puissance soumise et leurs exigences exploitées.
Le jardin, la « chasse » aux orchidées sauvages représentaient à mes yeux, ces dernières années, des livres ouverts, des livres de philosophie. Les chevaux ajoutent le leur et je dispose maintenant d’un triptyque à nul autre pareil.

Pour revenir au titre de ce billet parti en digression, voici le résumé d’une récente aventure.

Je me balade généralement seule avec le petit appaloosa.
Un jour, je le sentis frémissant à l’abord d’un pont et en cherchant au loin ce qui pouvait le mettre dans un tel état, j’aperçus un grand cheval noir.
Le cheval noir et sa cavalière allaient leur chemin.
Nous nous sommes croisés.
Chacune, nous avons retenu nos chevaux afin qu’ils puissent se saluer dignement à la manière humaine, évitant ainsi les gestes et les expressions vocales propres à nos montures, un peu comme les parents demandent à leurs enfants de « bien se tenir » en présence d’inconnus.
Et nous sommes reparties le long du canal, l’une d’un côté, l’autre à l’opposé.
Je gardais le souvenir de la belle cavalière si différente dans son allure de celles que je côtoyais désormais.

Quelques semaines plus tard, les filles dont les chevaux partagent le même gite que « le mien » se promenaient ensemble lorsqu’elle firent la même rencontre.
Mais à la différence de la solitaire assumée que je suis, elles entrèrent en relation avec la cavalière du cheval noir, échangèrent davantage qu’un simple salut et se firent la promesse de sortir ensemble d’autres fois.

Grâce à ces filles bien plus téméraires que moi (en matière d’invitation à cheminer à cheval) et grâce à un faisceau d’autres faits j’ai pu, à mon tour, faire plus ample connaissance avec la cavalière du cheval noir, avec le cheval noir lui-même et avec un autre cheval noir de la même écurie.
Des trotteurs !
Des trotteurs avec une histoire de trotteurs précédant leur vie de « cheval de balade ».
La vie est espiègle, c’est certain.

Et me voilà, grâce à ces autres, devant un « plus loin » toujours aussi inconnu, riche de nouveaux possibles presque palpables bien que réellement improbables.
J’en viens à tirer des plans sur la comète, c’est dire !

La suite demeure à vivre.
Passionnément
Paisiblement
Joyeusement.

L’école d’équitation -1

Carte datant de 1978 en vente sur un site de collectionneurs


« On y va mardi soir à 18h » avait dit mon père.

J’avais moins d’une semaine à patienter et dix milles questions en tête.
Comment m’habiller, par exemple.
Je n’avais que deux pantalons, un « fuseau » de ski et un pantalon de survêtement en molleton bleu passé. Au lycée, il était encore interdit de porter un pantalon lorsque la température était supérieure à -10°C, donc tout le temps! Acheter un simple jean était, de fait, une dépense considérée comme superflue par mes parents.
J’ai décidé que le survêtement allait faire l’affaire et que les « spring-court » seraient plus chics que les grosses bottes de pluie que je détestais.
Dans cet accoutrement « touristique » il est certain que je n’allais pas avoir le superbe look des cavalières que je voyais parfois dans Paris-Match, mais avais-je le choix?
je n’étais ni la princesse d’Angleterre, ni Janou Lefèvre et j’en était pleinement consciente.

Et vint le jour J.
Mon père me conduisit en voiture. Il gara son Opel Kadett grise derrière une belle BMW vert métallisé. Il me tendit la carte rose et ajouta : « Tu vas te débrouiller, hein? Je vais t’attendre là. »
Qui n’a jamais mis les pieds, seul, dans un lieu totalement étranger et absolument inconnu, un lieu où personne ne l’attend, peut difficilement comprendre l’état dans lequel j’étais en descendant de la voiture.
Ca sentait fort le Crésyl.
Devant moi une petite maison cachait une lumière blafarde qui semblait s’élever en arrière, des pigeons roucoulaient mais l’endroit semblait désert.
Courageusement je me faufilais dans une espèce de couloir entre deux bâtiments et je « tombais » sur une cour entourée de boxes. Beaucoup étaient ouverts, vidés de leurs pensionnaires.
J’étais hyper mal à l’aise, remplie de questions, déboussolée.
« Vous cherchez quelque chose? » Un homme mal accoutré, des brins de paille dans les cheveux et une fourche à la main me questionnait.
« Je viens pour monter à 18h » furent les seuls mots que j’articulais, mais c’était les bons.
« Et ben, c’est comme d’habitude, il faut aller faire pointer votre carte au bureau. »
La réponse était suffisamment laconique pour que je n’aie pas envie d’en demander davantage. Où était donc ce fameux bureau ?
Je revenais sur mes pas.
Magie, une pièce s’était illuminée au rez-de-chaussée de la petite maison roucoulante.
En suivant la lumière, je trouvais le bureau. Un garçon d’environ 14-15 ans était assis sur un banc posé le long du mur. Il portait un jean rentré dans des bottes noires, c’était certainement un cavalier. Je m’assis sans rien dire, à l’exact opposé de lui, sur le même banc. Et j’attendis. D’autres personnes arrivèrent.
Enfin d’un coup il y eut un frémissement, une odeur de tabac blond précéda un relent de parfum vétiver et le maître de manège fit son entrée. A vue d’oeil, il avait l’âge de mes parents mais la ressemblance s’arrêtait là. Il était l’élégance même, un sourire malicieux plissait des yeux d’azur et faisait remonter une fine moustache blonde jusque sur ses joues.
Il prit place derrière le bureau, sortit un tampon et lança un tonitruant : « Alors, à qui le tour? »
Les « habitués » posaient leur carte rose devant « le maître », il tamponnait la date d’un coup sec et balançait le nom d’un cheval.
Je passais en dernière. Il me dévisagea. « Vous êtes nouvelle? C’est la première fois?  »
J’acquiesçais sans mot dire.
J’avais eu tout le temps nécessaire pour apprendre par coeur le tableau du planning des reprises, je savais que j’étais dans la « bonne », celle des débutants 1.
« Vous prendrez Mont D’Arbois »
Et voilà, y’avait plus qu’à.
Et ce fut un nouveau challenge.
Dans la cour entourée de boxes, j’ai cherché la monture qui m’avait été attribuée.
J’ai trouvé.
Un immense cheval bai cerise attendait, déjà sellé et bridé, derrière une des portes vertes fermées à double verrou.
Immense, gigantesque.
C’est vraiment grand un cheval, pensais-je, comment vais-je faire maintenant ?
L’homme avec de la paille dans les chevaux interrompit mon hésitation en ouvrant grand la porte. « Alors, vous y allez oui ou non? La reprise va commencer et vous avez intérêt à pas être en retard » lança t-il en me mettant les rênes dans les mains et en me montrant du menton qu’il fallait illico presto me diriger vers le manège.

L’avantage d’arriver dans les derniers, c’est qu’il suffit d’observer et de faire comme les autres. Ainsi, suivant le modèle proposé par la dizaine de cavaliers déjà présents, je tirais sans difficultés le brave Mont d’Arbois jusqu’à le mettre en rang au milieu du manège à côté de ses compagnons. Visiblement il savait très bien ce qu’il fallait faire.

Lorsque le maitre de manège entra et claqua derrière lui la lourde porte pare-bottes, nous étions une douzaine, pied à terre, tenant plus ou moins académiquement notre monture à côté de nous, alignés presque droit sur la ligne centrale dans la longueur du manège.

J’étais à l’Ecole d’Equitation et j’ignorais absolument tout de ce qui allait maintenant se passer.

A suivre

Et le cheval vint à moi – 2

J’avais dix ans et j’avais envie de monter à cheval.
Pourquoi ?
Difficile question.

Rien n’était comme aujourd’hui.
Des anecdotes sont rapportées dans le -1-, il y en a d’autres.

Par exemple, les boucheries chevalines commençaient à disparaitre mais celles qui subsistaient étaient décorées avec de belles images de chevaux de course et j’aimais y entrer. Ca parait fou vu d’aujourd’hui, non?
Pas à l’époque.
Manger du cheval rendait fort, c’était un véritable luxe.
J’avais été très malade (presque une année scolaire sans mettre les pieds à l’école) et ma mère avait tout essayé pour me redonner la santé. En particulier, elle achetait de la viande de cheval qu’elle pressait pour en extraire le jus et me le faire boire quand « rien ne passait ». Aujourd’hui « on » fait l’éloge des cures de fer en comprimés, à l’époque c’était pareil mais différent!
Donc en cette fin des années 1960, je regardais avec plaisir les magnifiques têtes dorées qui surplombaient les boucheries chevalines et si d’aventure la vitrine affichait quelques photographies de coursiers, je restais devant, rêveuse.

Les chevaux avaient disparu du paysage urbain, le laitier passait à vélo pour vendre sa crème, son lait et ses délicieux fromages frais ; plus aucune charrette hippomobile n’était visible, l’armée était désormais totalement motorisée, des fusées partaient dans l’espace, les chevaux étaient devenus inutiles.
A la campagne, je marchais parfois des heures en suivant les traces d’un sabot et parfois, la chance me souriais, j’arrivais devant un pré où un énorme cheval de trait dormait sous le bourdonnement des mouches qui lui collaient au corps. Je ne résistais pas au plaisir de rester sous l’effet enchanteur de son souffle, penser aux inévitables remontrances des parents inquiétés par ma trop longue absence ne servait à rien, il fallait que je profite un peu. Je me souviens de l’odeur qui restait sur mes doigts les jours où j’avais eu l’audace de tendre le bras pour… toucher. C’était un mélange de fragrances que je n’arrive pas à retrouver, peut-être en raison de l’artificialisation des prairies.
Lorsque je prononçais le mot « cheval » à la maison, ma mère disait quasi systématiquement : « Elle doit tenir « ça » de son arrière grand-père. »
L’arrière grand-père, c’est celui qui est sur la photo.
Un beau jour maman fit sortir d’un tiroir une collection de photos sur plaque de verre datant de la guerre de 1914. Et elle sortit aussi une visionneuse en beau bois verni. En posant les yeux en face du binocle, les photos prenaient une apparence 3D juste magique. Et surtout au milieu des innombrables photos de guerre, il y avait celle du « Commandant » sur son cheval. J’avais donc un ancêtre et bourgeois et de fait… commandant à cheval.
J’ai rapidement subtilisé les quelques plaques où figuraient des chevaux.
Et dans le secret de ma chambre, je les regardais.
Un jour j’allais monter à cheval moi aussi, c’était certain.
Et puis, je savais qu’il existait un manège en ville puisque les filles du lycée en parlaient.

Rien n’était comme aujourd’hui.

Les enfants étaient tenus loin des affaires d’adultes, en particulier en ce qui concernait les histoires d’argent. Les prix n’étant pas affichés, je n’avais aucune conscience de la valeur des choses même si j’avais bien entendu que le manège était réservé aux riches et que nous n’avions pas les moyens.

Ma mère me donnait chaque semaine de l’argent pour payer le bus qui menait au lycée.
Sans rien lui dire, j’y allais à pieds et je commençais à remplir ma tirelire.
Patiemment.
Ma mère était ravie de me voir partir très à l’avance, j’inventais de bonnes raisons « scolaires » à ce besoin de prendre tant d’avance…

Un beau jour, certainement rouge d’un mélange de honte, de terreur et d’espoir, je me souviens m’être présentée devant mon père et ma mère, la main tendue remplie de l’argent économisé et j’ai tout expliqué.
« Voilà, en fait je vais au lycée à pieds, avec l’argent économisé que voilà je voudrais payer une heure de manège, comment faire? »
J’ai encore dans mes tripes le mélange des sensations ressenties dans cet instant.
Je fondais, je me désagrégeais et j’étais hyper fière en même temps.
Droite et fière, je regardais les parents recevoir ce que j’envoyais.
J’étais prête à tout, même au pire.
La sentence tomba :
« Ma pauvre fille, il n’y a pas assez et puis c’est un club fermé, c’est impossible d’y aller pour une heure seulement. »
Déjà j’avais échappé aux remontrances. Mes parents étaient aimants, à travers leurs mots j’avais bien senti leur impuissance et leur tristesse de ne point pouvoir satisfaire ce qu’ils appelaient déjà « passion ».

Par chance, la révolution était à l’horizon.
Les comités d’entreprises d’inspiration communiste militaient pour un égal accès de tous à tout.
Et mes parents cherchaient de leur côté ce qu’il pouvaient faire.
Ma détermination les touchaient.

Un soir, mon père me demanda de venir le voir « pour parler ».
Son aspect sérieux m’inquiétait.
Ma mère se tenait debout à côté de lui, le visage fermé.
J’ignorais à quoi m’attendre.
C’était très énigmatique.
Quelle bêtise avais-je bien pu faire?
J’essayais de repasser à toute vitesse toute les règles que j’avais transgressé dans les derniers jours, que ce soit au lycée ou à la maison.
Et j’approchais.
Avais-je un autre choix?

Alors, mon père sorti de sa poche une carte rose.
En un éclair je vis le cheval imprimé dessus et les mots incroyables qui entouraient le dessin toutes majuscules sorties : Ecole d’Equitation de La Doua.
Et mon père ouvrit la bouche : « Voilà, je me suis renseigné, mon comité d’entreprise propose des cours à un tarif spécial. Nous pouvons t’offrir ça. Voilà une carte pour dix leçons, une par semaine obligatoire. »

A l’époque, la retenue était de rigueur.
Dans ma famille personne ne disait « je t’aime », personne n’avait ni grande envolée romantique, ni spectaculaire manifestation sentimentale.
Ma mère a esquissé un sourire.
J’ai probablement souri, au moins intérieurement.
Je savais que mes parents avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour me faire plaisir.
Submergée par l’émotion, j’ai balbutié un minuscule merci.
Mon père a ajouté : « On y va mardi soir à 18h »


A suivre.

Et le cheval vint à moi – 1

Pour commencer il faut situer l’histoire, c’est à dire la mettre dans le contexte d’une époque.
Comme je l’ai affiché ici, je suis une enfant du baby-boom, de cet après-guerre où la croissance de la population française s’envola. Dans le même temps, les campagnes se vidaient, les tracteurs remplaçaient les chevaux, les machines épargnaient les bras des hommes.

Rien n’était comme aujourd’hui.

Par exemple lorsque ma mère décida de m’emmener à l’école, j’avais déjà 4 ans. Elle tenait fermement ma main en traversant le long couloir qui menait chez « les bébés » mais au moment de m’abandonner au milieu des jouets, la maitresse s’allia avec les dames de services pour déclarer que j’étais trop grande (j’avais une taille élancée en hauteur) et ma mère fit demi-tour pour m’emmener chez les moyens, là où les enfants étaient sagement assis autour des bureaux, chez Mademoiselle Martin.
(C’est fou comme ces souvenirs sont forts… mais rien à voir avec les chevaux, hein!)
Tout ça pour dire que j’ai sagement appris l’alphabet, l’écriture et la lecture sous la houlette d’une Mademoiselle Martin très gentille et attentive (c’est ce que ma mère pas peu fière n’arrêtait pas de répéter), que j’ai un peu grillé les étapes (décidément à l’époque, peu importait la date de naissance, nous avancions sans réunions ni concertations ni dérogations ni félicitations ou je ne sais quoi, nous avancions simplement). A dix ans à peine, je rentrais au lycée… Oui, à l’époque le collège balbutiait encore et la sixième était au lycée. Et le lycée était un lycée de filles et surtout c’était « le meilleur de la ville de Lyon ». J’ignore pourquoi et comment j’ai été propulsée chez les « bourgeois » dans ces années où couvait la révolution de 1968.
« Les bourgeois » et le gratin des riches lyonnais… sans eux je n’aurais jamais mis les pieds au manège, je serais restée dans l’ignorance de son existence.
Nous bénéficiions de quatre heures de sport par semaine au lycée et j’étais fan, aussi fan que de chacun des cours proposés, à l’exception de la couture et de l’anglais, pour des raisons bien différentes… disons que j’avais déjà un tempérament bien affirmé.

Je découvrais des mondes que ni ma mère ni mon père n’avaient connus, je devais inventer, m’inventer. Et pour ce faire, j’écoutais, j’observais.
Je tentais de tenir en équilibre.
Solitaire et déterminée.
J’ignorais alors que la Vie est définitivement un exercice d’équilibre.
J’étais irrésistiblement attirée par les conversations tellement clinquantes des filles qui m’entouraient… et m’ignoraient aussi… Plusieurs d’entre elles montaient à cheval.
Monter à cheval.
Une graine était semée.
A l’insu de mon plein gré.
J’en prends conscience aujourd’hui en l’écrivant.

A suivre

Instant présent (bis)

Deuxième billet avec ce même titre et comme par hasard, le précédent était illustré bien à propos pour aujourd’hui.

A la fin du mois d’octobre, j’avais pris soin de « ma » pirogue, du « va’a » qui m’a tant offert dans ces dix dernières années. Depuis qu’un certain virus est entrée dans nos vies, ma pirogue est sortie de la ville, elle m’a entrainée sur l’océan. Là, encore davantage que sur l’eau dormante de la rivière, elle m’a montré à quel point elle est telle un cheval qu’il convient d’apprivoiser afin qu’en chaque circonstance il soit possible de garder un cap.

Combien de personnes m’ont ainsi entendu argumenter que je préférais mille fois le va’a traditionnel aux pirogues américaines pour la simple et bonne raison que j’aime son côté « cheval sauvage », ses initiatives qui ne sont pas toujours les miennes et qu’il me faut « gérer » pour avancer plus loin autant que pour rentrer à bon port ?

Depuis que je l’ai remise en état, pour un faisceau de raisons, je n’ai pas eu l’occasion de la chevaucher à nouveau.
Et dans le même temps, plusieurs fois par semaine, je vais chevaucher un petit appaloosa.
Clin d’oeil, je reste en noir et blanc!

Samedi, dans l’air limpide et froid, seule avec le petit cheval, j’ai respiré la nature comme je respire l’océan, immensément, juste posée entre terre et ciel, passionnément, comme dans un poème, exactement située dans l’instant présent.
Hier dimanche, bis repetita.
Comme le veille j’ai pensé au va’a.

Pourtant, hormis l’assemblage du noir et du blanc, pour tout un chacun, rien ne ressemble moins à un va’a qu’un cheval et rien ne ressemble moins à un cheval américain qu’une pirogue polynésienne.
Sauf que pour moi, il est question de relation, de confiance et de moments passés ensemble pour l’une comme pour l’un, pour l’un comme pour l’une, seuls ensemble, seuls entre tout et rien.
C’est très métaphysique, tout à fait impalpable, donc difficile à expliquer, mais c’est pareil.

La pirogue était entrée dans ma vie par hasard, comme ces rêves qui se laissent attraper.
Le cheval y est revenu de même.

L’été dernier, alors même que j’ignorais tout de l’automne à venir, j’ai songé qu’il était temps de vendre ma pirogue.

Je pense que l’heure est venue.
Il y a encore de belles aventures à vivre pour elle.
Et pour moi,
Dans un univers différent,
Mais pareil aussi.

A cheval sur l’authenticité

En partant sur « mon » île préférée, j’avais emporté deux choses : un bouquin publié à la fin des années 60 au sujet de la psychologie du cheval et l’idée d’aller voir un vieux gaucho installé sur l’île.

Le bouquin s’avérait âpre à lire, ce fut un livre que j’avais pourtant dévoré « dans le temps ». Il m’apparaissait désormais comme d’un autre âge bien que les propos abordés soient tout à fait bien argumentés et que la « science » n’ait pas changé grand chose dans le domaine.
Il n’en demeurait pas moins d’autant plus passionnant, mais à petites doses quotidiennes.
En fait comme beaucoup d’ouvrages d’autrefois, il est écrit en langage savant, riche d’une multitudes de sources et il ne ressemble aucunement aux ouvrages d’aujourd’hui chargés de belles images mais dénués de textes réellement érudits, des ouvrages de « consommation courante » destinés à encourager la course à la consommation et au … jetable!

Jetables les livres, jetables les idées, jetables les influenceurs.

Le gaucho habite sur l’île depuis une vingtaine d’années, il a conservé de son pays d’origine (L’Uruguay, pays du monde où il y a le plus de chevaux par habitant) l’habitude d’avoir des chevaux dans son jardin. A un détail près : sur l’île il n’existe ni herbe ni pâtures. Les chevaux sont confinés sur de la terre battus et nourris avec des granulés et un peu de foin importé, c’est très onéreux!
Il m’avait dit que je pouvais arriver un peu à l’avance, ce que j’ai fait après avoir trouvé grâce au GPS le site où ses animaux sont hébergés au milieu de nulle part.
Je l’ai aperçu de loin derrière le grand portail clôt, son accoutrement en bleu de travail et son chapeau ne trompaient pas. Il rentra les énormes bergers allemands qui montaient la garde et m’accueillit avec le sourire « comme il se doit » envers la touriste que je suis.
En premier il m’informa : « tu vas voir, moi je fais dans le respect et le naturel, mais pour de vrai ».

OK

J’étais préparée pour me taire et observer.

Mais quand même, ignorant ce qui avait été dit à mon sujet, il fallait que je lui montre mon intérêt réel pour les chevaux, ma non-peur et… Pourquoi pas un soupçon d’expérience?
Je me dirigeais donc vers le cheval à l’attache.
C’était un cheval plutôt joli et bien fait. En lui flattant l’encolure, je questionnais pleine d’espoir : « C’est celui que je vais monter? »
Non, il désigna à mon intention un petit cheval quasi noir vers lequel il m’entraina.
Une fois dans le corral, je tentais (délicatement) une allusion sur l’aspect « maigrichon » de la pauvre bête, mais je fus vite remise à ma place.
Lui était le maître, le spécialiste de l’équitation naturelle et de « l’amour » des chevaux.

A partir de ce moment, je n’ai plus parlé que de la pluie et du beau temps, me contentant d’observer tout ce que je pouvais capter.
Le gaucho essaya de me faire une démonstration de son rapport aux chevaux en utilisant, pour ce faire, le compagnon de corral du cheval noir qui m’était imparti. Ceci non sans avoir préalablement affirmé que le cheval choisi pour la démo était encore sauvage, immontable et difficile.

OK.

De retour à la barre d’attache, il me refusa toute action. J’étais une touriste, c’était clair.
En retrait, je notais tous les détails.
Les noeuds des licols en corde (en France on les appelle « licols éthologiques ») avaient usé le poil des chevaux aux points d’appui. La longe était attachée si courte que les chevaux pouvaient à peine tourner la tête pour regarder alentours.
Je posais quand même la question de savoir si nous allions monter en licol (j’avais vu des photos où il le fait) en me réjouissant ouvertement à cette idée. Une fois de plus la réponse tomba en fermant le sujet : « Non, c’est une question de sécurité! ».

OK

Il sella en serrant d’un coup les sangles à leur point de non retour.
Il emboucha les deux animaux avec un mors droit à levier et ajusta les gourmettes.
Comme il vit ma grimace, il se justifia : « Ca leur fait pas mal, c’est pour la sécurité ! »
Puis il me tendit une cravache avant de m’inviter à monter.
Décidément incapable de me taire, je lui rétorquais que je n’avais pas besoin de cravache d’autant moins que les chevaux allaient vraisemblablement se suivre.
Il argumenta une fois de plus, vantant l’indépendance de ses chevaux, ses méthodes naturelles et la sécurité, puis devant mon attitude bien campée, il finit par conclure qu’il allait prendre la cravache avec lui.. okazou !

OK

Et nous partîmes.
Et il fit la conversation.
Comme prévu mon cheval suivait le sien d’un petit pas raide. Rênes longues et jambes inactives, je me laissais aller, à la fois impuissante et totalement résolue à le demeurer.
Plus loin, il me proposa de trotter et après quelques foulées les chevaux se remirent paisiblement à leur routine, au pas.
Bis repetita placent, résultat identique.
Alors, il me proposa d’échanger nos chevaux, je me demande encore sur quelle « bonne raison ».
J’acquiesçais avec joie.
Sentant le changement de cavalier, le grand cheval blanc se précipita trois pas en avant. Impassible je la laissais faire en serrant imperceptiblement les doigts sur les rênes longues (l’embouchure était vraiment trop « méchante » pour que je l’utilise).
Sans autre action l’animal repris son pas calme et le noir suivi comme il avait suivi jusque là. Ce qui est certain c’est que le pas du grand blanc était vraiment plus souple, donc plus agréable à mon vieux dos.
Enfin, la promenade toucha à sa fin.
Le gaucho continuait à me faire la conversation, essayant de positiver « cet excellent moment que nous passions ensemble à partager nos idées qui étaient semblables ». Captait-il les milliers de pensées qui me traversaient ou était-il en quelque sorte désarçonné par mon attitude si peu « normale » pour une touriste en mal de balade à cheval ?
Je l’ignore.
Dans l’ultime montée vers le corral, il m’ordonna de tendre les rênes en expliquant que le cheval allait partir au galop, car d’habitude il part au galop à cet endroit, car c’est un cheval qui « aime » courir.

OK

Je prenais un contact mou pour lui faire plaisir, le relâchant immédiatement.
Il demanda le galop.
Et mon cheval resta au pas.
Puis l’animal voyant son compagnon galoper décida de trotter et finalement galopa.
Rênes longues, il galopait.
Je tenais ma casquette d’une main afin qu’elle ne s’envola point.
Tranquille.
Tranquille pendant que le gaucho essayait de faire la démonstration de ce qu’il était capable de faire au galop, comme attraper les oreilles de « mon » cheval.
Je me contentais de surveiller ma casquette.
Tranquille.
Rapidement les chevaux qui aiment tant courir se mirent spontanément au pas.
En voyant enfin arriver le portail, je me suis dit que j’en avais définitivement terminé avec l’idée de me balader à cheval de cette manière.

Je me balade en vélo, je me balade à pied.
Je me balade dans ma tête.
Toujours avec un grand plaisir.

A cheval, je cherche une relation, j’explore, je note, j’observe, je suis dans un « monde » spécifique, c’est une réponse à un autre besoin.

De la complicité

Voilà un mot dont il me faut parler.
Complicité !

Car, en cette époque où « monter à cheval » est presque uniquement une activité de loisir, en cette époque où une certaine afféterie est de rigueur se confortant dans un anthropomorphisme sans bornes, il est de bon ton de déclarer que le cheval est un tendre complice.
Tendre complice !
Les personnes qui me connaissent imaginent déjà que je vais écrire tout un poème autour de ces deux mots en sachant à quel point j’accorde de l’importance à l’étymologie lointaine du mot.
Empr. au lat.poema «poème, ouvrage de vers; poésie» et celui-ci au gr. π ο ι ́ η μ α «ce que l’on fait, d’où: oeuvre, ouvrage manuel; création de l’esprit, invention

Oui, j’utilise aussi cette manière de parler car c’est dans la mode actuelle : je vais jouer avec « mon » cheval afin d’améliorer notre complicité !

Ceci dit, qu’est-ce que ça signifie en vrai ?

En réalité, je sors du pré un cheval qui n’a rien demandé afin de satisfaire mon propre désir, lequel est très très complexe.
Tient, tient…
Complice et complexe dérivent de la même lointaine racine, une vague histoire de tissage, de fils entrecroisés pour former un « tout » d’où il est extrêmement difficile de tirer un fil unique sans abolir le « tout ».

Je reviens à mon loisir équestre.

Je monte toujours le même cheval.
Lui est soumis à deux cavalières principales sans compter les rares jours où il est « prêté » à d’autres personnes. (toujours très gentilles et respectueuses, of course!)
Afin de me sentir « bien » avec ce cheval, j’ai commencé à établir un certains nombre de codes que j’essaie de lui faire intégrer.
C’est à dire que j’exige de lui un effort de mémorisation de « mes codes à moi » alors que je suis bien consciente qu’il a aussi en tête les codes transmis par sa cavalière-propriétaire et qu’il doit instantanément essayer de saisir les codes envoyé par les personnes de passage.
De son côté, il envoie plein de messages, toujours les mêmes, quelque soit la personne qui le sort du pré.
Les chevaux comme tous les êtres vivants envoient des signes, sans y songer, sans rien décortiquer dans les arcanes de leur cerveau.
Chez les humains il est habituel de parler en terme de « langage non-verbal ».
Chez les chevaux, il est habituel de parler principalement en terme de « défenses ».

Dans chacune de mes moindres respirations, lorsque je suis en présence de « mon » cheval, je suis donc intensément attentive aux signes qu’il envoie. Ainsi je capte son refus de soumission, son désir de « bien faire » (pour en finir plus vite, pour obtenir une récompense), son impatience lorsqu’il ne comprend pas le code que je propose, son attention à ma petite personne, sa curiosité pour l’environnement, son soulagement, ses tensions, etc, etc… La liste est infinie.

Et voilà ce qui me passionne, cette relation au vivant au delà des apparences, ce qui se joue, ce qui se passe entre deux êtres vivants entiers, situés, chacun dans son monde.
Je poursuis mon exploration commencée il y a longtemps, une exploration « sur le terrain » comme je l’ai toujours fait au cours de mes traversées, de mes passages de vie.

Ni complice, ni compagnon.

Impossible complice, en fait.
Impossible compagnon puisque nous ne partagerons jamais un repas (cf étymologie du mot compagnon), nos régimes alimentaires étant aussi différents que notre aspect physique.

Par choix de ma part,
Par non-choix de la sienne,
Nous tentons d’établir une relation,
Une relation la plus confortable possible pour chacun de nous,
La moins pire dans le cadre défini,
Donc.

PS : incapable d’échapper à toute réflexion anthropomorphique, je me dis souvent que le cheval est comme un enfant (vis à vis des adultes qui s’affirment « responsables » de lui), il n’a pas d’autre choix que celui d’essayer de plaire, coûte que coûte.
L’enfant rebelle qui vit encore au fond de moi est formidablement compréhensif de « ça »!

C’est le chemin qui est important

C’est le chemin qui est important.

Je vous dis pas le nombre de fois où ces mots assemblés apparaissent sur les réseaux sociaux, dans des cadres sans âme, signés par des célébrités ou des anonymes, rappelant Lao-Tseu, Goethe ou n’importe qui, souvent dans un but de fourrer un peu plus la locution « développement personnel » laquelle ne signifie souvent rien de plus que « votre argent m’intéresse ».

Oui, la délicatesse et moi, ça fait deux!

Et oui, sur cette image, c’est le chemin qui prend toute la place.
Et c’est le chemin qui prend toute la place particulièrement grâce au long bout de chemin qui est absent à l’image, celui qui est déjà parcouru.

Vous suivez ?

Depuis quelques temps, je fouille sur la toile du côté du microcosme « cheval » et c’est exactement comme fouiller dans un quelconque microcosme, il y a de tout, du pire, du moins pire, beaucoup de copier-collés et… le dressage de mon moteur de recherche ne permettant pas encore l’accès au « mieux », il faut que je cherche encore.

Car depuis quelques temps, précisément depuis que j’avais prévu d’offrir une balade en ma compagnie à une petite fille, je savais qu’inéluctablement j’allais réveiller un virus endormi.

Tout en le sachant, je me questionnais fort.
Pas vraiment au sujet de « vais-je me souvenir?  » car un cheval offrant un devant et un derrière, il suffit de se poser sur son dos dans le bon sens et hop, il se met en marche.
Je me questionnais à propos d’un autre sens.
A propos du sens que je pouvais trouver pour avancer plus loin à proximité des chevaux.
N’avais-je pas décidé un jour que c’est en liberté qu’ils sont les plus beaux et le mieux respectés?
Ce jour là j’avais décidé de vendre Grand Lama, un pur sang bai réformé des courses et acheté dans les couloirs de l’abattoir, un brave cheval, plutôt doué sur les barres. En sa compagnie après plusieurs mois d’exercices et d’entrainements au concours hippique, j’avais pu vivre la quintessence de la complicité jusqu’à ne plus avoir besoin ni de selle ni de bride pour partir sur son dos et le laisser jouer à sa guise. (1)
Alors évidemment, en posant ces décisions, je ne faisais que danser sur le fil tendu entre mes paradoxes : je vendais un cheval à un cavalier qui allait « l’exploiter » et je gardais pour moi le principe de laisser les chevaux tranquilles. Oups….

Depuis ce jour déjà lointain, les centres équestres se sont multipliés, le nombre des cavaliers aussi et l’élevage des chevaux destinés aux loisirs des citadins, puis à l’équarrissage (terminer à la boucherie n’est plus envisageable) s’est lui aussi agrandi.

Oui, la délicatesse et moi, ça fait deux!
Bis repetita placent.

Car si les chevaux sont réputés « travaillant », en France il existe très peu de travaux utilisant les chevaux pour une quelconque utilité laborieuse.
Les chevaux sont en ultra majorité des animaux produits pour le loisir des loisirants.
Les loisirants cavaliers sont des personnes qui soumettent des animaux qu’ils « vénèrent » à leurs bon vouloir pour… rien.
C’est une sacré aventure contemporaine quand même, non?

Car, oui, remonter à cheval, c’est comme remonter à vélo, il faut sa plier aux obligations de sécurité en cours, il faut mettre un casque.
Car, non, remonter à cheval, c’est pas comme remonter à vélo : un cheval est un animal sensible qui ne demande qu’à brouter jusqu’à la fin de ses jours.

Alors, quel sens donner à cette histoire ?
Pour quelle raison « avoir à nouveau le désir » de monter à cheval ?
Pour me balader avec A. ?
Ok, ça peut rester très ponctuel.
Et puis, d’ici un an ou deux ans elle n’aura vraiment plus aucun goût pour caracoler auprès d’une vieille grand-mère qui préfère le pas au galop débridé.

Comme d’habitude, j’ai donné du mou et laissé les questions se débrouiller entre elles. J’ai changé de sujet tout en tapotant sur la toile pour voir s’il y avait des chevaux qui cherchaient une cavalière aussi bizarre que moi.

Et voilà que j’ai finalement vu apparaitre un cheval d’indien, à moins que ce ne soit un cheval de cirque, un cheval blanc à taches noires, tout à fait assorti à la couleur de ma chevelure, un appaloosa selon le nom de sa race. (noter que pour les animaux, la notion de race demeure…)
Il habite en rase campagne nantaise, chez des particuliers. il vit au pré sans rien demander mais sa propriétaire-cavalière aimerait qu’il se bouge un peu plus que deux fois par semaine, rien d’autre.

Banco !
Donner un coup de main, en voilà un truc sensé !

Et hop, l’affaire fut vite conclue entre les deux parties, le cheval n’avait rien à dire, un peu comme un vélo… donc !

Ce qui est magique, à l’image de ma vie, c’est que dès que je suis sortie seule avec ce cheval, j’ai vu tout ce que m’offre l’horizon.
Et surtout j’ai vu que le potentiel qui s’offre est envisageable seulement parce que le temps est passé, patiemment, parce que j’ai plein d’expériences tellement différentes, parce que je suis tout à fait à la marge, parce que je suis … moi.

Bref, je remonte à cheval.
Le cheval d’une personne qui « aime » son cheval.
Et aussi, je marche à côté de ce cheval et je cours aussi lorsque je lui impose de trotter…
Et je monte,
Et je parle,
Et il écoute.
Le chemin est devant.
Vers plus loin.


(1) Je précise que si ces moments furent le résultat spontané d’une relation très particulière poussée vers ces « jeux » qui n’avaient jamais été proposés en devanture des réseaux sociaux, lesquels n’existaient pas encore. Il ne fut jamais question de « challenge » ni d’exhibition. J’allais voir Grand Lama, généralement au crépuscule, à l’heure où tout s’apaise, je lui disais « on y va », j’ouvrais la barrière, je m’aidais d’une souche pour l’escalader et nous y allions. Où ? Où le vent nous portais, à travers les champs moissonnés. C’était sans aucune autre intention que « nous y allons ». Quand il en avait terminé avec ses expressions de joie, il partait au petit galop quelques foulées, il s’arrêtait, repartait au trot ou au galop, s’arrêtait, broutait un brin et rentrait au petit trot quand il décidait qu’il y aurait plus de nourriture à grappiller « chez nous » que dans la nature aride du coin… C’était fort simple. Je n’imagine pas que ce soit reproductible d’un simple claquement de doigts. Nous l’avons vécu. C’est tout.