L’autre soir, considérant la journée achevée dans le contexte extra-ordinaire imposé au monde entier par un nanoscopique être vivant, je me disais que je n’avais pas grand chose à changer par rapport à mes habitudes.
De nature très solitaire donc seule, je n’embrasse guère, je ne vois que les personnes à voir, je ne sors pas dans la foule et je passe du temps au jardin. Depuis des dizaines d’années je me lève sans avoir une journée type à dérouler, l’imprévu est ma tasse de thé, l’urgence le piment indispensable et la navigation à vue, une certaine manière de respirer.
Il a fallu que je creuse un peu pour enfin trouver une différence :
Depuis dimanche, je ne regarde plus les prévisions météorologiques!
C’est fou, non?
Moi qui ai soigneusement rangé dans mes préférés plusieurs sites bien pointus sur le sujet, voilà que je les laisse tomber.
Incroyable!
Constater par ce fait à quel point ma vie est bouleversée par l’actualité m’a rendue songeuse.
C’était vraiment pas prévu.
Et alors…
Et alors, tout ce qui ressemble de près ou de loin à une prévision s’est agglutiné dans mon cerveau, se rassemblant de manière exponentielle pour finalement former une très longue chaine d’ARN* qui s’est mise à danser une sarabande endiablée.
*ARN : Arrangement Représentatif Nuancé
Et alors…
J’ai bien dormi!
Au matin, branle-bas de combat, il fallait que je sois prête très très tôt.
Hop, hop, j’ai avalé mon café et hop hop hop j’ai enfourché mon cheval d’acier.
Seule dans la ville, enchantée par les oiseaux du printemps,
J’ai bien décollé
Les mots se sont alignés
Les prévisions ont bien rigolé
La philosophie a débarqué.
Bien…
Les prévisions météorologiques ayant été à la source de cette intense et délicieuse masturbation intellectuelle, j’y reviens.
Il existe de nombreux « modèles météorologiques » et il n’est pas rare que je passe de l’un à l’autre quand j’ai vraiment besoin de savoir où aller naviguer (pour emmener un groupe ou pour organiser une compétition nautique par exemple) : GFS, WRF, ARPEGE, AROME mais aussi Harmonie, NWW3, ICON, IRLAM, GWAM, etc…
C’est dire à quel point pré-voir au 21èe siècle ne relève plus de la seule lecture dans les ronds de fumée, dans le marc de café, dans les tripes de poulet ou dans les boules de cristal.
OK…
Pendant le 20ème siècle, en étudiant à l’université, j’avais été sommée de bien comprendre (étymologiquement « prendre avec soi », intégrer pour de vrai) ce qu’est un diagnostic (Du grec ancien διαγνωστικός, diagnostikós , « capable de discerner ») et comment y arriver. Il était question de s’appuyer sur l’ensemble des signes fournis par une anamnèse la plus exhaustive possible, d’examiner la situation sous tous les angles, à l’aide de plusieurs sens (odorat, toucher, vision, audition) et in fine de proposer une probabilité avant d’envisager un pronostic à court terme (probable mais impossible à prouver factuellement à 100%) puis à moyen et long terme.
Je pensais avoir bien compris tout en ayant pris conscience de la difficulté extrême de l’exercice, de la notion de probabilité infiniment présente et de la quasi impossibilité de s’engager sur le long terme sans accepter d’incessants mouvements qui remettent mille fois mille questions sur le tapis.
Las ! Face à la pratique de ceux qui étaient censés me montrer l’exemple, j’étais face à un abîme. Parfois en moins de trois minutes, j’entendais tomber un verdict, je voyais s’écrire une solution et invariablement une main se tendait qui disait « et bien voilà, ça fera xxx Francs (oui, le Francs avait cours le siècle dernier), on se revoit la semaine prochaine pour vérifier tout ça »
Et la semaine suivante xxx Francs étaient à nouveau exigés en échange de seulement deux minutes… « logique puisqu’on se connait maintenant, hein! »
Ma « folie » déjà bien acceptée me murmurait à l’oreille qu’il fallait plus que jamais me protéger face aux injonctions paradoxales, qu’il était nécessaire de savoir mettre un masque en m’adressant à l’aréopage désigné pour me juger, de savoir quand me cacher et quand m’exposer en sécurité, d’apprendre encore plus loin comment bouger autour des points fixes, pour garder ma liberté de penser, de naviguer à vue et d’agir.
Ma « folie », notez le, car il est évident que la « normalité » est étrangère à ma consistance. Une « normalité » que je connais cependant, au point qu’elle ne m’effraye pas et que je peux à 100% être capable de la considérer en toute bienveillance, y compris dans mon miroir!
Alors, quand je constate aujourd’hui les prévisions faites par la vox populi à l’aune de ce qu’elle capte des prévisions météorologiques proposées à la télé genre » Il va pas faire beau, demain il va pleuvoir (sortez vos parapluies) et il fera à nouveau beau », quand je vois la montée en flèche des ventes de parapluies (même au noir à ce qui se dit) et de toutes les recettes promettant une solution pour ne pas se mouiller les pieds, je me sens plus que jamais seule, impuissante et complètement folle!
Et le pire, c’est que j’en suis réjouie!
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Instant présent
Impossible d’échapper à la rumeur du monde.
Heureusement, car elle est riche d’enseignements pour qui est curieux et à l’écoute de tout ce qui la fabrique, à chaque instant.
Ce matin, en France deux « actualités » surnagent dans un soucis « d’information ».
De nos jours plus que jamais, offerts en pâture universelle, les mots eux-mêmes perdent leur sens et leur latin! Cette constatation est un aparté!
Ce matin, en France, deux actualités écrasent de tout leur poids tous les instants présents du monde : le COVID19 et le 49.3!
L’un était absolument imprévisible, aucune manifestation n’avait été prévue pour tenter de l’écarter, aucune imagination ne l’avait proposé à l’indignation populaire.
L’autre était prévu depuis un bout de temps, je peux même imaginer que pas mal de personnes le désiraient ardemment, présentant des centaines d’amendements au sujet de simples tournures de phrases dans le seul but assumé « d’obstructionner » et donc de provoquer la venue de l’article et donc de pouvoir « logiquement » s’en indigner. Je parle de mon imagination, notez le.
Le fait est que j’ai entendu des personnes s’insurger sans vergogne, parlant même de « surprise » devant l’apparition « subite » et que je n’ai pu m’empêcher de voir des gamins feignant la surprise devant l’objet de leur délit!
Et oui, mon imagination est galopante, ce n’est pas un scoop!
A part ça… il pleut.
Donc l’actualité dégoulinante prise en charge par la téléréalité qui se repait de fange en tout genre nous parle d’un côté, de la gestion « d’un truc inattendu » qui se dissémine progressivement, d’un autre côté elle parle de la surprise « d’un truc attendu » qui a débarqué hier soir.
A part ça…il pleut!
Le ciel est si bas à l’instant, et d’un gris tellement plombé que je pourrais croire qu’il va me tomber sur la tête. Mais je sais que cette croyance eschatologique est invalidée depuis des siècles.
Dans l’instant présent et malgré les vrombissements du tonnerre indiquant la présence de la foudre dans le coin (c’est vrai, juste à l’instant, comme pour venir en aide à mon inspiration en perte de souffle!), dans l’instant présent, il y a des milliers de faits qui se déroulent dans le monde, je tape sur mon clavier, accueillant les mots qui se bousculent et tentant d’en faire les phrases tout en pensant à la peinture blanche qui m’attend et au rayon de soleil prévu dans l’après-midi.
J’ai prévu d’aller sur l’eau pour en profiter.
Mais sans surprise, je suis prête à changer d’avis et à m’adapter.
Pour l’instant, la pluie tambourine gaillardement sur le toit!
Samedi 9 septembre, étape 10
« Aujourd’hui est pour hier,
Et hier pour demain.
Ainsi va le temps, s’échappant des mains de l’homme
Comme un sable trop fin »
Faouzi Skali, Traces de lumière, Albin Michel, 1996, ISBN 2-226-07610-7
Quelle que chose me chuchotait qu’il fallait que je me lève tôt.
J’ai écouté.
J’avais à peine parcouru cent mètres que la pluie s’invitait.
Toute joyeuse à l’idée de savoir tout mon bazar bien plié au sec, je marchais gaillardement à l’assaut du col.
Je n’ai aucune idée de ce que représente le passage de ce col en vélo. Ce que je sais c’est qu’en arrivant à proximité les rafales se renforçaient, que la pluie tombait dru, que certaines bourrasques me stoppaient net.
Dire que j’ai foncé m’abriter dès que j’ai vu un abri, est faible.
Ce qui est certain, c’est que j’ai été très reconnaissante à cet abri, prévu juste au bon endroit, au bon moment.
J’ai regretté de n’avoir aucun briquet, j’aurais bien fait un petit feu, pour le plaisir de voir la lumière… sans doute.
J’ai passé du temps avant de me décider à repartir.
Je pense que si une voiture avait montré le bout de son nez, j’aurais demandé un embarquement immédiat.
Aucune voiture ne passa.
Sans feu, même abrité du vent, l’endroit était glacial.
Il fallait impérativement bouger, partir, marcher.
Je me suis jetée sous la pluie entre deux bourrasques.
Un peu plus loin, je cheminai sur un versant un peu abrité.
Puis, la pluie s’est calmée.
J’ai marché.
C’est étrange, cette étape me laisse sans souvenirs, sans autre souvenir que les bourrasques au col du Portet-D’Aspet.
Il y a bien eu ce moment où j’ai taillé la bavette avec un signaleur de course cycliste. Il y a bien eu ce moment de fin d’après-midi où j’ai cherché une place plane pour bivouaquer, ce hameau, ce chasseur qui m’a « royalement » autorisée à dormir à côté de « son » mur, du côté du dehors, sans me demander si j’avais besoin de quoi que ce soit, ce lavoir où l’eau coulait limpide…
Oui.
Rien d’autre.
Quand aujourd’hui, je regarde ce que raconte la toile, je lis que c’est une belle étape de montagne.
Je le lis.
Je n’ai rien vu.
J’ai dormi, à l’abri du mur, pas loin du Col des Ares vers lequel j’avais renoncé de monter, le souvenir du matin était trop présent, je me disais qu’il fallait éviter de s’approcher d’un col pour dormir.
A suivre…