Archives de catégorie : Histoires ligériennes

La Loire est, dans le monde que j’habite, une source d’inspiration, est métaphore vivante et une ligne d’aventures toujours renouvelées

La Loire, émoi (2)

Pressée par la course de la vie, j’avais assez peu préparé cette randonnée.

Le matin même du départ, j’ai fourré dans mon sac l’indispensable (tente, duvet, matelas, sac à eau, j’ai pesé (afin de « bien » choisir) avec attention les vêtements « de ville » qu’il allait falloir trimballer histoire de voyager décemment à l’aller comme au retour (un collant et une chemise).
J’ai enfilé mes chaussures minimalistes, endossé la micro doudoune sans manches et j’allais fermer la maison quand j’ai réalisé que je n’avais plus une seule montre en état de fonctionnement, sinon celle très prestigieuse qui est réservée aux jours où je joue « la grande dame »!
OK, pas de montre, ça évitera une marque de bronzage, ai-je pensé en souriant.

Pour la première fois, je m’aventurais sur un parcours aléatoire sans l’avoir vraiment réfléchi. Comme d’habitude sans gps ni carte, j’étais définitivement prête pour me perdre et pour vivre très paisiblement ce qui était à vivre.
La Loire était le fil et la raison, c’était largement suffisant pour ma tranquillité d’esprit.

J’avais lu en diagonale que la boucle sur laquelle je m’invitais se marche en 15 jours, en ajoutant un jour pour saluer une copine, j’étais juste!
Comme d’habitude, j’avais oublié un détail : quand je suis seule, je me réveille pour avancer, j’avance jusqu’à l’apparition du crépuscule, je mange froid, je dors et je me réveille pour avancer plus loin. C’est là mon simple bonheur.
De fait, les étapes soigneusement pensées pour les personnes qui sont moins longtemps sur le chemin ne correspondent pas vraiment à mon avancée!

En visitant chaque donjon, en étant affable à chaque occasion, en me « perdant » de nombreuses heures grâce aux variantes du GR, j’étais au sommet de la boucle programmée dès le milieu du cinquième jour.
C’est alors, que j’ai décidé d’aller à la source.

Et c’est en avançant vers « la » source que j’ai pris en pleine face l’illusion d’une source unique, l’illusion d’un commencement tellement confortable pour notre raisonnement binaire d’occidentaux qui ne parlent qu’en termes de début/fin, blanc/noir, bien/mal.

La Loire n’a pas plus de « source » que les autres cours d’eau, elle commence à exister au moment où elle commence à être utilisée par les humains, c’est tout.

Pour une « sauvage » elle est d’ailleurs très apprivoisée, depuis très tôt et depuis très, très longtemps.

J’ai finalement fait demi-tour avant la « source » touristique, l’histoire de Loire que je découvrais était bien plus passionnante que les pancartes aguicheuses, elle m’entrainait plus loin et plus haut sur des pistes que j’avais pressenti et qu’enfin je pouvais expérimenter.

La Loire, émoi (1)

23 septembre 2019

Quand je regarde les images j’entends encore la Loire d’en haut qui fredonne et le frémissement de la végétation sur son passage, le vol des papillons, la danse des oiseaux.
Je respire encore l’air limpide, la couleur de la mousse et les éclats de granit.
Mes doigts se souviennent de la densité du basalte, du mouvement de l’eau, de l’accroche des ronces et du jus des baies.

La Loire de Nantes, troublée par son alliance avec l’océan, à quelques encablures de s’y fondre, déroule son flot chocolat qui se ride où se lisse au fil de son dialogue avec les marées et les vents.

La haut, il y avait de l’enfance, de l’insouciance, de l’espièglerie, des exclamations et des silences quand ici ne subsiste qu’une apparence calme et rangée de fleuve citadin moderne, sous contrôle et totalement géré.

Pourtant de même qu’une petite fille insoumise se complait encore dans mon corps assagi par le temps, La Loire qui passe à Nantes est riche de tout ce qu’elle a rencontré depuis là-haut et n’existe dans toutes ses dimensions qu’à travers son voyage singulier.

A la différence des humains qu’il n’a eu de cesse de relier, le grand fleuve a dessiné une profonde empreinte dans le paysage, de ce genre d’empreinte qui ne s’efface pas si vite que celle du passage d’une personne.
Il n’en est pas fier, ni faussement humble, ni abusivement prétentieux.
Là est toute la différence entre un fleuve et un humain.
La puissance de l’un met en exergue la fragilité de l’autre,
Et pas l’inverse!



Des rives

Sept ans après 2012, à l’occasion du VAN, la place Royale a quitté son déguisement du Mont Gerbier des joncs et s’est laissée envahir par une armée des statues.

Dans le VAN 2019, pour imaginer la Loire, il faut aller dans la petite salle du LU où se tient une exposition de photographies.

Sans hésiter, je suis montée à la rencontre des images.

Comme souvent, habituée que je suis à ressentir les émotions grâce au « direct live » de la vie et donc en cent dimensions, les images superbes et lisses me parurent presque fades.
Une bande son enrichissait le décor avec la « réalité » de l’environnement sonore capté dans l’estuaire.
Etrangement, cette installation contribuait à produire dans mes pensées des situations bizarres lorsque le décalage entre l’image qui passait sous mes yeux et le bruit qui entrait simultanément dans mes oreilles faisait exploser ma propre expérimentation en éclats absurdes.
C’était pourtant une histoire de Loire.
J’y étais allée à la rencontre d’une inspiration, d’une respiration et de l’inconnu aussi.

Je suis ressortie en emportant le livre tout juste publié par les auteurs de l’exposition.
Des rives, Voyage dans l’estuaire de la Loire, Guy-Pierre Chomette et Franck Tombs, Editions 303, 2009, ISBN 979-10-93572-42-0

Et le bouquin m’a entrainée délicieusement.
Je suis partie dans l’histoire, sur les berges, retrouvant ce que je connais déjà et découvrant, sans surprise, toute en reconnaissance, l’immensité de ce que j’ignorais.
Je notais en particulier que mes partances se font régulièrement soit au fil du courant, soit sur la rive sud. De la rive nord je ne connais pas grand chose.

Me voilà donc partie, pour quelques temps, à la découverte de mes propres points de vue sur cette rive là.
Aujourd’hui, sous le soleil dégoulinant comme du plomb fondu, je suis allée jusqu’à Couéron.
La Loire était bruyante, le courant descendant affrontait allègrement le vent montant et une multitudes de petites crêtes d’écumes éclaboussaient le flot couleur de vase claire.
Cette Loire là est celle qui m’inspire le plus.
En chemin, il y avait, en plus, la chaleur torride de l’été.
Des souvenirs sont remontés de fort loin, de l’Atar ou des environs de Dakar, de ces jours où comme aujourd’hui la sueur dégoulinait dans mon dos aussi consciencieusement qu’elle perlait sur mon front. Sur mes lèvres, je pouvais goûter le sel accumulé comme je le fais quand je navigue dans les embruns et j’étais à la fois ici et loin, la source et l’estuaire, le fleuve et l’océan, le monde et la solitude. Quelle aventure!

Avant de rebrousser chemin, je n’ai pas tenté de résister à l’appel : il fallait que je m’approche au plus près de ce flot formidable.
Le soleil avait fait le job : en chauffant à blanc les enrochements, il avait asséché quelques parcelles et telle une funambule débutante, bras écartés afin de garder l’équilibre, je pouvais passer d’un bloc à l’autre, sans grâce et sans salir mes sandales.

Une fois au ras de l’eau, j’étais dans un spectacle son et lumières à nul autre pareil.
Un spectacle incapable de me lasser.
Souvent, je renonce aux feux d’artifices et autres « gourmandises » consommables, trop éphémères à mes yeux.
Au bord de l’eau, chaque instant qui me ravit est un instant qui me rapproche de l’inéluctable fin, c’est pareil.
C’est pareil à une différence près : j’ai l’impression d’avoir le choix et de pouvoir décider sans compter qu’il y a encore un peu de rab à déguster!

Simplement la Loire (2)

Depuis que je suis devenue « nantaise », ça me prend comme ça, sans crier gare, j’ai un besoin de Loire.

C’est une question d’équilibre.

Je suis née au bord du Rhône, un fleuve au masculin.
J’ai poussé, je suis partie, j’ai voyagé et le Rhône est resté dans son lit, un lit actuellement entièrement dessiné par les projets des hommes. De son lit ancestral, il ne reste que des empreintes de passage.
La Loire, un fleuve au féminin, était autrefois la concurrente du Rhône dans les livres de géographie.
En effet si le Rhône était le champion du débit, la Loire était la championne de la longueur.
La Loire serpente encore à sa place, parfois retenue, jamais détournée, alternativement librement débordante, pleine ou à l’étiage, elle est un des derniers fleuves sauvages d’Europe.

Ma famille maternelle était ligérienne (Roanne) tandis que ma famille paternelle s’est construite sur les berges du Rhône, à l’endroit précis où l’Ardèche vient s’y mêler, l’Ardèche étant le nom du département dans lequel la Loire prend sa source.
Il est bien probable que rien de « tout ça » ne soit sans effet palpable, n’est-ce pas?

« N’oublie pas les chevaux écumants du passé » écrivit C.Singer dont j’entends encore la voix de sagesse (Editions Albin Michel, 2005, 9782226159991) et je n’oublie pas et je la revois, souriante, lorsqu’elle expliquait :
 » c’est la différence qui crée le mouvement qui crée la vie. « 

Il est certain que la Loire me permet de toucher, à travers une gigantesque métaphore, la dynamique de ma vie, toutes ses différences, le calme et le chaos, le chaud et le froid, la clarté et l’obscurité.

En 2012, la fontaine de la place royale de Nantes, celle sur laquelle siège l’allégorie de La Loire, était recouverte d’une structure rappelant le Mont Gerbier des joncs… Cette année là, j’étais partie à la source!
Sept ans plus tard, une discrète exposition au LU s’appelle « Des rives, voyage dans l’estuaire de la Loire ».

La source.

L’estuaire.

Cette année, je m’en vais faire une boucle dans l’entre-deux.
En marchant!
C’est décidé.

Simplement la Loire.

Post scriptum : Et comme l’idée de synchronisme me fascine immanquablement, je note avec joie qu’une personne dont je dois recueillir les propos en vue d’un projet en cours n’a pas trouvé, pour ce soir précisément, meilleure place de RV que les rives de la Loire.
Simplement la Loire…





Simplement la Loire (1)

Prélude, le 16 juin 2019

La semaine dernière un ami, un poète, un explorateur, un photographe m’avait donné rendez-vous histoire de récupérer des bribes de passages de vies à mon sujet.
Où se donner rendez-vous à Nantes sinon au bord de la Loire?
Nous avons décidé que la grue jaune serait un parfait témoin.
Le jour J, le vent soufflait en tempête, des bourrasques de pluie obscurcissaient la ville et sporadiquement le ciel se déchirait, laissant passer un éclat bleu d’azur ou un éclair de soleil transperçant.
Parmi les images des instants partagés, celle-ci est définitivement ma préférée : parfaitement non-utilisable dans le cadre imposé à l’ami, je peux la publier ici.

Ce jour de juin, la Loire chantait, soulevée par le vent sa robe éclaboussait des perles d’écume. Dans le tourbillon des rafales, il y avait toute la force de l’imprévisible.
A la surface de l’eau, les rides en étaient les reflets.
Cette Loire est celle qui m’emporte, telle un souffle sacré, dans un espace où s’invitent ensemble le passé, mon présent et plus loin.





Des reflets


C’était dimanche sur la Loire.
Le vent était faible et non nul.
Le courant à cet endroit précis était faible et non nul.

De l’image, il ne reste (sur l’image ci-dessus) que la partie reflétée.
Connaissant l’ensemble,
Sachant exactement l’intention qui était la mienne
A l’instant précis où je l’ai effectué la mise en boite,
Il me serait facile de commenter les reflets
De les commenter en faisant référence
A l’image de départ.
Avec autant de plaisir, il m’est possible
De décoller sur les reflets eux-mêmes
De me contenter de disserter au sujet des couleurs
De leur précision ou de leur dispersion.

Reflets, échos
Je les cherche
Je les attends.
Passionnément.

J’expérimente le monde en observant inlassablement
Les reflets, les échos,
Comme j’observe l’écoulement de l’eau ou de l’air
Les turbulences, les calmes et les silences.
Il est probable que la science physique aurait pu me passionner
Si je n’avais pas eu l’impression d’une embrouille
Si les expériences avaient été en premier des poèmes
Plutôt que de me contraindre à n’en retenir que des équations
Tellement trop étroites!

Alors, imaginez

J’aime écrire.
Les mots débarquent de manière fluide,
Ils coulent, découlent, rebondissent, tourbillonnent.
Je les pose « noir sur blanc » comme autant d’équations très sérieuses.
En appuyant sur la touche « publier », je donne un coup de pied dans le tas,
Les mots s’envolent,
Les phrases en sont troublées comme la surface de l’eau est troublée
Par le moindre souffle
Et au loin, des personnes lisent
Et découvrent des reflets qui leur parlent.
Et m’en parlent
Et racontent
Noir sur blanc
Des mots qui s’envolent au loin
Et que je lis
Que je lie
Et relie en relisant
A la texture et la couleur que j’avais choisi
A un instant donné
De capturer.

Et  c’est ainsi que je comprends chaque jour un peu mieux
Toujours plus loin
Du meilleur à l’extraordinaire.

Trois ans plus tard

DSC05318

 

Il m’avait prêté un sac étanche pour mon périple ligérien, c’était pendant l’été 2012.

http://www.passagedevies.com/2012/08/clignement-de-loire/

Son sac était reparti par voie postale, peu après mon retour et puis, nous n’avions plus rien échangé. Parfois, sur la Loire, en passant dans les entrailles des quais, je pensais aux images qu’il avait pu capter, j’essayais de les imaginer, en vain!

Hier soir, après une belle navigation océane voici ce que j’ai trouvé dans ma messagerie :

« Je reviens vers toi, car je suis en phase de finalisation de mon « projet, « Les sons des Confins » et je viens de monter l’interview que nous avions fait ensemble (…) Je suis de passage à Nantes cette semaine et j’aimerai savoir si tu avais l’envie et un peu de temps (…) »

Plus de trois ans de gestation… quelle aventure!

Nous avons rendez-vous demain 🙂

De la source à l’océan, la Loire (6)

Rédigé en juillet 2019 (les ajouts dans le texte initial sont en italique)

22 Sep 2012 – 21:35 sur le Forum de SUP


Et oui, il est tard, mais vous imaginez bien que je ne peux pas aller dormir si vite. Ma vie avec la Loire est achevée, j’ai retrouvé la famille et le « confort ».
Comme toujours dans ce genre d’aventure au long cours, il reste la présence d’une saveur qui n’a pas encore fini de révéler l’ensemble de ses subtilités.
L’écriture viendra un jour… (ou pas)
Pour l’instant je vais me contenter d’essayer de répondre aux questions que vous allez poser.

(…) je coupe les incontournables mercis diplomatiques!

Ce fut une merveilleuse, une extra-ordinaire aventure, du premier au dernier kilomètre.

Le lendemain sur le forum de SUP

Merci pour ces questions.
J’en profite pour aligner quelques chiffres, j’adore les chiffres .
La Loire mesure officiellement 1013 km.
Elle prend sa source à 1551 m d’altitude et dégringole les 100 premiers kilomètres (ceux que j’ai fait à pieds) pour arriver à l’altitude de 600m vers le Puy-en-Velay.
A Nevers, elle est à 180m d’altitude, à Orléans 80m, 50m à Tours pour arriver au niveau de l’océan à Nantes.
En lisant, il est facile de comprendre l’évolution de la course du fleuve et ce que j’ai pu y rencontrer en terme de mouvements d’eau.

Je suis passée sous 122 ponts, dont un certain nombre très anciens ou plus récents ne permettaient pas un passage en sécurité (rappels, radiers), d’autant moins que la planche de SUP est dotée d’un aileron capable de s’accrocher dans le moindre rocher qui affleure.
Le vieux pont de Tours fut le dernier que j’ai dû passer en portant.
Pour autant, le 100 ème pont (Vieux Pont de Cé, près d’Angers) fournit non seulement une belle accélération, mais est suivi d’un radier que les kayakistes du coin ont cassé pour former un passage, mais pas dans l’axe des arches… En conséquence, j’ai eu une belle montée d’adrénaline en le passant sur l’eau!
Je me suis également fait une belle frayeur rétrospective à la sortie de Tours où deux ponts se succèdent en quelques mètres, créant un étrange courant tourbillonnant. Mais, je suis passée!

J’ai frôlé 4 centrales nucléaires, dont 3 avec portage obligatoire.

280 km du Val de Loire sont classés au Patrimoine Mondial de l’Unesco, beaucoup plus sont en réserve naturelle, riches d’une faune et d’une flore exceptionnelle.

Un rapide calcul montre que mon avancée sur l’eau fut de l’ordre de 44 km par jour. Ce calcul ne prend en compte que la distance « routière » car le fleuve, après Nevers, est particulièrement doué pour tirer des bords.
Les spécialistes affirment que dans certaines zones pour 1km « routier », on fait 3km en suivant le lit majeur et donc le courant principal…. Ne me demandez donc pas le nombre de kilomètres parcourus en vrai!

Je suis tombée une seule fois sur un espèce de mini déversoir que je n’ai pas vu venir après Roanne. La planche s’est mise en travers après accrochage de l’aileron et hop, au bain. Il faisait beau, j’avais pied et personne ne regardait…

Donc j’en arrive aux questions et voici les réponses

– J’ai tenu un « livre de bord », en premier afin de ne pas perdre le fil du calendrier. Isolée, en autonomie, parfois plusieurs jours sans contact avec la civilisation, j’avais besoin de noter à minima la date du jour Par contre, je n’ai pas écrit grand chose. Ce genre d’aventure se vit en priorité dans l’immensité des sensations. Les impressions vont s’écrire et se figer dans les jours qui viennent.

– Mes mains vont bien, elles sont normales, ceux qui étaient hier à l’arrivée peuvent en témoigner!
J’en ai pris soin chaque soir, ainsi que de l’ensemble du moteur et je dois dire qu’une fois de plus, je suis étonnée (de mon état de grande forme et d’intégrité physique à l’arrivée).
Une certaine souplesse évite peut-être les stigmates?

– En terme de poids, j’ai perdu un peu de lard (3kg) en mangeant plus qu’à ma faim (je me suis parfois forcée). Très attentive à ma nourriture (même si il peut paraître ascétique, le menu de chaque jour était réellement étudié), j’ai « fait du muscle », donc le résultat sur la balance ne traduit pas exactement la modification corporelle.

– Le courant portant est une chose, la météo en est une autre.
J’ai globalement bénéficié d’une météo favorable avec assez peu de jours vent de face. En plus, après mon jour de repos (« généreusement » octroyé après 15 jours de trip, justement en raison d’une météo défavorable), j’ai eu la bonne surprise de constater que le niveau était monté de 10cm, juste ce qui permettait de faciliter le passage de mon aileron sur l’ensemble du lit du fleuve, et ce n’était pas du luxe!
Dans ce genre de trip, aucun record ne peut s’afficher autrement que par prétention car tout dépend du niveau de l’eau et du sens du vent avant de dépendre de la machine à ramer

Ecrire un bouquin ? Tu m’invites à partir un peu au large du sujet, je vais essayer de faire court et pas saoulant
Tu sais, les livres n’intéressent pas grand monde.
Ecrire POUR les autres quand « les autres » appartiennent à un microcosme d’une centaine de personnes, c’est risquer de n’avoir que trois clients et trois bonnes âmes qui achètent « pour faire plaisir »… Vu le boulot que ça représente, ça ne vaut pas son pesant de cacahuètes En plus, je serais bien incapable d’écrire un livre de recettes et c’est le seul truc qui se vend un petit peu
Bref
Pour résumer, rien ne vaut l’expérience.
Et puisque je « flotte » encore un peu, je me laisse aller à te proposer cet aphorisme attribué à Baba Hari Dass: « L’image du feu ressemble au feu, mais elle ne brûle pas »
Pour ta gouverne, je peux ajouter que je ne connaissais ABSOLUMENT rien à la vie d’une rivière avant de partir. J’étais simplement prête pour aller y jouer, j’avais rencontré du monde, j’avais questionné des spécialistes, j’avais en stock quelques d’expériences maritimes dans les vagues, le clapot et les courants. J’étais prête physiquement et mentalement. En cours de route, j’ai beaucoup appris, j’ai appris avec tous mes sens, dans tous les sens, en ratant, en rattrapant, en essayant… J’ai fini par y arriver à la mesure qui m’allait bien.

Que dire de plus?
J’avais du temps, ce n’était pas une compétition, ce n’était pas un concours, je pouvais donc examiner tranquillement chaque situation. Je pense que le plus grand danger, c’est généralement nous-mêmes qui le fabriquons

Voilà

De la source à l’océan, la Loire (5)

Rédigé en juillet 2019

Les jours se sont suivis sans jamais se ressembler apportant leur lot de surprises, de patience, de doute et d’intense bonheur.
Après le deuxième grand barrage et un providentiel lâcher d’eau, le cours est devenu un peu mieux navigable, d’autant plus que je commençais à savoir bien lire les moindres ondulations. Mais il suffisait d’une légère brise pour semer le trouble et rendre difficile à interpréter l’écriture diaphane et impalpable posée sur le flot.
Après la rudesse des paysages de montagne, j’ai traversé la campagne bucolique où les animaux domestiques paissaient en nombre, où les animaux sauvages passaient parfois.
La traversée hâtive d’un grand cerf fuyant ma présence reste marquée dans ma mémoire comme une merveille sortie d’un conte de fées. Aucune image ne peut retranscrire l’immensité de ce que j’ai traversé.

Après le « bec d’Allier » et la magie du mélange des eaux, le « fleuve » est enfin présent, plus large, plus puissant.
De pont en château, de village en centrale nucléaire, de boulangerie en supérette, de bivouac en bivouac, j’ai poursuivi ma progression.
A Tours, des touristes anglais en goguette m’ont aidé à porter le matos pour passer le vieux pont, fiers de participer à une aventure dont ils ignoraient tout. Pour la première fois depuis le début du périple, je fus prise au sérieux alors que j’affirmais souhaiter aller à la plage!
D’où je venais importait peu, là-bas l’océan parait assez proche mais suffisamment loin pour que le rejoindre soit déjà un remarquable objectif…

Une fois traversé le pont de Cé, sous la « bonne » arche et sans tomber à l’eau, j’étais définitivement sur un tapis roulant… à condition d’attraper le « bon sens » du courant après Ancenis.
J’ai planté l’avant dernier bivouac en aval de Nantes, stoppée net par le courant de marée montante.

Le lendemain matin, après un café offert par les locataire de la pelouse que j’avais squatté, j’ai guetté le premier signe de marée descendante pour l’ultime longue étape, la plus stressante car pour une fois il fallait faire la course et arriver en quatre heure à l’estuaire sous peine de me trouver dans l’impossibilité de tourner la pointe de Mindin.
Mon rêve ultime était au bout du jour : dormir devant le serpent illuminé, à proximité du pont, face à la grande fabrique de paquebot, à cet endroit précis où la Loire s’achève en se perdant dans le commencement de l’océan.

Et j’y suis parvenue, sous un léger crachin qui avait le goût du sel.
Michel était là pour immortaliser le passage.
Il s’étonna de m’entendre dire que je préférais dormir une fois de plus sous la tente, il avait imaginé que j’allais passer la nuit à la maison et achever le trajet le lendemain comme un bonus. Il est vrai que j’étais arrivée « à la plage ».
Mais mon objectif était « ma » plage et j’avais besoin d’un « entre-deux » pour respirer, apprécier, laisser s’élargir la magie de ce que je venais de vivre, trois semaines durant.
Il faisait beau le lendemain et j’avais toute la journée pour accomplir les quelques kilomètres qui restaient, mais la marée restait le maître du temps.
Je suis arrivée au Cormier le 21 septembre 2012, pour l’occasion il y avait foule sur la plage, pas moins de huit personnes m’ont accueillie sans avoir d’autre choix que d’écouter des bribes d’aventure! Jamais je n’ai eu un aussi grand comité d’accueil à la fin de mes nombreux trips.
C’est certainement parce que cette fois-ci, j’avais réussi un « truc » que personne n’avait jamais essayé!

Il me restait alors à tenir ma promesse : raconter ce qui était racontable sur le forum où j’avais lancé l’annonce.
En attendant, j’avais faim de crudités!

De la source à l’océan, la Loire (4)


Rédigé en juillet 2019

Deux bivouacs et une centaine de kilomètres plus loin, je suis arrivée en vue de la ville du Puy en Velay. En peu en aval, Michel m’attendait avec la planche et les bagages étanches.
Il a shooté quelques photos de cinéma puis il m’a laissé au camping de bord de Loire, il était temps pour lui de rejoindre son jardin et pour moi de commencer vraiment l’aventure.

Le lendemain matin, le 1er septembre 2012, j’étais enfin debout sur la Loire comme j’en avais rêvé.
Entre les cailloux j’apprenais à lire la partition afin de trouver la bonne voie.
Quand il n’y avait pas d’autre choix, je marchais dans l’eau en tirant ma planche et quand c’était impossible, je sortais de l’eau, transbahutant mon bardas de l’autre côté de l’obstacle.
Les premiers jours, mon avancée était très très lente.
J’ai parfois mis plus d’une heure pour franchir un seul kilomètre!
J’étais seule au milieu de nulle part.
Heureuse.

Parfois, en posant les pieds sur la berge, je me suis trouvée sur un sentier, parfois, j’ai croisé des gens.
Cependant, globalement, dans cette zone encore montagneuse le « fleuve » ne traverse que contrées sauvages et dépeuplées. Trouver de quoi manger était compliqué, heureusement que j’avais emporté un peu de vivres.
Si le hasard me posait face à un rare humain, il n’avait pas entendu parler de SUP et encore moins vu une aussi étrange « embarcation » de croisière.
Mon passage questionnait les curiosités et toujours la même question revenait : « Vous allez où comme ça? »
En souriant je répondais « Je vais à la plage » et bien évidemment personne ne me croyait!