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Apprendre, marcher, comprendre

Mardi 19 septembre, étape bonus

Préambule

En tapotant ce matin sur mon clavier, j’ai trouvé une quantité inimaginable de récits qui relatent le « passage mythique des Pyrénées » entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Roncesvalles.

(La mythologie de la « route Napoléon » est toute récente, intrinsèquement liée à la mode de l’exploit. Il suffit de réfléchir quelques instants pour imaginer qu’aucun pèlerin médiéval n’allait s’aventurer et passer des cols de presque haute montagne quand il était si simple de passer par la vallée. La voie passant par Vacarlos est dédaignée et peu médiatisée bien qu’elle ait probablement été la voie la plus fréquentée « dans le temps ». Elle est certainement préférable, plus courte et beaucoup plus tranquille.)

L’étape « mythique » s’affiche donc de partout. Elle est annoncée exigeante, réalisable en 7 à 11 heures de marche, nécessitant un bon équipement et une bonne condition physique.
Tout est dit à son sujet sur les blogues, à travers des regards multiples, complaisants, illuminés, pragmatiques ou autre.
Que pourrais-je raconter au sujet de cette « étape bonus »?
Quoi dire au sujet de ce « voyage en terre pèlerinesque inconnue » que j’avais inventé sur le vif, en dernière minute, simplement parce que je ne souhaitais pas finir trop tôt mes vacances?

Comme je l’ai fait à chaque étape je vais me laisser porter, pas à pas, un mot dénichant une pensée, un autre invitant un souvenir et un suivant en portant un nouveau.

 

« Mais, lorsque je veux me tourner vers toi,
Mon ombre me devance, une voix douce s’introduit et susurre :
Tout ce que tu verras dans ce miroir de lumière
N’est autre que toi-même. »
Faouzi Skali, Traces de lumière, Albin Michel, 1996, ISBN 2-226-07610-7

Le voyage avait commencé le soir précédent, dès l’entrée dans le dortoir.
Il allait se terminer le lendemain matin avec ma sortie du dortoir.
J’étais vierge de tout parti-pris.
j’étais là parce que je l’avais choisi, comme on choisit un chemin qui s’offre par hasard, sans rien en connaitre, sans rien en attendre, entièrement disponible pour partir à la découverte avec cette petite phrase si souvent écrite en musique intérieure « c’est important parce que ça ne sert absolument à rien »
Tout mes sens étaient ouverts, j’étais dans la carte postale, j’étais dans le cadre et pourtant j’étais en même temps observatrice, en dehors de tout cadre.
Aucun jugement n’apparaissait dans les arcanes de mes pensées, je prenais tout en pleine face, la moindre vibration, la plus subtile onde émise alentours me touchait de plein fouet.

J’étais entrée dans un petit dortoir sans fenêtres en même temps que trois couples qui cheminaient « entre amis » depuis Saint-Palais. Ils avaient l’ambition d’aller jusqu’à Saint-Jacques après avoir « fait » « Le Puys-Saint-Palais » l’année dernière. Ils avaient environ mon âge.
Quelques instants après un couple de japonais a débarqué. Ils étaient jeunes.
La place restante est restée vacante.
Aucune raison, aucune, ne pouvait initier une conversation au delà du simple salut de présentation.
Chacun dans son coin était dans son coin.
A l’heure du diner, les amis sont partis au restaurant recommandé par le gérant du gite.
Les japonais se sont évaporés sans rien dire.
Je suis descendue dans le réfectoire, armée de mon gobelet, d’un couteau, de pain, de fromage et d’un sachet de céréales « prêtes à réchauffer » achetées au coin de la rue.
Trois hommes mangeaient chacun dans leur coin de table.
J’en ai fait de même.
Je suis remontée, je me suis rincée sous la douche encore bien chaude et j’ai trouvé refuge dans mon duvet. Sans bouchons d’oreilles, j’ai poursuivi l’observation nocturne toutes ouïes ouvertes.
J’ai noté qu’il était cinq heures du matin quand les premiers signaux d’agitation signèrent l’heure du réveil général.
Les trois couples s’agitèrent. Les femmes étaient préoccupées par le portage de leur bagages. Elles avaient acquitté les 8 euros exigés pour le service et doutaient un peu de l’endroit où il fallait déposer les sacs pour être certaines de les récupérer en fin d’étape.
Puis leur conversation s’étala en chuchotements bruyants sur les mêmes sujets que la veille. Remarquablement, ce groupe constitué racontait sa vie sans se soucier de ce que « les autres » pouvaient en capter.
La vie en collectivité est à l’image de la vie dans le monde : il est « normal » de parler entre soi et il est « normal » qu’aucune personne « étrangère » n’entende rien.
Sans la présence d’un besoin précis, aucune tentative de communication avec « les autres » ne voit le jour.

A 7h30, je sortais du gite.
La nuit flottait dans la brume.
De toutes part des ombres sortaient.
Un lent cheminement s’organisait.
Dès la sortie de l’enceinte de la vieille ville, une file ininterrompue était visible malgré l’obscurité persistante.
La procession avançait vers la montagne.

J’avais laissé au gite la plus grosse partie de mes bagages, le tout emballé dans ma cape de pluie. Dans mon sac, il n’y avait que mon duvet, quelques vivres et un peu d’eau.
Ainsi allégée, je marchais.
Inexorablement je « doublais ».
Au début, saluant avec politesse, je m’excusais de gambader ainsi en expliquant que mon sac était très léger.
Au fil du chemin, j’ai appris que rares étaient les pèlerins à porter un sac lourd, la plupart avaient délégué la charge du sac de bagage au service de portage. C’est que l’étape était redoutée, autant par sa longueur que pas son profil.
Et puis, j’ai appris qu’il fallait dire « buen camino ».
En conséquence, j’ai arrêté de m’excuser de marcher « plus vite » et j’ai distribué les « buen camino » de rigueur.

La file s’était considérablement clairsemée lorsque je suis passée devant la terrasse ensoleillée du « refuge d’Orisson ». Des pèlerins tout neufs en sortaient bien plus nombreux que la capacité affichée sur le site. De nombreux taxis étaient garés… D’ici à imaginer qu’un certains nombre de marcheurs étaient arrivés en voiture pour prendre le petit déj. au refuge…

A l’approche d’un col, j’ai entrevu, dans les nuages, la silhouette d’un stand de ravitaillement comme il y en a dans les marathons.
Je ne rêvais pas, il y avait bien une caravane offrant boissons chaudes et fruits et nourriture chaude. Les tarifs étaient placardés en plusieurs langues, et bien sûr en japonais. Le stand avait du succès. A sa suite le chemin était jonché de peaux de bananes et de gobelets…

Du côté espagnol, il y avait une installation semblable à l’approche d’un autre « point haut ». Là, c’était de la pastèque qui était proposée à la place des bananes.

Pour rejoindre Roncesvalles, c’est un petit bout du GR11 qui est indiqué. Ce fut un plaisir d’y être sur ce GR11, il avait été évoqué, comme une possibilité, lorsque j’avais envisagé devant le clavier du laptop, « ma » traversée de la méditerranée à l’atlantique.

La descente à travers une forêt fut délicieuse, la pente était raide, le terrain assez sec et il était possible de « courir » sans risque. Je me suis régalée, d’autant plus qu’il n’y avait plus personne à portée de vue.
Au débouché de la forêt, le clocher de la collégiale s’impose plein cadre.
Puis l’immense « refuge » se découvre.
Puis, Roland git et dans ma mémoire chanta sa chanson et revinrent les souvenirs d’enfance « Roland souffle dans son cor… » avec mes propres dessins animés sur le sujet.
J’avais couvert le parcours en à peine 5h30 (pauses comprises)
Il me restait beaucoup, beaucoup de temps à laisser filer avant l’arrivée du bus pour le retour à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Joueuse, puisque je « jouais » à la pèlerine, je suis allée voir où se distribuaient les coups de tampons pour crédentiale.
C’est super bien fléché et d’ailleurs les véritables pèlerins s’y précipitent avec une hâte d’autant plus grande que c’est l’endroit où il faut pointer pour obtenir une place en dortoir et il est bien connu que les premiers arrivés sont les premiers servis!
Dans les langues du monde, il est écrit en énorme qu’on est prié de laisser sacs, vélos, bâtons, ânes et ménagerie à l’entrée.
C’est en humain de base qu’on se présente devant la vitre derrière laquelle le préposé est assis. Je lui ai demandé de tamponner mon carnet de notes.
Sans le moindre aspect surpris, sans la moindre question, il s’est exécuté.
Troisième essai réussi.
Ce sera le dernier.
Dans un coin de ma tête j’en ai tiré la conclusion suivante : qui souhaite remplir sa crédentiale de tampons peut le faire à moindre pas. C’est vraiment une histoire entre soi et soi et une preuve de tout comme de rien.

Les conditions météorologiques restaient fraiches et variables. Impossible de séjourner trop longtemps dehors sans être rapidement saisie.
J’ai donc bu un « cortado », croqué un « bocadillo » avant d’aller me réfugier dans l’endroit le plus chaleureux du coin : l’église.
Des chants grégoriens tournaient en boucle.
Il y avait si peu de passage à cette heure précise que la lumière s’est éteinte.
Un grincement de porte m’a sortie de la sieste, une femme est entrée, s’est agenouillée, est restée.
Elle était encore à genoux lorsque je suis sortie.
C’était la douceur du jour.

Le bus régulier à destination de Saint-Jean-Pied-de-Port annoncé à 15h30 n’arriva qu’à 15h45.
Avant 17h nous étions arrivés à destination, à la porte de la vieille ville.

Au « gite », il y avait déjà foule, des gens qui avaient réservé et qui attendaient leur tour pour « avoir le droit » de monter dans un des dortoirs. Le gérant des lieux se veut accueillant et fait un long discours à chaque arrivant, d’autant plus théâtralisé qu’il y a du monde. Il peut le faire en français, en anglais ou en espagnol, le discours ne change pas d’un mot. Le fait d’arriver pour le deuxième fois validait ce que j’avais déjà noté, ce gite est « malgré tout » tenu par un véritable vendeur de sommeil.
J’avais l’avantage de « connaitre », je suis montée, j’ai récupéré mon baluchon sous le lit abandonné le matin même, désinfecté à neuf comme tous les autres, et j’ai marqué ma place sur un nouveau lit, dans le dortoir d’à côté pourvu de deux belles fenêtres.
Et je suis partie, le nez au vent, le coeur léger à la découverte de la ville.


Le mur d’enceinte, le ruisseau, le château, le « Tout pour le pèlerin », La ville où habitent les vrais gens, le « Lidl », le départ du GR10, rien ne m’a échappé, j’ai « tout fait » en détail et avec attention.
Quand « tout fut fait », il ne restait plus qu’à rentrer consommer en public le « mini-espace de sommeil » que j’avais acheté depuis la veille.
C’était cool, j’avais mes marques!
Le dortoir s’était rempli, il s’était rempli exclusivement de filles.
Personne ne pouvait savoir que c’était ma deuxième nuit.
Moi, le sachant, je notais à quel point je me sentais plus à l’aise que les autres.
Il y avait plusieurs explications à ce fait, il y avait surtout trois points qui me faisaient défaut alors qu’ils accaparaient visiblement les femmes qui étaient là.
1° Je n’avais aucun stress à l’idée d’affronter une « étape mythique de 8 heures de marche »
2° Je n’avais aucune question au sujet de ma capacité à marcher au long cours
3° Je n’avais aucune angoisse de solitude, d’éloignement, de séparation, pas de burn-out pré-existant, pas de pathologie sous-jacente

Je m’étais installée dans un coin, sur le lit d’en bas, afin d’observer.
Timidement une allemande d’environ 40 ans est venue s’installer sur le lit du dessus. Elle était dans un état de stress juste terrible, elle pensait faire l’étape vers Roncevaux en bus et commencer à marcher seulement après, ou peut-être encore après et même peut-être plus loin. Visiblement elle appréciait mon écoute, elle est revenue plusieurs fois au contact. Je lui ai laissé une adresse @ afin qu’elle puisse me raconter « son chemin ». Je n’ai aucune nouvelle à ce jour.

Sur le lit le plus proche, c’est une fille de l’est, probablement russe, la quarantaine bien frappée. Elle ne parlait pas, cherchait à s’isoler, elle essayait de dormir, se relevait, refaisait son sac, se recouchait, avalait des comprimés, se relevait, refaisait son sac, etc… Elle, le lendemain matin quand je l’ai saluée, après l’avoir entendu parler au téléphone, j’ai ajouté  « Tu es inquiète, tu as peur, c’est ça? »
Elle m’est tombée en pleur dans les bras…

Et puis, il y avait un paquet de japonaises, deux par deux. Elles étaient arrivées habillées comme dans les mangas, elles avaient dévalisé « Tout pour le pèlerin » et elles s’amusaient à faire leur sac comme le font les gamines, en minaudant, en riant. Une fois fait, elles se sont connectées à la toile. Jusque tard dans la nuit, la lumière bleuté des écrans s’agitait au dessus de leur corps silencieux.

Il restait deux places dans le dortoir prévu pour 15 personnes. Parmi toutes les occupantes, ce soir là, aucune n’avait marché plus loin que de l’arrêt de bus au gite !

Lorsque je suis descendue dans le réfectoire pour faire réchauffer une soupe, malgré le changement des acteurs, c’était la même installation que la veille : chacun dans son coin et les brebis sont bien gardées.
Le nez dans le saucisson, dans le fromage ou le nez en l’air, le temps de la restauration n’était visiblement pas un temps prévu pour échanger.
Ah, si!
Il y en avait un qui avait envie de raconter ses exploits sur le GR10, mais visiblement l’auditoire n’était pas le bon, il a fini le nez dans ses cornichons.
Vu l’ambiance pas folichonne, j’ai pas traîné.
Je suis remontée me réfugier dans mon duvet.

En passant devant l’accueil, il y avait encore foule!
Incroyable.
De fait, un couple d’allemands, environ chacun la cinquantaine, a complété notre dortoir de filles.
L’homme se sentait peut-être un peu seul dans cet environnement plein d’oestrogène, mais il était avec sa femme.
Elle toute sèche, lui, jovial, ventre à bière bien entretenu.
Il se présenta à la ronde, serrant les mains qui lui répondaient. il expliqua haut et fort qu’ils étaient partis le matin de Munich, qu’ils avaient atterri à Bilbao et qu’ils arrivaient à l’instant en bus. Ensuite, ils ont passé la soirée a s’embrouiller en mini-disputes atténuées par la présence de tout le public. Vraisemblablement madame avait préparé les deux sacs et monsieur n’y comprenait rien, ne s’y retrouvait pas dans le sien et s’énervait le plus paisiblement possible. C’était drôle et prometteur!

J’ai finalement posé la capuche du duvet sur ma tête, histoire de rentrer autant que possible dans mon petit monde.

Je n’étais déjà plus vraiment une pèlerine!

A suivre…

Mercredi 20 septembre, étape 20

« I tought about his voice again, the last chapter. Are we seagulls looking at the end of freedom in our world?
Part Four, printed at last where it belongs, says maybe not. It was written when nobody knew the future. Now we do. »
Richard Bach, spring 2013 in Jonathan Livingston Seagull, The Complete Edition, Editions Scribner, New York 2014, ISBN 978-1-4767-99331-3

A l’aube du jour où j’allais enfin marcher sur le GR10, toutes les expérimentations pèlerinesques auxquelles j’avais pu aspirer était closes.
J’avais fouillé un bon paquet de livres, dans les années déjà lointaines où je rêvais de m’échapper sans encore en avoir l’occasion. J’avais « creusé » le sujet sans jamais trouver un sens qui me ressemble dans « Le Chemin de Compostelle » : historiquement tout était artistiquement flou, aussi loin que puissent remonter les chercheurs, il n’y avait rien de réellement consistant qui puisse me pousser à partir « comme les autres » en dehors du « comme les autres »!

Ces derniers jours n’avaient pas changé la donne.

Il faut le dire, j’ai plein de défauts et parmi ceux-ci, le plus redoutable : mon incapacité à croire.
Désespérément, béatement, sereinement, non seulement je ne crois jamais rien, mais en plus, je balaye activement toute croyance qui passe.
Je suis intensément capable d’imaginer, de chercher, de tâtonner, de me tromper, de parfois « faire marche arrière », mais croire… C’est pas mon truc.

C’est que sur certains plans, je ne doute pas.

Par exemple, sur l’escapade 2017, je savais, ce qui était ancré, ce qui portait toute la puissance de ma foi, ce qui était tellement palpable suite aux expériences récentes :  j’allais à la plage.
Je marchais donc en direction du « bout du monde des terriens », là où l’océan s’installe, là où commence l’horizon.
C’était si fort, tellement enthousiasmant!
Le sens de « ma » randonnée était d’une présence de plus en plus magnifique.
J’étais et je suis encore reconnaissante à tous ces petits riens qui dessinent un chemin, quel qu’il soit dès l’instant où ils se dessinent au jour le jour.
Mais je sens bien que quelques lignes n’expliquent rien et je me doute fort qu’un étalage de questions est inutile dans un cadre « touristique ».

Revenons aux faits!

Il est impossible de trainer dans un dortoir. Il faut se lever en même temps que le gros de la troupe et se préparer dans le même tempo.
Le réfectoire était plus que plein pour le petit déjeuner, je n’osais même pas imaginer la foule qui allait arpenter « le chemin » ce matin là.

Avec la joie en bandoulière, je suis sortie dans la rue à l’heure où sortent les pèlerins, par toutes les portes de tous les gites.
Je suis sortie et j’ai immédiatement tourné à droite.
Je partais vers l’ouest.
J’étais seule.
Je me sentais riche d’une indicible liberté.

Dès la sortie de la ville, le sentier prenait de la hauteur.
Rapidement, les nuages formaient un océan blanc et mouvant à mes pieds, des îlots émergeaient ça et là.
Rapidement, je n’avais d’yeux que pour les sommets environnants.
Après plus d’une heure de marche, m’arrêtant un instant pour jeter sans risque un regard à 360°, une présence s’afficha dans les lacets inférieurs.
Et oui… Le GR10 est une voie fréquentée, me suis-je dit.
Je ne savais pas encore à quoi ressemblait la personne que j’apercevais, mais elle allait vite, très vite.
Trois lacets après, elle m’avait presque rattrapée. Je guettais, il semblait que ce soit une fille.
J’ai ostensiblement ralenti, désireuse de la laisser passer, désireuse de rester « seule au monde ».
Quelques instants plus tard, son souffle était sur moi.
Quelques secondes et j’entendis sa voix :
« Bonjour; ça va?
-Carrément bien, avec ce temps merveilleux. Oui, ça va bien et vous?
– …. Mais les autres pèlerins, ils sont où les autres pèlerins?
J’ai laissé plané une seconde de surprise en silence
– Heuuuummmm… Vous allez à Roncevaux?
– Oui, je viens de partir de Saint-Jean-Pied-de-Port…
– Mais… ici, on est sur le GR10
-… C’est pas « Le chemin »? »
Elle m’a fait répéter une fois, trois fois, dix fois. Chaque fois elle jurait en allemand, en français, en français allemand.
Elle jurait, dépitée.
J’ai dit ce qui me passait par la tête, que c’était « le bon jour » pour se perdre, un jour de soleil, sans pluie annoncée, sans brouillard programmé…
J’ai dit que c’était une chance de s’en apercevoir maintenant après « seulement » une heure de marche.
J’ai dit qu’elle avait encore une longue journée pour rejoindre son but, son objectif : Roncevaux.
Elle était partie de Constance, elle avait fait un si long chemin, depuis si longtemps…
Elle devait finir ce soir, elle était attendue.
Elle s’effondra dans mes bras, sanglota un bon coup.
Puis, elle repris ses esprit et son bon sens.
Elle avait plein d’énergie, ses mollets de montagnarde en disaient long, elle pouvait avoir confiance, elle serait à Roncevaux avant même que tous les pèlerins partis à la même heure qu’elle ne soient arrivés.
Et elle est s’en est allée, dans le sens de la descente, en courant presque.

Quelle histoire!
J’en sentais les vibrations jusqu’au fond de mes tripes.

Arrivée au premier sommet, les dernières ondes étaient estompées. J’ai posé sac et bâton, j’ai grimpé encore plus haut, rien que pour le plaisir, seule dans le ciel.
J’ai posté une photo sur instagram et j’ai reçu le message d’une amie « Je viens de voir passer sur fb la photo d’une file interminable de pèlerins à st jean pied de port. Pensées » et j’ai illico répondu : « Là, je suis seule sur un sommet, sur le GR10… si bon »
Merveille de la technologie, que ces pensées qui passent et sont rendues visibles!

Mais invisibles, elles existent cependant.
Il est absolument inutile et vain de rester accroché à la seule technologie.
Je marche toujours avec le téléphone éteint et hors de portée.
J’ai appuyé sur off.
La connexion avec l’environnement n’en fut que plus intense.

Simples bonheurs de la moyenne montagne, des landes de bruyères brûlées par le soleil, des rochers, des versants abruptes, du soleil et de l’air limpide… simples bonheurs… Je me régalais!

En arrivant à Saint Etienne de Baigorry, la premier panneau qui m’a sauté aux yeux fut celui qui indiquait la présence d’un gite d’étape. Il était encore très tôt. Il faisait très beau.
J’ai choisi de m’arrêter dans ce village.
Le gite n’ouvrait pas avant 16h30, j’avais plus d’une heure devant moi.
J’ai fait le lézard.
La couleuvre paresseuse.
Je me suis enivrée de la douce chaleur du soleil.

A 16h15, deux randonneurs sont arrivés, eux avaient réservé.
A distance, nous avons attendu l’ouverture ensemble et chacun d’un côté de la route.

A 16h30 nous sommes entrés dans le gite. Un espace aménagé avec goût, respirant autant la convivialité que l’intimité.

Avant de sortir marcher, découvrir, explorer, j’ai acquitté le prix de la nuitée. Une fois encore la question fut étonnante pour la novice que j’étais : « Est-ce que vous avez besoin d’un tampon pour votre pass’port gr’diste ? »
Non évidemment… Je constatais avec un sourire au fond de la tête que décidément, il est tentant d’accumuler des « preuves » et je digressais immédiatement en pensant à toutes les croyances qui s’accumulent « grâce » à l’accumulation de preuves totalement artificielles.

A l’heure du diner, un vieil anglais solitaire est arrivé, parti d’Hendaye il ne savait pas encore vraiment où il allait finir. Il marchait pour éviter de s’ennuyer dans sa maison anglaise.

Nous nous sommes retrouvés à quatre dans la cuisine. Les deux copains randonneurs s’activaient aux fourneaux : jambon basque et champignons fraichement cueillis (par eux-mêmes) formaient la base d’une belle fricassée.
Une bouteille de bon vin était ouverte.
Nous avons fait connaissance, joyeusement, en gardant nos distances et tout en partageant.
L’anglais a bien bu… puis il s’est fait cuire des pâtes qu’il a mélangé avec une boite de sardine.
Je suis restée fidèle à mes habitudes et pour honorer celui qui me l’offrait, j’ai gouté avec plaisir un brin de fricassée.
Ce fut une agréable soirée.

A suivre…

 

Jeudi 21 septembre, étape 21


« Et le bonheur viendra à l’heure où arrivent les bonheurs
il sera celui d’avoir été dans l’attente patiente de ce qui fut »
Gabriel Mwéné Okoundji, Comme une soif d’être homme, encore., Editions Federop, 2015,
ISBN 978-2-85792-224-7

Réveillée avant l’heure où palissent les étoiles, je n’ai guère patienté.
J’ai traversé la cours déserte et monté les escaliers qui allaient vers la cuisine.
Tranquille, j’ai fait chauffé l’eau pour un café et j’ai dégusté sans hâte le premier repas de la journée.

Le temps de tout mettre en sac, j’étais la première à prendre le large.
Désormais, j’acceptais de rentrer dans le rang et de ne faire que « l’étape recommandée » : même si c’était en prenant le risque d’arriver vraiment tôt, j’étais devenue une Gr’diste comme une autre et c’était une nouvelle source d’expérience qui me plaisait.

Que raconter au sujet de cette journée?
Sur mon carnet il n’y a qu’une ligne : « Journée magnifique »
Quand il n’y a pas de mots, il n’y a pas de mots!

J’étais enfin sur ce fameux GR10.
Sur les crêtes, funambule entre l’Espagne et la France, je pouvais compter les kilomètres de frontière avec le numéro gravé sur les bornes.

(Il y en a plus de 600 réparties entre la Méditerranée et l’Atlantique, j’avais même envisagé (parmi tous les projets de balade)  de suivre « le chemin des bornes », un chemin qui n’existe pas alors que la ligne frontière existe sur tous les cahiers d’écoliers. Un mois n’aurait pas suffit, j’ai été raisonnable!)

Ce fut une magnifique balade pendant laquelle j’ai pris beaucoup de plaisir à redresser les cairns marquant les meilleurs passages à travers les rochers.
Une belle journée où je n’ai manqué aucun arrêt de jeu : gambader sans sac à dos, grimper plus haut, édifier un tas de cailloux en équilibre au dessus du vide, m’égarer sans me perdre au milieu des roches moussues d’une forêt où des trolls auraient pu résider.

J’ai croisé quelques promeneurs. De ces promeneurs qui se hissent vers les pâturages pour y pique-niquer et profiter de l’espace, contempler les oiseaux spécialistes du vol plané et être là, simplement, entre ciel et vallée, sous le soleil.

Le sentier plongeant sur Bidarray est en équilibre sur la ligne de crête de la montagne qui vient s’échouer à proximité des habitations.
Là, l’offre touristique en activités de pleine nature est omniprésente. Il y a certainement plus de places en gite au coeur du village que de place pour habitant au long cours.
J’ai frappé un premier gite, en bas de la descente, face à un immense parking de « départ de randonnée ».
Un immense gite, de plus d’une cinquantaines de places.
j’étais la première à arriver. Trois VVTistes avaient réservés, ils sont arrivés tard le soir.

Après avoir « visité » ce qui était à visiter,  je suis allée m’offrir une bière en terrasse, guettant l’arrivée des deux randonneurs rencontrés la veille.
Ils sont arrivés bredouilles de champignons, mais tout aussi extasiés que moi par la beauté des paysages traversés. Le gite qu’ils avaient réservé était à l’opposé de celui auquel j’avais frappé.

Le ciel était en train de s’obscurcir de lourds nuages.
La pluie est arrivée et c’était délicieux de penser que je n’aurai pas de tente mouillée à plier le lendemain.

A suivre…

Vendredi 22 septembre, étape 22


« 
« Maintenant, je suis libre. »
Paul avait dit ces mots et Idaho, surpris par le son de sa voix, venait de les répéter. »
Frank Hébert, Dune I, livre quatrième, le Messie de Dune, 1965, traduit de l’américain par Michel Demuth, 1970, 1972, Editions Robert Laffont, ISNB 978-2-221-00164-6

Avec ces étapes super courtes (entre 4 et 5 heures de marche), mon temps de sommeil profond était super court lui aussi.
L’adaptation quasi immédiate du corps à la charge d’exercice proposée est un sujet d’enchantement dont je ne me lasse jamais.
Peu de sommeil, et donc plein de temps confortablement allongée, bien au chaud dans un duvet douillet, seule dans un petit dortoir avec vue sur le ciel.
Le grand luxe!

L’expérience du gite de randonnée était plaisante, d’autant plus que j’avais ma tente, donc un véritable choix possible. Ce fut la découverte de l’année. je ne connaissais pas l’existence de ces gites très bon marché en France. Peut-être est-ce une spécialité de certaines régions? Je n’avais rien remarqué de tel sur le sentier cathare… Mais je sais si fort que les yeux ne voient que ce qu’ils connaissent et seulement quand c’est important de le voir!

L’air était humide lorsque je suis partie, la question de mettre ou ne pas mettre la cape de pluie était entière et sans réponse satisfaisante.
Le chemin suivait la rivière.
Une rivière à l’eau turquoise et vive, sautant de marche en marche entre les blocs de grès roses.
C’était somptueux.
Inévitablement, il a fallu que je m’approche, que je rentre dans le lit, que j’empile des cailloux dans le courant, c’était irrésistible. Je devais honorer ce paysage si beau en le touchant, en touchant ce grès, cette eau.

Les deux randonneurs passèrent, ils étaient partis un peu plus tard.
Intrigués par mon manège, ils s’empressèrent de le mettre en boite avant de reprendre la route.
La rivière était joueuse, le courant s’associa au moment d’inattention consécutif au passage des compagnons pour mettre à bas le début de mon édifice. Qu’à cela ne tienne, j’ai recommencé!

J’ai rattrapé les gars au début de l’ascension du jour. Une fille qui cheminait dans le même sens que nous, fila à l’instant même où j’entrai dans la grotte devant laquelle il s’émerveillaient.
Je pensais vraiment qu’ils marchaient plus vite que moi, ils étaient aguerris, bien équipés et en forme.
Et bien, en fait, j’étais sur leurs talons à tel point qu’ils m’ont cédé le passage sur le périlleux sentier où on ne peux poser qu’un pied devant l’autre.
Ensuite, j’ai rattrapé la fille.
Certes, deux jeunes hommes qui grimpaient en courant étaient « hors concours », mais dans ma catégorie, j’étais finalement plutôt rapide. Les gars avaient raisons quand ils avaient affirmé que j’allais plus vite qu’eux.
C’est amusant d’avoir ainsi des « points de repère », en liberté, sans tension aucune.
Pour modérer l’affaire, je dirais que mon sac n’avait jamais été aussi léger, non pas que j’aie enlevé quoi que ce soit, non… Peut-être était-il apprivoisé, à moins que mon esprit libéré de plein de doutes ne le sente plus du tout.
Je ne sais pas.

Après « tout ce monde » il y a eu « plus personne » et ce jusqu’à l’approche d’Ainhoa, le terme prévu pour ce jour.
Du sommet des crêtes, l’océan était perceptible de manière certaine et j’entrais dans une région aux noms déjà connus.
Ainhoa, par exemple fleurait bon le pain d’épice, un délicieux pain d’épices que je ne manque pas de rapporter en souvenir lorsque je « descends » pour profiter de ce qu’offre la région en matière d’océan.

Avant d’y arriver, j’ai fait une belle halte près d’une source. L’eau avait un goût minéral assez ferreux et je ne fus guère étonnée de trouver en aval l’entrée d’anciennes galeries minières.

Puis, dans la brume se dessina le site du calvaire. Quelle découverte!
C’est un plaisir incommensurable que de « tomber » sur certains paysages remarquables sans connaitre préalablement leur existence.
Je sais que je répète, mais chaque fois, je me félicite de voyager sans avoir « reconnu » ou préparé le chemin. Ainsi les surprises sont magiques, toujours.
Voir de très loin trois croix s’élever sur la colline est assez commun tant les calvaires sont nombreux au pays basque, distinguer ensuite les petits chevaux qui broutent à proximité fait encore partie de l’iconographie locale, mais découvrir que le calvaire (1898) est déclinée de manière très réaliste, qu’une multitude de stèles traditionnelles (2001) le précèdent pour créer une scène tout à fait extra-ordinaire fut juste un grand moment.
Et puis, ce fut l’occasion d’une nouvelle salve de questions qui devaient attendre mon retour à Nantes. Ce n’est qu’aujourd’hui que j’explore grâce à des textes comme celui-ci par exemple.
Voyager, c’est aussi « ça »!

Il restait à descendre le chemin de croix, cette idée m’amusait du simple fait de l’agencement des mots qui la composait.

L’arrivée dans le village me prépara à rentrer dans le monde tant j’ai eu l’impression de débarquer en pleine ville. C’était l’heure d’affluence touristique maximale. Les « anciens » en vadrouille, qu’ils soient espagnols ou français étaient partout, dans le moindre interstice, dans la moindre ruelle, agglutinés dans les boutiques, en grappes dans le micro-cimetière, en file vers le parking des cars.

Fermant toutes les écoutilles de mes sens, j’ai foncé en direction du gite dont j’avais entendu tant d’éloges.
Il était « trop tôt », mais le propriétaire me communiqua aimablement le code afin que je puisse m’installer. Deux autres randonneurs devaient arriver… je me doutais un peu de leur identité.
Le gite, très petit est effectivement très bien aménagé, très accueillant.
Sur la table de la cuisine, un livre avait été abandonné, un livre de Christian Bobin qui avait échappé à ma collection. Je me réjouissais par avance de pouvoir le lire.

Ayant déposé sac et bâton pour marquer mon territoire, je fus motivée pour un aller-retour « en ville ». En fait j’avais envie de faire goûter l’exceptionnel pain d’épices local à ceux avec qui j’allais partager la nuitée.
Ils étaient arrivés à mon retour.
Ensemble, nous avons goûté.
Puis, je me suis installée au soleil revenu pour me plonger dans la lecture.

La soirée fut ce genre de soirée qui laisse une empreinte subtile et enchanteresse.
Comme j’aime l’expliquer, elle était de la qualité de ces moments où « être ensemble » signifie quelque chose. Ces moments qui se gardent au fond de l’âme et pour lesquels j’ai proposé cette conclusion : « Il est impossible de partager réellement quoi que ce soit, mais nous avons en commun le secret de cette soirée ; nous garderons la trace du plaisir que nous avons pris à échanger nos idées, en même temps, chacun de notre côté, chacun à notre manière, chacun habitant sa parole. »
C’est indescriptible et seuls ceux qui l’ont vécu savent de quoi il est question.

La nuit fut douce.
J’avais prévu d’arriver à la plage le dimanche à midi.
Les prévisions météorologiques étaient rayonnantes.

A suivre…

Samedi 23 septembre, étape 23

« L’idée de « Dieu » ouvre une question sur l’idée d’existence et ses niveaux. On l’a vu, le pouvoir d’être ici et là-bas, certaines particules élémentaires l’ont. »
Daniel Sibony, Nom de dieu, Editions du Seuil, 2002, ISBN 2-02-051357-9

Nous avons pris le petit-déjeuner ensemble.
Mes compagnons de nuitée ayant décidé de « faire l’ouverture » de la boulangerie pour acheter du pain, nous sous sommes salués et je suis partie devant.
Il était peu probable que nous rencontrions à nouveau, eux avaient réservé leurs places à Olhette pour la nuit suivante, tandis que j’avais décider d’avancer suffisamment pour arriver sans me presser dimanche midi à Hendaye.

A quelques kilomètres d’Ainhoa, le long  de La Nivelle, la jeune fille doublée la veille était en train de lever le camp. C’était son avant dernier jour de marche et elle n’avait pas l’intention d’en faire beaucoup puisque son terminus du lendemain était Ibardin.
Malgré son jeune âge, elle avait déjà une grande expérience de baroudeuse! Sacrée nana!
Nous avons un peu bavardé, visiblement elle avait envie.

Un passant s’en venant, tout à fait disposé à poursuivre le conversation, je lui ai volontiers laissé la place et j’en ai profité pour tracer!

Après être allé, encore une fois chevaucher la frontière, le GR10 passait par Sare, un des « plus beaux villages de France » à l’égal d’Ainhoa.
Les terrasses ouvraient tout juste, le calme régnait encore dans les ruelles visiblement dédiées aux touristes.
J’ai assouvi ma gourmandise à la boulangerie et friandise à la main, je suis passée à l’église, pour voir.
Sous le porche, un homme racontait l’histoire à un autre. D’évidence, j’avais devant mes yeux le maitre et l’élève. Le propos était érudit… j’ai tendu l’oreille, puis je me suis approchée, attirée par une intense curiosité intellectuelle et j’ai fini par poser mon sac et des questions.
Une conférence quasi private!
Quelle chance!

Nous étions sortis, c’était la fin, il fallait juste regarder le clocher et la plaque sur laquelle est écrit  « Oren guziek dute gizona kolpatzen azkenekoak du hobirat egortzen » ce qui, interprété en français donne le proverbe suivant : « chaque minute compte, la dernière tue ». Les deux copains que j’avais laissé au gite arrivaient.
Ravie et nourrie par ce que je venais d’apprendre, en remerciant l’universitaire pour tout ce qu’il avait bien voulu offrir, je m’effaçais, comme pour leur laisser la place.
Mais la « conférence » était achevée. Quelques minutes plus tard à bord de leur voiture, le maitre et l’élève me saluaient à grand renfort de signes de main.

Ce mystère de la vie, ce mystère qui fait que les personnes extra-ordinaires sont là, juste là près de nous et qui fait aussi que parfois c’est « le » moment, d’autres fois non, ce mystère accapara mes pensées pendant un bout de chemin.

La Rhune approchait.
La Rhune, c’est une montagne mythique, siège de nombreuses légendes locales et riche d’une histoire foisonnante.
Jamais je ne l’avais approché par ce versant.
Je la découvrais sous un nouveau jour.
Au Col des Trois-Fontaines, c’était l’heure de déjeuner.
Assise un peu à l’écart, près du ruisseau qui parcourt la tourbière, j’ai observé les passants.
C’était samedi, il faisait beau, le monde était de sortie.

La descente était assez encombrée par les promeneurs qui montaient, de l’autre côté de la vallée, la montée fut assez encombrée par les promeneurs qui descendaient.
Puis le calme est arrivé avec l’après-midi qui avançait.

Au Col d’Ibardin, c’était la bonne heure pour une bière fraîche.
Sur une terrasse ensoleillée, sans vraiment savoir si j’étais en France ou en Espagne, j’étais bien et c’était bon.
J’avais envie d’avancer encore, de garder seulement une dizaine de kilomètres pour le lendemain.
J’avais envie de trouver un endroit bien sauvage pour dormir une dernière fois « en sauvage ».

Mais la vie est espiègle.
Je me suis égarée, filant trop bas dans la vallée pour espérer caracoler sur les crêtes le lendemain matin, au lever du soleil.
J’ai fait demi-tour, j’ai changé de chemin pour essayer de grimper et je me suis retrouvée… à Ibardin, précisément d’où j’étais partie!
Ibardin et sa mega-zone de « ventas », autant parler d’un centre commercial!
Rien n’avait changé depuis mon premier passage, sinon le temps qui était… passé!
C’était donc dans ce coin que je devais trouver une zone assez isolée.
Et je l’ai trouvée.
Le soleil avait déjà sombré derrière les montagnes, et vraisemblablement derrière l’horizon.
Un camping-cariste qui promenait son chien s’approcha pour discuter deux minutes et il me promit un café chaud pour le lendemain matin.
Rendez-vous fut pris, il devait arriver à 8 heures tapantes devant ma porte!

A suivre…

 

 

Dimanche 24 septembre, étape 24

 

« Es mi destino,
Piedra y camino
De un sueño lejano y bello, viday
Soy peregrino. »
In Piedra y camino, Chanson de Atualpa Yupanqui (Hector Roberto Chavero Aramburo)

8h
Tout était plié.
J’attendais « mon » café chaud.
J’étais certaine que la personne croisée le soir était une personne de parole.
Pourtant, elle n’était pas là.
8h30, je me décidais lentement à partir, oubliant le café chaud quand un chien tout heureux est arrivé, suivi par son maitre.
Non seulement j’ai eu ma dose de boisson matinale, mais en plus j’ai eu le plaisir d’entendre l’accent de la région de mon enfance et la chanson des noms de villages que je connaissais parfaitement. Heureux hasard!

J’étais attendue à Hendaye et j’avais dès la veille annoncé une heure probable où il serait possible de me cueillir sur la plage. Même en prévoyant large, il ne fallait pas trop trainer et je démarrais finalement avec une heure de retard.

Dès la montée sur les crêtes, je voyais tous les endroits de bivouac sympa que j’avais raté et cependant j’étais super contente d’avoir eu l’occasion de profiter de la chaleur d’un bon café.

Devant, il y avait l’océan dans toute sa splendeur, bleu sous le ciel bleu.
Derrière, il y avait « la » montagne, somptueuse sous l’éclairage matinal, il y avait le lac des nuages et l’enchantement de la merveilleuse cascade blanche qui s’en échappait.

En partant, de là-bas, loin à l’est, j’avais longtemps regardé en arrière.
En arrière jusqu’à perdre le bleu maritime des yeux.
Il avait fallu que je m’arrache pour résolument regarder la montagne et aller de l’avant.

Et voilà, que je ne cessais de m’arrêter pour accrocher encore mon regard sur les montagnes, et encore et à nouveau.
Pleinement consciente de ce qui se passait, de ce qui se jouait précisément, j’ai porté mon regard au loin, vers cet horizon que j’avais si longtemps attendu et enfin, j’ai marché résolument, sans plus regarder en arrière.

J’étais sur le chemin qui va « au bout du monde », sur la plage, là ou allait commencer la suite, l’inconnu et plus loin.
Et Merleau-Ponty faisait écho avec une petite phrase que j’avais souligné dans le train, pendant le voyage vers Narbonne :
« (…) la route proche n’est pas « plus vraie » : le proche, le lointain, l’horizon dans leur indescriptible contraste forment système, et c’est leur rapport dans le champ total qui est la vérité perceptive. »

Je voyais l’horizon, l’océan, et j’étais dans l’instant, dans un paysage de carte postale, magnifique, sous un soleil radieux. Je vivais dans un simple bonheur tout à fait réel et véritable.

Passé l’ermitage de Biriatou, traverser l’autoroute revenait à franchir une frontière, à marquer l’entrée vers la fin de la randonnée, la fin de la belle escapade.
Puis, il y eut le port d’Hendaye, puis la plage et les surfeurs, et aussi un tas de cailloux au pied des rochers.
En ce beau dimanche, la foule était présente sous le soleil, j’étais pourtant seule au monde, débarquant d’un ailleurs invisible sans que personne alentours puisse l’imaginer.


Mon frère est arrivé à l’heure convenue.
Non… Avec quelques minutes de retard car il était parti me chercher sur le port et la route du littorale était fort encombrée. Il avait suffit d’allumer le téléphone et de clavarder un peu pour « tout arranger »… Mais comment aurions-nous fait « dans le temps »? Dans un temps où nous avons pourtant vécu, dans une époque où les rendez-vous existaient. C’est incroyable de constater à quel point nous sommes capables d’adaptation, au point d’oublier de quoi nous étions capables « avant »…

Un fois mon sac posé dans le coffre, complices comme nous l’étions lorsqu’il s’agissait de dévaler hors piste les champs de neige, nous sommes partis à l’assaut des rochers, jusqu’à la plage interdite que j’avais en tête, sous le domaine Abbadia, dans la baie de Loia, là où les roches multicolores sont sculptées par les vagues.
La marée commençait à monter fort.

Il était alors temps de rejoindre Biarritz en voiture et de rentrer dans cette vieille maison basque et bourgeoise dont j’avais si souvent entendu parler sans jamais la voir. Une maison que mon frère, une fois marié, avait apprivoisé en temps que « maison de famille ».

Oter mes sandales, faire grincer le parquet ciré, sentir la douceur des tapis d’orient, puis grimper l’escalier monumental pour découvrir « ma » chambre à la décoration surannée, tellement charmante dans la lumière filtrant à travers les persiennes.
Un peignoir blanc était plié sur le lit, la salle de bain ouvrait grand sa porte.
J’ai déposé mon barda, étalé ce que je pouvais sur les fauteuils tapissés de satin fleuri.
J’ai ouvert le paquet postal posé sur la table, sous la plus grande fenêtre. Il avait bien été expédia, il était bien arrivé à la bonne adresse.
Mes vêtements « de ville », mes bouquins, mes papiers étaient là.

Après une longue douche, je pouvais descendre, dans la peau d’un personnage collant au décor (enfin presque…) pour répondre à la curiosité de celle qui m’accordait l’hospitalité : une dame très âgée, d’allure aristocratique, blanche et fragile comme les porcelaines de collection qui décoraient le salon.

A suivre : le jour suivant …

Lundi 25 septembre, une journée entre parenthèses


« Une saveur s’affirme doucement depuis le retour.
Celle de la dragée.
La vraie dragée, celle des baptêmes et des mariages de mon enfance
Le « bonne »dragée
Qui contient une grosse amande.
De cette gourmandise de « fête sacrée »
Que je laissais fondre patiemment
Jusqu’à sentir le rugueux de l’amande
Ce rugueux de la peau brute, dont la texture
Se dévoilait au fur et à mesure que le sucre fondait.
Puis, je sortais le fruit de la bouche
Pour « le voir », le découvrir, en ôter la peau
Et le goûter encore, trouver le lisse sur les papilles
Avant d’achever
Avant que les sensations ne deviennent souvenirs
Mêlés,
De sucré, de rugueux, de lisse, de subtil
De l’amande, de la dragée, de la fête
C’est bien le temps passé qui fut savoureux! »
in Passage de vies, Editions l’instant Présent, 2008, ISBN 078-2-916032-10-8

8h58
TER 67266
11H47
3854
006-36
16H32

Quelques chiffres pour déjà entrevoir la fin de la parenthèse Biarrote après mon arrivée à Hendaye.
J’ai systématiquement besoin d’un moment entre parenthèses au retour d’une aventure quelle qu’elle soit, que ce soit une aventure de quelques heures, de plusieurs jours ou de plus encore.
C’est une respiration indispensable.
Il peut s’agir d’un temps de silence dans la voiture arrêtée, c’est possiblement une longue errance dans la zone « neutre » d’un aéroport, c’est pourquoi pas, un voyage en train.
L’essentiel est entièrement contenu dans l’identification de la zone « entre parenthèse ».
Dans cet espace, tout est possible, c’est un entre-deux, un espace où mon costume est indéfini, où je suis en état de suspension avant re-constitution.
J’aime infiniment cet état.
Il répond entièrement à l’adjectif d’extra-ordinaire tant il est rare et tant je le protège comme quelque chose de très, très précieux.

C’était une chance de pouvoir vivre cette parenthèse à Biarritz, sous un ciel chargé, dans une ville déserte, hébergée dans une maison historique.

J’ai passé la journée à déambuler, à regarder les vagues aller, venir, s’écraser, éclabousser, s’envoler en mille particules d’embruns, vivre.
J’ai passé la journée à rêvasser, à regarder l’horizon, se voiler, se découvrir, essuyer les grains, se couvrir et s’illuminer, vivre.
J’ai passé la journée, le nez vers le ciel, à regarder les oiseaux marins, piquer, décoller, planer, voler, plonger, vivre.

Des milliers de pensées se bousculaient et passaient.
J’avais amassé un bouquet de métaphores suffisant pour éclairer mon quotidien pendant plusieurs mois.

L’après-midi, je suis partie à l’assaut du phare.
Un sommet si vite atteint.
Mais le sommet local.
Prendre de la hauteur élargit toujours le point de vue.

Et j’ai encore marché, marché.

Enfin, la fin était proche.
Manger une glace.
Acheter des espadrilles dorées
Faire provision de gourmandises à offrir
Et aller pour un ultime diner dans la maison basque.

8h58
TER 67266
11H47
3854
006-36
16H32

Sur la dernière page griffonnée par l’escapade 2017, juste après les chiffres, il y a cette phrase :
« Chacun peut trouver un sens à sa voie. »

Peut-être?
Je ne sais pas « pour les autres ».

Hier soir, « comme par hasard » un bouquin s’est posé entre mes mains. Je l’ai dévoré, trouvant noir sur blanc toutes les questions qui m’habitent, illuminées par des éclairages auxquels je n’avais pas pensé, prenant racine dans notre histoire. Une histoire dont je suis bien incapable d’embrasser la totalité, ce qui m’offre la chance d’apprendre encore et toujours.

Quel bonheur que de pouvoir rencontrer, lire, découvrir « les autres » pour comprendre toujours plus loin.

J’avais envie de trouver une petite phrase dans ce livre tout fraichement ouvert, il y en a des dizaines qui pouvaient faire l’affaire.
Je dirais que chaque petite phrase posée au cours de ce « feuilleton » étant toujours une invitation à découvrir un bouquin, un auteur et ce qu’il y a autour, il en va de même pour cette dernière :
« Je mets donc mon espoir dans l’idée qu’en développant une autre image de notre vie mentale, une image qui rende justice à notre nature d’êtres sociaux, nous serons capables de mieux comprendre les conditions de possibilité d’une véritable individualité – une individualité sociale échappant au solipsisme et enracinée dans des pratiques qui nous incitent à la coopération mutuelle. L’individualité n’est pas une donnée mais un objectif à atteindre, et nos efforts dans ce sens ne peuvent se passer de la contribution de nos semblables. »
Matthew B. Crawford, Contact, traduit de l’américain par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet, Editions La Découverte, 2015, ISNB 978-2-7071-8662-1

A plus loin…

Marcher

« Tout grand paysage est une invitation à le posséder par la marche ; le genre d’enthousiasme qu’il communique est une ivresse du parcours. Cette brume ensoleillée comme une gloire est indissolublement à la fois le point de fuite du paysage, l’étape proposée de notre journée, et comme la perspective obscurément prophétisée de notre vie. »
Julien Gracq, En lisant en écrivant, Editions José Corti, 1980, ISBN 978271430303-5

Marcher, verbe transitif ou intransitif… La marche, le marcheur… Sens propre ou sens figuré ?

Poser un pied devant l’autre en réalité ou de manière métaphorique?

Marcher, pratiquer la marche, posséder par la marche,  le marcheur…
Des mots.
Des mots comme tant d’autres qui n’ont de signifiance que pour la personne qui les utilise, dans un environnement défini, à un moment précis.

Du jour où l’enfant se lève et avance droit devant, vacillant, chancelant avant de trébucher sous la joie de ses proches : « ça y est, il marche ! » jusqu’à la dernière minute de vie dont il est impossible de se relever, la marche est, comme la respiration, une fonction formidablement banale.

Qu’est-ce qu’un marcheur, une marcheuse ?
Je ne sais pas.
Chacun se définit à sa manière, selon ses propres critères.
Tout est vérité.

Il est vain de se fier aux apparences, aux chaussures, à l’accoutrement, à l’environnement ou à quoi que ce soit.
Chaque personne sait plus ou moins qui elle est, d’où elle vient, où elle va.
Peut-être ?
Quiconque la croise ne peut que se contenter d’imaginer ce qui lui convient d’imaginer.

Je m’apprêtais pour une petite pause, devant un bistrot, à Saint-Jean-Le-Vieux, le temps d’avaler un sandwich et de boire un thé chaud.
Un couple d’âge mûr me cédait sa place, sous l’unique parasol troué qui pouvait servir de parapluie en cas d’averse.
Lui, un peu lourd, la lèvre épaisse, le ventre bien rond, paquet de cigarettes dans une main, smartphone dans l’autre, sac déjà sur le dos, Lui attendait pour la suivre, Elle.

Elle était parfaitement coiffée et parfumée, ses jambes décharnées mais superbement bronzées s’étiraient entre l’extrémité d’un micro-short pinky et la bande blanche immaculée des soquettes qui surplombaient de lourdes chaussures de montagne .
Bâtons de marche hi-tech en vrac dans une main, Elle tentait de s’extirper du coin où elle s’était coincée à côté de son sac à dos.
Un poème de Baudelaire me vint à la mémoire en la voyant s’empêtrer entre les chaises, la table et les bâtons dépliés ; c’était tellement incongru dans la circonstance, qu’un large sourire illumina mes pensées.

Après les salutations basiques, je tentais aimablement un « Vous allez où comme ça ? » tout à fait neutre, histoire de dire quelque chose, un peu curieuse, néanmoins.

Impossible d’oublier le regard outragé lancé par la dame.

Un regard accompagné par des mots, balancés à la hauteur de l’offense bien innocente que je venais de proférer : « Nous allons à Compostelle, bien sûr. Ca ne se voit pas ? »

Je me suis entendue bredouiller : « Non… Oups… Désolée… Vous auriez tout aussi bien pu aller vous balader dans la montagne, non ? »
Ce couple était donc « sur le chemin » et je n’avais rien vu.
Elle devant, sans plus de mots, Lui derrière, débonnaire ils s’en furent en marchant.

Marcher.
Qu’est-ce donc ?
Qu’est-ce donc pour qu’il s’écrive autant de livres, de billets, de blogues, de poèmes sur le sujet?
Sur un sujet finalement vague, à propos d’expériences indéfinies, chacun reste libre d’interpréter à sa sauce.

Cette année, pour mes vacances, j’avais choisi de me déplacer à pieds.
Délaissant la planche de SUP, j’avais choisi de porter sur mon dos tout le nécessaire indispensable à mon confort.
Fidèle à moi-même, je savais d’où je partais, j’avais fixé un sens, une direction et donc une arrivée probable.
Entre les deux, j’avais prévu autant que possible ce que je pouvais prévoir d’imprévisible.

Comme d’habitude, j’avais fixé le temps imparti pour ma balade et je disposais d’un mois plein, à utiliser au gré du vent.
Sans aucune réservation en poche, sans GPS actif, sans smartphone sous le nez, je me suis engagée dans l’aventure avec le minimum : une boussole pour garder le nord, une carte routière pour me positionner, une tente pour m’abriter et rien en trop, histoire de marcher légère.

Je suis monté dans le train, à Nantes, le mercredi 29 août au matin, en vêtements de ville. J’emportais un stock de bouquins pour passer le temps, un sac à dos sur le dos et à la main une grosse boite postale destinée à envoyer bouquins et vêtements de ville du « départ de la marche » vers une maison proche du point d’arrivée espéré.
Je suis descendue du train, à Nantes, le mardi 26 septembre en fin d’après-midi. Dans mon sac à dos, j’avais rangé avec attention plusieurs gâteaux basques pour régaler quelques personnes gourmandes.

(à suivre)