Il faut vivre avec son temps disait ma grand-mère.
Et elle appliquait sa maxime, cette phrase qu’elle avait laissé tomber un jour en revenant du marché, en déclarant qu’il était devenu inutile de tricoter puisque de beaux pulls en laine était vendus pour moins cher que leur valeur en nombre de pelotes achetées.
Pour moi ce fut un grand ouf de soulagement, j’en pouvais plus des pulls tricotés par Mémé, détricotés et re-détricotés à l’envie. Toujours la même histoire d’apparence.
Dans mon lycée huppé de centre ville, les filles étaient sapées « mieux », certaines avaient même des chaussures venues d’Amériques, ça s’appelait des « clarks » et ça ne ressemblait en rien à ce qui se vendait chez le marchand de chaussure de mon quartier de banlieue.
Rien à voir avec les chevaux.
Non.
Et oui, il faut vivre avec son temps, OUI.
Logiquement, nous vivons dans le siècle où nous habitons, nous sommes les sportifs de ce monde, les cavaliers de ce monde et nous nous agitons situés dans ce monde là précisément.
Un monde où jamais l’offre de consommation n’a été si large et jamais l’offre de services, n’a été aussi pléthorique.
Désormais, il est même possible d’apprendre le yoga, la course à pied ou l’équitation en restant dans son canapé devant un écran!
De fait, le nombre de spécialistes, d’experts et de « savants » est plutôt conséquent.
La concurrence est partout, elle est rude car elle oblige à une certaine « guerre », c’est à dire que pour survivre, de nombreuses personnes doivent défendre leur chapelle, coûte que coûte, en particulier en oubliant toute forme de nuances.
Il y a le « bien », celui qui est prêché par l’un et il y a le « mal » celui de l’autre chapelle.
Et cette observation est possible sous tous les angles.
C’est factuel et actuel.
Et ce, quand bien même, chacun s’empresse de parler de sa propre modération.
Il y a plus d’un demi-siècle, quand j’étais rentrée dans le monde des chevaux, c’était la fin d’une ère. Les tracteurs avait remplacé les chevaux de trait, le triporteur avait remplacé la bourrique du laitier ; il restait les chevaux de course avec la joie populaire autour des nombreux hippodromes et les grands concours hippiques commentés par Léon Zitrone pour lesquels je pouvais rester scotchée devant le petit écran gris de la télévision de ma grand mère (décidément très moderne!)
En 1975, lorsque j’ai suivi mon inspiration, lâchant « tout » en échange d’un contrat pour une saison au cirque, j’ai découvert un monde que je n’avais pas imaginé, celui du dressage des animaux.
J’ai surtout découvert des chevaux présentés au public en « liberté ».
C’était du cirque!
DU CIRQUE.
C’était tellement loin de tout ce que j’avais pu connaitre jusque là.
Là-bas, j’ai vu.
J’ai eu la chance incroyable de côtoyer chaque jour un homme de cheval en la personne de F.Knie senior. J’ai su bien plus tard tout le bien que pensait de lui N.Oliveira et ce que certains grands cavaliers de dressage lui devaient.
Il présentait cette année là un numéro de haute école, tout en légèreté, avec un superbe lipizzan que l’école de Vienne avait cassé et dont il avait patiemment recollé les bouts prouvant toute la hauteur de son art.
Il m’avait signé un contrat, tout comme à l’anglaise qui m’accompagnait, tout comme à une jeune allemande de ses amies : précurseur, il cherchait des filles pour bosser avec ses chevaux car il détestait toute forme de dressage par la force et la violence.
Des années plus tard, les plus grands cavaliers optaient en masse pour des « grooms » au féminin.
J’ai tellement appris lors de ce passage en Suisse.
J’ai appris ce qui était pour moi une évidence, les chevaux écoutent mieux quand on leur parle avec douceur, même lorsqu’il est nécessaire de faire preuve de rigueur et de fermeté.
Lorsque je suis rentrée en France, j’ai repris la routine.
Etudiante, cavalière classique et cavalière de course à la fois, je restais imprégnée par ce que je venais de vivre et, droit dans mes bottes ou relax dans mes chaps, je m’efforçais afin d’appliquer ce que j’avais appris tout en me gardant bien d’évoquer le cirque.
En concours, après le succès de l’équipe nationale aux JO, c’était à fond la mode de la méthode d’Orgeix et au moins la position me convenait-elle parfaitement en adéquation avec l’équilibre que je connaissais au champ de course.
Et le temps est passé.
Les boudhistes affirment justement que seule l’impermanence est permanente.
Mon père aimait dire que la roue tourne.
Aujourd’hui, nombreux sont les spectacles équestres où apparaissent des chevaux plus ou moins nus répondant à des « dresseurs » plus ou moins charismatiques et ce n’est pas du tout du cirque!
Le cirque, n’est-ce pas de la clownerie et de l’acrobatie?
Non, ce n’est pas du cirque, c’est du dressage et aussi une nouvelle forme d’équitation (lorsqu’il s’agit de chevaux montés) voire une nouvelle discipline qui se pratique à pieds, à côté d’un cheval de compagnie, allant du TAP plus ou moins fantaisiste aux compétitions d’Equifeel!
Nous sommes tous très doués pour jongler avec les mots en fonction de la mode.
Aujourd’hui, dans les prairies, dans les manèges, rôdent les messages paradoxaux, de ces messages qui rendent fous.
Car l’exploitation des chevaux devrait aller de pair avec leur bien-être un peu comme si « se tirer dessus physiquement » (en pratiquant du sport intensif) pouvait rimer avec « être mieux dans ses baskets ».
A l’heure où les médias font l’éloge de l’activité physique douce nécessaire au bien vivre des humains, la question se pose en parallèle pour les équidés alors même que perdure pour eux comme pour les humains le sport spectacle de haut niveau.
Entre messages paradoxaux et complexité du vivant, le plus simple consiste souvent à choisir une chapelle, à y croire et à suivre scrupuleusement son évangile.
Et pour éviter toute déconvenue, je conseille fortement de le faire au fond d’un canapé, devant un bel écran.
Finalement, j’en reviens à ma grand-mère.
En arrêtant de tricoter, détricoter et retricoter, « on » en est un peu au même point.
« On » détricote, « on » retricote avec ce qui nous passe sous le nez!
Et « on » reste tout à fait humain, chacun faisant la tambouille qui est a sa portée.
Et… comme tout un chacun, je fais la mienne.
PS : Pour écrire rapidement et sans nuances aucune sur les réseaux sociaux (par exemple) l’usage des « ils » et des « on » qui désignent personne et tout le monde à la fois est très répandu.
Archives de catégorie : Cheval
Prodigalité
J’avais en tête le mot générosité pour ce billet tout en me disant que c’est quand même très « humain » la notion de générosité.
En cherchant parmi mes billets, un seul utilise le mot « générosité » et c’est tout à la fin du billet qu’il débarque, et c’est un extraordinaire souvenir qui remonta en le lisant.
Il date de 2019 et je n’avais pas encore renoué avec les chevaux.
En parcourant la lexicographie à la recherche d’un mot mieux ajusté à mon propos, j’ai trouvé « prodigalité » et comme, tout à fait par hasard, le p’tit pur sang à l’origine de ma réflexion s’appelle Prodi. (abrégé de Prodigal Son) j’ai validé le titre bien qu’il soit un peu imparfait à mon goût.
En ce mois de juillet très humide, je vais parfois cueillir des chanterelles après ma session à cheval. Grâce aux pluies printanières et désormais estivales, la forêt a retrouvé un état de fraicheur qu’elle avait perdu les années précédentes et les plantes en profitent avec exubérance parfois, les chanterelles aussi.
Je vais donc « sur mon spot » et je ramasse uniquement ce dont j’ai besoin pour ma poêlée du diner. Inutile de faire des stocks ; je suis heureuse de prendre une toute petite part en reconnaissant qu’elle sera bien suffisante pour me régaler.
J’ai l’impression de « respecter la nature » en agissant ainsi.
Mais quel est le rapport entre mes cueillettes, les chevaux, l’équitation et le p’tit Prodi ?
J’y viens.
Il y a un peu plus d’une semaine, un dimanche comme un autre, j’étais en fin de session équestre et je tentais pour la première fois une transition trot-trot plus lent-trot (nous sommes encore très loin des termes pompeux, le p’tit n’a que 4 ans). Et là, il y eu un instant suspendu. Dans la demande de ralentissement, Prodi a trouvé le moyen de me sortir trois foulées merveilleuses, en parfait équilibre, relevées, souples, gracieuses. J’ai aussitôt ouvert les doigts afin qu’il aille de l’avant, je savais l’effort physique qu’il donnait pour réaliser « ça » et il n’est pas encore prêt pour « tenir » longtemps.
J’avais cependant des étoiles plein le ventre : « wahoooo, il sait faire ça, wahooo ».
Après un tour du manège, au même endroit, je lui ai redemandé et, banco, il me redonna !
Magique.
Nous sommes restés là-dessus, et je lui ai indiqué la direction du fond de la propriété, là où l’herbe est bien grasse, là où il aime brouter.
Le reste de la semaine, j’ai suivi mon programme, celui qui prévoit des exercices simples, à la portée du jeune cheval. Mais à partir du mardi, il devint un peu bizarre, moins allant, un peu rechignant à l’ouvrage.
C’est à cause du temps maussade me dit l’une sous la pluie
C’est à cause de la chaleur m’a proposé une autre le lendemain sous le soleil.
Cette année, les chevaux sont « mal » avec cette météo bizarre finit par conclure une troisième qui passait par là.
Mouais… Je connais l’influence des conditions météorologiques sur mon énergie, mais là il se passait autre chose, j’en était certaine.
Et c’est grâce à ma cueillette de chanterelles que j’ai compris.
Parce qu’il m’avait donné, sans intention, simplement donné/offert comme seul sait le faire un animal dénué de la moindre intention humaine, j’ai pensé que je pouvais prendre un peu plus.
Prendre un peu plus, c’est à dire le considérer d’un coup plus grand qu’il était.
C’est amusant d’écrire « ça » moi qui fut considérée pour « plus grande » que mon âge simplement à cause de ma taille élevée de petite fille ! Certes je me suis adaptée coûte que coûte mais je me souviens encore des « interdictions » qui en découlaient sur l’air de « tu es grande » alors que dans ma tête j’avais seulement l’âge de mes artères. J’en ai souffert et j’ai fait avec, fièrement.
Mais fi d’antropomorphisme !
J’ai la chance d’avoir trouvé un cheval « tout neuf » qui s’exprime sans arrières pensées.
Et j’ai la chance d’avoir tellement de temps, tellement pas d’objectifs, tellement de plaisir à l’accompagner comme il est, que je l’écoute attentivement.
Après cette « révélation » de ma « lourdeur » à son égard, j’ai redonné des rênes dès le lendemain et « mon Prodi » est redevenu le p’tit cheval plein d’entrain et de générosité que je connais.
Pas plus tard qu’hier, il est venu de lui-même se « placer » pour me dire une nouvelle fois qu’il saura faire, un jour, quand il sera plus grand.
L’amour n’est rien d’autre qu’une joie concomitante à l’idée d’une cause extérieure
Baruch Spinoza, Éthique, III, 13
Equilibre
Avant de titrer un article, je fais systématiquement un tour des archives du site. Ainsi j’ai le plaisir de relire des vieux billets, de sourire souvent et toujours de constater à quel point mon cap reste le même malgré le temps qui passe.
J’ai trouvé pas moins de 60 billets contenant le mot « équilibre » et pas un seul ne porte ce mot en titre.
Je peux donc tranquillement l’afficher aujourd’hui.
Si je m’apprête à examiner ce sacré mot à travers le regard des chevaux et de l’équitation, je ne résiste pas à partager ce lien qui raconte une bribe de mon chemin de vie, de l’équilibre que je cherche et que je trouve parfois, funambule sur un fil tendu entre mes paradoxes.
Ce mot « équilibre » sonne, résonne, questionne, interroge le monde de l’équitation, infiniment!
Il suffit d’aller faire un tour du côté de la lexicographie pour réaliser à quel point chacun peut raisonner selon la définition qu’il choisit et se trouver facilement en désaccord avec l’interlocuteur qui pense selon une définition voisine.
Ce serait finalement une situation assez commune, ne méritant pas de s’y attarder, si ce mot là ne constituait pas une des bases de l’enseignement équestre et une des préoccupations majeures de tout cavalier souhaitant progresser.
Equilibre du cheval,
Dans son corps, dans sa tête, dans son environnement.
Equilibre du cavalier,
Dans son corps, dans sa tête, dans son environnement.
Equilibre du couple, c’est à dire équilibre du cheval monté par son cavalier,
Cheval et cavalier ensemble, corps et mentaux conjugués, dans l’environnement x, à l’instant t !
Les manèges résonnent souvent d’une litanie de sentences :
« T’es pas en équilibre »
« Ton cheval n’est pas en équilibre »
« Cherche l’équilibre »
etc
Et au milieu des injonctions diverses et variées le cavalier se perd, cherche en vain, espère un compliment tandis que ni lui, ni sont cheval ne tombent, ce qui laisse imaginer qu’il existe un certain équilibre quelque part !
Avec le développement des hautes technologies, des ingénieurs s’affairent et publient des données afin d’essayer de définir un équilibre scientifique.
Dans le même temps, de manière tout à fait empirique, des cavaliers s’affairent avec leurs chevaux afin d’atteindre « leur équilibre avec leur cheval » dans la discipline convoitée, poussant parfois l’audace jusqu’à souhaiter le meilleur dans des disciplines aussi différentes que le dressage et le cross, courant après un « équilibre en général » qui n’existe qu’en particulier.
Dans ce microcosme parfois uniquement équin, parfois aussi équestre, comme dans tous les autres, les spécialistes sont désormais aussi nombreux que les pages offertes par les réseaux sociaux. Et tous s’affirment spécialistes très compétents en recherche.
Dans un autre microcosme qui fut mien, j’avais pu constater, vivre, expérimenter, le formidable effet de l’accès à la toile pour la « démocratisation » de l’information… et de la désinformation associée.
« L’outil électronique Internet offre l’opportunité de surmonter ces obstacles pour une communication libre. Il signifie la chance historique pour faire progresser de la liberté de la presse à la liberté de communication et de ce fait démocratiser l’information (bien que cela implique aussi la démocratisation de la désinformation): Tout citoyen a le droit de publier information dans tout le monde, et tout autre citoyen a le droit de recevoir, de juger, et de l’utiliser lui-même, sous sa propre responsabilité. »
PhD E.Winkler 2003
Et voilà donc que je poursuis l’aventure de la recherche assidue de l’équilibre, au sujet de l’équilibre !
Curieuse et gourmande, je me plais à lire tout ce qui passe, et à le situer, et à y porter une grande attention sous tous les angles pour finalement à revenir à mes classiques, et surtout au juste milieu qui m’est si cher.
C’est formidable.
C’est passionnant.
Effrayant aussi.
C’est une porte grande ouverte sur une immense solitude.
Car si je peux passer d’un raisonnement individuel à un raisonnement général en étant au fait des biais cognitifs à franchir, je suis absolument incapable de passer d’un raisonnement manichéen à une recette convenant à tous.
La maison du champ de courses
Cachée derrière la végétation elle est toujours debout, la maison du champ de course. (image Google map)
Mes grands-parents maternels habitaient cette maison à ma naissance et j’y fus gardée en semaine jusqu’à la naissance de mon frère.
La maison du champ de course, j’en ai toujours entendu parler ainsi, bien davantage que par son adresse rue Léon Blum.
Il est vrai que l’hippodrome est vraiment juste à côté et son activité faisait écho jusque dans le jardin.
Dans mon enfance, il suffisait de passer devant les deux bistrots toujours remplis d’ouvriers, de lads et de palefreniers pour se retrouver sous l’arche du grand portail marquant l’entrée « dans » l’hippodrome de Villeurbanne (Aujourd’hui renommé hippodrome de Lyon-Carré de la soie).
Le portail était une ligne que je n’ai jamais franchie dans mes jeunes années, ce qui se passait de l’autre côté n’était probablement pas « pour moi » aux yeux de mes parents et grands-parents : parier ne faisait pas partie de leurs loisirs.
Parfois, après un repas du dimanche, nous empruntions à pied le chemin de terre partant juste après le deuxième bistrot afin de rattraper le chemin du canal et d’arriver à proximité des pistes visibles à travers la barrière.
Là, avec un peu de patience, il était parfois possible de voir passer les galopeurs.
Accrochée au grillage, le nez passé à travers un des carreaux pour essayer d’être encore plus près, je pouvais sentir le sol trembler sous leur passage, je pouvais entendre leur souffle à nul autre pareil, c’était terriblement fugace, quelques points de suspension pendant lesquels je retenais mon souffle avant de demander « encore » et de sentir une main me tirer en direction du retour.
C’est seulement ces derniers mois, alors qu’en devenant à nouveau propriétaire d’un pur-sang je fais remonter pleins de souvenirs, que je constate combien mes émois au contact des chevaux sont anciens. Quand, dans ce billet là, j’évoque une graine semée après mon entrée au lycée, il serait davantage question d’une graine en train de lever, la semaison avait eu lieu bien avant, probablement grâce à mon passage dans la maison du champ de courses.
Bien plus tard, j’ai eu la chance de monter ma première course sur ce terrain là et ce jour là, gonflée par la joie de « débuter » autant que shootée à l’adrénaline, je n’avais pas eu la moindre pensée pour la maison d’à côté que j’avais pourtant habitée presque à plein temps pendant deux ans.
Cette première course est un souvenir aussi grand que consternant.
Grand parce qu’une première course se préparait longtemps à l’avance : au delà du parrainage indispensable, de la validation médicale drastique, il fallait passer chez le bottier afin de se faire faire des bottes hyper légères, il faillait aller acheter un casque spécial (nous montions encore tête nue, même à l’entrainement de course), il fallait longtemps espérer afin qu’un propriétaire nous fasse confiance au point de nous confier son cheval. Et alors, il fallait surveiller la balance!
Grand aussi par tout le rituel que je découvrais enfin d’un autre côté : le vestiaire où on laisse les habits de ville pour le pantalon de nylon et la casaque de soie, le pesage où l’on passe le coeur battant puis le rond où tournent les chevaux rutilants et impatients, trottinant souvent, et enfin le geste précis du lad de service qui nous « envoie » d’une poigne ferme sur le dos d’un animal qui passe sans s’arrêter. Il reste alors à chausser les mini-étriers de course et à tenir en équilibre précaire sur la mini-selle de course sous les regards attentifs d’un microcosme où se mêlent des gens tellement différents, ceci jusqu’à l’heure de l’entrée en piste où enfin le cheval prend un petit galop presque décontracté pour se rendre au départ.
Le départ.
Un truc de ouf.
« Garde bien ta corde » était l’unique conseil que m’avait donné l’entraineur pour cette première course.
Garde bien ta corde…
Je me souviens parfaitement de l’entrée dans la boite, je l’avais déjà vécue lors d’entrainement, c’était acquis. Je me souviens parfaitement du décompte… et puis plus rien… et puis un blanc total!
Je me suis « réveillée » après avoir été catapultée complètement à l’extérieur.
Mon cheval était en pilotage automatique, c’était ma première course…
Le départ en vrai, le départ d’une course en vrai, c’est un truc hyper puissant auquel je n’étais pas du tout préparée.
Je me suis réveillée avec ces mots surnageant dans mon cerveau en dérive, « garde bien ta corde, garde bien ta corde », et j’ai récupéré la corde avant le premier virage mais j’étais à la queue. Notre couple a réussi à rentrer dans le paquet (certainement grâce à l’expérience de ma monture, il faut l’avouer), le temps de sentir la force de folie qui se dégage là au milieu et puis c’était déjà l’arrivée avec le sprint final. C’est tellement étrange de parler de final après avoir eu l’impression d’être déjà à fond depuis le début!
J’avais bien « mangé » comme on dit, c’est à dire que j’avais pris dans la tête les mottes de terre soulevées par les chevaux qui me précédaient, mes lunettes de protection en étaient quasi recouvertes, la belle casaque aussi. Je suis rentrée aux balances piteuse et consternée, presque effrayée à l’idée de devoir croiser le regard de l’entraineur et du propriétaire.
Et je revoie leurs sourires même pas moqueurs.
Simplement bienveillants.
Et j’entends encore l’espoir qui re-commença à vivre à l’écoute des mots d’E. : « Et ben voilà, c’était ta première course, maintenant tu es prête pour une véritable première course. »
Ainsi l’histoire s’est poursuivie.
Et de très loin, de mon âge d’aujourd’hui, je me demande avec un peu d’espièglerie si inconsciemment, ce jour de la première course, si sans le savoir je n’étais pas partie complètement à l’extérieur afin d’aller tutoyer une gamine collée au grillage, à ce grillage qui sépare le champ de course du chemin du canal ? Le seul fait est que le départ avait été lancé précisément sur cette ligne droite et qu’aucun virage n’avait pu me déporter par « force centrifuge ». Bon, c’était surtout une première course, n’est-ce pas?
Effet miroir (bis)
J’ai oublié la date à laquelle j’ai commencé ma collection de « petits chevaux » même si je sais que le premier cheval « pour de vrai » qui m’a été confié s’appelait Furibard, était gris, avait 4 ans et avait donné lieu à un contrat exceptionnel (acceptable pour mon argent de poche). C’était précisément en 1974!
Je l’ai rapidement abandonné pour aller courir plus loin, d’autant plus que je n’avais pas encore les compétences nécessaires pour l’éduquer. En écrivant ces mots, je me demande dans quelle mesure, ce ne fut pas une leçon que le maitre avait souhaité me donner en me proposant ce quasi poulain ?
J’ai oublié la date, mais je vois bien que je possède une belle collection.
Ils sont de toutes les tailles, immenses ou minuscules ; ce sont des juments, des mâles ou des questions.
Ils sont en plastique, en carton-pâte, en bronze, en verre, en cristal, en céramique, en porcelaine, et même en or (c’est pas le plus gros…) ou sculptés dans la malachite, le bois ou l’ivoire.
Ils sont là.
Et l’effet miroir est là aussi.
Dans cette diversité.
Dans cette multitude.
Avant hier, j’ai décidé de prendre soin d’un cheval en biscuit de porcelaine anglaise.
Il me suit depuis au moins trente ans et de déménagement en déménagement d’année en année, il a beaucoup souffert : fractures multiples, rafistolages à l’arrache, habitats poussiéreux, voire abandon relatif.
Je me suis attelée à l’ouvrage, cassant les fractures déplacées, re-collant finement, réparant dans les règles de l’art, puis ponçant, lissant avec attention et passion et patience.
Puis, hier, d’un coup la plaque dorée affichant le nom de ce cheval là est entrée dans mon champ de vision « Spirit of the wild ».
Spirit of the wild !
Pour certaines personnes, qu’un cheval blanc, cabré et doté de ses attributs mâles s’appelle ainsi toucherait certainement une certaine émotion.
Pour moi, à l’instant où ces mots sont entrés dans mon champ de vision une immensité s’est présentée à mon imagination ; par effet miroir m’est apparu tout ce dont je n’avais pas eu le temps de prendre soin et tout le temps ouvert dont je dispose désormais pour le faire.
Et puis j’ai élargi le champ des possibles, j’ai vu tout mes « petits chevaux », chacun avec ses particularités, tous ces petits chevaux trouvés dans le monde, offerts parfois, collectionnés, amassés au fil du temps qui passe, fragiles parfois ou incassables ou inclassables et tellement plus nombreux que lorsque j’étais jeune.
Effet miroir…
De l’imprévisible (bis)
Il s’appelle Prodigal Son.
Son père est un étalon de renom.
Sa mère, Pearls of Wisdom (perles de sagesse) est anglaise.
Si les chevaux avaient la moindre conscience de ce qu’ils sont devenus dans l’actuelle industrie des loisirs, celui-ci pourrait aller faire un tour chez le psy afin de chercher à comprendre l’imprévisible qui lui est tombé dessus : Comment, lui, fils de star, porteur des plus grands rêves, a-t-il pu se retrouver si près de la fin avant même ses quatre printemps ? En quoi avait-il « fauté » pour en arriver là ? Et est-ce vraiment une chance d’avoir été récupéré dans le couloir de la mort pour atterrir en bord de Loire, désormais dépourvu de ces attributs mâles qui faisaient une partie de sa valeur ?
Voilà deux semaines et trois jours que j’ai fait la connaissance de ce cheval. Le lendemain je devenais officiellement sa propriétaire, c’est à dire que le numéro du transpondeur électronique qu’il porte sous la peau depuis son plus jeune âge est passé du nom de son propriétaire « naisseur/éleveur/entraineur » au mien.
Un cheval est davantage un objet qu’un sujet.
Et, c’est un véritable sujet de réflexion.
Tout autant que cet imprévisible qui reste tellement présent dans mes pensées et survient inévitablement sans… prévenir!
Lorsque j’ai vendu « mon dernier » cheval, abandonnant l’idée de compétition et du « travail » des chevaux en ce sens, je n’imaginais pas un jour replonger.
Je me suis contentée de collectionner les chevaux « objets » de décoration et évertuée à refuser toute proposition consistant à m’approcher du moindre cheval.
C’était en fait une tentative folle destinée à oublier qu’il existe un virus qui touche l’âme elle-même et dont il est impossible de guérir, un virus que je ne saurais décrire avec des mots, un virus qui s’exprime très différemment d’une personne à une autre… mais un sacré virus!
J’entends parfois que l’avancée en âge facilite l’accès à la sagesse.
Autrefois j’aurais pu parler de folle sagesse, mais aujourd’hui, le terme est malmené par les gurus commerçants.
Alexandre Jollien, lui, joue avec la locution « Sagesse espiègle » entremêlant sage folie et folle sagesse dans une prose tournée vers une « spiritualité » contemporaine de type « fast-food » que je ne peux pas comprendre.
Exit donc et la sagesse et la folie.
Mais…
… Que m’arrive t-il dans ce passage vers l’adolescence de l’autre extrémité de la vie ?
Difficile d’en parler sans risque.
L’autre jour tandis que j’annonçais au propriétaire de l’écurie (dans laquelle j’ai débarqué il y a environ neufs mois) que j’allais finalement acheter un cheval, il me renvoya quelques mots tout en me regardant du fond de son coeur : « je vois bien que tu aimes ça » et à ces mots, mon coeur est remonté au fond de ma gorge, formant cette « boule » un peu spéciale qui fait monter les larmes aux yeux. « Oui, tu peux dire ça comme ça » ai-je répondu en baissant la tête pour masquer l’émotion qui m’envahissait.
Et L’imprévisible alors ?
Et bien, c’est certainement cette urgence de vivre encore plus loin, urgence qui m’a poussée à devenir une fois encore propriétaire d’un cheval.
Je ne l’ai pas du tout vue venir.
Une urgence sans objectifs.
Et avec beaucoup de temps pour demander peu, demander souvent comme les anciens maîtres l’exigeaient.
Et avec une force physique déclinante, obligée d’exiger délicatement, avec une précision d’orfèvre.
Et avec au fond de mon âme une immense reconnaissance.
« Monter à cheval, c’est partager sa solitude »
Bartabas, D’un cheval l’autre, Gallimard 2020
A propos du bien-être, un cas.
23 février 2024
Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner.
Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard, 2001, page 87.
Le bien-être…
Un truc à la mode !
C’est quoi ?
Comme tous les trucs à la mode, « ça » se vend à toutes les sauces.
Mais c’est quoi alors ?
Ben… Après avoir cherché une définition, j’en ai trouvé à la pelle.
Mais j’ai été incapable d’en trouver une seule bien précise.
Et comme s’il fallait compliquer « la chose » le bien-être humain étant à l’origine de bien des guerres, des révolutions, des grèves, des revendications mettant souvent à mal … le bien-être d’autres humains, voilà que les histoires de bien-être animal sont entrées dans la danse, bousculant des millénaires d’histoire de la domestication et du sens même de cette histoire.
Inévitablement la question du bien-être des chevaux est posée sur la table, d’autant plus vivement que de nos jours si les chevaux sont des outils de travail pour un petit nombre de professions, c’est parce qu’ils sont destinés quasiment exclusivement aux loisirs d’un très grand nombre de personnes.
Souvent, je lis qu’il faut éviter toute forme d’anthropomorphisme, que les chevaux sont des chevaux et qu’ils doivent être vus en temps que tels. Sauf qu’il suffit de se promener dans n’importe quelle grande surface dédiée au « bien-être » du cavalier et de sa monture pour constater (si besoin en était) que le détenteur de la carte bancaire étant humain, c’est à ses besoins à lui qu’il faut plaire. Pour vendre une couverture, par exemple, c’est bien à « la sensation de bien-être » du propriétaire d’un cheval qu’il faut parler, c’est bien l’humain qu’il faut convaincre et c’est en vérité le bien-être de l’humain qui va diriger la notion de « bien-être animal ».
Hier, j’ai vécu un moment que je n’avais jamais eu l’occasion de vivre dans toute ma (longue) vie de côtoyeuse de chevaux.
Les conditions météorologiques étaient tempétueuses.
Je suis arrivée aux écuries entre deux fortes averses, le vent violent agitant seulement quelques gouttes résiduelles, mais après avoir salué les personnes présentes, le ciel recommençait à nous tomber sur la tête.
Ayant d’autres activités prévues dans l’après-midi, mon temps sur place étant compté, j’ai décidé d’aller chercher le petit pur-sang sans plus attendre et malgré la pluie battante.
En arrivant, longeant son paddock en voiture, j’avais remarqué qu’il avait le nez dans son foin, face au vent. Les chevaux ayant naturellement le réflexe de se mettre dos au vent pour s’en protéger, je m’étais dit que l’animal restait placide, préférant la gourmandise à l’abri.
J’étais donc sur le chemin pour aller à sa rencontre, mes bottes de pluie se moquant des flaques, mon bonnet enfoncé jusqu’aux yeux et le ciré fermé jusqu’au menton lorsqu’à travers les rafales j’entendis le son vibrant du hennissement qui me salue habituellement. Vibrant… plus que d’habitude en vérité, mais étant encore loin je n’attachais que peu d’importance à ce fait.
A l’approche, je constatais que le petit pur-sang restait figé sans venir à ma rencontre.
La pluie redoublait.
Il était à quelques mètres de son abri, dos au vent, queue plaquée, pattes arrières sous lui, comme pour mieux résister à la poussée de l’air mauvais, tête basse.
Figé.
J’avançais à sa rencontre, il était tremblant.
Tremblant de tout ses membres.
Tremblant de tout son corps.
Jamais je n’avais vu un cheval tremblant ainsi, à l’image d’un gamin qui sort de l’océan après y avoir un peu trop trempé.
Il fit un pas vers moi.
C’était émouvant car ce faisant, il prenait le vent de travers.
Visiblement, il avait envie de me suivre mais il était impossible de le toucher, donc de lui mettre son licol. C’était comme si sa peau trempée était devenue hyper-hyper sensible, refusant le moindre contact.
J’ai songé un instant à aller dans son abri… afin qu’il s’abrite… mais il avançait à pas piteux vers l’entrée du paddock, donc vers la sortie. Là il accepta le licol.
Il me suivit sur le chemin, d’un pas que je n’avais jamais vu aussi actif.
Je restais super attentive, je le sentais si tendu que tout pouvais arriver.
Son compagnon du paddock d’à côté souffla à notre passage, comme effrayé par je ne sais quoi.
Les rafales redoublèrent d’un coup, ronflant autour des bâtiments.
Il fallait avancer quelques pas encore pour être à l’abri.
Ce fut fait sans hésitation.
Là, sous le hangar, le petit pur-sang dégoulinant et archi-trempé s’arrêta, refusant de faire un pas de plus. Il tremblait encore. Jamais je n’avais vu un si grand animal trembler ainsi.
Impossible de le toucher, donc de le sécher.
Je lui ai approché un peu de foin qu’il accepta de manger et j’ai attendu.
Je l’observais, il n’y avais rien d’autre à faire que ne rien faire.
Il cessa de trembler.
Les rafales perdirent de leur intensité.
la pluie tambourina moins fort.
Après un coup de brosse pour la forme, j’ai conduit le petit pur-sang jusqu’au manège, tout nu, sans autre intention que d’aller passer un bout de temps à l’observer.
Dès le seuil, je l’ai libéré de l’attache qui nous liait.
Il s’est éloigné immédiatement, en trottinant, la queue en panache, le nez en l’air.
A l’autre bout du manège, il s’est couché pour se rouler. Dans la sciure du manège, il a frotté son dos avec délectation d’un côté, de l’autre, puis il s’est relevé, a lancé une gracieuse cabriole, s’est secoué et est venu vers moi, au pas, décontracté.
Je ne lui ai rien demandé de plus.
Nous sommes repassés par l’abri du hangar, pour la forme, et parce que je considère que « le cadre » est super important pour la sécurité affective du cheval.
Tant qu’il n’est pas tout à fait serein, chaque séance rentre dans un cadre strict, toujours le même, un cadre dessiné à minima entre pansage d’avant la séance et pansage d’après la séance.
La sciure est donc restée agglutinée dans épais pelage, formant une espèce de carapace qui le rendait tout à fait non-présentable.
Il était temps de le « rentrer » au pré.
Là-bas, il s’est tranquillement dirigé vers son foin.
Il a plongé son nez dedans.
… comme si rien ne s’était passé!
Comme si rien ne s’était passé,
Comme si je ne l’avais jamais vu tremblant de toutes ses cellules,
Comme si aucune tempête n’avait traversé les écuries,
La vie a continué dans les jours suivants,
Paisiblement,
Sans le moindre accro de santé,
Ni pour lui, ni pour moi.
Le bien-être c’est ça!
Le petit pur-sang
Et hop, depuis hier nous entrons dans un nouveau cycle, le solstice d’hiver est passé, désormais les journées vont aller en s’allongeant et je suis super contente d’avoir, une fois de plus survécu à ce passage de l’année où la nuit est trop longue.
Ca fait un bout de temps que je connais mon besoin viscéral de lumière et il est fort probable que mon goût prononcé pour les activités d’extérieur en soit la conséquence.
En parlant de cycle, je me permets de faire le lien avec le billet précédent, car le présent ne saurait être saisi sans avoir pris connaissance de celui qui vient avant, avec tous les liens qu’il contient et certainement davantage.
A peine quelques semaines après avoir mis en ligne un billet dans la section Cheval, ma « routine » avait déjà changé. Je laissais B. et I. sans aucun regret. Après environ neuf mois passés, auprès d’eux et de leur propriétaire, il était grand temps de m’enfuir, j’avais besoin de liberté renouvelée.
S. le petit pur-sang était là.
Il est encore là.
Pour combien de temps ?
Les rêves sont faits pour être vécus et j’en ai vécu des centaines !
Pourtant,
J’ai jamais été bien douée pour dire à quoi je rêvais.
Par contre, j’ai toujours eu et des besoins et des désirs.
Posséder un cheval fut un désir fort.
J’ai assouvi ce désir des années durant.
Alors que le crépuscule de ma vie est bel et bien arrivé (en ce sens lexical de ce qui décline, décroit, doit progressivement disparaître), posséder un cheval correspond à un passé sans plus d’avenir. En conséquence, je « partage » désormais les chevaux et donc le petit pur-sang S.
Je « partage » en étant du côté consommatrice, l’autre côté appartient au propriétaire.
Comme en toutes choses, il y a des avantages et des inconvénients.
Il a fallu que je trouve l’équilibre entre mes paradoxes.
Et pour arriver à un semblant d’équilibre, il faut toujours accepter de tomber.
Et c’est là que la vie fut, une fois de plus très espiègle!
Jamais dans ma vie de cavalière je n’ai été confrontée à des chutes graves, coup de bol sans doute.
En fait, la chute ne fut pas un « truc » fréquent pour moi et pourtant, j’ai passé beaucoup, beaucoup d’heures à cheval.
Alors, en cette année écoulée, me retrouver par trois fois séparée d’une monture est un évènement que j’ai bien noté et même surligné.
Si je peux analyser ces « séparations de corps » et en remettre la faute entière sur mon propre dos (qui se porte tout à fait bien, merci l’air-bag pour les deux dernières), je dois remarquer que la dernière a tutoyé le ridicule au point qu’une adorable cavalière spectatrice, en me tendant les rênes d’un S. tout sage dit innocemment « Tu fais le clown, hein? C’est ça ? »
Je pense sincèrement qu’il fallait que j’en arrive là.
Non seulement il me fallait accepter de tomber (y compris symboliquement) mais surtout, il fallait absolument que je laisse tout tomber.
(Cette année 2023 n’est-elle pas aussi l’année où je suis rentrée dans le groupe des personnes profitant de l’argent « cotisé » par les « actifs » ? Arffff… ce qui signifie que je suis devenue non-active! Pffffff)
– les projets que j’ai plus mais que mon imagination s’acharne à dessiner en filigrane
– l’audace de revendiquer un certain savoir partageable
– toute forme de prétention en tout et rien
– etc
Oui, j’en souris encore.
J’ai fait le clown
Probablement dès le premier jour où j’ai débarqué aux écuries, encore boiteuse, appuyée sur une béquille.
Ai-je jamais été vraiment sérieuse?
J’ai passé l’âge, non?
Seuls les enfants et les plus jeunes ont la certitude de leurs convictions.
Plus tard, chacun joue le jeu, et y croire en fait sûrement partie.
Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.
Ces derniers jours, lorsque S. voit arriver ma silhouette du fond de son pré, il lève la tête et pousse un petit hennissement. C’est nouveau.
Peut-être est-ce sa mode du moment avec toute personne arrivant en sa direction?
Je l’ignore.
Au son de ce hennissement, je sais qu’il ne manifeste ni crainte ni agressivité, mais en déduire quoique ce soit d’autre relèverait de mon interprétation émotionnelle humaine.
Ce qui est puissant dans le regard des animaux, c’est le détachement qu’il impose.
Oui, je répète!
Et certainement qu’en laissant tomber un bon paquet de « trucs » au fil du temps, j’ai laissé tomber aussi pas mal d’attachements vains.
La suite reste à vivre.
Passionnément
Avec gourmandise,
Et des journées qui s’allongent à nouveau!
PS : j’avais écrit « petit » appaloosa comme j’écris aujourd’hui « petit » pur-sang.
Jamais je n’ai mis ce qualificatif accolé avec I ou B, eux que je qualifiais de « couple princier »!
C’est que « petit cheval », à l’image de « petit vieux » est détaché de la taille mesurée.
Petit signifie : origines modestes, vie normale sans coup d’éclats, aptitudes ordinaires.
Qui est « petit » doit coûter à minima et si par hasard un « petit cheval » finit par rapporter un peu plus qu’il ne coûte, il deviendra peut-être un « bon petit cheval »!
Tout est contenu dans le regard que l’humain qui le côtoie lui porte.
Une certaine routine
Je parlais de point fixe aujourd’hui même, ici.
Et j’avais aussi conjugué les points fixes avec les points de suspension par ici.
Depuis que je monte à cheval, beaucoup de mes réflexions tournent autour des chevaux et de l’équitation parce que j’y vois plusieurs sociétés en taille réduite, donc autant d’interrogations qui me situent moi-même sur un certain chemin, sur certaines recherches, certaines attentes tranquilles ou plaisirs immédiats.
La « routine » de ces dernières semaines avec cinq jours passés auprès des chevaux chaque semaine représente un point fixe placé sur les turbulences des passages.
Trois chevaux, toujours les mêmes B. , I. et S.
Je les observe, je les monte chacun leur tour, je les observe.
Attentive à ma relation à eux, donc attentive à mon attitude en leur présence, à ce que change le moindre geste dans leur regard de cheval si différent de notre regard humain, à ce que change la moindre contraction « parasite » de mon corps posé à leurs sens de chevaux tellement à fleur de peau.
Car les chevaux ne pensent pas.
En tout cas, ils ne regardent pas les chaines d’information en continue, pas plus que les réseaux sociaux qui parfois déblatèrent en leur nom.
Les chevaux sont dans l’instant présent.
C’est certainement cet instant présent super présent qui constitue le point fixe qui m’est utile en ce moment. (A noter pour les personnes qui suivent et s’y perdent que j’ai remplacé C. par S. preuve s’il en était que chaque cheval est tout sauf un point fixe! )
Parce que la vie des humains est remplie par l’actualité galopante, par ce que nous oblige la société de consommation, mes pensées sont alternativement hyper denses et absolument creuses.
Lorsque je descends de vélo pour m’asseoir dans la voiture et me diriger en direction de l’une ou l’autre écurie, je laisse s’égrener ce que raconte la radio sans avoir besoin de mettre la moindre pause musicale. Ma petite musique interne fait le job. Je suis dans un entre-deux et j’ai toujours apprécié ces moments.
Et 20 à 30 minutes plus tard, je mets pied à terre et je suis dans l’univers des chevaux.
Et là, je suis là.
Encore plus intensément dès le moment où j’arrive à côté du cheval du jour.
Et davantage encore au moment où je l’enfourche.
Je suis en sa compagnie, je lui propose d’établir une relation, toujours la même, paisible, sans état d’âme, dénuée de la notion binaire bien/mal.
Ce qu’il me fait sentir m’oblige à essayer de ressentir ce qu’il a ressenti pour en arriver à réagir. La moindre tension de son côté interroge la tension que je lui impose.
C’est une partition absolument passionnante, toujours renouvelée, impossible à rejouer exactement pareil, tout comme en mer il est impossible de retourner sur sa trace, bien qu’il soit possible de reprendre un cap.
J’ai tellement conscience de la qualité de ces moments.
Je suis pleinement reconnaissante à tout le chemin déjà parcouru depuis ma venue au monde car c’est ce chemin à nul autre pareil qui nourrit aujourd’hui ma routine.
Dans cet espace, si je suis parfois conseillère, si je suis parfois scrutée, si je suis parfois radoteuse, jugée « réac » même, je sais que c’est uniquement avec et par les humains qui passent. Les animaux ignorent les jugements et c’est pour nous, humains, une grâce qui nous permet de regarder ce que nous souhaitons dans le miroir de leurs yeux.
A mes yeux, la grâce, c’est le bonheur et le confort d’un point fixe, d’une routine, de nombreux « entre-deux » toujours différents bien que renouvelés cinq fois par semaine.
Dans le nouveau décor
« La sagesse se trouve exactement où tu es, il suffit de passer de l’autre côté du désespoir ».
De l’autre côté du désespoir, André Comte-Sponville, Edition Acarias-l’Originel, 1997
EAN: 9782863160657
Une chose est certaine le changement de décor fut celui qu’il me fallait.
Les quelques jours où je m’y suis immergée en accompagnant une de mes petites filles au « stage poney » ont achevé de me convaincre.
Le lieu est paisible.
Les cavaliers qui le rejoignent sont tranquilles, souriants et simples, tous passionnés évidemment.
Autour de l’île qui héberge les chevaux, la Loire s’écoule, imperturbable.
La marée monte.
La marée descend.
Le paysage est à la fois changeant et permanent.
Exactement ce dont j’avais besoin.
Le cheval aux crins lavés par le soleil se révéla très touchant.
Certainement parce que c’est un vieux cheval.
Mais ma propre vieillesse,
Ma propre expérience des limites imposées par l’âge qui avance,
A mon propre corps de vieille athlète,
Me donnent une sensibilité que les « jeunes » ne peuvent pas avoir.
Dans chacun des exercices que je lui demandais, je sentais la subtile difficulté, la non-décontraction réelle. Un peu « warrior » à sa manière de cheval, il donne sans hésiter, certainement parce qu’il est fait pour ça et en plus formaté « pour ça » depuis de nombreuses années. Mais en réalité ça tire, et séance après séance je me sentais devenir une espèce de kiné spécialisée pour l’inviter à se mouvoir le plus souplement possible, à s’étirer, à mouvoir chacun de ses muscles pour les préserver encore un peu du passage du temps qui passe.
Et force fut de constater que dans les années qui me restent pour monter à cheval, je n’ai aucune envie d’être une soignante et encore moins de payer pour ça!
Il fallait donc trouver une autre monture.
Dans le même décor!
Par chance un petit pur-sang est arrivé récemment.
Sans hésiter, j’ai suivie la proposition de l’essayer.
Je fus prévenue : il ne sait rien faire, il est complètement à l’envers.
Et c’était déjà un programme possible qui m’enchantait.
Mais il fallait essayer, « voir » de moi-même.
Et oui,
Jeune, éduqué mais sans aucun bagage « technique », il a tout à apprendre et en premier comment marcher sous la selle avec harmonie.
Lui aussi est super gentil, exécutant approximativement ce qui lui est demandé de fort simple, mais à la manière d’un gamin, à l’arrache, par soumission, sans enthousiasme.
Banco!
J’étais super heureuse hier en quittant la belle île.
Il y a de l’avenir à écrire.
J’ignore lequel.
Mais l’important est là,
Plus loin.
J’avais ce besoin intense d’imaginer encore un « plus loin ».
Il fallait qu’un brin de jeunesse,
Vienne stimuler ma pensée,
Avec toute la non-intention dont un cheval est capable.