Ces jours là

Sans que rien ne l’annonce, soudainement il s’arrête.
J’ignore comment il s’y prend,
Il pressent, il sent, il joue d’un appeau musical et silencieux rameutant les invisibles,
Je n’en sais rien
Mais dans les secondes qui suivent cet arrêt,
Un vautour fend l’air, un essaim s’échappe ou le vent se lève.


Son odeur après la pluie, Cédric Sapin-Dufour, Editions Stock, 2023



Ces jours, là, ces instants là, je sais immensément ce qui m’a poussée à revenir auprès des chevaux.
Je sais dans le fond de mon coeur,
Dans le fond de mes tripes,
Sans pouvoir l’exprimer précisément
Ni le partager aux personnes qui ne savent pas.

Car c’est sans aucun doute le chemin déjà parcouru
Qui met en valeur le chemin de l’instant
Et le petit bout qui reste
A parcourir
Plus loin.

La session d’aujourd’hui était délicieuse.
Celle d’hier était étrange.

Hier,
La sortie du paddock fut « comme d’habitude » : Prodi est venu à ma rencontre, il a glissé le bout de son nez dans le licol offert et il est sorti pour aller brouter l’herbe bien plus verte plus loin, exactement comme d’habitude.
C’est pendant le moment du pansage que j’ai noté son attitude « différente ».
Il se figeait, tête haute, yeux grand ouverts, oreilles dressées, bouche serrée.
J’écoutais avec mes pauvres oreilles humaines.
Rien.
Rien d’autre que le vent.
Un vent d’Est, certes,
Mais seulement du vent.

Je l’ai préparé comme d’habitude, tout en constatant qu’il restait tendu, pas comme d’habitude où il s’abandonne complètement jusqu’au moment où je l’invite à sortir vers l’aventure du jour.
Sellé, bridé, il est sorti d’une traite, sans marquer l’arrêt qu’il marque d’habitude en entrant dans la lumière.
Le soleil était resplendissant, une douce chaleur automnale s’était installée, le vent caressait les arbres, vigoureusement certes, mais nous avions déjà vécu bien pire.
Cependant, je décidais de commencer la session par une balade en main, juste afin de prendre le temps d’observer avant d’enchainer sur le programme du jour.
Nous partîmes gaillardement, d’un bon pas.
Soudain, il s’arrêta.
Figé, tête haute, yeux écarquillés, oreilles en avant, bouche hyper serrée.
Statufié, il était.
J’ai attendu avant de lui proposer sans succès d’avancer au moins un pas.
J’ai sorti toutes mes antennes afin d’écouter le vent, de sentir le vent.
En vain.
Je suis tellement nulle par rapport à lui quand il s’agit d’utiliser ces sens là.
Que voyait-il dans le vent?
Il accepta facilement de tourner ses hanches, d’un côté puis de l’autre, sous une minuscule pression de mon index pointé.
Et il se figea à nouveau.

Il devenait clair que mon programme du jour tombait à l’eau.
Je sollicitai un nouveau demi-tour sur les épaules afin de le mettre dans la direction de l’écurie et il se décida à faire un pas, puis deux, puis il avança dans la direction que je lui proposai, celle du montoir.
Là, il accepta de se laisser monter et d’aller en direction des carrières.
Il se figea à nouveau deux fois avant d’y arriver, repartit parce qu’il est déjà bien éduqué à obéir mais il restait très tendu malgré toute la décontraction que mon corps, mes mains, mes jambes lui posait en miroir.
Que voyait-il dans ce vent d’Est forcissant?
Une fois dans la petite carrière, il se laissa guider sur un cercle, puis un autre et bloqua encore, puis se débloqua sans enthousiasme. Il m’accorda une volte, une demie-volte et je considérai qu’il en avait assez fait. Je le fis sortir pour aller le déshabiller puis je l’ai ramené à poil et en licol afin de voir ce qu’il allait faire en liberté dans la carrière.
Il grignota un brin d’herbe de manière compulsive, comme certaines personnes plongent leur main dans un sachet de bonbons les jours de stress, sans y porter grande attention, puis il leva à nouveau la tête, inspectant droit devant lui et renâclant bruyamment.
Comme il restait sur place, à la voix, je l’invitai à marcher à mes côtés, puis à trotter, ce qu’il fit presque facilement.

C’était hyper étonnant de le voir exécuter aussi facilement ce que je lui demandais, aussi étonnant que de le constater tellement accaparé par « je sais pas quoi ».
J’ai considéré qu’il avait beaucoup « donné » de sa gentillesse dans ces circonstances qu’il était incapable de m’expliquer et nous sommes restés là dessus.

Une fois dans son paddock, il n’a ni bu, ni mangé mais je l’ai vu se détendre un peu.

Les chevaux, les animaux nous parlent avec leurs attitudes sans que nous puissions vraiment comprendre ce qu’ils racontent. Toute forme d’empathie, telle que nous pourrions l’exprimer à un humain, est vaine, eux non plus ne comprennent pas ce que nous racontons.

Mais je suis certaine d’une chose, les chevaux savent parfaitement le respect que nous leur exprimons de tout notre coeur et à leur façon ils nous en sont reconnaissants, sans limites.

Les chevaux, lorsque nous les respectons, nous font toucher l’absolu.



3 réflexions sur « Ces jours là »

  1. Sophie

    C’est tellement facile àvec les animaux de penser qu’on leur donne tout et du coup d’imposer nos attentes.
    C’est tellement facile avec les enfants de penser qu’on leur donne tout et du coup d’imposer nos attentes…
    C’est tellement beau d’accueillir ce que l’on reçoit de celui à qui l’on apprend 😉

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    1. Frederique

      Je dirais : tellement facile de penser que dès que je donne quelque chose, j’attends quelque chose en retour. Je réalise que je suis loin parfois du don inconditionnel, même si j’espère le réaliser parfois, en toute sincérité.

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      1. Joelle Auteur de l’article

        Super de lire vos deux commentaires qui se complètent.
        Car, oui, il est facile dans une situation où l’on se sent « supérieur », donc en capacité de « donner beaucoup », il est facile d’imposer des directives et d’exiger une réponse correspondant à nos attentes. La « traduction » pourrait être : je suis plus fort, tu as intérêt à obéir!

        Et, oui, il est facile de penser en terme d’échange je te donne/tu me donnes. Nous sommes ainsi formatés dès le plus jeune âge « grâce » à des injonctions typiques : sois sage, tu auras une récompense ; tiens toi bien et il ne se passera rien ; travaille bien et la vie sera belle ; etc
        C’est finalement ce qui se nomme l’éducation, non?
        Et c’est pareil pour l’éducation des animaux : je sers mes mains sur les rênes, c’est inconfortable, si tu cèdes, tu redeviens confortable ; si tu lèves le pieds, je te donne une friandise ; etc.

        Sur chacun de ces deux plans, existe une décision, une personne qui prend la direction des évènements ; une personne, qui du fait de son statut, de la place qu’elle se donne, exige en force ou en douceur, ce qu’elle désire obtenir.
        Nous avons besoin, pour avoir l’impression d’exister vis à vis des « autres », nous avons besoin de demander, de partager et d’être reconnus dans ces demandes, dans ces partages. le passage en force est souvent la conséquence de l’impression d’une non reconnaissance.
        Par exemple, la cavalière qui soudain s’énerve sur son cheval le fait sur l’air de « Il ne me respecte pas, j’ai besoin d’être respectée moi, noméo! »

        Le « don inconditionnel » est une invention, un concept, une utopie.
        Même la « bonne soeur » qui fait bien ses prières est dans un schéma échangiste : « Je te donne 20 chapelets, tu me prépares une place au paradis, dis ? » 😉

        Socialement, sociétalement, animalement, nous avons fondamentalement besoin d’établir des contrats d’échange d’intention.

        La cerise sur le gâteau, c’est la grâce qui existe pour les personnes qui lui laissent un espace pour germer, à la grâce.
        Ce sont ces moments d’équilibre entre deux individus où sans rien dire, sans rien demander, chacun se trouve exaucé.

        Ces moments sont souvent indicibles, ils sont toujours très fugaces, absolument non-reproductibles mais ils existent et je les aime et je les sens car je sais qu’ils existent.
        Quand j’écris « laisser l’espace pour germer » je pèse mes mots, j’ai envie d’y mettre de la souplesse, de la non-exigence, de la non-attente. Je suis totalement impuissante vis à vis de l’espace 🙂

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